En
réalité, derrière le tabou de la dette se joue la lutte entre les
détenteurs de capitaux et les contribuables. Cette autre fracture,
fondamentale, sépare les classes d’âge démographiques.
Ceux qui
détiennent le capital et l’épargne sont, en majorité, les plus
de cinquante ans, qui ont eu le temps d’accumuler ou d’hériter.
Ils ont intérêt à ce que les dettes soient payées, car, s’ils
ne sont pas encore rentiers, ils vont le devenir bientôt, lorsqu’ils
seront à la retraite. Ils tiennent bon nombre des leviers de
contrôle politiques et économiques dans nos sociétés. Les
solutions qu’ils préconisent pour sortir de la crise ne font que
protéger leurs intérêts, au détriment de ceux des classes d’âge
qui suivent. Le chômage des jeunes en âge de travailler, en Europe
du Sud, est leur cadeau sournois à leurs enfants et petits-enfants.
Le sauvetage de l’euro à tout prix est leur seul credo pour sauver
leur épargne et, donc, la dette.
Cette
génération – c'est un comble – est en grande partie à
l'origine de la crise mondiale de l'endettement, parce qu'elle a
consacré une bonne part de son intelligence et de son énergie à la
déclencher. Les baby-boomer,
nés dans les vingt années qui ont suivi la seconde guerre mondiale,
ont voulu plus de liberté et moins de frontières, parce que leurs
pères, au sortir de la guerre, avaient reconstruit le monde en le
bornant de limites morales et géographiques.
La
génération libérale a patiemment déréglementé, assoupli,
libéralisé, rongé les protections, abaissé barrières et
frontières, avec la puissance sans frein d'une colonie de termites.
Toutes les idées et toutes les technologies disponibles ont été
asservies à son objectif. L'internet,
bien sûr, qui a fait voler en éclat les limites géographiques et a
offert à l'individu un espace de liberté sans précédent. La
construction européenne qui a été littéralement phagocytée par
la génération libérale, alors qu'elle avait été initiée par ses
pères.
La
libéralisation de l'économie et de la finance a évidemment
déclenché la fureur de l'endettement. Ménages, entreprises, États,
tout le monde est endetté, sur tous les continents. Endettement
privé ici, public là, chaque région de la planète a développé
sa spécialité. L'Occident et l'Europe en particulier ont poussé
l'endettement des États jusqu'aux dernières limites. De temps en
temps, le krach menace. Les maîtres du monde trouvent alors un
nouveau subterfuge pour différer l'inévitable. Mutualisation des
dettes, création monétaire, actions « non-conventionnelles »
des banques centrales, tout est bon pour ne pas se trouver face à
l'explication finale qui serait la ruine des « épargnants »,
alors qu'il s'agit précisément de ceux qui se sont gavés de
richesses au festin financier.
La
crise de l'euro est une variante régionale de la crise mondiale de
la dette, patiemment et délibérément déclenchée par une
génération intempérante qui a dépensé bien plus qu'elle
n'aurait dû. Aujourd'hui vieillissante et au faîte du pouvoir,
cette génération veut qu'on paye les dettes accumulées, même si
c'est au prix d'une croissance plus faible et d'un chômage plus
élevé, parce qu'elle en vit. Alors que ces dettes sont bien trop
lourdes pour être jamais remboursées – si la crise dure, c'est
parce que nous refusons d'admettre cette évidence.
Pour la suite et pour plus d'approfondissement, on se reportera à l'ouvrage de l'auteur.
Référence
François Lenglet, Qui va payer la crise ?,
Fayard, 2012, p. 14-16.