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samedi 29 septembre 2012

Conseils de puériculture, par G. - R. Lefébure, 1777

 
Guillaume-René Lefébure (1744-1809), baron de Saint-Ildefont, est un médecin, militaire, historien, écrivain politique et littérateur français. Les conseils qu'ils donnent, dans le texte suivant (il est alors médecin du comte de Provence, frère du roi Louis XVI, chef et directeur de ses infirmeries) à la future mère, paraissent à nos yeux assez familiers, modernes, mais très contradictoires avec ceux qui seront avancés, plus tard, au XIXe et pendant une bonne partie du XXe siècle : Lefébure, est en effet en faveur de l'allaitement dès la naissance, de la tétée à la demande, du sevrage assez tardif prenant en compte l'évolution spontanée de l'enfant et l'apparition éventuelle d'une nouvelle grossesse, du sommeil partagé mère-enfant (l'écrasement a été le fait de nourrice salariées imprudentes), de la musique pour l'endormissement, des promenades au grand air, et surtout, de la gaieté. Le baron insiste également pour que les enfants ne soient pas battus, brutalisés, voire contrariés (« La tournure de l'humeur et du caractère dépend souvent de ces commencements »), sinon avec beaucoup de douceur et de précautions. Enfin, il faut éviter, en toute circonstance, de faire peur aux enfants (« L'esprit et la santé en dépendent »).


§. IV.

Du régime des enfants et de la manière de les gouverner.

Plus on se rapprochera de la nature et plus nous aurons d'hommes.

Aussitôt que l'enfant sera nettoyé et mis dans son sac, on le laissera sur un oreiller près le feu, couché sur le côté, jusqu'à ce qu'on ait arrangé la mère dans son lit : on le lui donnera ensuite, et ils reposeront tous les deux.

Quand l'enfant demandera à téter, sa mère lui présentera le sein. On commence à revenir de l'erreur l'on était, en laissant les enfants vingt-quatre heures sans téter, sous prétexte que le lait de la mère n'est point encore monté. Ce lait séreux qui abonde dans les mamelles dès le temps de l'accouchement et même auparavant, est un petit lait purgatif propre à chasser le meconium (matière noire, que les enfants, rendent après qu'ils sont nés ) et les phlegmes, et à apaiser les tranchées. Ce n'est point à l'enfant seul que la mère fait du bien, en lui donnant ce lait purgatif, elle s'épargne le gonflement des mamelles et la peine que le nouveau-né aurait à sucer le mamelon vingt-quatre ou trente-six heures après sa naissance.

Si la mère ne veut point absolument remplir le devoir tendre que ce nom lui impose, si elle refuse de nourrir, on fera prendre à l'enfant, après l'avoir la, de l'eau sucrée. S'il ne rejetait point son meconium, et qu'il eût des tranchées , on lui donnerait une once de sirop de chicorée composé, mêlé avec égale quantité d'eau, qu'il boirait à différentes reprises dans vingt-quatre heures ; après ce temps on lui présentera le sein de la nourrice qu'on lui destine. On ferait bien de donner à la nourrice, pendant quelques jours des aliments rafraîchissants et humectants, pour ôter de la consistance de son lait, et le rapprocher davantage de la délicatesse des
organes du petit élève.

L'enfant ne doit prendre, pour toute nourriture, que le lait de sa mère, jusqu'à ce qu'il soit assez fort pour avoir besoin d'aliments étrangers ; la femme qui a le moins de lait, en fournit, assez pendant six semaines, pour alimenter son nourrisson.

Nous répéterons encore ici, que c'est mal-à-propos que l'on croie que, quand l'enfant rejette le lait, c'est une preuve qu'il en a trop pris, et que cette surabondance affaiblit son petit estomac et lui cause des indigestions : l'expérience prouve qu'il se porte beaucoup mieux quand on le laisse s'en gorger ; mais aussi, si l'on ne lui refuse point le mamelon, on ne doit pas l'engager à le prendre quand il ne le veut plus.

Il n'est pas à propos davantage de vouloir régler les enfants dans leurs repas ; l'aliment dont ils se nourrissent est léger et de facile digestion ; leurs estomacs sont plus chauds que les nôtres, leurs besoins renaissent plus souvent : qu'on lise l'Aphorisme 13 d’Hippocrate, section première. Qu'on ne croie pas qu'une mère soit plus incommodée pendant la nuit, parce que les repas de son enfant ne sont point fixés : j'ai peu vu d'enfants bien portants se réveiller plus d'une fois durant la nuit, et j'en ai vu beaucoup qui ne font qu'un sommeil depuis le soir jusqu'au matin. Les enfants, au contraire, auxquels on refuse le sein quand ils le demandent, sont plus sujets à crier que les autres.

La meilleure nourriture que l'on puisse donner pour seconder le lait de la mère, est une panade, faite avec de la mie de pain de froment bien cuite, que l'on émiette très fin entre les mains, et que l'on fait bouillir dans l'eau avec un seul grain de sel, et gros de beurre comme l'extrémité du petit doigt. On peut encore faire bouillir ce pain émietté avec du lait : on tient cette panade fort claire, quelques-uns même conseillent de la passer au tamis. Cette précaution n'est utile que dans le cas l'enfant serait très délicat. Je permets encore qu'on fasse bouillir le pain émietté dans le bouillon gras : mais je ne suis point d'avis que l'on donne des aliments solides avant un an, et l'on ne doit encore n'y accoutumer les enfants que par degrés. Je préfère en général les légumes à la viande : les fruits murs et sans acide, ne sont pas mauvais.
 


§. V.

Du temps de sevrer les enfants : et autres remarques.

 

La meilleure méthode est d'attendre qu'un enfant quitte mamelle de lui-même.

J'aime à voir qu'un enfant se sèvre de lui-même, il le fait, ordinairement à deux ou deux ans et demi. Je suis bien éloigné de penser que celui qui tète longtemps, reste stupide et bête ; j'ai remarqué, au contraire, que la santé des enfants est meilleure. Et comme on sait que, lorsque nos esprits vitaux sont altérés, notre esprit s'en ressent ; par conséquent les enfants bien nourris auront plus d'esprit que les autres. Le bien que l'enfant en retire reflue sur la mère ; car de même qu'il quitte le téton peu-à-peu, de même le lait se dissipe par degrés, sans que la femme s'en aperçoive, et sans qu'elle ait besoin ensuite de prendre des précautions pour le faire passer ; elle prendra seulement la verrée laxative, n° 3. Personne n'ignore, au surplus, que la mère qui veut sevrer son enfant doit prendre les mêmes précautions, à peu de choses près, que si elle n'avait point nourri ; et particulièrement elle doit éviter le froid.  

Une mère nourrice ne devient point ordinairement grosse avant un an ; l'enfant de cet âge est fort ; et le fœtus ne pouvant encore consommer à lui seul, tout le lait qui se porte aux mamelles de la mère, laisse au premier la liberté de téter pendant quatre ou cinq mois. Ce qu'il y a d'admirable, c'est que, quand il ne se fait plus une égale sécrétion de lait, dans le cas de la grossesse, ce liquide perd de sa qualité, et cette altération jointe à la peine que l'enfant trouve à sucer le sein de sa mère, servent à l'en éloigner insensiblement. Si la grossesse a lieu, on ne se purgera point, quand l'enfant ne tétera plus, à moins qu'il n'y ait quelque indication de le faire. (...)

Nous ferons-ici une observation essentielle. Un enfant n'est jamais mieux couché qu'avec sa mère, et c'est faussement que l'on croie qu'elle peut l'écraser : ce malheur n'est arrivé qu'à des nourrices mercenaires. La chaleur naturelle d'une mère est meilleure que l'on puisse procurer à son enfant. L'on ne croirait pas combien ces petites choses , qui ne paraissent rien dans la manière d'élever les enfants, influent en bien sur leur tempérament. Au surplus, les mères qui ne seront point rassurées ou convaincues par ce que je viens de dire, les mettront dans un berceau garni d'un sommier de crin, ou de mousse, ou de balle d'avoine ; ils ne doivent point avoir d'autre lit jusqu'à l'âge de puberté. Ce berceau doit être sous les rideaux et au niveau du lit de la mère, pour que celle-ci ne se blesse point, ni ne blesse son enfant en le prenant pour le faire tirer. 
 
On placera le berceau de l'enfant de manière qu'il voie le jour en face, et jamais de côté, ni en arrière, de peur qu'il ne louche.

On portera l'enfant à la promenade, dans le berceau de carton que nous avons conseillé au § 2 : ce n'est que jusqu'au temps qu'il commencera à marcher.


On ne doit point bercer un enfant ; cette méthode le fait vomir, en troublant la digestion ; le roulis d'un vaisseau et le cahotement d'une voiture en donnent tous les jours des exemples. Un enfant qui se porte bien, qui ne manque point de nourriture, ne crie presque jamais, et dort avec plaisir, sans qu'il soit besoin de l'y inviter : d'un autre côté, il n'est guère possible de commander au sommeil, quand Morphée refuse de verser sur les yeux ses sucs assoupissants ; c'est ce qu'on voit tous les jours, les enfants crient, on les berce, et il semble qu'ils ne crient encore qu'avec plus de violence. Au surplus, rien ne contribue mieux à les endormir qu'un air de serinette. C'est un instrument dont tour le monde peut jouer, et qui n'est point dispendieux. Enfin on doit avoir attention de ne coucher les enfants qu'après les avoir fait manger. 


Serinette      


Le bon air est aussi utile aux enfants que le sommeil et la bonne nourriture : j'ai rendu la santé à plusieurs et même à des adultes, en les envoyant le matin se promener au Luxembourg, principalement quand les arbres sont en fleurs. Je ne trouve rien de plus fortifiant pour les convalescents et les personnes qui vivent de régime, que le baume que ces fleurs répandent dans l'atmosphère.

La gaieté est encore nécessaire aux enfants. Ne les voyons-nous pas se mouvoir naturellement, lorsqu'ils entendent chanter ou jouer de quelque instrument ? On sait que la musique est souvent un remède salutaire, et d'autant meilleur, qu'il est naturel et que nos sens le chérissent

On ne doit ni battre ni brutaliser les enfants ; car c'est être moins fourni qu'eux en raison. II ne faut même jamais les contrarier ; ou si l'on est obli de le faire, que ce soit au moins avec tant de douceur et de précautions que les contrariétés ne leur soient point sensibles. La tournure de l'humeur et du caractère dépend souvent de ces commencements.

On ne doit jamais faire peur aux enfants, soit pour plaisanter, soit pour leur faire passer le hoquet, soit pour les intimider. L'esprit et la santé en dépendent. Je ferais un livre des suites fâcheuses de telles inconséquences.
  


Référence

Guillaume-René Le Fébure, Le manuel des femmes enceintes, de celles qui sont en couches et des mères qui veulent nourrir, J.-F. Bastien, Paris, 1777, p. 197 sq. L'orthographe a été modernisée par l'auteur de ce blog.