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mardi 30 août 2011

Les qualités et les vetus, le coeur et l'âme, selon N.-V. de Latena, 1844.



DIFFÉRENCES ORIGINELLES ENTRE LES QUALITÉS ET LES VERTUS, ENTRE LES QUALITÉS DU CŒUR ET LES QUALITÉS DE L’ÂME.

Un penchant à faire des choses utiles à l'humanité et conformes à la morale est une bonne qualité. II existe une différence essentielle entre les qualités et les vertus : les premières sont dues à la nature, et les dernières à nos efforts. Une volonté courageuse produit les vertus,

- soit en perfectionnant certaines qualités, telles que la bonté, le désintéressement, la force d'âme,

- soit en domptant certains vices, tels que l'égoïsme, le libertinage, la haine, l'envie. Le prix des vertus se règle sur les sacrifices qu'elles ont coûté.

Nous distinguons d'ailleurs, dans les qualités et dans les vertus, celles qui appartiennent au cœur de celles qui appartiennent à l'âme (1).

Le cœur est l'organe du sentiment. Chacune des impressions qu'il reçoit est un attrait, ou une répulsion. La bienveillance habituelle de l'homme pour ses semblables, est la preuve des bonnes qualités de son cœur. Ces qualités ont, dans les principes les plus élevés de la morale, leurs règles et leur sanction.

Toutes les qualités du cœur sont des penchants naturels ; et la volonté, qui pourrait les détruire, ne pourrait les donner.

L'âme est la partie immatérielle de notre être, le principe de la pensée, la puissance dont émane la volonté. La conscience est la lumière qui aide l'âme à reconnaître la limite entre le bien et le mal.

Les qualités de l'âme tendent à dégager l'homme des sentiments personnels, et à l'attacher aux principes du beau moral. Elles sont naturelles, ou acquises. Les dernières seules peuvent, en raison des efforts qu'elles coûtent, mériter le nom de vertus. Le cœur n'a que des qualités ; l'âme seule peut réunir des qualités et des vertus.

Note.

(1) On me demandera peut-être ce qu'est le. cœur sans l'âme et l'âme sans le cœur. Rien, répondrai-je : mais je crois sentir que mes dispositions affectueuses ou malveillantes envers autrui, n'ont pas la même source que la pensée abstraite de la sincérité, de la prudence, du désintéressement ; et j'attribue les unes au cœur, les autres à l’âme.
 
 Référence.

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p.  293-295.

lundi 29 août 2011

Les sentiments de malaise du psychisme, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.

DES DIVERSES IMPRESSIONS PRODUITES SUR UNE ÂME FAIBLE PAR L'APPARENCE OU L'IMMINENCE D'UN DANGER.


Crainte, inquiétude causée par la prévision d'un événement fâcheux, ou gène de l'âme en présence d'un pouvoir qui impose.

La crainte se règle sur la conviction de la grandeur et de l'imminence du danger, ou sur la sévérité de la personne dont on subit l'ascendant.

Appréhension, idée d'un danger encore incertain.

L'intelligence qui a conçu des motifs d'appréhension, cherche les moyens d'en détourner la cause, et conserve ordinairement assez de calme pour les trouver.

Alarme, émotion excitée par l'approche subite d'un péril réel, ou par un péril imaginaire.

L'alarme, effet de la surprise, laisse peu d'empire à la réflexion, et s'abandonne à des démonstrations qui la propagent.

Peur, défaillance de l'âme, à l'aspect, ou à la seule pensée d'un danger, sentiment intime que l'amour-propre parvient souvent à cacher ; mais qui n'en fait pas moins battre le cœur et chanceler la raison.

La peur rend cruel. Elle exagère les périls, se croit toujours en état de légitime défense, et frappe, les yeux fermés.

On parle, avec plaisir, de ses dangers passés, soit pour exciter l'intérêt, soit pour faire croire à son courage. Plus on a eu peur, plus ce plaisir est grand.

Frayeur, peur pénétrante, intime, expansive. Les organisations sensibles et délicates en sont subitement atteintes, à la vue, ou seulement à l'apparence d'un péril inopiné. La frayeur se manifeste par des exclamations, par des gestes désordonnés, et même par la fuite. Quand on devient un peu plus calme, souvent on rit de sa frayeur.

La frayeur est si insensée, que, pour vous faire éviter un danger imaginaire, elle vous précipite dans un danger réel.

Terreur, profond abattement de l'âme devant un grand péril ou quelque événement mystérieux qui peut le faire craindre; sorte de paralysie de l'esprit et des sens qui empêche également de combattre et de fuir.

Effroi, sentiment qui étreint et glace le cœur, quand on est témoin d'une catastrophe imprévue, ou d'un attentat horrible dont soi-même on se croit menacé (1).

8° L'Épouvante succède à l'effroi, quand on est atteint par l'événement qui l'avait inspiré, et quand on n'entrevoit plus aucun moyen de salut.

Le danger qui a donné l'alarme peut aussi, en se réalisant, faire naître l'épouvante, et la rendre contagieuse.

SECTION IV.

DES DIVERSES SORTES DE MALAISE ET DE SOUFFRANCE INTIME DE L’ ÂME.


Ennui. L'ennui est, chez l'homme, le vide du cœur et de l'esprit, le regret d'une âme abattue, ou le désir indéterminé d'un égoïsme apathique. C'est aussi la prostration morale qui suit l'abus des jouissances physiques. C'est quelquefois enfin le sentiment amer que laissent les déceptions de l'orgueil.

L'ennui devient une maladie chronique dans les cœurs froids et sans ressort. Le mouvement des passions peut produire la souffrance et le désespoir, jamais l'ennui.

Plaignez l'homme qui n'a pas un but ; car l'incertitude de sa marche doit, tôt ou tard, produire en lui la fatigue et le dégoût de la vie. Nous avons vu quelle est la pernicieuse influence de l'ennui sur le cœur de la femme. Les âmes bienfaisantes, par nature, ne connaissent jamais cette atonie morale. Le désir d'être utiles, et le bonheur d'y parvenir remplissent leur existence. Les autres ne peuvent éviter l'ennui que par le travail, l'ambition, ou de dangereux plaisirs.

On résiste plus facilement à la douleur qu'à l'ennui. Quand on lutte contre les souffrances, on ajoute à la vie le prix des efforts qu'elle coûte; et l'on veut ensuite conserver ce qu'on a défendu. Mais quand l'ennui s'empare d'une âme, il en détruit l'activité, les penchants, les affections; et, s'il ne parvient seul à tuer le corps, il a quelquefois recours au suicide.

On doit plus compter sur la bonté que sur l'esprit d'une personne que tout amuse : mais il n'est pas facile de savoir ce qui l'emporte de la sécheresse du cœur, ou de la stérilité de l'esprit de celle que tout ennuie.

Souci, préoccupation causée par de tristes réflexions, par la gêne d'une position difficile, ou par la crainte de quelque événement fâcheux.

Trouble, désordre momentané qu'excite, dans l'esprit et dans les sens, l'impression vive et inattendue d'un fait ou d'un mot accusateur, d'une nouvelle qui déconcerte des projets et des espérances.

Embarras, incertitude de l'esprit, dans une circonstance qui exigerait une prompte décision. La lenteur ou la mobilité, et le défaut de netteté de l'esprit sont les principales causes de l'embarras. La faiblesse et la crainte y ajoutent l'irrésolution. L'embarras se trahit par l'hésitation de la parole, par la fixité d'un regard sans but, et par la nonchalance, ou l'activité maladroite du corps. Un événement imprévu peut causer quelque embarras ; mais un esprit vif et une âme forte l'ont bientôt surmonté.

Perplexité, irrésolution pénible d'un esprit obligé de faire un choix entre deux partis, entre deux sentiments, et qui ne trouve que le doute au bout de l'examen.

La perplexité est souvent une lutte entre le cœur et la raison.

Regret, retour pénible vers le passé, serrement de cœur produit par le souvenir d'une faute, par la privation d'un plaisir, par une espérance, une illusion détruites et par la perte des objets de nos affections ou de nos goûts.

Peine

Tribulations, peines diverses et multiples dont le poids accable les âmes débiles [fragiles], et fait chanceler les âmes fortes.

Certaines existences paraissent vouées aux tribulations, et ne peuvent trouver le courage de les supporter que dans une pieuse résignation.

Chagrin, continuité d'une peine profonde, sentiment qui absorbe toutes les pensées, émousse tous les goûts et altère l'humeur. Le chagrin est sombre et taciturne. Il fuit les regards, et se complaît dans la solitude.

10° Tourment, profonde angoisse de l'âme, torture que lui causent le remords, la jalousie, l'ambition déçue, l'amour contrarié, et toute inquiétude vive et prolongée.

Les âmes froides ou légères ne connaissent guère le tourment ; les âmes trop sensibles l'éprouvent souvent sans raison ; les âmes fortes le dominent quelquefois, au point de l'oublier, ou l'aggravent, en voulant le cacher.

11° Douleur morale. La douleur physique frappe le corps, et réagit sur l'âme ; la douleur morale frappe l'âme, et réagit sur le corps. Ces deux sortes de douleurs sont presque inséparables, et sont, l'une à l'égard de l'autre, tantôt la cause et tantôt l'effet.

La douleur physique est une sensation : nous l'avons expliquée. La douleur morale est un sentiment : nous devons en indiquer les principaux effets.

La douleur morale est le profond regret, le vide affreux que produisent, en nous, la perte de nos plus chères affections et les déceptions du cœur, ou même de l'amour-propre. Quand l'âme est vaincue par le chagrin, elle se replie sur elle-même, et s'abandonne à la douleur morale. L'empire de ce sentiment est subordonné à l'âge, à la santé et au caractère de chaque individu. L'enfance est trop insensible pour y être soumise ; la jeunesse y échappe par sa légèreté ; et si, dans la vieillesse, la personnalité tend à l'accroître, l'affaiblissement de la sensibilité le tempère. Mais c'est sur l'âge mûr que la douleur morale sévit avec toute sa cruauté. (…).

L'immobilité matérielle semble assoupir la douleur physique ; et, quand une main cruellement secourable cherche à donner au malade une position meilleure, chaque mouvement excite en lui une souffrance aiguë, et lui arrache un cri de détresse. De même l'isolement permet à la douleur morale de ronger le cœur par une action lente et presque insensible ; tandis que les empressements d'un intérêt irréfléchi en remuent les fibres engourdies, et lui causent un déchirement affreux. Les âmes vivement affectées s'irritent des consolations, comme d'un sacrilège, ou en souffrent, comme d'un coup porté sur une plaie saignante. Elles ne reçoivent, avec reconnaissance, que le délicat hommage du silence et des larmes.

Les consolations du monde ne sont bonnes qu'à mettre plus à l'aise le respect humain. La douleur qu'elles soulagent aurait bien pu s'en passer. (…).

La douleur dispose à la personnalité. Mais quand celui qui souffre a le courage de travailler au bien-être des autres, il sent aussitôt réagir sur son cœur le bien qu'il leur a fait.

Pourquoi les âmes s'unissent-elles plus étroitement dans la douleur que dans le plaisir? Parce qu'on se soulage, en faisant partager l'une, et que l'on craint de se priver, en faisant partager l'autre.

La douleur comble la distance entre le grand qui souffre et l'humble qui pleure avec lui. (…).

Pour les âmes faibles, la plainte est un soulagement ; car elle fait espérer un secours : pour les âmes fortes, c'est une douleur de plus ; car c'est un aveu d'impuissance. (…).

Le monde n'estime que les heureux ; et les rieurs sont toujours contre ceux qui se plaignent. Il est donc sage et digne de garder pour soi le secret de ses douleurs ; mais elles pèsent moins, quand un ami nous aide à les porter. (…).

Les souffrances imaginaires sont réelles, pour celui qui les sent. Il est cruel de s'en moquer. Les effets en sont d'autant plus redoutables qu'ils ne s'arrêtent pas au possible. On espère guérir d'un mal dont la cause est connue ; mais on se tue pour échapper à des tourments qu'on ne saurait expliquer. Quand le secours d'une raison bienveillante ne parvient pas à les calmer, l'ironie, en piquant l'amour-propre, peut quelquefois inspirer le courage de les vaincre. Ce remède est dangereux ; car, s'il ne guérit, il peut pousser au désespoir.

La jeunesse pleure amèrement la perte d'un ami, et s'en console, parce qu'elle en a, ou en trouvera un autre; qu'elle est distraite de sa douleur par l'attrait des plaisirs et la mobilité de ses impressions ; et que la mort lui semble, pour elle-même, un accident invraisemblable.

Le vieillard, qui voit tomber autour de lui les amis de son enfance, sait qu'il ne les remplacera pas, et que le terme de sa vie ne peut être éloigné. À cette pensée, un frisson parcourt ses veines, et la peur de mourir lui fait oublier ses regrets.(…). 

Une âme en proie à la douleur morale s'irrite de tout ce qui n'est point en harmonie avec ses sentiments. Un accent de joie, l'éclat d'un beau ciel, le calme d'une riante nature, l'épanouissement des fleurs, et le chant des oiseaux la blessent, comme une amère dérision. (…).

12° Malheur. Le malheur est un ensemble de maux qui pèsent sur l'âme. Il s'empare quelquefois de toute une existence, au point de faire croire à la fatalité ; et l'on meurt sans arriver aux chances favorables. C'est le sort d'un joueur dont la fortune s'est épuisée, avant la fin de sa mauvaise veine. S'il eût pu prolonger la partie, l'équilibre se serait peut-être rétabli. Cependant il est trop ordinaire de méconnaître l'influence que l'on exerce sur sa propre destinée, et d'en accuser des causes occultes. Que chacun juge froidement toutes ses actions, et il se convaincra souvent qu'il doit la plus grande partie de ses maux à ses erreurs ou à ses fautes. (…). 

Une prévoyance excessive gâte le bonheur présent et anticipe les peines éloignées, quand elle n'en crée pas d'imaginaires. Si la force d'âme nous fait supporter des maux irréparables, ne peut-elle renfermer les craintes de l'avenir dans le cercle des probabilités, et nous permettre ainsi de jouir du bien sans nous désarmer contre le mal ?

Quand le malheur est la suite d'une faute, il est bien cruel ; car la résignation vient difficilement à son aide, et il s'exaspère sans cesse par le regret ou le remords.

Le devoir est la force du malheureux, et l'espérance, sa consolation. (…).


SECTION V.

EFFETS VISIBLES DES SOUFFRANCES DE L’ÂME.


§. I. — Manifestations silencieuses.

Stupeur, engourdissement momentané de l'âme et des sens, espèce de syncope de l'esprit causée par l'étonnement ou la terreur.

Consternation, profond accablement de l'âme, à la vue d'une grande calamité, ou d'une catastrophe. Dans une même conjoncture, la première impression peut être la stupeur, et la seconde, la consternation.

Tristesse et mélancolie. La tristesse est le deuil de l'âme, le voile sombre dont la couvre un sentiment douloureux, ou bien une disposition naturelle à redouter la souffrance et à la trouver autant dans la crainte que dans la réalité.

Les signes apparents de la tristesse sont l'abattement, la morne expression du regard, le silence et l'amour de la solitude.

La tristesse énerve [affaiblit] l'âme, éteint l'esprit et donne du dégoût pour la plupart des objets qui ont coutume d'exciter le désir. Elle attiédit toutes les affections,... toutes, excepté l'amour.

La mélancolie est la sensibilité concentrée dans une tristesse habituelle, le découragement d'un cœur sans espérance et le reflet d'un passé douloureux sur le présent et sur l'avenir.

La tristesse se laisse distraire. Elle cède insensiblement à l'action du temps ; et, quand elle disparaît, un regret, ou un simple souvenir en marque le passage.

La mélancolie ne comprend pas le plaisir, et s'isole au milieu de la joie. Elle aime la rêverie, ne voit qu'un repos dans l'affaissement de l'âme, et ne veut pas guérir. Si un bonheur inespéré peut l'affaiblir, il ne peut l'effacer.

La tristesse est tantôt un mal accidentel, tantôt un mal constitutif dont l'excès peut inspirer le désir de la mort. La mélancolie est une douleur résignée où l'âme trouve quelquefois une sorte de douceur, mais qui, creusant toujours la même pensée, peut finir par y abîmer la raison.


§. II. — Manifestations vives ou violentes.

Contrariété, mécontentement et déplaisir de l'âme, à l'aspect des difficultés qui retardent, ou des obstacles qui rendent impossible l'accomplissement de ses désirs.

La force intelligente et digne supporte, sans murmure, les contrariétés; mais la faiblesse, stimulée par la personnalité, en témoigne une impatience puérile qui va jusqu'à l'irritation contre les objets inanimés et les lois de la nature.

L'âme s'indigne des petites contrariétés dont elle eût pu se préserver par un peu d'adresse ou de prévoyance. Mais elle se courbe sous le poids des grands malheurs où elle sent une cause supérieure à la puissance humaine.

Inquiétude, appréhension d'un danger déterminé, mais souvent imaginaire.

Les âmes tendres ne sont jamais sans inquiétude sur le bonheur de ceux qu'elles aiment, ni les âmes jalouses sur les sentiments qu'elles inspirent.

Anxiété, violente agitation d'une âme qui se croit menacée de quelque malheur prochain, sans s'expliquer par quel côté elle sera frappée. Quand, par hasard, un événement fâcheux vient justifier l'anxiété, on ne manque guère de l'appeler pressentiment.

Avec une grande sensibilité et une imagination mobile, on a toujours quelque motif d'anxiété; car on trouve probable tout ce qui est possible.

Affliction, état d'une âme tendre que le chagrin accable, et qui n'a plus la force de se relever. L'abattement que l'affliction produit est entretenu par le respect des souvenirs. La volonté n'y cherche point d'adoucissement; mais le temps, qui crée et détruit toutes choses, l'apporte, tôt ou tard, et sait le faire accepter.

Désolation, vive expansion des grandes souffrances de l'âme.

Lorsqu'une âme sensible et faible est frappée d'un malheur imprévu, toutes ses facultés s'exaltent, et font éclater, par la désolation, sa peine et ses regrets. La violence de cet état en fait pressentir le terme ; et bientôt, au milieu des larmes et des sanglots, la nature épuisée retombe dans un calme qu'elle aurait longtemps attendu de la seule raison.

Désespoir, état produit par le dernier degré de la souffrance, convulsion de l'âme, qui brise tous les liens de l'affection et du devoir, répugnance profonde pour toute espérance, excepté celle de la mort.


Note.

(1) Si nous sommes à l'abri du danger, nous n'éprouvons que de l'horreur.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 275-293.

Les sentiments de bien -être du corps et du psychisme, selon N.-V. de Latena, 1844.



§ I. — États et sentiments intimes.

Tranquillité, état naturel d'une âme où tous les sentiments se trouvent en parfait équilibre, soit par l'effet d'une heureuse organisation, soit par le pouvoir de la volonté.

Calme, cessation du mouvement, repos qui a pu être précédé et qui pourra être suivi d'un orage.

L'âme est calme, quand elle n'est émue ni par le plaisir, ni par la peine. On ne peut apprécier les douceurs du calme, si l'on n'a été agité par quelque passion douloureuse.

Quiétude, tranquillité produite par une confiance bien ou mal fondée, par l'ignorance du danger, ou par l'imprévoyance d'un esprit borné.

Sécurité, conviction raisonnée de l'absence du danger.

Satisfaction, impression que fait éprouver la possession de l'objet d'un désir, ou l'accomplissement d'un projet, et même d'un devoir. La satisfaction est le but de nos penchants, de nos goûts et de nos besoins. Ce but en détermine la moralité. Le bien satisfait les âmes vertueuses; le mal, les âmes perverses. Les passions cherchent, dans la satisfaction, le bonheur, ou du moins le plaisir : le plus souvent, elles n'y trouvent que souffrances et regrets.

Contentement, jouissance calme, absence de désirs qui pourraient la troubler.

La satisfaction est surtout une perception des sens ; le contentement, surtout une perception de l'âme. L'une est variable, comme la cause qui la fait naître; l'autre repose sur des bases moins mobiles, sur la modération et sur le raisonnement.

Bien-être, état doux et tranquille qui résulte de la bonne santé, des paisibles satisfactions des sens et du contentement de l'âme. C'est le bonheur du sage ; ce devrait être celui de l'égoïste.

Plaisir, impression agréable que produisent, en nous, les rapports de nos sens, et de notre âme avec les objets de nos goûts.

Le plaisir est si ennemi de la contrainte, qu'on le rencontre rarement où il est attendu. Il ne se trouve pur et durable que là où on le cherche le moins, dans l'accomplissement des devoirs.

L'homme est né pour lutter; car il n'attache aucun prix aux plaisirs obtenus sans efforts.

Bonheur, état que nous procure la complète satisfaction de nos besoins, de nos penchants, de nos désirs. C'est la plénitude de la vie fonctionnant sans obstacles ; c'est une harmonie constante entre notre âme, nos sens et les objets qui les attirent.

Le bonheur ne pouvant exister qu'avec probabilité de durée, et contentement de l'âme, où le chercher, si ce n'est dans la vertu ?

L'homme le plus heureux n'est pas celui qui peut se procurer le plus de jouissances : c'est celui qui est le plus satisfait de son sort.

Il entre, dans le bonheur, deux éléments essentiels que l'or ne peut donner : la santé du corps et le contentement de l'âme. On les obtiendrait peut-être par la tempérance et la vertu ; mais peu de gens veulent les acheter à ce prix.

Nul ne comprend bien le bonheur dont il jouit qu'à la vue du danger de le perdre, ou de l'envie qu'il excite.

Nous osons assurer qu'un tel événement nous rendrait heureux ! Regardons en arrière, et voyons si la plupart de nos malheurs n'ont pas eu, pour cause directe ou indirecte, nécessaire ou fortuite, l'accomplissement de nos plus chers désirs!

Le bonheur est rare, parce que peu de gens savent le trouver où il est, dans le devoir, les affections, la bienfaisance, l'étude. Beaucoup de malheureux ne sont que des ingrats envers la Providence.

10° Félicité, bonheur suprême. Comme nous n'en jouissons jamais qu'en espérance, elle se réduit, pour nous, à une idée abstraite et poétique. Chacun se représente la félicité sous l'image qu'il préfère. C'est le rêve de l'amour ; c'est celui de la gloire ; c'est le tableau idéal des délices d'une autre vie.


§ II. — Manifestations.

Joie, sentiment de plaisir que l'âme éprouve, à l'occasion d'un événement heureux, et qui peut aller jusqu'à l'ivresse, jusqu'aux transports insensés, jusqu'à la folie.

La joie est expansive, dans les caractères francs, ouverts et mobiles ; timide, dans les caractères faibles et indécis, et à peine apparente, dans les caractères habitués à la réserve ou à la dissimulation, à l'exercice de la force ou à la résignation de la souffrance.

Gaieté, état d'une âme éloignée des sentiments et des idées tristes par la bonne disposition des organes, par la satisfaction des désirs, par l'effet sympathique de la joie d'autrui, et souvent aussi par la légèreté de l'esprit.

Les personnes gaies n'aperçoivent que le côté plaisant des choses, et trouvent souvent un motif de rire où d'autres en trouvent un de s'attrister. Si elles sont forcées de reconnaître des douleurs qu'elles ne peuvent soulager, elles en détournent leur regard, avec un empressement où l'on est tenté de voir autre chose que de la raison.

Hilarité, expansion de la gaieté provoquée par des causes subites et imprévues, telles que la vue de certains ridicules, les raisonnements niais ou absurdes d'un esprit prétentieux, les saillies d'un esprit original.

Il est rare que l'hilarité ne soit pas mêlée d'un peu de raillerie.

Ravissement, exaltation d'une âme que le plaisir enivre, transport causé par les pures jouissances du cœur ou de l'esprit, plutôt que par celles des sens.

Extase, ravissement parvenu à son plus haut degré, interruption apparente de l'activité des sens et concentration de toutes les facultés dans un seul sentiment de joie ou d'admiration.


Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 269-274. 

La jalousie et l'envie, du point de vie social, selon N.-V. de Latena, 1844.


 La jalousie, déjà classée parmi les défauts, et l’envie parmi les vices de l'âme, doivent reparaître parmi les sentiments de la vie sociale qui seule peut les faire éclore. Le penchant pour l'une ou l'autre sommeille, tant qu'il n'est pas aiguillonné par la crainte de perdre ce qu'on a, ou par le désir d'avoir ce dont on est privé.

Il est une sorte de jalousie inspirée par l'amour, ou par tout autre sentiment affectueux que l'on croit menacé d'une rivalité. Mouvement passager de l'âme, cette jalousie peut être excusable et même légitime ; habitude, elle devient un défaut.

L'amour-propre est la source d'une autre espèce de jalousie qui, formant avec lui un trait de caractère, est un danger permanent pour la morale et pour les rapports sociaux ; car c'est un premier pas vers l'envie.

L'envie est l'angoisse que ressent une âme égoïste, à la vue des avantages dont elle est privée, et qu'elle ne peut espérer. C'est le désir d'un bien, et la haine de celui qui le possède.

L'envie est souvent aussi suggérée par l'amour-propre ; et cependant on pourrait l'y croire étrangère ; car l'envieux n'est jamais satisfait de ce qu'il a, et n'aime que ce qu'il voit aux autres.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 467-468.

Les sentiments nés de jugements favorables et défavorables, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.


SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS FAVORABLES.

Estime, bonne opinion d'autrui, fondée sur le caractère, la conduite et les talents.

L'estime s'attache bien plus aux qualités solides qu'aux qualités brillantes. Elle sent avec délicatesse, se forme avec réflexion, se défie des passions et fuit le désordre, entouré même de l'éclat du génie, pour suivre paisiblement l'honnêteté qu'accompagne un mérite modeste.

L’estime apprécie le bien ou la conformité à la règle commune ; mais elle a besoin de s'échauffer un peu, pour s'élever jusqu'au sentiment du beau.

Nous donnons une grande preuve d'estime au dépositaire de nos secrets ou de nos intérêts, quand nous le traitons comme si nous n'avions rien à craindre de de lui.

Confiance (1), foi entière en la probité, la justice, la discrétion et la bonté d'autrui.

La confiance naît ordinairement de longues relations et d'un jugement éclairé. Mais quelquefois le cœur l'éprouve d'instinct et par une impression soudaine. Alors le tact, d'un côté, et la loyauté, de l'autre, la mûrissent sans le secours du temps.

Se confier, avec prudence, se défier, avec mesure, deux règles essentielles dans les rapports sociaux.

Considération. L’estime est, comme nous l'avons expliqué, la conviction des bonnes qualités d'autrui ; et la considération est un jugement favorable sur le mérite, le crédit, la dignité extérieure, enfin sur l'attitude sociale d'une personne avec qui l'on n'a pas eu des rapports bien étroits. L'estime s'adresse aux sentiments; la considération, à la position. La confiance, qui suit hardiment l'estime, est plus circonspecte avec la considération; mais dès que les faits l'encouragent, elle donne à celle-ci le caractère de l'autre.

Respect, hommage rendu à la vertu, au mérite éminent, à l'âge, au pouvoir, au rang, et trop souvent à la seule fortune. Une âme timide respecte tout ce qui lui impose ; une âme droite et ferme, tout ce qui lui semble bien. Mais il y a toujours, dans le respect, un peu de crainte de le témoigner trop ou trop peu.

On donne encore le nom de respect à un autre sentiment qui lui ressemble par les effets, mais qui découle d'une source contraire : c'est celui qu'une âme généreuse accorde aux êtres faibles. Sa soumission n'est que de la condescendance, et ses égards couvrent une délicate protection. Tels sont les caractères de notre respect pour les femmes, pour la vieillesse et pour l'enfance.

Vénération. Après l'adoration qui n'appartient qu'à Dieu, la vénération est le plus profond sentiment de respect que l'homme puisse éprouver. C'est un pieux hommage à la perfection morale. Il s'adresse surtout aux qualités et aux vertus pratiques. La vénération s'accroît avec l'âge de la personne qui en est l'objet; mais elle ne tient aucun compte du pouvoir ni de la fortune, si ce n'est pour le bon emploi qu'on en fait. Elle est humble sans abaissement, et chaleureuse sans exagération. Pure comme la vertu qui l'inspire, elle s'affaiblit, au moindre doute, et ne tolère pas la plus légère tâche. Ce scrupule de la vénération prépare celui qui est capable de la ressentir à la mériter à son tour.

Soumission. L'homme qui accepte pour règle la volonté d'un autre, fait preuve de soumission. Il la puise dans le sentiment de son infériorité, dans une modestie sincère, ou dans le désir d'accomplir un devoir.

Une âme sage se soumet, avec résignation, à la force injuste qu'elle ne peut vaincre ; avec respect, à l'autorité régulièrement établie ; avec empressement, à une supériorité incontestable, et avec joie, aux conseils d'une raison bienveillante.

Une âme humble et tendre trouve une douceur infinie dans sa soumission aux personnes qu'elle aime.

Une âme fière se cabre contre la force, et trouve du plaisir à se soumettre à la faiblesse.

Une âme vaine ne comprend pas combien de calme, de véritable dignité, et même de bonheur on peut trouver dans la soumission. Jamais elle ne s'y résigne que par impuissance, par crainte, ou pour attendre l'heure de la révolte.

Admiration, vive satisfaction de l'âme, à la vue de certaines actions, ou de certaines qualités dont la sublimité l'étonne (3). Notre admiration est d'autant plus grande, que la personne qui l'excite s'approche plus de notre idéal, et probablement aussi de nos goûts, de nos sentiments, de notre caractère. On n'admire franchement que ce qu'on voudrait posséder, ou avoir fait.

L'admiration est le prix du génie et des vertus sociales, le lien des siècles, et la plus noble ambition de l'homme, après le désir du bien et de la perfection.

(3) C'est l'admiration que l'homme perçoit surtout par le cœur ; nous avons parlé, à la page 243, de celle qu'il perçoit surtout par l'esprit.


SECTION IV.

SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS DÉFAVORABLES.

Défiance, attitude défensive d'une âme qui craint d'être trompée. On peut être défiant à l'égard d'une personne, ou dans une circonstance, sans l'être par caractère: La défiance n'est quelquefois que de la prudence, et qu'une preuve de pénétration. Mais les gens expérimentés, et surtout les vieillards, qui ont pu voir toutes les ruses de l'intérêt, portent souvent la défiance jusqu'à l'excès, et en font un défaut.

La défiance veut en vain se cacher : on la reconnaît à sa vigilance, tantôt réservée, tantôt agressive. Le fripon habile devine sa marche, et sait où lui tendre ses pièges. L'homme le plus défiant est bien forcé de se confier à quelqu'un, et il ne manque guère de s'adresser d'abord au plus rusé.

La défiance met une barrière de glace entre celui qui soupçonne et celui qui se voit soupçonné. Un tort connu laisse plus de chances à un rapprochement que le soupçon. Le premier montre tout ce qu'on doit pardonner, et le second exagère ce qu'on doit craindre.

Dédain, hautaine et fastueuse indifférence, conviction du peu de valeur des autres, et déclaration implicite de l'estime de soi.

On laisse à peine tomber un regard distrait sur la personne que l'on dédaigne.

L'homme supérieur se fait remarquer par sa réserve et le sot, par son dédain.

Il est toutefois un dédain majestueux qui peut devenir la plus noble vengeance des injures imméritées ; mais c'est l'arme des forts, et ne s'en sert pas qui veut.

Mépris. C'est l'opposé de l'estime; c'est le profond dégoût que les vices, les sentiments bas, et les actions ignobles font éprouver à une âme délicate. L'aspect d'un homme méprisable lui cause la même répugnance que l'aspect d'un animal immonde.

Le mépris est ordinairement silencieux, et se manifeste par un froid accueil, par un sourire amer, par un geste répulsif; mais quand il passe dans le langage, il devient presque toujours une insulte sanglante.

Le mépris frappe d'autant plus rudement, qu'il tombe de plus haut.

Note.
(1) Nous avons défini, à la page 303, la confiance comme une disposition de celui qui l'éprouve, comme une qualité du cœur : nous la définissons ici comme un jugement fondé sur les qualités de celui qui en est l'objet, comme un sentiment qu'elles inspirent.
 
Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 462-467.

Les sentiments de répulsion, selon N.-V. de Latena, 1844.


Antipathie, éloignement naturel, répugnance pour une personne dont l'extérieur, les manières, l'humeur choquent nos habitudes ou nos penchants. Ce sentiment instinctif n'est jamais tout à fait exempt de partialité. On l'éprouve, à la première vue; mais des relations fréquentes l'affaiblissent, ou bien, en l'augmentant, lui donnent un autre caractère. L'admiration et la reconnaissance peuvent le dompter sans le détruire. Tout en laissant la plus large place à l'estime, au respect et même au dévouement, il les enveloppe d'une certaine réserve, qui s'«oppose à la fusion des âmes. Il permet de tolérer ce qui a déplu, mais non pas de l'aimer.

Aversion. Lorsque l'antipathie, fortifiée par des faits, cesse d'être une vague répugnance, elle se change en aversion. Celle-ci peut être inspirée, tantôt par des vices ou de mauvais procédés, tantôt par des qualités ou des succès qui la font naître avec l'envie. L'antipathie se fonde donc sur l'apparence, et l'aversion, sur la réalité. L'une est spontanée et permanente; l'autre est réfléchie, et peut n'être qu'un effet passager comme la cause qui l'a produite.

Inimitié. Les atteintes portées à !'amour-propre,. aux intérêts, aux affections, excitent, dans les âmes impatientes, un vif déplaisir d'où naît l'inimitié. Elle se manifeste par une franche hostilité. Mais elle n'exclut ni l'équité, ni la noblesse des procédés; et n'empêche point un cœur généreux d'estimer la personne qui l'a offensé, ni même quelquefois de la servir.

On adopte volontiers l'inimitié des gens que l'on aime ; et quand ils pardonnent, on se sent un peu honteux d'être forcé de pardonner aussi, sans savoir exactement pourquoi.

L'inimitié a peu d'ardeur pour la vengeance; mais elle applaudit souvent, avec une maligne joie, aux coups que le sort semble frapper pour elle. Le temps la calme, ou la fait aller jusqu'à la haine.

Animosité. Quand l'inimitié s'aigrit et s'exaspère, elle devient de l'animosité. Celle-ci n'est donc qu'une exaltation éphémère de l'inimitié; et, dès qu'elle s'affaisse sur elle-même, par fatigue ou par raison, elle ne tarde pas à retomber au-dessous de son point de départ. Le regret, que l'animosité laisse souvent après elle, peut apaiser l'inimitié.

Rancune, ressentiment silencieux d'une offense ou d'un mauvais procédé. Elle se repaît d'un passé qui la blesse, et met un soin scrupuleux à en conserver les plus vives images. Défaut des âmes sensibles et réservées, elle n'exclut ni la fermeté, ni le courage; mais elle est incompatible avec la légèreté de l'esprit, comme avec la franchise du caractère. Le temps l'adoucit ; une expiation l'efface et un service rendu peut la transformer en amitié.

Celui qui cache sous la rancune son mécontentement ou sa colère, y ajoute, en durée, tout ce qu'il en ôte en violence, et croit faire une sage transaction avec sa dignité.

Les rancunes les plus profondes sont inspirées par les torts des personnes que l'on a le plus sincèrement aimées.

Haine. Ce vice de l'âme, si funeste à l'homme moral (1), exerce aussi, sur l'homme social, une dangereuse influence. Il le rend hostile à ses semblables, et le pousse à se venger sur eux des mécomptes de son égoïsme ou de son orgueil.

Dans la jeunesse, on sent plus vivement l'affection que la haine; c'est le contraire dans l'âge mûr.

La vengeance est la haine en action.

Quand la résistance a provoqué la haine, une soumission la change en mépris, dans une âme vaine, en bienveillance, ou même en affection, dans une âme généreuse.

Le respect humain conseille la haine; le respect de Dieu commande de pardon.

La haine est une souffrance : pour en guérir, il suffit de bien comprendre l'amour de soi.


Note. 

(1) Voir le livre III, chapitre IV, section III, § 2, deuxième catégorie, page 373.
 
Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 459-462.

Les sentiments d'attraits, selon N.-V. de Latena, 1844.


Intérêt, attention fixée sur une personne dont on verrait, avec plaisir, les succès ou le bonheur.

La continuité de notre intérêt, ou de notre haine pour une personne, n'a souvent aucun autre motif que le besoin de justifier, à nos propres yeux, le bien ou le mal que nous lui avons fait.

Une critique bienveillante, quelle qu'en soit la forme, est la plus grande de toutes les preuves d'intérêt.

Bienveillance, intérêt animé par l'envie d'être utile à celui qui en est l'objet.

Penchant, disposition naturelle en faveur d'une personne dont l'extérieur, les manières et le langage ont pour nous quelque charme secret.

Goût, penchant éclairé et soutenu par un commencement d'expérience.

Sympathie, penchant réciproque entre deux personnes attirées l'une vers l'autre par la similitude de leurs goûts, de leurs caractères et de leurs idées. Si l’on cherche à pénétrer les motifs de la sympathie, on y reconnaît toujours un peu d'amour de soi ; car elle nous fait aimer dans les autres l'image de nous-mêmes, ou les sentiments qui peuvent contribuer à la satisfaction des nôtres.

Inclination, sentiment spontané et peu profond d'un cœur prêt à s'ouvrir, soit à l'amitié, soit à l'amour. L'inclination, plus apparente que le penchant, est cependant encore irrésolue. La découverte de quelques qualités ou de quelques agréments peut la fortifier ; mais aussi une cause, même légère, peut la distraire ou l'éteindre.

Préférence, choix entre les personnes dont notre cœur ou notre raison a pu apprécier la valeur.

Attachement, lien formé, d'ordinaire, entre des personnes d'une condition égale, par l'habitude, par l'échange répété des services ou des bons procédés, et par quelques qualités solides. L'attachement peut encore descendre du supérieur à l'inférieur; mais quand il suit la marche inverse, il est bien près du dévouement.

Affection, sentiment composé de tendre intérêt, d'estime, et quelquefois de respect ou de reconnaissance. Calme par sa nature, l'affection veille en silence, et attend, plutôt qu'elle ne cherche, les occasions de se montrer.

Le sang dépose toujours, dans les bons cœurs, des germes d'affection. La réciprocité les développe pour le bonheur et la moralité des familles.

Les circonstances qui nous prouvent le peu de solidité de certaines affections ont, au moins, le bon résultat de nous en débarrasser.

Quand l'estime a cessé, l'affection qui lui survit n'est plus que l'habitude d'une indolente personnalité.

Lorsqu'un léger sujet de mécontentement sépare deux personnes également sensibles et fières, et dont l'affection réciproque est, pour elles, un devoir ou un besoin, celle des deux qui a le plus de raison et de bonté reviendra la première. Une affection trop indulgente ne songe, pour la personne qui l'inspire, qu'au plaisir présent ; une affection trop sévère, qu'au bonheur à venir ; une affection sage et éclairée songe à l'un et à l'autre.

On aime faiblement la personne dont on ne consentirait pas à encourir la colère, pour la préserver d'une faute ou d'un danger.

La véritable affection n'est indulgente que pour les défauts dont elle souffre seule, et dont elle peut conserver le secret.

Quand on ne peut repousser une accusation portée contre une personne qu'on aime, sans accepter la complicité de principes dangereux, le silence auquel on se condamne pèse douloureusement sur le cœur.

Beaucoup de gens ne semblent trouver, dans une affection éprouvée, que l'avantage de tourmenter impunément celui qui la ressent.

Pour nous rendre un compte exact de l'affection qu'une personne nous inspire, tâchons d'oublier les avantages qu'elle nous procure, ou nous fait espérer.

Dès que j'entrevois la possibilité d'un antagonisme entre un intérêt et une affection, je tremble pour l'affection.

L'affection des cœurs profondément sensibles, souvent inquiétée dans les relations habituelles, se rassure et s'affermit par l'absence : l'affection des cœurs légers s'affaiblit par elle.

Dans les combinaisons de la vie intime, une âme sensible et délicate doit craindre de s'associer à ces âmes rudes dont le mouvement est toujours brusque et le choc violent. Un contact fréquent produit sur elles le même effet que sur des corps d'une dureté inégale : la plus tendre est bientôt brisée.

Le souvenir de ce que nous avons fait, pour le bonheur des personnes dont la mort nous a séparés, est le plus grand adoucissement au regret de les avoir perdues. Mais la crainte seule de leur avoir causé quelques peines ajoute à ce regret les déchirements du remords. Si les personnes unies par les liens d'une tendre affection pouvaient comprendre cette vérité, aucun sacrifice ne leur coûterait pour s'épargner des torts qui paraissent bien légers, lorsqu'on s'en rend coupable, et bien pesants, quand on ne peut plus se les faire pardonner.

L'existence tire tout son prix de nos affections. Quel bonheur peut-on trouver hors des jouissances du cœur ? Survivre aux objets de sa tendresse est le plus horrible des supplices; et le sentiment d'un grand devoir peut seul nous donner ce courage. Nous perdons successivement une partie des êtres qui nous sont chers, et les autres nous perdront à leur tour ! Si nous ne devions, un jour, être tous réunis dans une autre vie, l'insatiable besoin d'affection que nos âmes éprouvent ne serait plus qu'un jeu cruel du maître de nos destinées. Sa toute-puissance et sa bonté repoussent cette idée impie.

10° Amitié, pure et libre union des âmes, union provoquée par quelques rapports de sentiments et d'opinions, resserrée par le temps et la confiance, et cimentée par les jouissances qu'une certaine parité d'intelligence et de position sociale permettent de goûter en commun. Les différences de caractères peuvent être atténuées par des qualités attrayantes, ou même produire des contrastes favorables à l'amitié; mais les différences de rangs et d'intelligences mettent, entre deux personnes, le vaste champ de l'amour-propre. Une grande dignité de caractère, relevant l'une de son infériorité; et une véritable noblesse de sentiments, faisant oublier à l'autre sa supériorité, peuvent seules combler l'intervalle qui les sépare. Sans ces conditions assez rares, leur liaison n'est, d'un côté, que du dévouement, et, de l'autre, qu'une sorte de patronage.

Entre un homme et une femme, dont le cœur n'est plus accessible à l'amour, l'amitié prend une nuance particulière où viennent se fondre les différences essentielles de leurs organisations. Une union de cette sorte offre une partie des charmes de l'amour, sans en avoir les agitations, ni les incertitudes. L'amitié de deux hommes, si profonde et si vraie qu'elle soit, n'exclut pas, dans un commerce habituel, des moments de froideur et de vide. Celle d'un homme et d'une femme ne cesse guère d'être attentive et empressée. Le sexe y conserve une partie de son influence. On ne se contente pas d'avoir prouvé que l'on est digne d'être aimé : on veut se montrer toujours aimable. La délicatesse des sentiments de la femme, la finesse de ses aperçus, la mobilité de son imagination stimulent le cœur et l'esprit de l'homme, et en font jaillir tout ce qu'ils peuvent produire de gracieux et de bon. La diversité de leurs caractères, de leurs intelligences et de leurs impressions préserve ces relations de la monotonie et de l'ennui.

L'amitié étant un choix raisonné, on ne peut en donner le nom au lien qui existe entre les frères et les sœurs. La nature crée leurs rapports, et le cœur les règle. Deux frères se rapprochent et s'aiment encore tendrement, après de mutuelles offenses ; tandis qu'un mauvais procédé peut séparer, à jamais, deux amis. Cependant cette prérogative du sang, qui promet tant de douceur à l'affection fraternelle, devient trop souvent, par la négligence née de la sécurité, une cause de froideur, d'oubli des égards les plus naturels, et, si l'intérêt s'en mêle, de rupture et de haine. À tout sentiment qui n'est pas à la fois libre et désintéressé, profond et durable, ferme et indulgent, il manque quelque chose de ce qui constitue l'amitié.

Quelques personnes ont la monomanie des promptes et courtes liaisons. Elles vous adorent, à la première vue; vous saluent à peine, à une seconde; et bientôt vous oublient. Si, plus tard, un incident les oblige à vous reconnaître, votre aspect seul répand sur leur visage un air de contrainte et d'embarras. Toute habitude les fatigue. L'atmosphère de la famille les oppresse. Le changement est leur vie ; la nouveauté, leur seule jouissance. Esprits étroits, cœurs légers, âmes sans profondeur, ils ressemblent à ces automates qui ne produisent qu'un mouvement, et qui le répètent sans cesse.

Prendre des précautions contre un ami, c'est déjà le traiter en ennemi.

La perte d'un ami ouvre nos yeux sur ses qualités; mais souvent le regret de les avoir méconnues nous porte à les exagérer. Alors, par une compensation tardive, nous ajoutons à la juste mesure de notre douleur tout ce qui a manqué à notre amitié.

On ne peut guère donner une plus grande preuve, de modestie et de bonté, qu'en souhaitant à ses amis une position supérieure à la sienne, sans arrière-pensée d'intérêt personnel.

Ce sont d'étranges amis que ceux à qui l'on n'ose annoncer un événement heureux pour soi, de peur d'exciter leur envie.

Si tous les mouvements de l'âme étaient visibles, y aurait-il beaucoup d'amis ?

L'amitié sincère se nourrit de souvenirs, l'amitié intéressée d'espérances.

Combien de gens tiennent à leurs vieux amis, comme à leurs vieux habits, parce qu'ils sont à leur aise avec eux, et ne craignent plus de les froisser !

L'amitié doit être impartiale; mais entre des mérites égaux, elle peut avouer ses préférences.

Quand la voix d'un ennemi accuse, le silence d'un ami condamne.

L'égoïsme est le principal, mais non l'unique mobile des actions humaines. Qui n'a donné, ou reçu quelque preuve de dévouement? On a besoin de le croire possible, pour ne pas être forcé de renoncer à l'amitié.

11° Amour. Ce sentiment, considéré déjà comme attribut de l'homme sensitif, est, de plus, le principe de la famille et de la société. C'est sous ce dernier aspect qu'il doit reparaître dans l'étude de l'homme social.

L'amour est l'attrait qui prépare et la chaleur qui féconde l'union des sexes. En transmettant la vie, il étend la famille, et multiplie les branches de l'arbre social. C'est lui qui, par une impulsion secrète, rassemble les deux sexes, électrise la foule, et la plonge dans une sorte d'ivresse sympathique. Chacun en ressent l'effet, et le manifeste par un air de joie passionnée. La vieillesse elle-même se réchauffe quelquefois encore aux rayons de l'amour. Attrait des sens, aspiration de l'âme, ou rêve de l'imagination, l'amour est le premier et le plus doux lien de la société.


Comparaison de l'amour et de l'amitié.

L'amour est un sentiment passionné pour une personne d'un autre sexe. Il s'attache surtout à la forme : c'est une préférence des sens.

L'amitié exige de la réciprocité. Elle n'emprunte à la différence des sexes qu'une nuance plus tendre et plus délicate ; et si elle s'occupe des qualités extérieures, c'est pour y chercher l'image des perfections morales dont elle est saintement éprise : c'est une préférence de l'âme.

L'amour s'allume souvent à la première vue, parce que le cœur ou les sens l'attendaient.

L'amitié naît de l'expérience : c'est le double suffrage de l'esprit et du cœur.

On va au-devant de l'amour; on rencontre l'amitié.

L'amour, malgré tout le faste de sa générosité et de ses sacrifices, n'oublie jamais son intérêt : il veut se satisfaire.

L'amitié trouve ses plus douces jouissances dans le bonheur de la personne qui l'inspire.

L'amour est positif. L'absence lui cause d'abord des regrets. Si elle se prolonge, ils se calment; si les rapports cessent, l'oubli arrive ; et, s'il survient un autre amour, le premier n'est plus qu'un rêve.

Une ancienne amitié résiste à l'absence, et même à la rivalité des liaisons nouvelles.

Quand l'amour a reçu quelque offense, il éclate, menace et ajoute souvent au malheur d'être trompé celui d'être ridicule.

Quand l'amitié se sent blessée, elle se retire en silence.

Après une réconciliation, deux amants sont plus amoureux et deux amis, plus réservés.

L'amour survit à la confiance; l'amitié s'éteint avec elle. La sécurité affaiblit l'un et fortifie l'autre.

L'amour est un feu dévorant qui, après avoir ravagé la plus belle partie de la vie, s'éteint sur des cendres ; l'amitié est une douce flamme qui amollit le cœur et le préserve du froid de la vieillesse.

L'amour est une passion toute terrestre; car il aspire à la possession, et ne peut l'oublier, sans prendre le caractère de l'amitié. Celle-ci est un pressentiment des affections d'une autre vie; car elle unit seulement les âmes.

L'amour a l'orageuse mobilité des vapeurs de la terre ; l'amitié a le calme et la pureté des régions éthérées.

Tout le monde peut sentir l'amour, mais non pas l'amitié.

L'amour est, dans les animaux, l'instinct de la reproduction. Dans l'homme, sous l'influence de sa double nature, il s'ennoblit par les chastes inspirations de l'âme, ou se dégrade par sa corruption.

Une amitié, vraiment digne de ce nom, ne peut naître dans des âmes perverties.

L'amour satisfait implique ordinairement un triomphe et une défaite. Aussi devient-il bientôt ou tyran, ou victime, s'il n'est contenu, d'un côté, par la délicatesse, et protégé, de l'autre, par la fierté.

L'amitié, dans sa libre expansion et sa sécurité, ne cherche que des occasions de dévouement, et n'aspire qu'au bonheur de le faire accepter.

L'amour né des sens, ne se soustrait jamais à leur empire. L'amitié, toujours associée aux plus généreux penchants de notre âme, se développe, se modifie, ou meurt avec eux. Mais la vertu peut confondre l'amour et l'amitié dans un sentiment unique qui, gardant de l'un son tendre dévouement, de l'autre sa confiance et sa sérénité, assure aux cœurs fatigués un repos sans langueur, un bonheur sans orage.

12° Tendresse, état d'un cœur amolli par de douces impressions, ou disposé à les recevoir. Elle est un des effets de la sensibilité. Toujours identifiée avec quelques-uns de nos sentiments affectueux, elle y ajoute une vive sollicitude pour la personne qui en est l'objet. C'est elle qui suggère à l'amitié ses plus aimables prévenances, et à l'amour les soins délicats dont il tire ses plus exquises voluptés. Mais elle dégénère facilement en faiblesse. Avec un cœur tendre, on a de la peine à être juste.

La tendresse appartient surtout aux femmes; chez les hommes, elle est une exception.

13° Dévouement, préférence donnée à un autre sur soi, désir indéfini d'un bonheur placé dans la satisfaction d'autrui. Le dévouement inspiré par la reconnaissance est une religion dans les âmes généreuses.

Quelquefois le dévouement n'est ni le retour des bienfaits, ni un hommage rendu à des qualités réelles. Il semble alors être l'effet d'une sorte de fascination. Une âme tendre est seule capable d'un tel dévouement ; mais une âme égoïste peut l'inspirer.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 445-458-