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dimanche 21 juin 2015

L'idée de la réincarnation à travers les âges, selon G. Gobron, 1923



Vieille de plus de six mille ans, l'idée de la réincarnation a suscité un regain de curiosité passionnée au lendemain des plus grandes hécatombes humaines, celles de la guerre de 1914-1918.

Doctrine professée par nos ancêtres, les Gaulois, l'idée de la réincarnation anime aujourd'hui tout un groupe de libres penseurs et de libres spiritualistes, qui travaillent à exalter l'âme celtique qui sommeille en nous.

Consolation et espérance de tous ceux qui, comme et après Villon, La Fontaine, Madame de Sévigné, le philosophe Guyau, ne peuvent accorder l'infinie miséricorde du Tout-Puissant avec la menace d'un supplice éternel et un châtiment de tortionnaire, que le plus dur père de famille se refuserait à pratiquer à l'endroit d'un enfant coupable...
Camille Flammarion

Comme toutes les grandes hypothèses, elle paraît avoir quelques points faibles. Quelle hypothèse n'a pas les siens ? Mais, celle-ci, a aussi ses sublimités ; et véritablement tous les esprits assez libres pour accorder à la doctrine des réincarnations un examen sympathique n'ont pas pu ne pas être saisis d'un véritable vertige d'infini à celle idée charmeuse des pèlerinages successifs accomplis par chacun de nous sur les milliards de terres du ciel qui circulent dans l'Univers ! Quelle ascension héroïque vers le toujours mieux par ces étapes de vies planétaires au milieu d'une existence spirituelle, en succession continue comme les jours et les nuits ! Quel horizon infini s'ouvre devant les plus humbles, au lieu de la fixité douloureuse des destinées tourmentées dans un enfer barbare, et de l'immobilité béate d'un Paradis où les élus apparaissent figés dans leur contemplation éternelle comme des momies ! Ici, chacun péche contre soi, chacun devient son juge ! Toi qui as péché criminellement, reviens expier, ou plutôt réparer ta faute ! Toi qui, par ta vertu, peux maintenant prendre l'essor vers des mondes plus évolués, retourne encore souffrir au milieu, de tes. frères inférieurs, afin de les guider vers leurs claires destinées de l'avenir !

Cette doctrine offre des perspectives infinies... Elle est trop belle peut-être, et ce sont les raisons de l'acharnement systématique que les chapelles et les sectes déploient contre elle: Les matérialistes la considèrent comme une fantaisie de névrosés; les catholiques lui mènent une guerre aussi violente que du temps de la croisade des Albigeois, coupables, eux aussi, de croire aux vies successives; les protestants (sauf quelques libéraux) lui reprochent d'endormir les âmes par l'assurance que tout pêcheur, si criminel qu'il soit, arrivera par les réincarnations à se réhabiliter, et qu'ainsi la montée audacieuse vers le ciel est supprimée par ces espérances des vies futures. Bref, l'idée réincarniste a contre elle l'antipathie déclarée des masses énormes-de matérialistes et de spiritualistes dogmatiques, presque toute l'Université et tout le Sacerdoce, presque tout le monde ! Ce qui lui vaut peut-être son succès actuel. Car rien, en vérité, n'est si dangereux que la croisade contre une Idée : Ou l'idée vacille et s'éteint à jamais, ou elle jette sa lumière à des intervalles réguliers, lumière qui s'avive au souffle des vents qui fouettent les flammes, et préparent l'embrasement et l'illumination du foyer d'irradiation.

Après six mille ans, plus fort que jamais, voici encore et toujours le mystère troublant des vies successives proposé à notre attention, à notre raison et à notre foi, à-notre désir de bien et à notre instinct d'infini, par des celtisants comme Édouard Schuré ; par des théologiens indépendants comme l'abbé Alta, docteur en Sorbonne ; par des spirites, comme Gabriel Delanne et Léon Denis ; par des métapsychistes comme Camille Flammarion et le docteur Gustave Geley ; par des pasteurs du protestantisme libéral tels que MM. Bénézeth et Wiétrich ; par des théosophes, comme Annie Besant et Leadbeater ; par des journalistes comme René Sudre ; par des écrivains et des poètes enfin. Et quand on songe que la sympathie grandissante pour la réincarnation n'est pas localisée seulement à notre pays, mais qu'elle se trouve à peu près généralisée aux quatre coins du monde, il convient de faire crédit à cette idée, de l'accueillir de l'examiner, de la discuter. C'est une valeur sociale, capable encore de sauver des vies, en interdisant le suicide à tous ces dégoûtés de l'existence qui, chaque jour, se libèrent de la manie d'exister. À ce titre, elle vaut déjà d'être encouragée par tous ceux qui sont effrayés des chiffres de plus en plus, élevés des statistiques de suicides...

La réincarnation doit avoir droit de cité dans notre société, parce que historiquement, elle est une dés idées les plus vieilles du monde, et parce que, philosophiquement, elle peut être créatrice d'une haute spiritualité et d'un humanitarisme agissant. D'ores et déjà, elle constitue à travers le monde une sorte d'Internationale de la pensée et de l'âme, de tous ceux qui furent tour à tour Chinois et Français, criminels et victimes, inquisiteurs et libres-penseurs, séducteurs et abusées, intendants et roturiers, maîtres et serfs, nègres et blancs, négriers et « bois d'ébène », et qui aspirent à plus de beauté, à plus de vérité, à plus d'idéal ! Elle n'est point cette Internationale de haine et de désordre qui s'affuble du mot : Égalité, mais cette autre Internationale du bien, capable de tout comprendre, capable de tout aimer, capable enfin de réaliser la parole d'amour du Christ, qui, après vingt siècles, est toujours sur les lèvres des apôtres et rarement dans leur conduite de tous les instants.

Interrogeons le passé, et cherchons quels sont les ouvriers de cette grande Internationale du Bien et du Beau par le progrès indéfini, par les vies d'épreuves et de missions sur les innombrables terres du ciel ! Cherchons quels sont les pionniers de cette vivante Internationale de la résignation et de la charité !

Voici d'abord la religion de Goutamah-Bouddah [Gautama Bouddha], au cœur de l'Asie, avec ses millions et ses millions d'adeptes qui, il y a soixante siècles, chantait comme aujourd'hui encore, l'hymne des renaissances et des vies successives, hymne dont la musique enchanteresse berçait la douleur du miséreux par l'espoir d'une existence de réparation, ou éveillait chez le puissant ou le fortuné le désir de secourir les malheureux pour ne pas expier, par une prochaine déchéance, sa cruauté et sa dureté de cœur !

Voici le foyer intense du celtisme qui couvrit, à un moment donné presque toute l'Europe. Et plus près de nous, les Gaulois, nos ancêtres, dont les druides répétaient à leurs initiés qu'après la mort, les âmes passaient dans d'autres corps (abaliis transite ad altos, d'après César).

Dès la plus haute antiquité, les Égyptiens croient au double, et leur Livre des Morts constitue à une époque aussi reculée le Livre des Esprits et le Livre des Médiums, tant sont frappantes les analogies entre l'errance des doubles égyptiens et l'errance des désincarnés spiritiques et théosophiques. La religion des Égyptiens et le spiritisme moderne offrent des ressemblances troublantes.

Artémidore, cité par Schopenhauer dans son livre, Mémoires sur les Sciences Occultes, a composé le traité le plus ancien d'occultisme, l'Onéirokritikon, et Proclus, à une époque fort lointaine, écrivait déjà « que les âmes des morts ont la force de mouvoir des objets, et que c'est une faculté qui leur est propre ». Après cette erraticité dans les lieux où elles avaient vécu, et où elles continuaient une existence assez peu différente de la vie terrestre, comme l'attestent les découvertes dans les tombeaux égyptiens et l'habitude que nous avons gardée de déposer sur les tombes d'abord des aliments, puis des fleurs, les âmes buvaient « l'eau du Léthé », c'est-à-dire dans le langage des initiés, perdaient le souvenir des précédentes existences, pour faire peau neuve, et refaire avec des espoirs nouveaux, une vie de purification. Aussi le docteur [en fait : le docte] Louis Ménard a-t-il justement écrit :

Les morts peuvent chercher de nouvelles destinées, et rentrer par le Léthé dans le tourbillon de la vie universelle ; ils peuvent redescendre sur la terre, pour réparer les fautes d'une vie antérieure, et se purifier par de nouvelles luttes... On voit par là que la croyance à l'Hadès chez les Grecs ou à l'Hamenthis chez les Égyptiens, n'en faisait.qu'un séjour temporaire d'où l'âme imparfaite prenait son essor pour rentrer soit dans le cercle des existences corporelles, soit dans l'humanité terrestre.

De là aussi cette explication de Virgile : Anchise dit au pieux et glorieux Énée qui est allé, en compagnie de la sibylle, lui rendre visite dans le royaume de l'Hadès : « Ces hommes à qui le destin a réservé d'autres corps, viennent se désaltérer dans les tranquilles eaux du Léthé ».
Allan Kardec

Timée de Locres, au VIe siècle avant J.-C. enseignait, non pas précisément la réincarnation, mais la métempsychose animale, afin, disait-il, de mieux tenir le peuple dans la crainte. On sait l'effroi qu'un homme de génie gardait d'instinct pour le chien qu'il qualifiait « un capteur d'âmes ». Cet homme, c'est Goethe, le grand poète, et écrivain allemand, qui, comme Walther Scott, comme Shakespeare, comme Balzac, fut très versé dans l'occultisme.Des prêtres, au XXe siècle, pour enrayer les progrès de l'idée réincarniste, n'hésitent pas à recourir aux armes de Timée de Locres. Nous avons entendu personnellement un curé effrayer ses ouailles, à Oran, en leur disant que les théosophes de la ville, enseignaient qu'ils iraient, dans une prochaine vie, dans le corps d'un perroquet babillard ou d'un singe grimaçant. Et l'ardent dominicain, P. Hainage, chargé selon l'esprit de son ordre de ferrailler contre l'hérésie, n'a pas hésité dans ses prêches à Paris à user du procédé de Timée de Locres, mais pour rendre l'idée ridicule autant qu'affreuse. Il est très peu d'occultistes, en effet, qui admettent — sauf cas d'exception, comme commerce sexuel avec les bêtes, par exemple — la régression de l'âme humaine, si avilie soit-elle, dans la forme animale. Mais l'Antiquité, il faut le reconnaître, n'a pas fait le départ de la réincarnation et de la métempsychose animale. Les anti-réincarnistes le savent, et s'en servent avec l'habileté d'Escobar !

Disciples d'Orphée et de Pythagore, Orphiques et Pythagoriciens, ont professé l'idée des transmigrations des âmes, en même temps que Platon, Héraclite, Empédocle, en même temps que les gnostiques, les kabbalistes, les néoplatoniciens. M. Édouard Schuré dans ses Grands Initiés et ses Sanctuaires d'Orient, et M. Maeterlinck dans son Grand Secret ont l'un et l'autre exposé de façon intéressante les doctrines de ces différents adeptes du système réincarniste.

Le christianisme primitif, avant qu'il ne se confonde avec le catholicisme romain, a professé la thèse des migrations. Toute l’œuvre de l'abbé Alta, du docteur Steiner, etc., fut, au milieu des attaques fanatiques, de reconstituer le christianisme du Christ, déformé par ses mauvais interprètes.

Dieu dit à Jérémie qu'il l'avait connu avant qu'il l'eût formé dans le ventre de sa mère. Les Juifs attendaient le retour d’Élie, depuis la prophétie très expresse de Malachie sur sa réincarnation. Les pharisiens et les docteurs ne demandèrent-ils pas à Jean : « N'es-tu point Élie, qui doit venir ? » Jésus proclame lui-même à la foule que « Jean-Baptiste est Élie, qui devait venir ». Quand Jésus lui-même demande ce qu'on dit de lui, le peuple lui répond que les uns disent qu'il est « Jean-Baptiste, les autres Élie, et d'autres enfin Jérémie ». Ce sont là quelques textes précis que l'on peut sophistiquer à loisir, mais les gens de bon sens ne consentiront jamais à prendre pour paroles de Dieu les commentaires et les gloses plutôt que les textes sacrés.

Gabriel Delanne
Les Pères de l’Église en professant ces idées sur la transmigration des âmes sont une nouvelle preuve que la réincarnation est implicitement un des enseignements du Christ. Origène, un des plus grands Pères de l’Église, appelait « les peines médicinales » les punitions proportionnées aux erreurs et fautes de l'âme réincarnée en des corps nouveaux, pour racheter son passé et se purifier par la douleur et la charité. Toute l'argumentation d'Origène, contenue dans son Peri Archôn ou Traité des Principes, peut se résumer dans cette réflexion: « Heureux ou malheureux dans notre naissance, nous nous devons à nous-mêmes notre sort heureux ou malheureux. Nous sommes ce que nous sommes faits ». Et le père signale l'ingénieuse distribution des naissances diverses et inégales à l'infini, en conformité avec le mérite ou le démérite de la vie antérieure. Et Origène, «cette brillante-lumière de l’Église au IIIe siècle, ce précepteur des évêques, ce puissant défenseur de la religion, qui écrasa Celse sous le poids de sa dialectique et de son érudition » (Dictionnaire universel des Hérésies, des Erreurs et des Schismes, par l'abbé M.-T. Guyot, Périsse frères éditeurs, Paris-Lyon 1847, p. 260), ce réincarniste avoué eut pour admirateurs Saint Jérôme, Saint Pamphile, Saint Grégoire le Thaumaturge, jusqu'au jour où ces disciples s'aperçurent que les convictions du maître ne laissaient pas que d'être peu orthodoxes, et brisèrent leur amitié. L'origénisme fut condamné en 553 au Concile de Constantinople.

Avant les origénistes, les encratites, qui avaient pour chef Tatien, vers 151, avaient adopté les idées pythagoriciennes des vies successives, après Marcion, Saturnin, les gnostiques et les valentiniens. Tatien professait déjà, le dogme de la constitution ternaire de l'être humain (âme, matière, esprit), comme les spirites d'aujourd'hui, et avait déjà émis cette idée bizarre des âmes mortes que nous avons retrouvée sous la plume de Camille Flammarion et de plusieurs écrivains théosophes. Valentin, auquel l'abbé Guyot, déjà cité, reconnaît érudition et éloquence, se heurta avec ses valentiniens aux attaques de Saint Irénée et de Tertullien; ce qui n'empêcha pas ses idées dé se répandre « dans les trois parties de l'Ancien monde » (Dictionnaire des Hérésies).

Les éclectiques alexandrins, dont l'un des plus notoires fut Saint Clément d'Alexandrie, comme les gnostiques, avaient cherché à introduire le platonisme et le pythagoricisme dans leur religion, en les conciliant justement avec l'esprit des paraboles christiques. « Les deux opinions peuvent aisément se concilier » (Abbé Guyot, ouvrage cité, p. 161). L'un de ces éclectiques, Basilide d'Alexandrie, avec Simon, Ménandre, Saturnin, créa une secte innombrable, à laquelle il enseignait que les âmes humaines avaient antérieurement péché, ce qui expliquait leur enchaînement actuel aux corps matériels, et il considérait les vies humaines comme une succession d'incarnations et de désincarnations, « longues série d'émanations d'éons qui se terminait à des anges ». Basilide résolvait la difficulté d'allier un Dieu bon à un châtiment éternel, en disant « que les âmes péchaient dans une vie antérieure à leur union avec leur corps, et que cette union était un état d'expiation, dont l'âme ne sortait qu'après s'être purifiée, en passant successivement de: corps en corps jusqu'à ce qu'elle eût satisfait à la justice divine » (Ouvrage cité, p. 81). Comme Tatien, Basilide et Saint Clément d'Alexandrie admettaient la constitution ternaire de l'être humain, comme les spirites et psychistes actuels, peut-être même septuple comme les théosophes modernes.

L’Église manichéenne dès le IIIe siècle se développa avec l'enseignement de son fondateur Manès ou Manichée [Mani] qui, à son tour, enseigna les transmigrations de l'âme, et le respect de la vie sous ses formes les plus dégradées : plantes, animaux inférieurs, étaient respectés par les manichéens comme des bouddhistes. Des âmes embryonnaires y étaient renfermées, qui poursuivaient leur évolution sans fin à travers les multiples métamorphoses de la vie. Pendant 200 ans, de 285 à 491, les manichéens furent « bannis de l'Empire, dépouillés de leurs biens,, condamnés à périr par différents supplices», (Abbé Guyot, p. 222). En 491, la mère de l'empereur Anastase étant manichéenne, les manichéens qui se multipliaient en Afrique et en Espagne, jouirent d'une trêve de 27 ans, après quoi Justin et ses successeurs s'acharnèrent à nouveau contre les métempsychosistes. Toutes ces persécutions amenèrent deux apôtres, Paul et Jean, fils de Gallinice, à prêcher vers le milieu du VIIe siècle en Arménie. Les persécutions redoublèrent dès 841, par ordre de Théodora l'impératrice, et « on prétend qu'il en périt plus de cent mille par les supplices ». (Abbé Guyot). Les manichéens furent dispersés en -Bulgarie, en Lombardie, et même en France; En l'an 1022, sous le roi Robert [II], quelques chanoines d'Orléans s'étant laissés séduire par la métempsychose, périrent sur le bûcher. Les Albigeois furent des descendants des premiers manichéens, lesquels se retrouvent aux XIIe et XIIIe siècles, sous les noms: de henriciens, pétrobusiens, poplicains, cathares, etc... Les semences qu'ils avaient jetées en Allemagne et en; Angleterre, furent le premier germe des hérésies des hussites et des wicléfites, qui ont préparé les voies au protestantisme (lequel semble, dans ses éléments avancés, vouloir se rallier aux premières croyances de ses précurseurs).


Léon Denis
Les manichéistes, comme on le voit, ont eu à subir une vigoureuse croisade, dont le dernier et-sanglant épisode sera le massacre des Albigeois coupables eux aussi de nourrir de bizarres fantaisies et rêveries sur la destinée humaine.

Mais à l'époque où avec Manès se développe et s'irradie le manichéisme, Plotin (205-270) et son disciple Porphyre (232-304 ) enseignent aussi le système réincarniste aux initiés, le système plus grossier de la métempsychose animale au peuple. Jamblique, au IVe siècle, compose un traité intitulé : Du retour de l'âme, selon Plotin et Pythagore.

Vigilance, né au IVe siècle, clans le pays de Comminges, s'acquit l'estime de Saint Sulpice et de Saint Paulin de Nole, voyagea en Palestine où il fut recommandé à Saint Jérôme. Mais ce dernier ayant décidé de poursuivre Jean [II] de Jérusalem et Ruffin, coupables de croire aux transmigrations d'Origène, Vigilance prit parti pour les disciples du Père de l’Église réincarniste. Saint Jérôme parvint à imposer une rétractation à Vigilance, lequel se retira dans le diocèse de Barcelone. Énée de Gaza, philosophe chrétien des IVe et Ve siècles, dans son Théophraste, réfuta l'hypothèse de la réincarnation, sous prétexte (et c'est encore aujourd'hui l'arme du R. P. Mainage) que nous ne pouvons pas nous souvenir de nos vies antérieures. L'oubli des vies antérieures, les eaux du Léthé, voilà la condamnation du système. Nous n'entreprendrons pas ici de répondre à Énée de Gaza.

Qu'il nous suffise de dire que certains, rares, il est vrai, malgré le Léthé, se souviennent, depuis Taliésin le barde gaulois, jusqu'à Lamartine, le poète; et Jean-Paul Laurens, le peintre. D'autre part, il est nécessaire que notre ardeur de bien, avec des espoirs tout nouveaux à chaque incarnation, ne soit pas amoindrie par l'écrasant et pénible souvenir des lourdes fautes, dont nous allons souffrir dans notre liberté et notre esprit d'entreprise.

Le développement du priscillianisme en Espagne vers la fin du IVe siècle, est encore une semence de la métempsychose. Priscillien et ses disciples, coupables d'adhérer aux croyances des gnostiques et des manichéens, furent condamnés dans un concile de Saragosse, en 381. À la sollicitation d'Idace et d'Ithace, évêques catholiques, l'empereur Gratien les fit bannir d'Espagne. Un rescrit leur rendit peu après leur patrie et leurs églises. Idace et Ithace obtinrent de Maxime un nouveau concile à Bordeaux (385), et Priscillien et ses partisans, condamnés à mort comme hérétiques, furent exécutés. Cette persécution enflamma le prosélytisme, et il fallut de nouvelles rigueurs d'Honorius (en 407, privation des droits civils et confiscation des biens) et de Théodose [II] le Jeune, pour disperser les priscilliens. En 563, il s'assemblait contre eux un nouveau Concile à Brague. Et le priscillianisme se perpétua encore !

Eutychès, au Ve siècle, et les eutychiens, professant aussi la doctrine d'Origène, pré-existence des âmes et vies successives, appuyés par Dioscore, patriarche d'Alexandrie, par l'eunuque Chrysaphe, favori de l'empereur, par l'impératrice Eudoxie, rassemblèrent à Éphèse un concile qui devait réviser les décisions du concile de Constantinople, concile que l’Église romaine qualifie de « brigandage d’Éphèse ». Il fallut un nouveau concile de Chalcédoine pour arrêter les progrès des eutychiens, qui, après des vicissitudes nombreuses, se répandirent de la Thébaïde à l'Euphrate, et, sous des noms nouveaux, gardèrent avec une fidélité plus ou moins grande la croyance d'Origène aux réincarnations.

Les hermétistes du Moyen Âge ont continué jusqu'à nous la tradition occulte, vieille comme les hommes, de la nécessite des réincarnations. Et l'on va, dans les écrits de plusieurs d'entre eux, jusqu'à y lire des descriptions de la fameuse « substance » qui forme le corps des apparitions matérialisées des vivants et des morts, de ce fameux ectoplasme, affirmé par les Geley, les Richet, les de Grammont, les Aksakof, les Crookes, et nié par la cuisinière Mary et le cocher Aresky de la villa Carmen, le R. P. Mainage, le docteur Ox [un rédacteur du journal Le Matin, cf. notamment le n° 13692 du 14 septembre 1921 : « Les morts vivent-ils ? »], Paul Heuzé, etc... On pourrait, même relever dans ces écrits du Moyen Âge des conseils à l'adresse de cet expérimentateur de la Sorbonne qui braqua une lampe électrique sur la bouche du médium, au moment où la mystérieuse substance apparaissait :

Une eau épaisse, grasse, une substance molle, extensible, (voici pour le chewing-gum de l'humoriste Clément Vautel), docile comme une cire et capable de prendre toutes formes .et impressions... C'est un et tout, l'esprit et le corps, ce qui est fixe et ce qui est volatile, mâle et femelle, visible et invisible. Ce n'est ni solide, ni gazeux. Lorsque, c'est bien pur, c'est comme une eau colorée par le feu, épaisse à la vue, fuyant, et cela déteste tout ce qui ressemble à une commotion (avis à l'expérimentateur de la Sorbonne).

Ainsi s'exprime, dans un langage amphigourique (gare au fagot de l'inquisiteur !) Ecranœus [en fait : Eirenæus] Philalethes [pseudonyme de George Starkey], dans son The Marrow of Alchemy, à. la façon, d'ailleurs de Thomas Vaughan, Nicolas Flamel, Claudius Berigardius [forme latine de : Claude Guillermet de Bérigard/Beauregard] et autres occultistes du Moyen Âge.

Du Moyen Âge à nos jours, l'idée réincarnationniste- n'a pas cessé de cheniller à travers des vicissitudes innombrables. On la trouve chez Paracelse, chez Swedenborg, chez Martin [Louis-Claude de Saint-Martin] le Philosophe inconnu. On la rencontre même, affaiblie et dégradée, chez Le Tasse, chez Mme de Sévigné, chez La Fontaine, qui la notent en dilettantes curieux. Elle est affirmée par une demoiselle [Jacqueline-Aimée] Brohon, en 1774, dans une lettre à M. de Beaumont, archevêque de Paris, par les martinistes français du XVIIIe siècle et les martinistes moscovites sous Catherine II, par Dupont de Nemours [dans sa Philosophie de l'Univers, 1793] au XVIIIe siècle, bien avant les fouriéristes du XIXe siècle.

René Sudre
Les Romantiques retrouvent l'Âme universelle des choses, et Victor Hugo accepte le système dès migrations et l'affirme dans son troublant poème : Le Revenant. Lamartine raconte lui aussi dans son Voyage en Orient que, se trouvant en Terre sainte, où il n'avait jamais été, il reconnut la vallée de Térébinthe et le champ de bataille de Saül. À Séphora, il désigna une colline surmontée d'un château ruiné comme étant le lieu de naissance de la Vierge. Puis il reconnut le tombeau des Macchabées, et bien d'autres souvenirs, qui furent reconnus exacts [« Avons-nous vécu deux fois ou mille fois ? notre mémoire n'est-elle qu'une glace ternie que le souffle de Dieu ravive ? ou bien avons-nous, dans notre imagination, la puissance de pressentir et devoir avant que nous voyions réellement? Questions insolubles ! »].

L'écrivain allemand Lessing écrivit :

Qui empêche que chaque homme ait existé plusieurs fois dans le monde ? Cette hypothèse est-elle si ridicule pour être la plus ancienne ? Pourquoi n'aurais-je pas fait dans le monde tous les pas successifs vers mon perfectionnement, qui, seuls, peuvent constituer pour l'homme, des récompenses et des punitions temporaires ? Pourquoi ne ferais-je pas plus tard tous ceux qui restent à faire, avec le secours si puissant des récompenses éternelles ? [L'Éducation du genre humain, 1780]

La pensée de Lessing est voisine de celle des grands écrivains occultistes anglais, Walter Scott et Shakespeare. Elle est peu différente de celle de Jamblique, qui écrivit au IIe siècle :

Dieu la définit (la justice) relativement à nos existences successives et à l'universalité de nos vies. Ainsi les peines qui nous affligent sont souvent les châtiments d'un péché dont l'âme s'était rendue coupable dans une vie antérieure. [Mystère égyptiens, n° 35]

Le XIXe siècle est marqué nettement par une reprise passionnée de l'idée de la pluralité des existences de l'âme avec Gaston [en fait : Jean] Reynaud, et ses ouvrages : L'Esprit de la Gaule, Le Ciel et la Terre [en fait : Terre et Ciel], qui sont un chaud plaidoyer en faveur des convictions de nos ancêtres les Gaulois, lesquels allaient jusqu'à se prêter de l'argent remboursable dans une autre incarnation ; avec André Pezzani, avocat à là cour impériale de Lyon qui publia, en 1865, La pluralité des existences de l'âme ; avec Allan Kardec et ses disciples, Léon Denis et Gabriel Delanne, dont nous attendons, avec curiosité, l'ouvrage qu'il met au point : Des faits contrôlés de cas de réincarnations [en fait : Documents pour servir à l'étude de la réincarnation, Éditions de la B.P.S., Paris,1924]. Toute l’œuvre, on pourrait dire toute la vie de l'abbé Alta, d’Édouard Schuré, et d'une foule d'autres écrivains hantés par le mystère de notre destinée, n'est qu'un chant d'amour pour l'évolution indéfinie à travers les existences et les mondes innombrables.

Théosophes, spirites, métapsychistes, écrivains indépendants, libres penseurs et libres croyants constituent une armée puissante qui entonne le cantique charmeur des renaissances. Déjà, en 1910, d'après Léon Denis, on estimait à 20 millions le nombre des spiritualistes modernes en Amérique. Ce chiffre, pour le monde entier, en y comprenant le bouddhisme, doit atteindre un chiffre formidable, effarant, de gens qui se refusent à la séduisante idée des vies successives purificatrices.


À la prière de Saint-Augustin :

Dieu de miséricorde, daignez révéler à votre serviteur, qui élève vers vous sa prière : éclairez mon ignorance, et dites-moi si mon. enfance n'a pas succédé à quelque autre âge de ma vie déjà passée, quand elle a eu son- commencement. Le temps où ma mère m'a porté dans son sein est-il mon premier âge ? Mais, avant ce temps- là, étais-je quelque chose ? Étais-je quelque part ? (Confessions de Saint Augustin, [livre I, chapitre 6], édition Charpentier, 1841, page 7) ;

… à cette prière, beaucoup d'esprits modernes ont déjà répondu par le dialogue qu'un spirituel grec de Byzance [Julien d'Égypte] composa pour l'épitaphe de Pyrrhon :

Es-tu mort, Pyrrhon ? — Ma foi, je ne sais...

… car je cherche, mais en vain, l'endroit horrible où ton Dieu de miséricorde doit tourmenter pendant l'éternité les pauvres pécheurs, fils du limon, coupables d'être nés ! (C'est nous qui complétons la pensée de Pyrrhon).


Référence

Gabriel Gobron, « L'idée de réincarnation à travers les âges », in La Pensée française, 3e année, n° 46, 8 mars 1923, p. 9-12.

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