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mardi 4 juin 2019

L'œuvre de la justice, de la miséricorde et de la bonté de Dieu dans les créatures, selon S. Thomas d'Aquin



Estampe n°17 de la Vita D. Thomae Aquinatis, de Otto van Veen
 Concernant la troisième [objection] il faut dire qu’à chacun est dû ce qui lui appartient. Or, on dit qu’appartient à quelque chose ce qui est ordonné à son intention ; comme l’esclave est [ordonné] au maître, et non l’inverse ; en effet est libre ce qui est cause de soi. Par conséquent, dans la notion de « dû », on considère le certain ordre d’exigence ou de nécessité de quelque chose à l’égard de ce à quoi elle est ordonnée. Or, il existe, dans les choses, un ordre double qu’il faut considérer. L’un [est celui] par lequel quelque chose de créé est ordonné à quelqu’autre créature : comme les parties sont ordonnées au tout, l’accident à la substance, et une chose quelconque à sa fin. L’autre ordre [est celui] par lequel toutes les choses créées sont ordonnées à Dieu. Ainsi donc, dans l’œuvre de Dieu, le dû peut-être considéré de deux manières : soit en ce que quelque chose est dû à Dieu ; soit en ce que quelque chose est dû à une [autre] chose créée. Et de ces deux manières, Dieu accorde ce qui est dû. En effet, il est dû à Dieu que soit réalisé dans les choses ce que conçoit Sa sagesse et Sa volonté, et ce qui manifeste Sa bonté : et en cela, la justice de Dieu regarde Son honneur (decentia), selon lequel Il S’accorde à Lui-même ce qui Lui est proprement dû. D’autre part, il est dû à une chose créée d’avoir ce qui lui est ordonné : comme à l’homme [est dû] d’avoir des mains et d’être servi par les autres animaux. Et ainsi également Dieu met en œuvre la justice quand Il donne à chacun ce qui lui est dû en raison de sa nature et de sa condition. Mais ce dû dépend du premier : parce qu’il est dû à chacun ce qui lui est ordonné selon l’ordre de la sagesse divine. Et bien que Dieu, de cette manière, donne à quelqu’un ce qui [lui] est dû, Il n’est pas, cependant, Lui-même débiteur : parce que Lui-même n’est pas ordonné aux autres, mais [ce sont] les autres, plutôt, [qui] Lui sont ordonnés. Et par conséquent, on dit tantôt que la justice est, en Dieu, ce qui convient [condecentia] à Sa bonté, tantôt [qu’elle est] la rétribution des mérites. Et Anselme signale ces deux points de vue, en disant : « Lorsque Tu punis les mauvais, c’est juste, parce que cela convient à leurs mérites ; mais lorsque Tu épargne les mauvais, c’est juste parce que cela convient à Ta bonté. »

Référence  

S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1ère partie, question 21, article 1, ad 3. Disponible, dans le latin original sur <http://www.corpusthomisticum.org/sth1015.html#29333>, consulté le 4 juin 2019.


Je réponds en disant qu’il est nécessaire qu’on trouve, en toute œuvre de Dieu, la miséricorde et la vérité ; si toutefois la miséricorde est prise au sens de supprimer la déficience de quelque chose ; quoique toute déficience ne puisse à proprement parler être considérée comme un malheur, mais seulement la déficience d’une nature rationnelle [=hommes ou anges] qui est susceptible d’être heureuse. En effet le malheur est le contraire du bonheur. Or cette raison de nécessité existe parce que, quoiqu’un dû qui est accordé conformément à la justice divine, soit dû ou à Dieu, ou à une créature, aucun des deux [attributs] ne peut être omis dans une œuvre de Dieu. En effet, Dieu ne peut faire quelque chose qui ne convienne à Sa sagesse et à Sa bonté ; c’est de cette façon, avons-nous dit, que quelque chose est dû à Dieu. Pareillement, quoi qu’Il fasse dans les choses créées, [Dieu] le fait d’une façon convenable à l’ordre et à la proportion ; c’est en cela que consiste la raison de justice. Et ainsi, il faut que la justice se rencontre en toute œuvre de Dieu. Or, l’œuvre de la justice divine présuppose toujours l’œuvre de la miséricorde et est fondée en elle. En effet, rien n’est dû à la créature, si ce n’est à cause de quelque chose qui préexiste en elle ou que l’on considère avant elle : et de nouveau, si cela est dû à la créature, cela le sera à cause de quelque chose d’antérieur. Et comme l’on ne peut continuer ainsi à l’infini, il faut qu’on en arrive à quelque chose qui dépende de la seule bonté de la volonté divine, qui est le terme ultime. Comme si nous disions que [le fait d’] avoir des mains est dû à l’homme à cause de [son] âme rationnelle ; que [le fait d’] avoir une âme rationnelle [est dû à ce même homme] pour qu’il soit un homme ; et que [le fait d'] être un homme [est dû] à cause de la bonté divine. Et ainsi, en toute œuvre de Dieu, comme à sa racine première, apparaît la miséricorde. Sa force [agissante] est sauvegardée dans toute les suites [qu’elle engendre] ; et elle agit même plus fortement en elles, tout comme la cause primaire influe plus fortement que la cause secondaire. Et à cause de cela, également, tout ce qui est due à une créature, Dieu, par l’abondance de sa bonté, le dispense plus largement que ne l’exige la proportion de la chose [créée]. En effet, ce qui suffirait à conserver l’ordre de la justice est moindre que ce que confère la bonté divine qui dépasse toute la proportion de la créature.

Référence  

S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1ère partie, question 21, article 4. Disponible, dans le latin original sur <


La traduction en version française est le fait de l'auteur de ce blogue.