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mardi 29 novembre 2011

Le col romain, selon R.A.S. Macalister, 1896.


[La version française du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]



Ce vêtement étant entièrement moderne, il est proprement en dehors de notre domaine. 

Il s’agit d’une imitation brodée du col de chemise rabattu du costume ordinaire. 

Sur les monuments médiévaux, la gorge du prêtre est exposée, comme l’est celle des membres actuels des ordres religieux les plus anciens. Des considérations de confort et d’image ont mené à l’adoption de ce col pour le clergé ordinaire. Il doit être « fait », dit Mme Doby, « d’une pièce parfaitement droite de lin fin ou de linon, » et, « bordée sur la partie retournée et le long ses courtes extrémités par un ourlet cousu avec soin d’un demi-pouce.

Déplié, une fois terminé, il est large de trois-quart de pouce ; le rabat ne doit pas être plus profond que d’un pouce et demi... 

Le col romain porté par un évêque est violet, celui d’un cardinal est écarlate.

Référence.

R.A.S. MACALISTER, Ecclesiastical Vestments. Their Development and History, The Camden Library, Elliot Stock, Londres, 1896, p. 148-149.

samedi 26 novembre 2011

L'habit ecclésiastique selon F. E. BRIGHTMAN, 1912


[Le texte suivant présente une histoire de l'habit ecclésiastique, d'un point de vue anglais. L'évolution décrite est valable pour toute l'Europe, jusqu'au moment de la séparation, au XVIe siècle, de l'Église romaine et de l'Église anglicane. Le Continent auquel il est fait allusion dans le texte est l'Europe continentale, par opposition aux Îles Britanniques. La version français du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]

L’habit quotidien du clergé a été le sujet d’une longue série d’actes juridiques, depuis la fin du VIe siècle, et notamment du canon 16 du IVe Concile du Latran en 1215 (qui est incorporé dans les Décrétales, III., i. 15), en Angleterre, des Constitutions d’Othon (1287) et d’Ottobon (1268), et des canons de 1460, 1463 et 1604 ; à cela s’ajoutent les statuts des Universités et des Collèges qui règlent l’habit universitaire, et toutes les règles qui gouvernent l’habit judiciaire anglais, statuts et règles qui sont des variétés du costume ecclésiastique traditionnel de l’Occident. Ces actes juridiques tendent à être plus négatifs que positifs, prohibant la gaieté, le luxe, la cherté et la conformité avec les modes séculières courantes ; elles supposent plutôt qu’elles ne décrivent explicitement ce qui devait être porté. Mais certains principes émergent ; en particulier, les vêtements doivent être longs (talaris), amples, fermés, c’est-à-dire non-ouverts sur le devant, d’une seule couleur, qui ne doit être ni le vert ni le rouge.

L’habit ecclésiastique provient du costume romain du IVe siècle, la tunica et la pænula, qui, à travers le changement des modes séculières et l’adoption d’un nouveau type de costume par les laïcs, est devenu le propre des ecclésiastiques, et s’est alors scindé et développé selon deux orientations, l’une étant celle des vêtements liturgiques [ornements], l’autre celle de l’habit ecclésiastique quotidien. Par conséquent, au IXe siècle, nous voyons le clergé porter ordinairement l’aube ou tunique et la cappa, la chasuble pleine, avec (plus tardivement, si ce n’est déjà à cette époque) des fentes latérales, au travers desquelles passaient les bras ; du IXe au XIe siècle, on exigea des prêtres qu’ils portassent toujours l’étole

Au XIVe siècle, et sans doute un ou deux siècle auparavant, l’habit ecclésiastique complet consistait en une tunique du dessous (subtunica, la soutane), une tunique du dessus (supertunica, la robe), et un capuchon (caputium), c’est-à-dire une cape et une coiffe avec un « bec » allongé (liripipium, cornette).

Les bénéficiers, les dignités et les diplômés portaient une robe et un capuchon doublé de fourrure, et plus tard, en été, de soie ; entre la robe et le capuchon, ils portaient un « habit », soit une cappa, avec deux fentes latérales (chimæra, chamarre) ; ou une simple fente centrale pour y passer les bras ; ou un tabard, une tunique avec de courtes manches en pointe ; ou, surtout s’ils étaient juristes, un manteau (armilausa), attaché sur l’épaule droite ; les dignités et les docteurs ajoutaient un bonnet, qui, étant à l’origine, semble-t-il, une calotte lâche retournée sur le bord, prit une forme différente dans certains pays, évoluant comme un fez en France et en Italie, demeurant une calotte en Angleterre ; les plus grands parmi les juristes portaient une coiffe, un bonnet de lin attaché sous le menton. Les évêques portaient un rochet de lin sur la robe et sous la cappa.

Ce cardinal porte la soutane rouge (subtunica, ou tunique de dessous), le rochet blanc, issu de l'aube , la cappa magna ou chape prélatice rouge, le chaperon de fourrure blanche dont on ne voit que la petite cape, avec le capuchon caché derrière le cou, la barrette rouge (à la main) et la calotte rouge (sur la tête).
Dans la seconde moitié du XVe siècle, des changements intervinrent. La tunique du dessus ou robe fut fendue sur le devant, et les manches furent souvent élargies ; le capuchon, au lieu d’être porté, fut soit jeté lâchement sur une épaule, soit mis à l’équerre [squared], comme on le dit encore à Cambridge, c’est-à-dire posée sur les épaules, la pointe tombant sur l’une, la cape sur l’autre ; ou bien, comme le capuchon séculier, il fut transformé en chaperon, avec une pointe flottante ; ainsi, la pointe fut détachée et devint la cornette ou écharpe ; la calotte développa quatre coins, sans aucun doute, de façon accidentelle, tout simplement parce qu’elle était faite de quatre pièces ; ce bonnet carré était porté par tous les ecclésiastiques vers le milieu du XVIe siècle. En outre, dans la première moitié du XVIe siècle, le tabard, et, sauf pour les juristes, le manteau disparut ; la cappa tomba en désuétude sauf à l’université et pour les évêques ; les évêques fendirent les deux formes de cappa par le devant ; de là viennent la chamarre ouverte et la « robe parlementaire ». Les évêques anglais retournèrent également les manches de leur robe fourrée pour en faire un revers sur les manches de leur rochet. De plus, l’ancienne variété des couleurs disparut, en général, sauf pour les diplômés de l’université et dans les circonstances officielles ; le noir les remplaça toutes. Cela était acquis en Angleterre, mais fut promu sur le Continent dans la seconde moitié du XVIe siècle. Ainsi, au milieu du XVIe siècle, l’habit ecclésiastique ordinaire est celui dépeint sur la page de titre de la Grande Bible de 1539 et sur le grand portrait de Cranmer de la National Portrait Gallery. Ce costume traditionnel est imposé par la XIIIe Ordonnance de 1559.

Pierre de la Ramée (1515-1572) porte la robe de Genève ou robe académique. Autour du cou, il porte la cornette noire. Gravure du Musée du Protestantisme.
Mais, entre temps, il avait été abandonné à Genève, et la robe laïque, avec ses « fausses » manches et la toque [bonnet] ronde avaient été adoptées ; les exilés de retour et le parti puritain affectèrent ce costume, qui fut également adopté par les facultés laïques de droit et de médecine des universités. Un des aspects du problème vestimentaire [« vestiarian »] du règne d’Élisabeth [Ière] fut l’imposition de l’habit traditionnel à l’encontre de la mode genevoise.

L'évêque anglican William Howley (1746-1848) porte la soutane (invisible ici), le rochet blanc avec manchettes noires et ruchés blancs, la chamarre noire,  la cornette noire, reliquat du chaperon, le rabat blanc et la perruque blanche
Un chapitre des Advertisements (cf.) de 1566 est consacré à ce thème ; le dernier acte juridique qui règle l’habit du clergé est le 74e Canon de 1604, qui exige que les évêques portent leur appareil habituel qui est le rochet, la chamarre, la cornette, et le bonnet [cap] ; que les dignités et bénéficiers portent la soutane, la robe, le chaperon ou la cornette et le bonnet ; de même que tous les autres clercs qui, eux, ne portent pas la cornette. Mais il y eut d’autres changement de forme. Le Canon 74 exige que les manches des robes soient soit « étroites » aux poignets, soit larges. La manche large est ordinairement en forme de cloche et attachée à l’épaule ; les manches « étroites » étaient soit des manches fermées ordinaires, un peu bouffantes aux épaules, à cet époque, soit de pleines manches « ballonantes » attachées aux épaules et de nouveau au poignet ; par conséquent les deux formes étaient bien trop longues, et c’est ainsi qu’une ouverture fut pratiquée au niveau du coude afin que le bras passât à travers l’ouverture, laissant la manche tomber à partir du coude ; c’est de là qu’est venue la manche moderne des Maîtres ès Arts [M.A.] des universités ; dans la seconde forme, la manchette fut relevée le long du bras [was pushed up the arm] et cela eut pour résultat la manche « pudding ».

Dans la seconde partie du XVIe siècle, le capuchon, quand il ne fut pas remplacé par la cornette, était encore « enfilé » et non pas jeté sur les épaules ; mais il était grandement élargi, et ainsi, tombait en bas du dos ; bien qu’il fût raccourci sur le devant, il resta ainsi tout au long du XVIIe siècle ; mais, avec l’apparition des perruques au XVIIIe siècle, il fut fendue sur le devant et on y inséra un ruban, de manière à ce qu’il pendît entièrement dans le dos. Après la Restauration [anglaise], on oublia la nature du capuchon et de la cornette, et l’on en vint à les utiliser toutes deux, sauf les docteurs en robe d’apparat et les évêques jusqu’à S. Wilberforce, qui initia la mode de porter le capuchon sur la chamarre noire. Mais le port du capuchon dans la vie quotidienne semble avoir été remplacé par celui de la cornette depuis la fin du XVIe siècle ; et vers la fin du XVIIIe siècle, la cornette elle-même semble être tombée en désuétude, sauf à l’église, pour tous, à l’exception des docteurs et des chapelains.

Linus Pauling porte le "motorboard" et la robe académique, 1922.
Entre temps, le bonnet carré accentua son caractère quatrangulaire : vers 1640 environ, il était devenu, sur le Continent, la barrette moderne ; en Angleterre, il prit une forme plus souple et élégante. Mais ici, comme ailleurs, il était porté sur une calotte ; le « mortier [mortarboard] » de la fin du XVIIe siècle semble combiner en une seule pièce le bonnet carré et la calotte. Durant le règne d’Élisabeth [Ière], le clergé portait la fraise en vogue autour du cou et des poignets. Par conséquent un ruché apparut en dessous de la manchette blanche du rochet ; la manchette rouge portée maintenant avec la chamarre rouge, est une pure folie, à moins que le prélat ne soit un Docteur en Droit Civil [D.C.L.] d’Oxford, peut-être inventée par Wilberforce. La fraise laissa la place au col carré vers 1640, et celui-ci fut graduellement réduit jusqu’à ce qu’il devienne le « rabat » vers 1730 environ.

Les évêques abandonnèrent apparemment le port du rochet et de la chamarre en tant que costume ordinaire après la Grande Rébellion, et adoptèrent l’habit ecclésiastique ordinaire dont le port se poursuivit jusqu’au XVIIIe siècle tardif, lorsque les évêques et les hauts dignités adoptèrent la soutane courte (« tablier » [apron]) sous un manteau, tandis que le clergé adoptait, généralement, l’habit professionnel, commun avec celui des docteurs et des juristes, qui est noir avec une cravate [neckcloth] blanche, à laquelle, plus tard et en certains cas, fut ajouté le col « montant » [« stand-up »]. Vers le milieu du XIXe siècle, on en vint à porter le gilet uni [plain] M.B. [Mark of the Beast], et quelque temps plus tard, le col romain.

Concernant les cheveux et la pilosité du visage (sauf la tonsure qui était tombée en désuétude, en Angleterre, à partir du XVIe siècle), le clergé a suivi les modes séculières, bien que de façon quelque peu tardive par rapport au reste de la société. Ils gardèrent leurs cheveux longs après 1650 environ, et adoptèrent la perruque dans le premier XVIIIe siècle ; en Angleterre au moins, ils la conservèrent, dans certains cas, jusqu’après le milieu du XIXe siècle. Regardant la pilosité du visage, ils étaient, au Moyen Âge, généralement imberbes, mais parfois ils portaient la barbe et la moustache ; cela devint général vers 1530, et dura jusque vers 1620, lorsque la moustache et l’ « impériale » l’emportèrent et durèrent jusque vers 1700 ; de nouveau, ils redevinrent imberbes et ce, jusqu’au milieu du XIXe siècle, après quoi, en Angleterre, ils continuèrent à suivre la mode séculière, qui n’exige plus désormais d’uniformité ; ils font donc selon leur complaisance.

Référence.

F. E. BRIGHTMAN, « Dress of the Clergy [L’habit ecclésiastique] », dans S.L. OLLARD (dir.), Gordon CROSS, (dir.), A Dictionary of English Church History, A. R. Mowbray & Co., Londres, Oxford, Milwaukee, 1912, p. 181-183.

vendredi 18 novembre 2011

Traumatisme et « mauvaise rencontre »


A) Lacan qualifie le trauma de « mauvaise rencontre » entre le sujet et le réel traumatique.

Le trauma se situe à trois niveaux : 

- le réel : le choc traumatique ;
- l’imaginaire : le destin du trauma dans l’imaginaire ;
- le symbolique : qui noue les deux autres dimensions, à travers le langage et échoue à le faire.

(…) Le premier trauma qui se situe dans les premiers temps de la vie, est représenté par l’expérience d’effroi, quand l’objet vient à manquer, « l’excitation la plus douloureuse que puisse connaître cet appareil primitif » (Dorey, 1983).

(…) Cette expérience ne sera l’objet d’aucun investissement, en raison du déplaisir qu’elle comporte : le représentant psychique correspondant n’accédera jamais à la conscience, elle en laissera qu’une trace psychique douloureuse, une réalité irreprésentable.

Avec l’affect d’effroi, c’est l’expérience de solitude absolue, de rupture de tous les liens communautaires et culturels qui caractérise le traumatisme psychique. (Barrois, 1988).

Le trauma constitue une confrontation avec la mort que certains sujets ne pourront intégrer.

Les troubles qui en découleront peuvent être interprétés comme « une conséquence directe de l’angoisse pour la vie ou angoisse de mort... » (Freud, 1926)

« Il s’agit d’une menace qui concerne non seulement la vie du sujet en tant qu’être vivant, mais également sa vie psychique avec un risque d’effondrement, d’anéantissement. » (Chabee-Simper, 1999)

« Le trauma psychique et par suite son souvenir, agissent à la manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue de jouer un rôle actif » (Freud et Breuer, 1892). Même dénié ou refoulé, il continue à être agissant et peut resurgir ultérieurement, à l’identique, comme si c’était hier ».


Référence.

Éliane Ferragut, Émotion et traumatisme: le corps et la parole, Masson, Paris, 2005, p. 78-79.


B) Le traumatisme de par sa soudaineté et l’importance de l’excitation qui y est liée, de même que du fait de l’impossibilité à y répondre, à s’en protéger, provoque une véritable effraction. Le sujet se retrouve nez à nez avec l’impensable. C’est en ce sens que Jacques Lacan élabore cette question. Le traumatisme serait plus particulièrement une rencontre non manquée avec le réel, qui se dérobe devant le sujet. Ce dernier à défaut de fantasme ne peut se protéger. (…) De là, on peut penser qu’une partie de ce qui est vécu échappe au processus de symbolisation et donc au langage. Se déroule alors un court circuit du signifiant, du fait de la rencontre avec le vide

(…) Sigmund Freud notait dans Introduction à la psychanalyse (2001) « les malades nous laissent l’impression d’être pour ainsi dire fixés à un fragment de leur passé et ne pouvoir s’en dégager, d’être par conséquent étranger au présent et au futur ». N’est-ce pas ainsi, ce que l’on retrouve par rapport à ce voile posé sur son passé, à ce retour perpétuel du même, (...) figeant à ce moment traumatique, mais aussi ce que l’on observe dans (…) [l’] impossibilité à se projeter dans l’avenir ? (…) [La] vie semble non plus se dérouler sur un mode linéaire, mais circulaire dans ce retour intrusif du passé.


Référence.

C. Vrignaud, « La mauvaise rencontre ou le face à face avec l’impensable: clinique de la violence intentionnelle », Journal International De Victimologie, tome 6, n°2, janvier 2008, p. 146.


C) (…) le traumatisme n'est pathogène que dans l'après-coup. Il faut donc un second traumatisme pour révéler le premier, souvent resté invisible jusque-là. Il ne faut pas oublier non plus que la longueur du développement du psychisme humain rend possible un grand nombre de micro-traumatismes, de traumatismes cumulatifs, dont la somme est plus pathogène qu'un seul traumatisme évident.

(…) l'effraction des filtres psychiques que Freud appelait le pare-excitations, le débordement économique au moment du trauma, créent une lacune dans le psychisme. Cela se traduit par des phénomènes d'hallucination négative, de clivage défensif ou de déni, lesquels masquent souvent le véritable contenu du trauma, dont seule la compulsion de répétition peut faire entrevoir l'origine. Comme si les seules traces du trauma étaient le trou qu'il a laissé dans la psyché.

Mais comme si cela ne suffisait pas, il faut ajouter que le trauma peut aussi venir de l'intérieur, lorsque le sujet attend une expérience que son entourage ne peut lui fournir. Ce peut être une carence criante de l'environnement ; mais ce peut être aussi une défaillance relative à la constitution particulière du sujet, qui exige des rencontres qui ne sont pas possibles dans son contexte familial, par ailleurs pas forcément si pathologique. Ce sont ces traumas-là qui ont été évoqués dans mon titre sous le terme de traumatismes « par manque de réalité ».

L'événement traumatique en lui-même, du fait de ses conditions d'inscription dans la mémoire, est mal représenté. Les traces mnésiques font l'objet d'un effacement, et lorsqu'elles font retour, elles se situent dans un no-man's-land, une réalité dont on ne sait si elle est intérieure, de l'ordre de la réalité psychique, ou extérieure, de l'ordre de la réalité historique (réalité qu'on a coutume d'appeler réalité extérieure, mais il n'est pas toujours aisé de déceler ce qui appartient au matériel, à la vision de l'événement par l'entourage, ou aux normes éducatives en cours).

(…) Un indice de la réalité des faits peut être fourni par la force de la répétition (tous les jours), mais la seule réalité vraiment certaine, c'est celle de la mauvaise rencontre psychique. Et encore, le vrai traumatisme est toujours comme la forêt cachée par l'arbre invoqué par le patient : (…).

L'absence de préparation, de représentation concernant la situation traumatique, confronte le sujet à une perte de son emprise narcissique sur le monde extérieur, sur le monde des objets. La compulsion de répétition est une façon de tenter, comme dans le jeu répétitif de l'enfant à la bobine (dans l'Au-delà du principe de plaisir, en 1920), de rétablir cette emprise par la mise en scène du trauma, d'où les rêves répétitifs des névroses traumatiques.

(…) Dans la mélancolie aussi, l'objet perdu (dont la perte constitue un trauma) est irreprésentable. Le sujet ne sait pas ce qu'il perd en l'objet, et le deuil ne peut pas être fait parce qu'il est mal représenté, dit Freud dans Deuil et mélancolie. Par cette lacune, se produit une hémorragie de la libido. L'ombre de l'objet qui retombe sur le moi, libérant la pulsion de mort, est une trace mal élaborée d'un objet narcissique mal distingué du Moi, dont le deuil est par conséquent impossible. Surtout, comme dans le trauma, cette perte et sa cause sont souvent invisibles au sujet lui-même, ou bien il invoque des causes visibles qui masquent les plus profondes, laissant place à la psychologie simpliste du stress et de la causalité strictement génétique.

(…) derrière la perte d'un objet actuel, souvent assez inconsistant car choisi pour sa valeur de soutien narcissique plutôt que pour lui-même, se cache l'ombre d'un objet primitif qui a entravé sa représentation, et dont le procès retombe sur le Moi dans la mélancolie. Cet objet primitif est un de ceux qui sont significatifs de l'histoire du sujet, de ceux qui sont nécessaires pour que le sujet, enfant, puisse parvenir à une représentation de son roman familial, de son identité, et de ces liens fondamentaux que forment la mère et l'enfant, le désir et le couple parental, ou l'identification au tiers paternel. Mais ce traumatisme primaire est difficile à retrouver, car il est pris dans l'hallucination négative, le déni et le blanc de l'irreprésentable.

(…) Avec cette idée d'une partie de la réalité psychique du sujet qui lui manque, et ne peut être expérimentée par lui dans les années où elle lui serait nécessaire pour son développement psychique, nous en arrivons à la notion énigmatique que j'avais annoncée dans mon titre : les traumatismes par manque de réalité. (...)

Il s'agit d'une réalité psychique qui n'a pu se construire, à cause d'un manque dans la réalité extérieure, dans l'environnement du sujet. De ce fait, le sujet ne peut affronter certaines situations, ni développer des capacités qu'il a potentiellement en lui. La théorie du développement de l'enfant de Winnicott nous permet de le comprendre : l'objet doit être présent dans la réalité, et présenté à l'enfant au moment où celui-ci en a besoin. Mais, bien que ce soit un objet réel, il n'est dans un premier temps pour l'enfant que l'illusion de l'avoir créé lui-même : l'équivalent de sa propre réalité psychique, et son support.

Cet objet, dans l'aire de l'illusion, est donc à la fois de l'ordre de la réalité matérielle et de la réalité psychique : il fait partie de l'aire intermédiaire, où le jeu permet d'accéder à l'emprise sur la représentation, et par là sur l'objet pulsionnel. Un objet-jeu, un objet-fantasme. On comprend qu'en l'absence de certaines expériences objectales, l'enfant ne puisse parvenir à la représentation de fantasmes fondamentaux, ce qui, pour les fantasmes originaires structurants, constitue un traumatisme grave bien qu'en négatif, totalement invisible.

(…) Dans La crainte de l'effondrement, Winnicott a des formules saisissantes pour parler du traumatisme qui n'a pas pu être intégré, car il s'est produit à une époque ou dans un état où le sujet n'existait pas, où l'expérience ne pouvait pas être recueillie dans un présent identifiable comme tel. Il parle aussi du traumatisme négatif par carence d'une expérience qui aurait dû se réaliser. L'effondrement, la crainte de la mort, le vide, nous dit-il « remontent au temps qui précédait l'avènement de la maturité nécessaire pour en faire l'épreuve. Pour le comprendre, ce n'est pas au traumatisme qu'il faut penser, mais au fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne s'est produit. Il est plus facile pour un patient de se souvenir d'un traumatisme que de se souvenir que rien ne s'est produit à la place de quelque chose. »


Référence.

François Duparc, « Des traumatismes invisibles ou Par manque de réalité », Introduction à la psychanalyse de l’adulte, Programme 2001-2002. « Réalité, trauma, fantasme » (programme établi par François Sacco), Société psychanalytique de Paris.

L'aube liturgique selon J. Walsh, 1909


 [La version française du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]


Qu’est ce que l’aube ?

C’est un vêtement de lin blanc, aux manches étroitement ajustées, touchant presque le sol et maintenu à la taille par une ceinture.

Sous quels noms est-elle connue ?

Dans le passé, elle été connue sous des noms divers : tunica linea (tunique de lin) à cause de sa matière, tunica talaris et talaris (tunique talaire) de tali (talons) car elle va jusqu’aux pieds ; camisia (chemise) à cause de la nature de ce vêtement similaire à celle de la chemise ; alba (blanc), à cause de sa couleur ; alba romana (aube romaine) afin de la distinguer des tuniques plus courte en faveur en dehors de Rome

Quel est le nom unique qui survit aujourd’hui ?

Le nom « aube » ou alba (blanc) est presque le seul à survivre aujourd’hui

Existe-t-il une différence entre l’aube liturgique et les albæ vestes (vêtements blancs) des écrivains médiévaux ?

L’aube est ordinairement un vêtement ecclésiastique, bien que des laïcs en soient quelquefois revêtus dans les processions de la Fête-Dieu, notamment dans l’ancienne ville d’Aigues-Mortes, où des témoins en rapportent l’usage. Les albæ vestes sont, cependant, les vêtements blancs pris par les nouveaux-baptisés du Samedi Saint et sont portés jusqu’au dimanche de Quasimodo [Octave de Pâques], qui est connu, par conséquent, comme le dimanche in albis (deponendis), le dimanche (de l’abandon) des vêtements blancs. Il est possible que notre White Sunday [Dimanche Blanc anglo-saxon], le dimanche après les baptêmes de la Pentecôte, tienne son nom d’une pratique similaire. Ces vêtements étaient également appelés « chrismals ».

Quelle est l’origine de l’aube ?

Il est impossible de parler catégoriquement de l’origine de ce vêtement. Les liturgistes médiévaux qui soutenaient l’origine mosaïque des vêtements [liturgiques] imaginèrent trouver son équivalent dans le khetonet, une tunique de lin blanc évoquée dans le livre de l’Exode, chap. 28, v. 39. Mais une tunique de lin blanc faisait également partie du costume ordinaire des Romains et des Grecs sous l’Empire, et les auteurs les plus récents, comme Duchesne et Braun, pensent qu’il est inutile d’aller plus loin pour trouver l’origine de l’aube.

Où la trouve-t-on mentionnée pour la première fois comme un article du costume ordinaire ?

Dans un passage de Trebellius Pollio, qui évoque une alba subserica (une aube moitié en soie) mentionnée dans une lettre envoyée par Valérien à Zosime, procurateur de Syrie (260-270).

Quels étaient sa forme et son usage dans la vie quotidienne des citoyens romains ?

Parmi les vêtements portés quotidiennement par le citoyen romain, celui du dessous est la tunica talaris (tunique talaire) ou tunique longue. Elle était blanche et habituellement de laine. Elle était appelée talaris, ou longue, car étant une aube de cérémonie, on la distinguait de la tunique courte, utilisée lorsqu’un effort actif demandait plus de liberté. Les tuniques des sénateurs et des chevaliers étaient distinguées par deux bandes de pourpre, larges dans le premier cas (lati clavi), étroites dans le second (angusti clavi) qui traversaient chaque épaule, et descendaient devant et derrière aussi loin que le bas du vêtement.

La tunique était, à l’origine, un vêtement sans manche. Une époque plus luxueuse introduisit une nouvelle forme de tunique garnie de manches. L’ancienne tunique ou tunique sans manche fut appelée colobium, forme latinisée de l’adjectif grec signifiant « écourté » ou « réduit ». La tunique à manches fut nommée tunica mancata (tunique à manches longues) ou tunica dalmatica (tunique dalmacienne) du nom de la province de Dalmatie, à qui cette invention est attribuée.

Bien que l’usage de ce dernier vêtement, au début, ait été discrédité, car efféminé, il évinça, finalement, de la faveur populaire, son rival plus austère, car nous voyons, qu’en l’an 258, Saint Cyprien de Carthage portait une tunica dalmatica, avec au-dessus un byrrhus, ou manteau, lorsqu’il fut conduit au martyre. En une si grave crise, il est peu crédible que Cyprien ait porté un vêtement purement luxueux, comme il est peu crédible qu’il ait revêtu des vêtements ecclésiastiques.

Quelle comparaison peut-on faire entre l’aube liturgique et cette tunica dalmatica ?

Elle possède également des manches étroites descendant jusqu’au poignet. Les deux sont portées de la même façon, et descendent jusqu’au pied. Les fresques antiques représentent des ecclésiastiques qui portent des aubes ayant des ornements disposés comme les clavi (bandes) de la tunica talaris. Ces clavi, par leur largeur relative, distinguent les représentations du Christ de celles des Apôtres, et aident à différencier les figures d’ecclésiastiques de rangs différents.

Quand et par qui fut-elle retenue, pour la première fois, comme un vêtement pour la messe ?

Le pape Saint Sylvestre (253-257) ordonna, « que les diacres utilisent la dalmatica dans l’église, et que leurs mains gauches soient couvertes d’une étoffe [cloth] de laine et de lin mêlés » (Migne, Patrol., vol. 127, 1514). La couverture de la main gauche se réfère au manipule. Le pseudo-Alcuin nous dit que « l’usage des dalmaticæ (aubes à manches longues) fut institué par le pape Sylvestre, car, auparavant, on portait des colobiaMigne, vol. 101, 1243). Saint Isidore de Séville (560-636) s’y réfère également. (Migne, 82, 635). Les quatre premiers canons du concile de Carthage (400) ordonnent que le diacre porte une aube seulement « tempore oblationis tantum vel lectionis » (durant la messe ou la lecture liturgique). (Labbé, Sacrosancta Concilii (1671), vol. 2, col. 1203). Le premier concile de Narbonne (589) décrète que « ni le diacre, ni le sous-diacre, ni encore le lecteur ne se permettront de retirer leur aube jusqu’à ce que la messe soit terminée. » (Labbé, vol. 5, col. 1030)

Comment ce vêtement a-t-il varié dans son usage et dans sa forme ?

Jusqu’au milieu du XIIe siècle, tous les clercs portaient l’aube dans l’exercice de leurs fonctions sacrées, en assistant à la messe ou à un synode, et en portant la communion aux malades. Dans les monastères, non seulement les moines exerçant une fonction portaient l’aube, mais également ceux qui étaient assis dans les stalles. Depuis le XIIe siècle, le surplis a graduellement été substitué à l’aube, sauf pour le sous-diacre, le diacre, le prêtre et l’évêque en train de remplir leurs fonctions. À présent, elle est peu portée en dehors de la messe.

Dans la forme, le vêtement n’a pas changé, sauf dans l’élargissement ou le raccourcissement de ses dimensions latérales. Avant le IXe siècle, sa taille était généreuse, car par dessous, étaient portés la soutane et les vêtements intérieurs ; la soutane de cette époque était habituellement doublée de fourrure, ce qui faisait d’elle un vêtement lourd. On trouva, par expérience, que cette robe flottante, entravait sérieusement le prêtre dans certaines de ses fonctions, par exemple, l’administration du baptême par immersion. Une aube étroitement ajustée fut adoptée pour être utilisée en ces occasions, et cette aube de baptême devint l’origine de l’aube médiévale plus réduite dont l’usage général se répandit dans tous les offices de l’Église.

L’aube admet-elle maintenant des ornements ?

Elle admet de la dentelle pour ornement, et également une garniture de couleur derrière la manchette des manches (décret du 12 juillet 1892), bien que la Congrégation des Rites ait interdit cela par un précédent décret.

Quelle était l’ornementation des aubes dans les temps anciens ?

De riches et épaisses broderies décoraient le bord inférieur, les poignets et le cou. Au XIIIe siècle, la mode des « parements » fut en vogue. Il s’agissait de pièces rectangulaires de riche brocart, ou de broderie cousus sur le bord inférieur, les poignets, la poitrine ou le dos, ou les deux ensemble. Plus tard, sauf à Milan, dans le rite ambrosien, ces aubes disparurent avant l’introduction de la dentelle comme ornement.

Quelles sont la matière et la couleur de l’aube ?

Le corps et les manches doivent être de lin ; par conséquent le coton et la laine sont interdits. Selon un décret de la Sacrée Congrégation des Rites (15 mai 1819), les aubes et les amicts en coton, alors en vogue, ont été permis jusqu’à ce qu’ils soient hors d’usage. Leurs successeurs, doivent, cependant, être en lin. Le même privilège a été refusé pour les corporaux, les pales et les purificatoires. Pour l’Espagne, il a été décrété qu’une fibre végétale particulière, non pas du chanvre, mais une variété apparentée, était matière impropre. (Décret du 13 août 1895). Dans le vicariat de Chine, une fibre végétale nommée « hia-pou », de la même famille que le chanvre, a été permise à cause d’un long usage persistant, de la pauvreté et de la difficulté à se procurer du lin. (Décret du 27 juin 1898). La couleur doit être blanche. Des inventaires médiévaux montrent des aubes bleues, rouges et noires, et des aubes de soie, de velours et de drap d’or. Dans des cas isolés, l’usage de la soie et d’aubes colorées persiste encore en Orient et en Occident.

Quelle est la signification de l’aube ?

Selon le pape Innocent III (1198-1216), l’aube, à cause de la pureté de sa couleur, indique la nouveauté de la vie. Cela était illustré par la pratique de vêtir les nouveaux-baptisés de vêtements blancs avec ces mots : « Recevez ce vêtement blanc et sans tâche, que vous porterez devant le tribunal de Notre Seigneur Jésus-Christ, de telle sorte que vous puissiez posséder la vie éternelle. Amen. »

Les prêtres de l’Église latine revêtent l’aube en disant cette prière : « Purifie-moi, Seigneur, et purifie mon cœur afin que, lavé dans le sang de l'Agneau, je jouisse de la joie éternelle. »

Référence.

John Walsh, The Mass and Vestments of the Catholic Church, Liturgical, Doctrinal, Historical and Archæological, Troy, N. Y., Troy Times Art Press, 1909, p. 439-446.

mardi 15 novembre 2011

Surplis, rochet et cotta, selon R.A.S. Macalister, 1896.

[La version française du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]


II. Le surplis — À cause de sa doublure en fourrure, la soutane était appelée en latin médiéval la pellicea ; le nom superpellicea fut, par conséquent, donné au vêtement qui était porté directement par dessus — nom qui est devenu, par des modifications phonétiques naturelles, « surplis ».

On rappellera que l’alba de la deuxième époque ou époque transitionnelle était un vêtement beaucoup plus ample que celui qui lui succéda dans les temps médiévaux. La chasuble, la tunique ou la dalmatique (parfois les trois) devaient être portées sur elle — ce qui aurait été impossible si elle avait conservée sa taille originelle.

Elle fut, par conséquent, réduite en taille dans le but de l’adapter aux nouvelles exigences ; mais cela faisant, les couturiers en vinrent à l’autre extrême, et taillèrent un vêtement qui menaçait de devenir intraitable chaque fois que l’on essayait de le mettre sur la soutane lorsque cette dernière partie de l’habit était épaisse et doublée de fourrure. De ces difficultés naquit l’invention d’un nouvel ornement, qui conserva l’amplitude de l’alba ancienne et qui était porté seulement lorsqu’aucun vêtement d’importance (sauf la chape qui était ajustable) n’était mis par dessus. Ce fut le surplis. L’aube fut conservée pour le service eucharistique, étant donné que les vêtements qui la recouvraient s’ajusteraient sur elle plus commodément.

Le surplis était un vêtement à manches de lin blanc, simple, sauf au niveau du coup, où l’on trouvait occasionnellement une petite broderie en fils de couleur. Les manches étaient très amples, et pendaient d’une longueur considérable, lorsque les mains étaient jointes, comme elles le sont généralement sur les monuments. On revêtait le surplis en le passant par la tête, exactement comme l’aube ; le surplis moderne, ouvert sur le devant, et attaché au niveau du cou avec un bouton, fut inventé dans les derniers deux cents ans, et fut conçu pour rendre possible le retrait du vêtement sans déranger les énormes perruques qui étaient portées aux XVIIe et XVIIIe siècles.

III. Le rochet est encore une modification plus évoluée de l’aube. Les manches sont réduites au minimum ou totalement absentes. Il semble qu’il ait été porté, mais pas toujours, par les chantres et il est également prouvé qu’il s’agissait de la forme de surplis favorite des évêques. (…).

IV. La cotta. — Il s’agit d’un surplis, considérablement modifié, qui a l’avantage d’être bon marché, et est porté, par conséquent, comme un substitut du surplis long dans les paroisses pauvres. C’est un vêtement sans manche, travaillé au crochet ou de lin crêpé, qui va jusqu’au milieu du dos. Il n’a pas un aspect très réussi.

Référence.

R.A.S. Macalister, Ecclesiastical Vestments. Their Development and History, The Camden Library, Elliot Stock, Londres, 1896, p. 140-142.

La soutane, selon R.A.S. Macalister, 1896.


 [La version française du texte anglais original est le fait de l'auteur de ce blog.]


La soutane était la longue robe de dessus portée par tous, clerc ou laïc, homme ou femme, pendant les XIe et XIIe siècle et durant les siècles suivants. Lorsqu’elle fut délaissée pour le manteau court, beaucoup plus confortable, le conservatisme en matière ecclésiastique, auquel est due l’existence même de l’habit ecclésiastique, retint le clergé de suivre l’exemple des laïcs, et conserva la soutane comme vêtement de dessus distinctif du clergé en temps ordinaire, comme cela est demeuré. La dignité attachée au vêtement long fut également une cause de la fidélité ecclésiastique.

Les vêtements eucharistiques étaient revêtus sur la soutane, de la même façon que la soutane était mise sur les sous-vêtements de celui qui les portaient. Mais elle était si entièrement cachée par l’aube longue qu’elle pouvait à peine être considérée comme une partie essentielle des vêtements de l’office eucharistique. Le cas était autre, cependant, lorsque le prêtre était revêtu du costume de procession, car la partie basse de la soutane paraissait très visiblement sous le surplis, et sa présence était, en conséquence, essentielle à la tenue complète de procession. (…).

Les soutanes furent, à l’origine, inventées dans l’objectif de garder la chaleur, et, par conséquent, elles étaient doublées de fourrures. Cet usage fut retenu lorsque la soutane devint exclusivement un habit clérical, et nous trouvons souvent sur les monuments ecclésiastiques des indices au niveau du poignet qui font dire que la soutane était ainsi doublée. La couleur du vêtement était invariablement le noir pour les ecclésiastiques ordinaires, l’écarlate pour les docteurs en théologie et les cardinaux, le pourpre pour les évêques et les prélats, et pour les acolytes, dans les grandes occasions ; pour le Pape, le blanc. La fourrure avec laquelle la soutane était doublée était de l’hermine ou d’autres précieuses variétés pour les dignitaires ; mais il était strictement interdit aux prêtres ordinaires de porter quelque chose de plus coûteux que la peau de mouton. La soutane telle que nous la trouvons représentée sur les monuments médiévaux, était probablement ouverte sur la poitrine ; je ne me souviens pas avoir observé quelque équivalent de la soutane moderne, avec un rang de boutons depuis le cou jusqu’à l’ourlet (comparé avec humour par Lord Grimthorpe à une chaudière avec une étroite rangée de rivets !). En quelques endroits de France et à Rome, la soutane est maintenue par une ceinture ; il s’agit également d’une innovation moderne, probablement suggérée par la coutume des membres d’ordres monastiques.

Référence.

R.A.S. Macalister, Ecclesiastical Vestments. Their Development and History, The Camden Library, Elliot Stock, Londres, 1896, p. 138-140.

dimanche 13 novembre 2011

Le col romain selon J. O'Brien, 1879.

 
[La traduction française à partir de l’anglais est le fait de l’auteur de ce blog.] 
 
 Le col ecclésiastique, généralement appelé «col romain», et en français «rabat», était inconnu en tant qu’article du costume ecclésiastique, au moins, sous sa forme actuelle, avant le XVIe siècle. Les ordres religieux ne l’ont, en général, jamais adopté comme une règle ; son port, aux États-Unis n’est pas très répandu, si ce n’est dans quelques diocèses dont les statuts insistent sur le fait qu’il est la marque distinctive de l’ecclésiastique catholique. Là où il peut être porté sans trop attirer l’attention, ou, comme cela arrive souvent dans les pays non-catholiques, sans exposer le prêtre aux insultes publiques, il devrait l’être ; car, c’est merveilleux, en laissant de côté bien d’autres raisons, de constater combien les Catholiques sont réconfortés de voir, en leur compagnie, en voyageant à l’étranger, ou même en marchant dans la rue, s’ils sont chez eux, un prêtre portant un tel habit. Il n’est alors pas pris pour un ministre de l’une des autres Églises. 
 
Avant l’introduction du col romain, l’article dont l’usage était général n’était rien d’autre qu’un simple col de lin semblable à ceux porté par les laïcs, seulement un peu plus large. Certains hauts dignitaires portaient des fioritures, comme nous le voyons dans les peintures du XIVe ou du XVe siècle ; mais cela était interdit pour les membres du bas clergé, qui devaient porter leurs cols aussi simplement que possible, sans même user d’amidon pour les raidir ou de galons pour les embellir d’aucune façon. En France, en Belgique et en Italie, des lois furent promulguées pour prohiber l’usage de la dentelle ou de la broderie fantaisie dans leur fabrication, car ils devaient être du lin le plus simple (Church of Our Fathers, vol. i, p. 474). 
 
Selon sa disposition actuelle, le col lui-même est une petite pièce [slip] de lin fin, d’environs deux pouces de large, et assez longue pour entourer le cou de celui qui le porte. Cette petite pièce est rabattue sur une bande circulaire ou un tour de cou [stock] d’ étoffe souple mais assez raide, comme du carton pressé [fuller’s board], auquel est cousu un morceau de tissu, généralement assez large pour couvrir la poitrine. Le col est maintenu en étant boutonné par derrière ou attaché au cou par des ficelles. 
 
Le col, comme les autres articles du costume ecclésiastique, varie en couleur selon la dignité de celui qui le porte. Celui d’un cardinal est rouge ; celui d’un évêque, violet ; celui d’un monsignor est également violet ; et celui d’un prêtre, noir. Les chanoines, majoritairement, en porte un noir avec des boutons rouges descendant vers le centre, ainsi que de la passementerie rouge. 
 
Les protonotaires apostoliques, de la classe dite des participants, qui ont toujours rang de prélats, ont le privilège de porter un col violet, comme un évêque ; mais ce n’est pas le cas de ceux qui ont seulement rang de protonotaires titulaires ou protonotaires honoraires ; le leur est noir comme celui d’un prêtre (Manuale Decretorum de Proton. Apostol., 753 et 759). 
 
Référence. 
 
John O’Brien, A History of The Mass and Its Ceremonies in the Eastern and Western Church, 15e édition, Benzinger Brothers, New York, Cincinnati, Chicago, 1879, p. 59-60.

dimanche 6 novembre 2011

Le costume d'avocat en France.


[L’orthographe a été modernisée.]


Au XIIIe siècle, le costume des avocats n'offrait encore aucun caractère particulier. Leur habillement était le même que celui de la ville, et se composait d'une soutane ou longue tunique, que recouvrait un manteau ou une robe. Les robes étaient sans manches. Le manteau était agrafé sur l'épaule droite, et était toujours ouvert de ce coté, en sorte que le bras droit était libre dans tous ses mouvements. La coiffure était le bonnet d'étoffe que tout le monde portait ; le chaperon à queue ne fut adopté que vers la moitié du siècle suivant. Les avocats plaidaient la tête couverte, mais ils avaient soin de la découvrir toutes les fois qu'ils avaient des pièces à lire ou des conclusions à prendre. Ils avaient la barbe rase, et une chevelure longue étalée sur les épaules ; au lieu d'être relevée sur le front, elle descendait presque sur les yeux.

XIVe siècle. — Le mantelet des avocats, plus allongé que celui des magistrats, descendait jusqu'aux talons, et était ouvert des deux côtés. Les procureurs n'avaient aucun autre costume qu'une soutane noire.
On distinguait les avocats consultants, les avocats plaidants, et les avocats écoutants. Le costume des consultons dans la grand'chambre ou chambre dorée du parlement de Paris, consistait en une longue soutane ou simarre de soie noire, recouverte d'un mantelet d'écarlate rouge, doublé d'hermine, relevé par les côtés, et attaché sur la poitrine par une agrafe ou fermoir plus ou moins riche. — Le mantelet des plaidants était d'écarlate violette. — Les écoutants portaient la soutane noire, avec un mantelet d'écarlate blanche (couleur du noviciat).

XVe siècle. — 1400 à 1450. — La soutane était recouverte d'un manteau fourré avec un retroussis sur le coude. Ce manteau était le costume obligé dans les cérémonies. La coiffure des avocats continuait d'être le chaperon fourré qui avait un appendice ; on se servait d'un côté de cet appendice pour entourer son cou ; on laissait pendre l'autre. II y avait de petits marmousets sculptés avec chaperons au commencement des barreaux de la chambre dorée.

1450 à 1500. —Le rapprochement des Bourguignons et des d'Armagnacs, la fusion du parlement de Poitiers et du parlement de Paris qui fut transféré à Poitiers amenèrent des changements. Il était d'usage au barreau de Paris que la lecture des conclusions et pièces fût faite par les procureurs, la tête découverte, ce qui épargnait à l'avocat plaidant la peine d'ôter son chaperon à chaque instant ; mais à Poitiers, les avocats lisant eux-mêmes les conclusions et les pièces, ils détachaient l'appendice du chaperon, et le déposaient sur l'épaule, d'où ils le reprenaient au besoin ; cet appendice fut dès lors garni de fourrures à ses deux extrémités. Il ne restait plus du chaperon que le bourrelet ou bonnet rond, qui fut fermé à l'extrémité supérieure, et orné d'un gros bouton ou petite houppe.
Le manteau subit aussi un changement considérable; le retroussis sur le bras disparut, il fut ouvert des deux côtés, et se trouva ainsi transformé en une sorte de robe sans manches, ouverte sur la poitrine de manière a laisser voir la soutanelle noire.
Sous Louis XI, à l'imitation du roi, on ajouta une calotte noire sous le bonnet rond.
L'usage des robes écarlates s'abolit graduellement, et ne fut conservé que pour les audiences solennelles et les cérémonies; elle fut remplacée par une robe noire ou violette, a laquelle on attacha de larges manches. Le haut de cette robe fut recouvert par le collet de la chemise rabattu, ce qui, par la suite, fit donner le nom de rabat à celte espèce d'ornement. Les avocats, suivant l'usage général, avaient aux pieds des patins.
Sous Charles VIII et les deux premières années du siècle de Louis XII, le bonnet rond fut accompagnée de quatre cornes, distribuées à distance égale, et qui permettaient à la main de saisir plus facilement le bonnet.
Les avocats plaidaient la tète couverte après ces mots du président : Couvrez-vous, T.E.L. Ils ne se découvraient qu'en lisant les pièces et non la loi : La Roche-Flavin, président au parlement de Toulouse, prétend que les procureurs restaient à genoux dans le parquet pendant les plaidoiries (Des Parlemens, t. 4 p. 303 ).
Les avocats portaient, au lieu d'un portefeuille, un sac dans lequel étaient empilées les pièces ; ils y fouillaient à l'audience. Cet usage dura long-temps, comme on le voit par la comédie des Plaideurs. 
 
XVIe siècle. — Sous François Ier, les robes eurent une forme large et ample. De jeunes avocats tentèrent d'entrer avec des robes de soie taillées d'une façon élégante, avec des pourpoints et chausses de couleur; mais une ordonnance royale de 1540 défendit « à tous juges, avocats et autres gens de pratique, de patrociner, et d'entrer aux prétoires et juridictions, sinon en habit décent, robe longue et bonnet rond. » Plus tard, François Ier, blessé à là tète par un tison, étant devenu chauve, porta la barbe, et la cour imita son exemple, mais dès le commencement, les gens de robe trouvèrent la mise trop mondaine, et gardèrent le menton rase.

XVIIe siècle. —Les avocats gardaient dans l'intérieur du cabinet, pour recevoir les clients, la soutane ou simarre en soie, sous la robe à larges et longues manches. La barbe, malgré les premières résistances contre la mode, était devenue un partie obligée du costume. Lorsque Louis XIV, encore adolescent, suppléa à l'absence de sa barbe, par deux moustaches et une en pal au menton, la cour et le barreau l'imitèrent. Parvenu à l'âge viril, le roi remplaça la moustache en pal par un petit bouquet sous la lèvre inférieure, on fit de même au Palais. Enfin, dans sa vieillesse, Louis XIV se rasa complètement, et tous les mentons des avocats redevinrent ras comme avant François Ier.

XVIIIe siècle. — 1700 à 1750. — Au lieu des légères perruques, formées de trois parties et d'une calotte, ainsi qu'il était d'usage sous Louis XIII, les avocats portaient, à la suite du règne de Louis XIV, d'immenses perruques ; au lieu du large collet de chemise orné de glands, ils portaient une longue cravate brodée et accompagnée de dentelles.
Sous Louis XV, la grande perruque fut remplacée par une perruque plus légère, ou par une longue chevelure.
Les avocats abandonnèrent la simarre pour la robe ; mais les magistrats la conservèrent. Le rabat prit la place de la cravate ; on le divisa en deux parties de couleur bleue, et encadrées de bordures blanches, qui étaient dans le commencement d'une largeur prodigieuse.

De 1760 à 1775, les robes moins amples drapaient avec plus de grâce ; les bordures des rabats devinrent plus étroites. Les bonnets carrés ou taillés en cône furent surmontés d'une houppe de soie flottante. La chevelure naturelle ou artificielle fut bouclée, poudrée, et terminée par un appendice de longs cheveux, qui descendaient sur les épaules, et se roulaient à leur extrémité, en une seule boucle ou en plusieurs.
Le costume de ville obligé était l'habillement noir de drap, étamine, soie ou velours, suivant la saison. Un jeune avocat n'eût pas osé se montrer en habit de couleur, hors le temps des vacances.

2 septembre 1790. —Article 10 d'un décret de l'assemblée constituante :

« Les juges étant en fonctions porteront l'habit noir, et auront la tète couverte d'un chapeau rond, relevé par le devant, et surmonté d'un panache de plumes noires. — Les commissaires du roi, étant en fonctions, auront le même habit et le même chapeau, à la différence qu'il sera relevé en avant par un bouton et une ganse d'or. — Le greffier étant en fonctions sera vêtu de noir, et portera le même chapeau que le juge, et sans panache. — Les huissiers faisant le service de l'audience seront vêtus de noir, porteront au cou une chaîne dorée descendant sur la poitrine, et auront à la main une canne noire à pomme d'ivoire. — Les hommes de loi ci-devant appelés avocats, ne devant former ni ordre ni corporation, n'auront aucun costume particulier dans leurs fonctions. »

XIXe siècle. — Un décret du 14 décembre 1810 a réintégré l'ordre des avocats dans son nom, son costume, ses fonctions et ses principes. Le costume se compose de l'ancien bonnet rond ou carré, garni d'une bordure de velours à l'extrémité inférieure, et surmonté d'un bouton noir ; l'appendice du chaperon reste fixé sur l'épaule gauche, et la robe noire à larges manches est retroussée derrière ; le rabat ordinairement en une seule pièce est blanc. Un costume neuf semble prouver peu d'ancienneté au palais, et par conséquent peu d'habitude des affaires ; aussi, la plupart même des jeunes avocats portent des robes et des bonnets à demi usés. L'habillement sous la robe doit être noir. Un avocat qui a une cravate noire, et qui laisse apercevoir un habit ou un pantalon de couleur, s'expose à recevoir les remontrances des présidents. Celui qui écrit cet article a été censuré en cour royale, parce qu'en plaidant un de ses gestes avait trahi son habit bleu. À la fin de l'année de 1830, et pendant une partie de l'année 1831, on a vu quelques avocats plaider avec des moustaches ; quelques uns portent encore aujourd'hui d'épais favoris qui se joignent sous le menton.

Référence.

« Histoire des variations du costume des avocats en France. », Le Magasin Pittoresque, tome 1, 14 septembre 1833, p. 266.