A) Lacan qualifie le trauma de « mauvaise rencontre » entre le sujet et le réel traumatique.
Le trauma se situe à trois niveaux :
- le réel : le choc traumatique ;
- l’imaginaire : le destin du trauma dans l’imaginaire ;
- le symbolique : qui noue les deux autres dimensions, à travers le langage et échoue à le faire.
(…) Le premier trauma qui se situe dans les premiers temps de la vie, est représenté par l’expérience d’effroi, quand l’objet vient à manquer, « l’excitation la plus douloureuse que puisse connaître cet appareil primitif » (Dorey, 1983).
(…) Cette expérience ne sera l’objet d’aucun investissement, en raison du déplaisir qu’elle comporte : le représentant psychique correspondant n’accédera jamais à la conscience, elle en laissera qu’une trace psychique douloureuse, une réalité irreprésentable.
Avec l’affect d’effroi, c’est l’expérience de solitude absolue, de rupture de tous les liens communautaires et culturels qui caractérise le traumatisme psychique. (Barrois, 1988).
Le trauma constitue une confrontation avec la mort que certains sujets ne pourront intégrer.
Les troubles qui en découleront peuvent être interprétés comme « une conséquence directe de l’angoisse pour la vie ou angoisse de mort... » (Freud, 1926)
« Il s’agit d’une menace qui concerne non seulement la vie du sujet en tant qu’être vivant, mais également sa vie psychique avec un risque d’effondrement, d’anéantissement. » (Chabee-Simper, 1999)
« Le trauma psychique et par suite son souvenir, agissent à la manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue de jouer un rôle actif » (Freud et Breuer, 1892). Même dénié ou refoulé, il continue à être agissant et peut resurgir ultérieurement, à l’identique, comme si c’était hier ».
Référence.
Éliane Ferragut, Émotion et traumatisme: le corps et la parole, Masson, Paris, 2005, p. 78-79.
B) Le traumatisme de par sa soudaineté et l’importance de l’excitation qui y est liée, de même que du fait de l’impossibilité à y répondre, à s’en protéger, provoque une véritable effraction. Le sujet se retrouve nez à nez avec l’impensable. C’est en ce sens que Jacques Lacan élabore cette question. Le traumatisme serait plus particulièrement une rencontre non manquée avec le réel, qui se dérobe devant le sujet. Ce dernier à défaut de fantasme ne peut se protéger. (…) De là, on peut penser qu’une partie de ce qui est vécu échappe au processus de symbolisation et donc au langage. Se déroule alors un court circuit du signifiant, du fait de la rencontre avec le vide.
(…) Sigmund Freud notait dans Introduction à la psychanalyse (2001) « les malades nous laissent l’impression d’être pour ainsi dire fixés à un fragment de leur passé et ne pouvoir s’en dégager, d’être par conséquent étranger au présent et au futur ». N’est-ce pas ainsi, ce que l’on retrouve par rapport à ce voile posé sur son passé, à ce retour perpétuel du même, (...) figeant à ce moment traumatique, mais aussi ce que l’on observe dans (…) [l’] impossibilité à se projeter dans l’avenir ? (…) [La] vie semble non plus se dérouler sur un mode linéaire, mais circulaire dans ce retour intrusif du passé.
Référence.
C. Vrignaud, « La mauvaise rencontre ou le face à face avec l’impensable: clinique de la violence intentionnelle », Journal International De Victimologie, tome 6, n°2, janvier 2008, p. 146.
C) (…) le traumatisme n'est pathogène que dans l'après-coup. Il faut donc un second traumatisme pour révéler le premier, souvent resté invisible jusque-là. Il ne faut pas oublier non plus que la longueur du développement du psychisme humain rend possible un grand nombre de micro-traumatismes, de traumatismes cumulatifs, dont la somme est plus pathogène qu'un seul traumatisme évident.
(…) l'effraction des filtres psychiques que Freud appelait le pare-excitations, le débordement économique au moment du trauma, créent une lacune dans le psychisme. Cela se traduit par des phénomènes d'hallucination négative, de clivage défensif ou de déni, lesquels masquent souvent le véritable contenu du trauma, dont seule la compulsion de répétition peut faire entrevoir l'origine. Comme si les seules traces du trauma étaient le trou qu'il a laissé dans la psyché.
Mais comme si cela ne suffisait pas, il faut ajouter que le trauma peut aussi venir de l'intérieur, lorsque le sujet attend une expérience que son entourage ne peut lui fournir. Ce peut être une carence criante de l'environnement ; mais ce peut être aussi une défaillance relative à la constitution particulière du sujet, qui exige des rencontres qui ne sont pas possibles dans son contexte familial, par ailleurs pas forcément si pathologique. Ce sont ces traumas-là qui ont été évoqués dans mon titre sous le terme de traumatismes « par manque de réalité ».
L'événement traumatique en lui-même, du fait de ses conditions d'inscription dans la mémoire, est mal représenté. Les traces mnésiques font l'objet d'un effacement, et lorsqu'elles font retour, elles se situent dans un no-man's-land, une réalité dont on ne sait si elle est intérieure, de l'ordre de la réalité psychique, ou extérieure, de l'ordre de la réalité historique (réalité qu'on a coutume d'appeler réalité extérieure, mais il n'est pas toujours aisé de déceler ce qui appartient au matériel, à la vision de l'événement par l'entourage, ou aux normes éducatives en cours).
(…) Un indice de la réalité des faits peut être fourni par la force de la répétition (tous les jours), mais la seule réalité vraiment certaine, c'est celle de la mauvaise rencontre psychique. Et encore, le vrai traumatisme est toujours comme la forêt cachée par l'arbre invoqué par le patient : (…).
L'absence de préparation, de représentation concernant la situation traumatique, confronte le sujet à une perte de son emprise narcissique sur le monde extérieur, sur le monde des objets. La compulsion de répétition est une façon de tenter, comme dans le jeu répétitif de l'enfant à la bobine (dans l'Au-delà du principe de plaisir, en 1920), de rétablir cette emprise par la mise en scène du trauma, d'où les rêves répétitifs des névroses traumatiques.
(…) Dans la mélancolie aussi, l'objet perdu (dont la perte constitue un trauma) est irreprésentable. Le sujet ne sait pas ce qu'il perd en l'objet, et le deuil ne peut pas être fait parce qu'il est mal représenté, dit Freud dans Deuil et mélancolie. Par cette lacune, se produit une hémorragie de la libido. L'ombre de l'objet qui retombe sur le moi, libérant la pulsion de mort, est une trace mal élaborée d'un objet narcissique mal distingué du Moi, dont le deuil est par conséquent impossible. Surtout, comme dans le trauma, cette perte et sa cause sont souvent invisibles au sujet lui-même, ou bien il invoque des causes visibles qui masquent les plus profondes, laissant place à la psychologie simpliste du stress et de la causalité strictement génétique.
(…) derrière la perte d'un objet actuel, souvent assez inconsistant car choisi pour sa valeur de soutien narcissique plutôt que pour lui-même, se cache l'ombre d'un objet primitif qui a entravé sa représentation, et dont le procès retombe sur le Moi dans la mélancolie. Cet objet primitif est un de ceux qui sont significatifs de l'histoire du sujet, de ceux qui sont nécessaires pour que le sujet, enfant, puisse parvenir à une représentation de son roman familial, de son identité, et de ces liens fondamentaux que forment la mère et l'enfant, le désir et le couple parental, ou l'identification au tiers paternel. Mais ce traumatisme primaire est difficile à retrouver, car il est pris dans l'hallucination négative, le déni et le blanc de l'irreprésentable.
(…) Avec cette idée d'une partie de la réalité psychique du sujet qui lui manque, et ne peut être expérimentée par lui dans les années où elle lui serait nécessaire pour son développement psychique, nous en arrivons à la notion énigmatique que j'avais annoncée dans mon titre : les traumatismes par manque de réalité. (...)
Il s'agit d'une réalité psychique qui n'a pu se construire, à cause d'un manque dans la réalité extérieure, dans l'environnement du sujet. De ce fait, le sujet ne peut affronter certaines situations, ni développer des capacités qu'il a potentiellement en lui. La théorie du développement de l'enfant de Winnicott nous permet de le comprendre : l'objet doit être présent dans la réalité, et présenté à l'enfant au moment où celui-ci en a besoin. Mais, bien que ce soit un objet réel, il n'est dans un premier temps pour l'enfant que l'illusion de l'avoir créé lui-même : l'équivalent de sa propre réalité psychique, et son support.
Cet objet, dans l'aire de l'illusion, est donc à la fois de l'ordre de la réalité matérielle et de la réalité psychique : il fait partie de l'aire intermédiaire, où le jeu permet d'accéder à l'emprise sur la représentation, et par là sur l'objet pulsionnel. Un objet-jeu, un objet-fantasme. On comprend qu'en l'absence de certaines expériences objectales, l'enfant ne puisse parvenir à la représentation de fantasmes fondamentaux, ce qui, pour les fantasmes originaires structurants, constitue un traumatisme grave bien qu'en négatif, totalement invisible.
(…) Dans La crainte de l'effondrement, Winnicott a des formules saisissantes pour parler du traumatisme qui n'a pas pu être intégré, car il s'est produit à une époque ou dans un état où le sujet n'existait pas, où l'expérience ne pouvait pas être recueillie dans un présent identifiable comme tel. Il parle aussi du traumatisme négatif par carence d'une expérience qui aurait dû se réaliser. L'effondrement, la crainte de la mort, le vide, nous dit-il « remontent au temps qui précédait l'avènement de la maturité nécessaire pour en faire l'épreuve. Pour le comprendre, ce n'est pas au traumatisme qu'il faut penser, mais au fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne s'est produit. Il est plus facile pour un patient de se souvenir d'un traumatisme que de se souvenir que rien ne s'est produit à la place de quelque chose. »
Référence.
François Duparc, « Des traumatismes invisibles ou Par manque de réalité », Introduction à la psychanalyse de l’adulte, Programme 2001-2002. « Réalité, trauma, fantasme » (programme établi par François Sacco), Société psychanalytique de Paris.
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