Vieille
de plus de six mille ans, l'idée de la réincarnation a suscité un
regain de curiosité passionnée au lendemain des plus grandes
hécatombes humaines, celles de la guerre de 1914-1918.
Doctrine
professée par nos ancêtres, les Gaulois, l'idée de la
réincarnation anime aujourd'hui tout un groupe de libres penseurs et
de libres spiritualistes, qui travaillent à exalter l'âme celtique
qui sommeille en nous.
Consolation
et espérance de tous ceux qui, comme et après Villon, La Fontaine,
Madame de Sévigné, le philosophe Guyau,
ne peuvent accorder l'infinie miséricorde du Tout-Puissant avec la
menace d'un supplice éternel et un châtiment de tortionnaire, que
le plus dur père de famille se refuserait à pratiquer à l'endroit
d'un enfant coupable...
Camille Flammarion |
Comme
toutes les grandes hypothèses, elle paraît avoir quelques points
faibles. Quelle hypothèse n'a pas les siens ? Mais, celle-ci, a
aussi ses sublimités ; et véritablement tous les esprits assez
libres pour accorder à la doctrine des réincarnations un examen
sympathique n'ont pas pu ne pas être saisis d'un véritable vertige
d'infini à celle idée charmeuse des pèlerinages successifs
accomplis par chacun de nous sur les milliards de terres du ciel qui
circulent dans l'Univers ! Quelle ascension héroïque vers le
toujours mieux par ces étapes de vies planétaires au milieu d'une
existence spirituelle, en succession continue comme les jours et les
nuits ! Quel horizon infini s'ouvre devant les plus humbles, au lieu
de la fixité douloureuse des destinées tourmentées dans un enfer
barbare, et de l'immobilité béate d'un Paradis où les élus
apparaissent figés dans leur contemplation éternelle comme des
momies ! Ici, chacun péche contre soi, chacun devient son juge ! Toi
qui as péché criminellement, reviens expier, ou plutôt réparer ta
faute ! Toi qui, par ta vertu, peux maintenant prendre l'essor vers
des mondes plus évolués, retourne encore souffrir au milieu, de
tes. frères inférieurs, afin de les guider vers leurs claires
destinées de l'avenir !
Cette
doctrine offre des perspectives infinies... Elle est trop belle
peut-être, et ce sont les raisons de l'acharnement systématique que
les chapelles et les sectes déploient contre elle: Les matérialistes
la considèrent comme une fantaisie de névrosés; les catholiques
lui mènent une guerre aussi violente que du temps de la croisade des
Albigeois, coupables, eux aussi, de croire aux vies successives; les
protestants (sauf quelques libéraux) lui reprochent d'endormir les
âmes par l'assurance que tout pêcheur, si criminel qu'il soit,
arrivera par les réincarnations à se réhabiliter, et qu'ainsi la
montée audacieuse vers le ciel est supprimée par ces espérances
des vies futures. Bref, l'idée réincarniste a contre elle
l'antipathie déclarée des masses énormes-de matérialistes et de
spiritualistes dogmatiques, presque toute l'Université et tout le
Sacerdoce, presque tout le monde ! Ce qui lui vaut peut-être son
succès actuel. Car rien, en vérité, n'est si dangereux que la
croisade contre une Idée : Ou l'idée vacille et s'éteint à
jamais, ou elle jette sa lumière à des intervalles réguliers,
lumière qui s'avive au souffle des vents qui fouettent les flammes,
et préparent l'embrasement et l'illumination du foyer d'irradiation.
Après
six mille ans, plus fort que jamais, voici encore et toujours le
mystère troublant des vies successives proposé à notre attention,
à notre raison et à notre foi, à-notre désir de bien et à notre
instinct d'infini, par des celtisants comme Édouard
Schuré ; par des théologiens indépendants comme l'abbé
Alta, docteur en Sorbonne ; par des spirites, comme Gabriel
Delanne et Léon
Denis ; par des métapsychistes
comme Camille
Flammarion et le docteur Gustave
Geley ; par des pasteurs du protestantisme libéral tels que MM.
Bénézeth et Wiétrich
; par des théosophes, comme Annie
Besant et Leadbeater
; par des journalistes comme René
Sudre ; par des écrivains et des poètes enfin. Et quand on
songe que la sympathie grandissante pour la réincarnation n'est pas
localisée seulement à notre pays, mais qu'elle se trouve à peu
près généralisée aux quatre coins du monde, il convient de faire
crédit à cette idée, de l'accueillir de l'examiner, de la
discuter. C'est une valeur sociale, capable encore de sauver des
vies, en interdisant le suicide à tous ces dégoûtés de
l'existence qui, chaque jour, se libèrent de la manie d'exister. À
ce titre, elle vaut déjà d'être encouragée par tous ceux qui sont
effrayés des chiffres de plus en plus, élevés des statistiques de
suicides...
La
réincarnation doit avoir droit de cité dans notre société, parce
que historiquement, elle est une dés idées les plus vieilles du
monde, et parce que, philosophiquement, elle peut être créatrice
d'une haute spiritualité et d'un humanitarisme agissant. D'ores et
déjà, elle constitue à travers le monde une sorte d'Internationale
de la pensée et de l'âme, de tous ceux qui furent tour à tour
Chinois et Français, criminels et victimes, inquisiteurs et
libres-penseurs, séducteurs et abusées, intendants et roturiers,
maîtres et serfs, nègres et blancs, négriers et « bois d'ébène
», et qui aspirent à plus de beauté, à plus de vérité, à plus
d'idéal ! Elle n'est point cette Internationale de haine et de
désordre qui s'affuble du mot : Égalité, mais cette autre
Internationale du bien, capable de tout comprendre, capable de tout
aimer, capable enfin de réaliser la parole d'amour du Christ, qui,
après vingt siècles, est toujours sur les lèvres des apôtres et
rarement dans leur conduite de tous les instants.
Interrogeons le passé, et cherchons quels sont les ouvriers de cette grande
Internationale du Bien et du Beau par le progrès indéfini, par les
vies d'épreuves et de missions sur les innombrables terres du ciel !
Cherchons quels sont les pionniers de cette vivante Internationale de
la résignation et de la charité !
Voici
d'abord la religion de Goutamah-Bouddah [Gautama Bouddha], au cœur
de l'Asie, avec ses millions et ses millions d'adeptes qui, il y a
soixante siècles, chantait comme aujourd'hui encore, l'hymne des
renaissances et des vies successives, hymne dont la musique
enchanteresse berçait la douleur du miséreux par l'espoir d'une
existence de réparation, ou éveillait chez le puissant ou le
fortuné le désir de secourir les malheureux pour ne pas expier, par
une prochaine déchéance, sa cruauté et sa dureté de cœur !
Voici
le foyer intense du celtisme qui couvrit, à un moment donné presque
toute l'Europe. Et plus près de nous, les Gaulois, nos ancêtres,
dont les druides répétaient à leurs initiés qu'après la mort,
les âmes passaient dans d'autres corps (abaliis transite ad
altos, d'après César).
Dès la plus haute antiquité, les Égyptiens croient au double, et leur Livre des Morts constitue à une époque aussi reculée le Livre des Esprits et le Livre des Médiums, tant sont frappantes les analogies entre l'errance des doubles égyptiens et l'errance des désincarnés spiritiques et théosophiques. La religion des Égyptiens et le spiritisme moderne offrent des ressemblances troublantes.
Artémidore,
cité par Schopenhauer dans son livre, Mémoires
sur les Sciences Occultes, a composé le traité le plus
ancien d'occultisme, l'Onéirokritikon, et Proclus,
à une époque fort lointaine, écrivait déjà « que les âmes des
morts ont la force de mouvoir des objets, et que c'est une faculté
qui leur est propre ». Après cette erraticité dans les lieux où
elles avaient vécu, et où elles continuaient une existence assez
peu différente de la vie terrestre, comme l'attestent les
découvertes dans les tombeaux égyptiens et l'habitude que nous
avons gardée de déposer sur les tombes d'abord des aliments, puis
des fleurs, les âmes buvaient « l'eau du Léthé », c'est-à-dire
dans le langage des initiés, perdaient le souvenir des précédentes
existences, pour faire peau neuve, et refaire avec des espoirs
nouveaux, une vie de purification. Aussi le docteur [en fait :
le docte] Louis Ménard a-t-il justement écrit :
Les
morts peuvent chercher de nouvelles destinées, et rentrer par le
Léthé dans le tourbillon de la vie universelle ; ils peuvent
redescendre sur la terre, pour réparer les fautes d'une vie
antérieure, et se purifier par de nouvelles luttes... On voit par là
que la croyance à l'Hadès chez les Grecs ou à l'Hamenthis chez les
Égyptiens, n'en faisait.qu'un séjour temporaire d'où l'âme
imparfaite prenait son essor pour rentrer soit dans le cercle des
existences corporelles, soit dans l'humanité terrestre.
De
là aussi cette explication de Virgile : Anchise dit au pieux et
glorieux Énée qui est allé, en compagnie de la sibylle, lui rendre
visite dans le royaume de l'Hadès : « Ces hommes à qui le destin a
réservé d'autres corps, viennent se désaltérer dans les
tranquilles eaux du Léthé ».
Allan Kardec |
Timée
de Locres, au VIe siècle avant J.-C. enseignait, non
pas précisément la réincarnation, mais la métempsychose animale,
afin, disait-il, de mieux tenir le peuple dans la crainte. On sait
l'effroi qu'un homme de génie gardait d'instinct pour le chien qu'il
qualifiait « un capteur d'âmes ». Cet homme, c'est Goethe, le
grand poète, et écrivain allemand, qui, comme Walther Scott, comme
Shakespeare, comme Balzac, fut très versé dans l'occultisme.Des
prêtres, au XXe siècle, pour enrayer les progrès de
l'idée réincarniste, n'hésitent pas à recourir aux armes de Timée
de Locres. Nous avons entendu personnellement un curé effrayer ses
ouailles, à Oran, en leur disant que les théosophes de la ville,
enseignaient qu'ils iraient, dans une prochaine vie, dans le corps
d'un perroquet babillard ou d'un singe grimaçant. Et l'ardent
dominicain, P. Hainage, chargé selon l'esprit de son ordre de
ferrailler contre l'hérésie, n'a pas hésité dans ses prêches à
Paris à user du procédé de Timée de Locres, mais pour rendre
l'idée ridicule autant qu'affreuse. Il est très peu d'occultistes,
en effet, qui admettent — sauf cas d'exception, comme commerce
sexuel avec les bêtes, par exemple — la régression de l'âme
humaine, si avilie soit-elle, dans la forme animale. Mais
l'Antiquité, il faut le reconnaître, n'a pas fait le départ de la
réincarnation et de la métempsychose animale. Les
anti-réincarnistes le savent, et s'en servent avec l'habileté
d'Escobar !
Disciples
d'Orphée et de
Pythagore,
Orphiques
et Pythagoriciens,
ont professé l'idée des transmigrations des âmes, en même temps
que Platon,
Héraclite,
Empédocle, en
même temps que les gnostiques,
les kabbalistes,
les néoplatoniciens.
M. Édouard Schuré dans ses Grands
Initiés et ses Sanctuaires
d'Orient, et M. Maeterlinck
dans son Grand Secret ont l'un et l'autre exposé de façon
intéressante les doctrines de ces différents adeptes du système
réincarniste.
Le
christianisme primitif, avant qu'il ne se confonde avec le
catholicisme romain, a professé la thèse des migrations. Toute
l’œuvre de l'abbé Alta, du docteur Steiner,
etc., fut, au milieu des attaques fanatiques, de reconstituer
le christianisme du Christ, déformé par ses mauvais interprètes.
Dieu
dit à Jérémie qu'il l'avait connu avant qu'il l'eût formé
dans le ventre de sa mère. Les Juifs attendaient le retour d’Élie,
depuis la prophétie très expresse de Malachie sur sa réincarnation.
Les pharisiens et les docteurs ne demandèrent-ils pas à Jean : «
N'es-tu point Élie, qui doit venir ? » Jésus proclame lui-même à
la foule que « Jean-Baptiste est Élie, qui devait venir ».
Quand Jésus lui-même demande ce qu'on dit de lui, le peuple lui
répond que les uns disent qu'il est « Jean-Baptiste, les
autres Élie, et d'autres enfin Jérémie ». Ce sont là quelques
textes précis que l'on peut sophistiquer à loisir, mais les gens de
bon sens ne consentiront jamais à prendre pour paroles de Dieu les
commentaires et les gloses plutôt que les textes sacrés.
Gabriel Delanne |
Les
Pères de l’Église en professant ces idées sur la transmigration
des âmes sont une nouvelle preuve que la réincarnation est
implicitement un des enseignements du Christ. Origène,
un des plus grands Pères de l’Église, appelait « les peines
médicinales » les punitions proportionnées aux erreurs et fautes
de l'âme réincarnée en des corps nouveaux, pour racheter son passé
et se purifier par la douleur et la charité. Toute l'argumentation
d'Origène, contenue dans son Peri Archôn ou Traité des
Principes, peut se résumer dans cette réflexion: « Heureux ou
malheureux dans notre naissance, nous nous devons à nous-mêmes
notre sort heureux ou malheureux. Nous sommes ce que nous sommes
faits ». Et le père signale l'ingénieuse distribution des
naissances diverses et inégales à l'infini, en conformité avec le
mérite ou le démérite de la vie antérieure. Et Origène, «cette
brillante-lumière de l’Église au IIIe siècle, ce
précepteur des évêques, ce puissant défenseur de la religion, qui
écrasa Celse
sous le poids de sa dialectique et de son érudition » (Dictionnaire
universel des Hérésies, des Erreurs et des Schismes, par
l'abbé M.-T. Guyot, Périsse frères éditeurs, Paris-Lyon 1847, p.
260), ce réincarniste avoué eut pour admirateurs Saint
Jérôme, Saint
Pamphile, Saint
Grégoire le Thaumaturge, jusqu'au jour où ces disciples
s'aperçurent que les convictions du maître ne laissaient pas que
d'être peu orthodoxes, et brisèrent leur amitié. L'origénisme fut
condamné en 553 au Concile de Constantinople.
Avant
les origénistes, les encratites,
qui avaient pour chef Tatien,
vers 151, avaient adopté les idées pythagoriciennes des vies
successives, après Marcion,
Saturnin, les gnostiques et les valentiniens.
Tatien professait déjà, le dogme de la constitution ternaire de
l'être humain (âme, matière, esprit), comme les spirites
d'aujourd'hui, et avait déjà émis cette idée bizarre des âmes
mortes que nous avons retrouvée sous la plume de Camille Flammarion
et de plusieurs écrivains théosophes. Valentin, auquel l'abbé
Guyot, déjà cité, reconnaît érudition et éloquence, se heurta
avec ses valentiniens aux attaques de Saint
Irénée et de Tertullien; ce qui n'empêcha pas ses idées dé
se répandre « dans les trois parties de l'Ancien monde »
(Dictionnaire des Hérésies).
Les
éclectiques alexandrins, dont l'un des plus notoires fut Saint
Clément d'Alexandrie, comme les gnostiques, avaient cherché à
introduire le platonisme et le pythagoricisme dans leur religion, en
les conciliant justement avec l'esprit des paraboles christiques. «
Les deux opinions peuvent aisément se concilier » (Abbé Guyot,
ouvrage cité, p. 161). L'un de ces éclectiques, Basilide
d'Alexandrie, avec Simon, Ménandre, Saturnin, créa une secte
innombrable, à laquelle il enseignait que les âmes humaines avaient
antérieurement péché, ce qui expliquait leur enchaînement actuel
aux corps matériels, et il considérait les vies humaines comme une
succession d'incarnations et de désincarnations, « longues série
d'émanations d'éons qui se terminait à des anges ». Basilide
résolvait la difficulté d'allier un Dieu bon à un châtiment
éternel, en disant « que les âmes péchaient dans une vie
antérieure à leur union avec leur corps, et que cette union était
un état d'expiation, dont l'âme ne sortait qu'après s'être
purifiée, en passant successivement de: corps en corps jusqu'à ce
qu'elle eût satisfait à la justice divine » (Ouvrage cité, p.
81). Comme Tatien, Basilide et Saint Clément d'Alexandrie
admettaient la constitution ternaire de l'être humain, comme les
spirites et psychistes actuels, peut-être même septuple comme les
théosophes modernes.
L’Église
manichéenne
dès le IIIe siècle se développa avec l'enseignement de
son fondateur Manès
ou Manichée [Mani] qui, à son tour, enseigna les transmigrations de
l'âme, et le respect de la vie sous ses formes les plus dégradées :
plantes, animaux inférieurs, étaient respectés par les manichéens
comme des bouddhistes. Des âmes embryonnaires y étaient renfermées,
qui poursuivaient leur évolution sans fin à travers les multiples
métamorphoses de la vie. Pendant 200 ans, de 285 à 491, les
manichéens furent « bannis de l'Empire, dépouillés de leurs
biens,, condamnés à périr par différents supplices», (Abbé Guyot,
p. 222). En 491, la mère de l'empereur Anastase
étant manichéenne, les manichéens qui se multipliaient en Afrique
et en Espagne, jouirent d'une trêve de 27 ans, après quoi Justin et
ses successeurs s'acharnèrent à nouveau contre les
métempsychosistes. Toutes ces persécutions amenèrent deux apôtres,
Paul et Jean,
fils de Gallinice, à prêcher vers le milieu du VIIe
siècle en Arménie. Les persécutions redoublèrent dès 841, par
ordre de Théodora
l'impératrice, et « on prétend qu'il en périt plus de cent
mille par les supplices ». (Abbé Guyot). Les manichéens furent
dispersés en -Bulgarie, en Lombardie, et même en France; En l'an
1022, sous le roi Robert
[II], quelques chanoines d'Orléans s'étant laissés séduire
par la métempsychose, périrent sur le bûcher. Les Albigeois
furent des descendants des premiers manichéens, lesquels se
retrouvent aux XIIe et XIIIe siècles, sous les
noms: de henriciens,
pétrobusiens,
poplicains, cathares, etc... Les semences qu'ils avaient jetées en
Allemagne et en; Angleterre, furent le premier germe des hérésies
des hussites
et des wicléfites,
qui ont préparé les voies au protestantisme (lequel semble, dans
ses éléments avancés, vouloir se rallier aux premières croyances
de ses précurseurs).
Léon Denis |
Les
manichéistes, comme on le voit, ont eu à subir une vigoureuse
croisade, dont le dernier et-sanglant épisode sera le massacre des
Albigeois coupables eux aussi de nourrir de bizarres fantaisies et
rêveries sur la destinée humaine.
Mais
à l'époque où avec Manès se développe et s'irradie le
manichéisme, Plotin
(205-270) et son disciple Porphyre
(232-304 ) enseignent aussi le système réincarniste aux
initiés, le système plus grossier de la métempsychose animale au
peuple. Jamblique,
au IVe siècle, compose un traité intitulé : Du retour
de l'âme, selon Plotin et
Pythagore.
Vigilance,
né au IVe siècle, clans le pays de Comminges, s'acquit
l'estime de Saint
Sulpice et de Saint
Paulin de Nole, voyagea en Palestine où il fut recommandé à
Saint Jérôme. Mais ce dernier ayant décidé de poursuivre Jean
[II] de Jérusalem et Ruffin,
coupables de croire aux transmigrations d'Origène, Vigilance prit
parti pour les disciples du Père de l’Église réincarniste. Saint
Jérôme parvint à imposer une rétractation à Vigilance, lequel se
retira dans le diocèse de Barcelone. Énée
de Gaza, philosophe chrétien des IVe et Ve
siècles, dans son Théophraste,
réfuta l'hypothèse de la réincarnation, sous prétexte (et c'est
encore aujourd'hui l'arme du R.
P. Mainage) que nous ne pouvons pas nous souvenir de nos vies
antérieures. L'oubli des vies antérieures, les eaux du Léthé,
voilà la condamnation du système. Nous n'entreprendrons pas ici de
répondre à Énée de Gaza.
Qu'il
nous suffise de dire que certains, rares, il est vrai, malgré le
Léthé, se souviennent, depuis Taliésin
le barde gaulois, jusqu'à Lamartine,
le poète; et Jean-Paul
Laurens, le peintre. D'autre part, il est nécessaire que notre
ardeur de bien, avec des espoirs tout nouveaux à chaque incarnation,
ne soit pas amoindrie par l'écrasant et pénible souvenir des
lourdes fautes, dont nous allons souffrir dans notre liberté et
notre esprit d'entreprise.
Le
développement du priscillianisme
en Espagne vers la fin du IVe siècle, est encore une
semence de la métempsychose. Priscillien et ses disciples, coupables
d'adhérer aux croyances des gnostiques et des manichéens, furent
condamnés dans un concile de Saragosse, en 381. À la sollicitation
d'Idace et d'Ithace, évêques catholiques, l'empereur Gratien
les fit bannir d'Espagne. Un rescrit leur rendit peu après leur
patrie et leurs églises. Idace et Ithace obtinrent de Maxime
un nouveau concile à Bordeaux (385), et Priscillien et ses
partisans, condamnés à mort comme hérétiques, furent exécutés.
Cette persécution enflamma le prosélytisme, et il fallut de
nouvelles rigueurs d'Honorius
(en 407, privation des droits civils et confiscation des biens) et de
Théodose [II]
le Jeune, pour disperser les priscilliens. En 563, il
s'assemblait contre eux un nouveau Concile à Brague. Et le
priscillianisme se perpétua encore !
Eutychès,
au Ve siècle, et les eutychiens, professant aussi la
doctrine d'Origène, pré-existence des âmes et vies successives,
appuyés par Dioscore,
patriarche d'Alexandrie, par l'eunuque Chrysaphe,
favori de l'empereur, par l'impératrice Eudoxie,
rassemblèrent à Éphèse un concile qui devait réviser les
décisions du concile de Constantinople, concile que l’Église
romaine qualifie de « brigandage
d’Éphèse ». Il fallut un nouveau concile
de Chalcédoine pour arrêter les progrès des eutychiens, qui,
après des vicissitudes nombreuses, se répandirent de la Thébaïde
à l'Euphrate, et, sous des noms nouveaux, gardèrent avec une
fidélité plus ou moins grande la croyance d'Origène aux
réincarnations.
Les
hermétistes du Moyen Âge ont continué jusqu'à nous la tradition
occulte, vieille comme les hommes, de la nécessite des
réincarnations. Et l'on va, dans les écrits de plusieurs d'entre
eux, jusqu'à y lire des descriptions de la fameuse « substance »
qui forme le corps des apparitions matérialisées des vivants et des
morts, de ce fameux ectoplasme, affirmé par les Geley, les Richet,
les de
Grammont, les Aksakof,
les Crookes,
et nié par la cuisinière Mary et le cocher Aresky de la villa
Carmen, le R.
P. Mainage, le docteur Ox [un rédacteur du journal Le Matin,
cf. notamment le n° 13692
du 14 septembre 1921 : « Les morts vivent-ils ? »],
Paul Heuzé, etc...
On pourrait, même relever dans ces écrits du Moyen Âge des
conseils à l'adresse de cet expérimentateur de la Sorbonne qui
braqua une lampe électrique sur la bouche du médium, au moment où
la mystérieuse substance apparaissait :
Une eau épaisse, grasse, une
substance molle, extensible, (voici pour le chewing-gum
de l'humoriste Clément
Vautel), docile comme une cire et capable de prendre toutes
formes .et impressions... C'est un et tout, l'esprit et le corps, ce
qui est fixe et ce qui est volatile, mâle et femelle, visible et
invisible. Ce n'est ni solide, ni gazeux. Lorsque, c'est bien pur,
c'est comme une eau colorée par le feu, épaisse à la vue, fuyant,
et cela déteste tout ce qui ressemble à une commotion (avis à
l'expérimentateur de la Sorbonne).
Ainsi
s'exprime, dans un langage amphigourique (gare au fagot de
l'inquisiteur !) Ecranœus
[en fait : Eirenæus] Philalethes [pseudonyme de George
Starkey], dans son The
Marrow of Alchemy, à. la façon, d'ailleurs de Thomas
Vaughan, Nicolas
Flamel, Claudius
Berigardius [forme latine de : Claude Guillermet de
Bérigard/Beauregard] et autres occultistes du Moyen Âge.
Du
Moyen Âge à nos jours, l'idée réincarnationniste- n'a pas cessé
de cheniller à travers des vicissitudes innombrables. On la trouve
chez Paracelse, chez Swedenborg,
chez Martin
[Louis-Claude de Saint-Martin] le Philosophe inconnu. On la rencontre
même, affaiblie et dégradée, chez Le
Tasse, chez Mme
de Sévigné, chez La Fontaine, qui la notent en dilettantes
curieux. Elle est affirmée par une demoiselle [Jacqueline-Aimée]
Brohon, en 1774, dans une lettre à M. de Beaumont, archevêque
de Paris, par les martinistes français du XVIIIe siècle
et les martinistes moscovites sous Catherine II, par Dupont
de Nemours [dans sa Philosophie
de l'Univers, 1793]
au XVIIIe
siècle, bien avant les fouriéristes
du XIXe siècle.
René Sudre |
Les
Romantiques retrouvent l'Âme universelle des choses, et Victor Hugo
accepte le système dès migrations et l'affirme dans son troublant
poème : Le
Revenant. Lamartine raconte lui aussi dans son Voyage en
Orient que, se trouvant en Terre sainte, où il n'avait jamais
été, il
reconnut la vallée de Térébinthe et le champ de bataille de
Saül. À Séphora, il désigna une colline surmontée d'un château
ruiné comme étant le lieu de naissance de la Vierge. Puis il
reconnut le tombeau des Macchabées, et bien d'autres souvenirs, qui
furent reconnus exacts [« Avons-nous vécu deux fois ou mille
fois ? notre mémoire n'est-elle qu'une glace ternie que le souffle
de Dieu ravive ? ou bien avons-nous, dans notre imagination, la
puissance de pressentir et devoir avant que nous voyions réellement?
Questions insolubles ! »].
L'écrivain
allemand Lessing
écrivit :
Qui
empêche que chaque homme ait existé plusieurs fois dans le
monde ? Cette hypothèse est-elle si ridicule pour être la plus
ancienne ? Pourquoi n'aurais-je pas fait dans le monde tous les pas
successifs vers mon perfectionnement, qui, seuls, peuvent constituer
pour l'homme, des récompenses et des punitions temporaires ?
Pourquoi ne ferais-je pas plus tard tous ceux qui restent à faire,
avec le secours si puissant des récompenses éternelles ?
[L'Éducation du genre humain,
1780]
La
pensée de Lessing est voisine de celle des grands écrivains
occultistes anglais, Walter Scott et Shakespeare. Elle est peu
différente de celle de Jamblique, qui écrivit au IIe
siècle :
Dieu la définit (la justice)
relativement à nos existences successives et à l'universalité de
nos vies. Ainsi les peines qui nous affligent sont souvent les
châtiments d'un péché dont l'âme s'était rendue coupable dans
une vie antérieure. [Mystère égyptiens,
n°
35]
Le
XIXe siècle est marqué nettement par une reprise
passionnée de l'idée de la pluralité des existences de l'âme avec
Gaston [en fait : Jean]
Reynaud, et ses ouvrages : L'Esprit
de la Gaule, Le Ciel et la Terre [en
fait : Terre
et Ciel], qui sont un
chaud plaidoyer en faveur des convictions de nos ancêtres les
Gaulois, lesquels allaient jusqu'à se prêter de l'argent
remboursable dans une autre incarnation ; avec André
Pezzani, avocat à là cour impériale de Lyon qui publia, en 1865,
La
pluralité
des existences de l'âme ; avec Allan
Kardec et ses disciples, Léon Denis et Gabriel Delanne, dont
nous attendons, avec curiosité, l'ouvrage qu'il met au point : Des
faits contrôlés de cas de réincarnations [en
fait : Documents
pour servir à l'étude de la réincarnation,
Éditions de la B.P.S., Paris,1924]. Toute l’œuvre, on
pourrait dire toute la vie de l'abbé Alta, d’Édouard Schuré, et
d'une foule d'autres écrivains hantés par le mystère de notre
destinée, n'est qu'un chant d'amour pour l'évolution indéfinie à
travers les existences et les mondes innombrables.
Théosophes,
spirites,
métapsychistes,
écrivains indépendants, libres penseurs et libres croyants
constituent une armée puissante qui entonne le cantique charmeur des
renaissances. Déjà, en 1910, d'après Léon Denis, on estimait à
20 millions le nombre des spiritualistes modernes en Amérique. Ce
chiffre, pour le monde entier, en y comprenant le bouddhisme, doit
atteindre un chiffre formidable, effarant, de gens qui se refusent à
la séduisante idée des vies successives purificatrices.
À
la prière de Saint-Augustin :
Dieu
de miséricorde, daignez révéler à votre serviteur, qui élève
vers vous sa prière : éclairez mon ignorance, et dites-moi si mon.
enfance n'a pas succédé à quelque autre âge de ma vie déjà
passée, quand elle a eu son- commencement. Le temps où ma mère m'a
porté dans son sein est-il mon premier âge ? Mais, avant ce temps-
là, étais-je quelque chose ? Étais-je quelque part ? (Confessions
de Saint Augustin, [livre I, chapitre 6], édition Charpentier,
1841, page 7) ;
… à
cette prière, beaucoup d'esprits modernes ont déjà répondu par le
dialogue qu'un spirituel grec de Byzance [Julien d'Égypte] composa
pour l'épitaphe de Pyrrhon
:
Es-tu
mort, Pyrrhon ? — Ma foi, je ne sais...
… car je cherche, mais en
vain, l'endroit horrible où ton Dieu de miséricorde doit tourmenter
pendant l'éternité les pauvres pécheurs, fils du limon, coupables
d'être nés ! (C'est nous qui complétons la pensée de Pyrrhon).
Référence
Gabriel
Gobron, « L'idée de réincarnation à travers les âges »,
in La Pensée française, 3e
année, n° 46, 8 mars 1923, p. 9-12.
Les ajouts entre crochets, par l'auteur de ce blog, permettent de corriger le texte original, ou de lui ajouter quelques éléments.