Le sommeil de Saint Pierre, G. A. Petrini, 1725-1750, Louvre |
Les
préceptes de l’École de Salerne font encore loi en cette matière.
Ils fixent à sept heures la durée moyenne du sommeil nécessaire à
l'homme (1). L’École de Salerne estimait qu'un sommeil plus
prolongé est nuisible et recommandait de ne pas dormir plus de neuf
heures. Ceci peut se défendre à l'aide d'arguments théoriques qui
représentent le sommeil comme une intoxication, notre machine
s'encrassant de produits toxiques en même temps qu'elle se repose.
Mais si une machine se rouille en ne fonctionnant pas assez, elle
s'use encore plus vite en fonctionnant trop et trop longtemps.
Le
dicton populaire de nos pères était plus généreux que l’École
de Salerne :
Lever
à six, coucher à dix,
Fait
vivre l'homme dix fois dix.
Cela
fait huit heures de sommeil. Mais ce dicton remonte à un temps où
l'on dînait à dix heures et où l'on soupait à six. Et puis nos
pères étaient des gens heureux, qui ne connaissaient ni le gaz, ni
l'électricité, ni les music-halls, ni le bridge, ni bien d'autres
choses encore dont nous avons orné notre existence. Ils se
couchaient quand il faisait nuit et ils se levaient quand il faisait
jour. Nous avons changé tout cela. Nous sortons à peine de table à
l'heure où ils se mettaient au lit et beaucoup se couchent à
l'heure où ils se levaient. Nous brûlons, comme on dit, la
chandelle par les deux bouts, ce qui fait que parfois elle s'éteint
au milieu.
Bref,
nous vivons si vite que nous n'avons même pas le temps de dormir. Et
les hygiénistes se demandent, non sans raison, si les lois
salernitaires [= de Salerne], faites pour des temps plus calmes,
s'adaptent encore à une époque où il n'y a plus de différencie
entre le jour et la nuit, et si l'exubérante prolification de
neurasthéniques, de fatigués, de dégénérés et même d'aliénés
qui caractérise les débuts du vingtième siècle ne tient pas tout
simplement à une insuffisance de sommeil.
Pour
le docteur Crickton Browne, dont les travaux sur ce sujet font
autorité, cela ne fait pas de doute, et l'auteur anglais n'hésite
pas à considérer le n sommeil restreint n comme une des causes
principales de la dégénérescence de la race.
Si
le manque de sommeil a une influence fâcheuse sur l'organisme, c'est
surtout chez les enfants et les jeunes gens que cette influence doit
se manifester. La machine, à cet âge, doit d'autant plus facilement
se détraquer qu'elle est encore inachevée. Elle est encore à
l'essai, pour ainsi dire, et il semble bien qu'à forcer ses rouages
on risque de les fausser. Cependant, si les uns estiment que pas
assez de sommeil engendre le surmenage et la neurasthénie, d'autres
soutiennent que trop de sommeil porte l'enfant à la paresse et aux
mauvaises habitudes. La question préoccupe donc à juste titre les
éducateurs de la jeunesse, Qui essaient de préciser une moyenne.
Il
y a quelques années, une commission suédoise procéda à une
enquête dans les écoles de Stockholm. L'enquête établit que,
parmi les élèves qui ne dormaient pas le temps nécessaire, on
observait 25 pour 100 de plus de maladies et d'indispositions que
chez les autres. Et la commission fixa ainsi la moyenne de sommeil
nécessaire : pour les enfants de quatre ans, douze heures ;
pour les enfants de sept ans, onze heures ; pour les enfants de
neuf à quatorze ans, dix heures ; pour les jeunes gens de
quatorze à vingt et un ans, neuf heures.
Le
docteur Hyslop, médecin d'une grande école anglaise, est encore
plus pessimiste sur les effets nuisibles d'un sommeil insuffisant.
D'après ses observations, 90 pour 100 des malades admis à
l'infirmerie souffraient du manque de sommeil. Dans son travail sur
l'hygiène mentale de l'enfance, il décrit, sous le nom d' «
indigestion mentale », tout un ensemble de symptômes nerveux qui ne
sont pas rares chez l'enfant : sommeil agité, cauchemars,
terreurs nocturnes ; et ces symptômes, aussi bien d'ailleurs que le
somnambulisme et même les convulsions, il n'hésite pas à les
considérer comme la conséquence habituelle d'un repos insuffisant
du cerveau.
Mais
l'enquête la plus instructive à cet égard est celle qu'ont faite
les docteurs Acland et Onou dans quarante grandes-écoles anglaises
et américaines. Toutes les réponses constatent l'importance du
sommeil chez les enfants et les jeunes gens en voie de développement,
et les dangers auxquels on les expose en écourtant le temps de
sommeil nécessaire. Le professeur Mac Kendrick déclare qu'il faut
dix heures de sommeil, été comme hiver, aux jeunes gens, et il a
sou vent remarqué l'air fatigué et la résistance moindre de ceux
qui dormaient moins. Le professeur Sherrington fait observer qu'un
enfant exhale 500 centimètres cubes d'acide carbonique par
kilogramme de poids, tandis qu'un adulte n'en fournit que 300. Les
combustions chez l'enfant sont donc plus actives que chez l'adulte :
le repos doit être plus prolongé. Pour M. Sherrington, un enfant dé
treize à quinze ans doit se coucher à neuf heures et dormir dix
heures.
C'est
ce chiffre de dix heures de sommeil que réclament la majorité des
réponses pour un jeune homme en voie de croissance, c'est-à-dire de
treize à seize ans. Sur 27 médecins d'école, 9 demandent dix
heures ; 8, de neuf heures et demie à dix heures ; 6, de
neuf heures à neuf heures et demie ; 4, neuf heures comme. minimum.
Aucune réponse ne conclut à un temps de sommeil inférieur à neuf
heures.
En somme, de cette enquête, où physiologistes, médecins et maîtres d'école sont d'accord, il résulte qu'un adolescent a besoin de neuf heures et demie à dix heures de séjour au lit, et qu'un sommeil insuffisant prédispose aux maladies et surtout à l'épuisement nerveux.
En somme, de cette enquête, où physiologistes, médecins et maîtres d'école sont d'accord, il résulte qu'un adolescent a besoin de neuf heures et demie à dix heures de séjour au lit, et qu'un sommeil insuffisant prédispose aux maladies et surtout à l'épuisement nerveux.
Avec
quelques variantes, les adultes et les hommes faits peuvent aussi
faire leur profit de ces conclusions, et les lois de l’École de
Salerne me paraissent à réviser. Sept heures de sommeil, cela
pouvait suffire au temps, « où la reine Berthe filait ». Mais,
maintenant que les reines courent les routes en automobile, huit à
neuf heures de sommeil ne sont pas de trop. Nous ne dormons pas assez
et nous dormons mal. Et c'est pourquoi, à quarante-cinq ans, nous
avons déjà les artères dures et les nerfs détendus.
Il
ne faut pas croire que le sommeil soit moins nécessaire à l'homme
qui fatigue son cerveau qu'à l'homme qui fatigue ses muscles. Le
citadin, l'homme de bureau a besoin de dormir plus longtemps que le
paysan qui travaille la terre, et cela parce qu'il dort moins bien.
La qualité n'importe pas moins ici que la quantité. L'homme des
villes se couche trop tard et son sommeil est moins « reposant »
que celui de l'ouvrier manuel qui s'endort sa journée faite et se
réveille dispos à l'aurore. On a dit que le monde est à ceux qui
se lèvent tôt -il faut ajouter à une condition, c'est qu'ils se
couchent de bonne heure.
Note
(1)
On trouve le texte suivant
dans : Ch. Meaux Saint-Marc (trad.), L'école de Salerne,
J.-B. Baillère et fils, Paris, 1880, p. 69-70.
Sex
horis dormire sat est juvenique senique ;
Septem
vix pigro, nulli concedimus octo.
Ad
minus horarum septem fac sit tibi somnus,
Si
licet ad nonam, nunquam ad decimam licet horam.
Dormir
six heures est suffisant pour le jeune homme et le vieillard ;
nous
en accordons difficilement sept au paresseux, à aucun, [nous n'en
accordons] huit.
Que
ton sommeil soit pour toi au moins de sept heures,
Si
l'on en permet jusqu'à neuf heures, jamais l'on en permet jusqu'à
dix.
[traduction
par l'auteur de ce blog]
Référence
Docteur Ox,
« Le temps de sommeil », in Le Matin,
23e
année, n°8818, 18 mai 1906, p. 1.
La note a été rajoutée par l'auteur de ce blog.