Le texte suivant, cité par Jean-Claude Michéa, dans sa conférence du 9 décembre 2011 à La Fabrique de Philosophie de Montpellier (France), montre bien que la situatione économique actuelle, c'est-à-dire la prédominance de l'économie financière (aujourd'hui globalisée) sur l'économie productive, est dans la logique même du développement capitaliste et qu'elle s'est déjà manifestée en France, en plein milieu du XIXe siècle, à l'échelle nationale... Le déficit actuel des multiples États occidentaux n'est pas une défaillance interne de ces États mais semble être le résultat voulu de la politique libérale mis en place, à partir du début des années 1980, aux États-Unis, par Ronald Reagan, en Grande-Bretagne, par Margaret Thatcher, en France par François Mitterrand et ses successeurs tant de gauche que de droite, en Nouvelle-Zélande par David Lange et Roger Douglas : déréglementation de la finance, affaiblissement du droit du travail, démantèlement progressif des systèmes collectifs de protection sociale, baisse des impôts et des revenus productifs de l'État (privatisations du secteur public), ouverture des frontières c'est-à-dire mise en concurrence des populations actives de ces États occidentaux avec la main d’œuvre véritablement prolétaire et exploitée des pays en voie de développement économique et des populations immigrées et clandestines présentes sur les territoires nationaux ...
Ce
n'est pas la bourgeoisie française qui régnait sous
Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers,
rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires
de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts
et la partie de la propriété foncière ralliée
à eux, ce que l'on appelle l'aristocratie financière. (...)
La
pénurie financière mit, dès le début, la
monarchie de Juillet sous la dépendance de la haute
bourgeoisie et cette dépendance devint la source inépuisable
d'une gêne financière croissante. Impossible de
subordonner la gestion de l'État à l'intérêt
de la production nationale sans établir l'équilibre du
budget, c'est-à-dire l'équilibre entre les dépenses
et les recettes de l'État. Et comment établir cet
équilibre sans réduire le train de l'État,
c'est-à-dire sans léser des intérêts qui
étaient autant de soutiens du système dominant, et sans
réorganiser l'assiette des impôts, c'est-à-dire
sans rejeter une notable partie du fardeau fiscal sur les épaules
de la grande bourgeoisie elle-même ?
L'endettement
de l'État était, bien au contraire, d'un intérêt
direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et
légiférait au moyen des Chambres. C'était
précisément le déficit de l'État, qui
était l'objet même de ses spéculations et
le poste principal de son enrichissement.
À la fin de chaque année,
nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel
emprunt.
Or, chaque nouvel emprunt fournissait à
l'aristocratie une nouvelle occasion de rançonner
l'État, qui, maintenu artificiellement au bord de la
banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers
dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel
emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le
public qui place ses capitaux en rentes sur l'État, au moyen
d'opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et
majorité de la Chambre étaient initiés. En
général, l'instabilité du crédit public
et la connaissance des secrets d'État permettaient aux
banquiers, ainsi qu'à leurs affiliés dans les Chambres
et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs
publiques des fluctuations insolites et brusques dont le
résultat constant ne pouvait être que la ruine d'une
masse de petits capitalistes et l'enrichissement fabuleusement rapide
des grands spéculateurs. (...)
Le commerce, l'industrie, l'agriculture, la
navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle
ne pouvaient être que menacés et lésés
sans cesse par ce système. (...)
Pendant
que l'aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la
gestion de l'État, disposait de tous les pouvoirs publics
constitués, dominait l'opinion publique par la force des faits
et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour
jusqu'au café borgne se
reproduisait la même prostitution, la même tromperie
éhontée, la même soif de s'enrichir, non point
par la production, mais par l'escamotage de la richesse d'autrui déjà
existante. C'est notamment aux sommets de la société
bourgeoise que l'assouvissement des convoitises les plus malsaines et
les plus déréglées se déchaînait,
et entrait à chaque instant en conflit avec les lois
bourgeoises elles-mêmes, car c'est là où la
jouissance devient crapuleuse, là
où l'or, la boue et le sang s'entremêlent que tout
naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction.
L'aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans
ses jouissances, n'est pas autre chose que la résurrection
du lumpenprolétariat dans les sommets de la société
bourgeoise. (...)
Référence.
Karl Marx, Les luttes de classes en France in Karl Marx, Les luttes de classes en France. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, J. J. Pauvert, 1965, p. 60.