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lundi 7 mai 2012

L'homosexualité selon Serge Moscovici, 1972


Serge Moscovici est né le 14 juin 1925, à Brăila, en Roumanie. Ex-directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, il est le directeur du Laboratoire Européen de Psychologie Sociale à la Maison des Sciences de l'Homme de Paris. 

La théorie des représentations sociales, celle de l’influence sociale minoritaire et celle des choix collectifs et du consensus social sont les trois contributions les plus importantes de Serge Moscovici à la psychologie sociale européenne. Elles sont à l’origine de nombreux programmes de recherche, qui rendent compte des conduites individuelles et de celles des foules. Pour Serge Moscovici l’explication psychosociale doit tenir compte des liens entre l’individuel et le collectif, entre le sujet et le système. Cette conceptualisation fait de la psychologie sociale européenne une alternative à la psychologie sociale américaine, tant du point de vue théorique que méthodologique.

Si son travail est dominant dans le domaine de la psychologie sociale, son œuvre anthropologique est tout aussi remarquable. Lié à la création du département d’ethnologie de l’université Paris VII dans les années 1970, il a marqué toute la génération de 1968, tant écologiste que féministe. En novembre 2003, Serge Moscovici s'est vu décerné le Prix Balzan pour l'ensemble de son œuvre en psychologie sociale. 

Il est le père de l'homme politique socialiste Pierre Moscovici. (Sources : Wikipedia et le site psychologie sociale.com)



« Les différentes formes de hiérarchie n’ont rien de gratuit, et les conséquences qu’elles entraînent pour ceux qui en bénéficient sont certaines. 

Les animaux qui occupent une place élevée sont aussi ceux qui ont une chance de survie, au sens strict comme au sens sélectif, puisqu’ils peuvent avoir des liens hétérosexuels et se reproduire. 

Par contre, les individus subordonnés, les jeunes mâles adultes ou sub-adultes en particulier, sont forcés de quitter le foyer du groupe. Sur eux s’exerce une pression à l’homosexualité, au sens littéral aussi bien que dans le sens d’une sorte d’initiation à une vie qui se déroule surtout avec leurs congénères du même sexe. Leur réunion avec des femelles est difficile et implique pour eux un risque d’agression. Même quand cette possibilité leur est offerte, la surveillance des animaux hégémoniques ne se relâche guère et il est hors de question de former un couple normal. » (p.67 de l'édition de la collection : « Les classiques des sciences sociales.)

 
« La lutte des sexes façonne non seulement l’hétérosexualité mais aussi l’homosexualité. 

Dans les sociétés de primates, celle-ci constitue une solution positive à la tension qui oppose les générations. 

Le jeune mâle, le subordonné recherche et obtient la protection de l’adulte ou du supérieur par des cérémonies où il adopte une posture féminine et subit de la part de ce dernier un assaut sexuel symbolique ou réel. 

Les congrégations masculines y vivent obligatoirement, ouvertement, dans un cadre homosexuel requis par l’état de non reproducteur. La reprise de la cohabitation avec les femelles a lieu dès que l’occasion s’en présente. 

L’initiation des garçons, dans les sociétés humaines, confère aux conduites homosexuelles une signification nouvelle en les dissimulant ou en les sublimant, moins aux yeux des hommes qu’à ceux des femmes

L’atmosphère d’une initiation est celle de la rupture, de la lutte, du passage. L’enfant est mis devant un choix, ou plutôt un choix lui est imposé entre deux groupes de parents, deux loyautés, deux modes d’existence. 

L’une des issues a probablement été la masculinité homosexuelle. Identification complète à la société des hommes, adhésion à ses contrats rigoureux et secrets, complicité dirigée contre les femmes, cet état idéal suppose la non-intelligence totale avec l’autre sexe. Il rejette le contact avec l’impur, l’inférieur, dispense du regret et de la culpabilité, introduit l’homme dans la compagnie de ses égaux. Le monde masculin se clôt sur lui-même ; il échappe à la dépendance, se soustrait au conflit, à l’interdit de l’inceste et à la raison qui l’a motivé. 

L’autre issue, l’homosexualité masculine, laisse les hommes vivre dans le monde féminin sans contrevenir aux règles en vigueur ni en compromettre l’application. Elle se constitue en-deçà de la rupture que représente l’initiation, dans le refus de la subir au prix d’une rupture, d’une sortie du groupe, d’un retournement contre les mères et les sœurs. L’individu déchiré par les sacrifices et les épreuves exigés de lui, haïssant le jeu de la ruse et de la mort qui fait de lui l’adversaire de celles pour et par lesquelles il est vivant, tend à un compromis, s’efforce d’unir les deux sexes en un seul

Complétant l’hétérosexualité ou s’y opposant, l’homosexualité est le résultat des interdits, des rituels et des antagonismes qui les entourent. Elle instaure en quelque sorte un troisième sexe, synthèse, au sens chimique, des deux autres. On peut y voir une réponse normale à des conditions psychiques et sociales concrètes ; elle n’a ni disparu, ni « guéri », au cours de l’histoire des sociétés et des individus, comme le ferait une malformation ou une maladie que l’on peut diagnostiquer et soigner.  

Elle fait néanmoins l’objet d’une surveillance dont la direction confirme l’importance relative de la place occupée par chaque sexe. Étant donné que les hommes sont au centre de la société et les femmes à la périphérie, l’homosexualité de ceux-là est plus localisée, et plus lourdement sanctionnée, le cas échéant, que l’homosexualité féminine, plus diffuse, et finalement tolérée. 

Pour l’homme, en effet, ne pas avoir de femme, c’est rompre les liens primordiaux avec les autres hommes, perturber la marche ordonnée du corps social, voir sa position dans la société abaissée. Les femmes, au contraire, ne sauraient, quels que soient leurs goûts et leurs conduites, troubler un ordre dont elles n’occupent que la partie domestique. 

L’hétérogénéité des sexes aboutit au contraste des sexualités. Ces diverses constellations ont dû être aménagées, travesties et embellies par les civilisations successives. Le mot amour les a couvertes de toute son ambiguïté, les images de la virilité et de la féminité ont forgé, sinon la réalité, à tout le moins les idéaux de l’espèce. » (note 9 de la 3e partie, p. 380-381 de l'édition de la collection : « Les classiques des sciences sociales.)

Références.

Serge Moscovici, La société contre-nature, Union générale d’édition, Collection 10/18, Paris, 1972.