Les États-Unis, décrits dans le texte suivant, rencontraient, dès 1969, des problèmes qui se rapprochent grandement de ceux que nous rencontrons aujourd'hui en France et en Europe occidentale...
L'Amérique, qui a réussi
à créer la prospérité, n'a pas encore pu trouver une philosophie
sociale comparable. Elle vit toujours avec la mentalité des
émigrants qui, par rapport aux autorités du pays, prennent une
attitude défensive. Depuis les origines, les hommes sont venus en
Amérique pour échapper à l'oppression politique, militariste,
religieuse, à l'exploitation économique et sociale. Par leur
travail et leurs efforts, et grâce à certaines circonstances
heureuses, ils ont organisés un vaste pays. Mais ils n'ont pas
réussi à mettre leur rêve de liberté presque illimitée en
harmonie avec les exigences modernes de discipline, indispensable à
tout gouvernement. Tout pays, se trouvant en guerre ou non, a besoin
d'un certain degré de solidarité, d'unité, sinon d'uniformité.
Cependant, la philosophie
des Américains ne s'appuie pas sur un patriotisme que l'on peut
trouver dans les pays de vieille culture. On s'oppose à la moindre
restriction et on est loin d'être d'accord sur les buts essentiels à
atteindre. Ici, l'idée de liberté prend une signification négative
sans être contrebalancée par les aspects positifs.
L'expression propre de
cette philosophie, c'est
l'individualisme.
Elle est aux antipodes du collectivisme,
bien sûr, mais elle est aussi fort éloignée de la philosophie du
centre, c'est dire du personnalisme
de Mounier
ou de Maritain.
L'individualisme est une ontologie réduisant le concept même de la
société au minimum. Dans le conflit entre l'intérêt social et
individuel, c'est le dernier qui prévaut. Le pragmatisme
est la philosophie d'action de l'individualisme, selon laquelle
l'individu agit, non pas dans le cadre du bien commun, mais en vue
d'atteindre ses propres objectifs, son propre bien. La vérité
valable pour tous existe à peine : chacun a sa propre vérité.
L'individualisme
prédomine surtout dans l'économie qui, à peine contrôlée par
l'autorité publique, est la force motrice principale du pays.
Elle ressemble à un
cheval emballé qui, dans sa course, ravage le champ des valeurs
sociales.
La crise la plus
apparente sévit au sommet, sur le plan de la religion, c'est-à-dire
de la religion organisée, en commençant par les innombrables
confessions dont l'universalité finit à la limite de la paroisse
(comme chez les baptistes) et en terminant par le catholicisme. Cette
religion est en train de perdre la lutte contre les forces adverses.
Le mouvement « God is
dead » marque le point zéro de cette crise.
Y a-t-il des valeurs
supérieures par dessus les intérêts individuels et matériels ?
Beaucoup de gens répondent par la négative.
Le système politique
qui, d'après la constitution, devrait être impartial, c'est-à-dire
qui ne devrait pas favoriser une confession quelconque au détriment
des autres, est en fait, sous prétexte d'impartialité, indifférent
vis-à-vis de la religion tout court.
Au lieu de profiter des
aspects positifs de la religion pour renforcer la trame morale et
sociale de la nation, l'Union Américaine refuse pour ainsi dire à
la religion toute fonction ordonnatrice, en la considérant comme une
affaire strictement privée. Elle la met par conséquent au même
niveau que l'athéisme et toute autre forme d'indifférence,
d'irréligiosité ou de libertinage.
Dépourvues de tout
élément de sanction spirituelle ou sociale, les valeurs morales
sont remises en question de fond en comble. Le système a
pratiquement abandonné l'individu et le citoyen à lui-même. Le
mariage qui, dans certains pays, jouit encore du respect d'une
institution sinon d'un sacrement, et dont certains aspects sont
protégés par le droit public, est devenu aux États-Unis une
relation contractuelle, c'est-à-dire privée, qui peut être
aisément dénoncée par l'une des parties. De ce fait, la nature
même des relations sexuelles a bien changé. Leur prétention à
l'exclusivité ayant disparu, elles commencent de plus en plus à
revêtir le caractère de promiscuité. Cette réalité ne pouvait
rester sans produire des effets néfastes sur la vie des enfants qui,
d'un côté, s'émancipent plus vite en conséquence des mœurs plus
libres de la société, et de l'autre restent plus souvent hors du
contrôle des parents, ou du moins - de l'un d'entre eux.
La facilité avec
laquelle les enfants peuvent gagner de l'argent développe chez eux
une disposition à la dépense facile. Les garçons se mettent à
fumer, à boire de la bière d'abord, du whisky ensuite ; les filles
à s'acheter d'innombrables fanfreluches. À seize ans, chaque élève
considère comme une question de prestige d'avoir un permis de
conduire et, par conséquent, une voiture. La voiture, cela
donne donc aux jeunes une indépendance rêvée dans leurs
relations sociales, leur système multilatéral de rendez-vous.
Éduqués dans beaucoup
de familles sans principes religieux, privés prématurément
du cadre familial, garçons et filles se mettent à pratiquer des
expériences sexuelles dès la première occasion. Ainsi, le nombre
des filles-mères d'âge scolaire est-il considérable. Elles
confient du reste leurs enfants à des agences d'adoption, car la
société regarde d'un très mauvais œil celles qui les gardent.
Dans les écoles
publiques, l'éducation sexuelle, à partir du jardin
d'enfants, est en train d'être imposée comme sujet obligatoire. Au
mois de mai 1969, sept cents parents se sont réunis dans une
banlieue de Washington D.C. pour protester contre cette initiation
prématurée en dehors d'un cadre moral et familial.
Dans les internats des
collèges et universités, étudiantes et étudiants réclament
partout le droit de faire des visites très avant dans la nuit dans
les chambres de leurs camarades de l'autre sexe. Ces libertés sont
presque généralement reconnues, même dans certaines institutions
catholiques.
L'école, qui assure
plutôt une instruction qu'une éducation, peut difficilement jouer
un rôle dans la formation morale des enfants. L'éducation, surtout
au niveau élémentaire, est inspirée du pragmatisme de John
Dewey, mettant l'accent sur les dispositions naturelles de
l'enfant.
Il faut donc développer
les dispositions au lieu de les soumettre à un système
uniforme. Ainsi, une discipline dans le sens européen n'y
existe pas. Le maître ne peut appliquer aucune sanction contre
un élève récalcitrant et il lui est très difficile de le renvoyer
de sa classe.
Dans certains cas, les
élèves se sont révoltés contre leurs maîtres ou
professeurs en commettant des actes violents contre eux, actes
allant parfois jusqu'au meurtre. À New York, pendant un
certain temps, 26 écoles secondaires n'ont pu maintenir leur
discipline qu'en faisant appel à la police, et dans d'autres écoles
la police est établie en permanence.
Un autre facteur
dissolvant est la pornographie. Le marché des livres, profitant de
la liberté de la presse, est considéré neutre sur le plan moral.
Depuis des dizaines d'années qu'elle étudie la question, la Cour
Suprême n'a pas réussi à définir clairement le concept même de
l'obscénité. D'une part, elle a établi par plusieurs décisions
que, pour être pornographique, un ouvrage doit « exciter des
idées lascives » chez le lecteur ; d'autre part, cependant,
elle a presque supprimé la responsabilité de l'auteur ou de
l'éditeur pour un ouvrage en décidant que les aspects
négatifs du livre peuvent être contrebalancés par ses valeurs
sociales positives. Un livre peut donc être sauvé par le « rachat
» des valeurs mauvaises par les bonnes. De ce fait, la mise en
vente pratiquement de n'importe quel ouvrage est autorisée. C'est
ainsi que dans un très grand nombre de drug stores et
dans les librairies des gares, aérogares et autres, les magazines
les plus osés sont accessibles à tous.
Cet état de choses est
habilement exploité par plusieurs chaînes de profiteurs : les eaux
troubles sont peuplées de requins qui, sous prétexte de « droits
civiques », propagent le vice et la corruption. En quelques années,
certains ont « fait » des fortunes se montant à des dizaines
de millions de dollars.
Outre le domaine du
livre, la pornographie est en train d'inonder le cinéma et le
théâtre. Les films à succès sont de plus en plus dévêtus et
crus. Sur le plan du théâtre, on connaît même en Europe les excès
du Living Theater de New York ! Le 25 mars 1969, le juge de la
Cour Criminelle de New York, Walter C. Gladwin, a suspendu la
représentation de la pièce « Ché » (Guevara) et a imposé à dix
personnes (acteurs et auteur) une somme de 500 dollars de caution en
les « incriminant d'actes de sodomie consentie et d'obscénité »
commis sur la scène même du théâtre.
Un rôle particulièrement
destructif est joué par la pseudo-psychologie. À côté de
recherches de psychologie et de psychiatrie dans les mains de
spécialistes respectés, il existe une pseudo-science qui s'efforce
de justifier toutes les aberrations mentales que notre époque et
notre civilisation urbaine font proliférer plus que jamais. Ses
promoteurs prêchent ainsi le caractère périmé du mariage et
l'entière liberté à la fois hétérosexuelle et homosexuelle.
Toutes ces questions sont exposées et discutées avec une aisance
peu commune ailleurs. Les points de vue pour ou contre sont défendus
par une presse organisée, par des clubs et des groupes de pression.
Il s'en suit des discussions et des polémiques.
Dans cette atmosphère,
la liberté se sublime en libertinage.
Timothy Leary, Los Angeles, 1989 |
L'usage des drogues et
des stupéfiants : marijuana, LSD et autres, présente un autre
danger grandissant pour la société. Dans ce domaine aussi, des
individus, à la recherche d'une exaltation momentanée (l'un des
plus célèbres est un ancien professeur de Harvard University :
Timothy Leary)
(1), organisent des discussions publiques pour défendre cet usage
comme un droit garanti par la Constitution. Beaucoup d'étudiants y
participent et certains affirment, en toute honnêteté, que la
drogue est moins malfaisante que l'alcool, voire totalement anodine.
La crise se manifeste
sous un autre aspect non moins troublant : celle du patriotisme.
Beaucoup de jeunes gens, effrayés d'être convoqués pour aller au
Viet-Nam, brûlent leur « carte de recrutement », s'échappent au
Canada ou bien encore se déclarent objecteurs de conscience.
D'après la loi de 1967
sur le recrutement, un objecteur de conscience peut être exempté du
service militaire si, « en conséquence de son éducation, de ses
convictions religieuses, il s'oppose en conscience à participer à
la guerre en n'importe quelle qualité ».
Récemment, le juge
principal du District judiciaire fédéral de Boston, Charles E.
Wyzanski, a rendu un jugement dans le cas de John Heffron Sisson où
il a déclaré anticonstitutionnelle cette partie de ladite loi. Il y
affirme qu'elle est discriminatoire contre les athées, agnostiques
ou autres car ceux-ci, « qu'ils aient des croyances religieuses ou
non, sont amenés à leur objection au recrutement par des
convictions morales profondes constituant l'essence même de leur
être) (2).
Si cette interprétation
de la loi de 1967 était approuvée par la Cour suprême, tout cela
signifie que même ceux qui n'ont aucune croyance religieuse
pourraient demander d'être exemptés du service militaire.
Ainsi, dans un cadre
économique d'une aisance inouïe, la société américaine tout
entière est secouée jusque dans ses fondements par une série de
problèmes auxquels il semble difficile de pouvoir apporter des
remèdes efficaces dans un proche avenir.
Devant un tel
développement, une question toute naturelle vient à l'esprit de
chacun : que font les autorités publiques et le système juridique
pour freiner sinon dominer la situation ?
Ici, il faut constater franchement que ce système se trouve pris de court pour faire face à la crise. En effet, le droit américain est trop compliqué, trop flexible, trop susceptible d'interprétations opposées pour être efficace. Il est, pour ainsi dire, plus existentialiste que normatif. Il accepte la société telle qu'elle est au lieu d'imposer son poids sur elle.
Ici, il faut constater franchement que ce système se trouve pris de court pour faire face à la crise. En effet, le droit américain est trop compliqué, trop flexible, trop susceptible d'interprétations opposées pour être efficace. Il est, pour ainsi dire, plus existentialiste que normatif. Il accepte la société telle qu'elle est au lieu d'imposer son poids sur elle.
(…)
Le droit américain est
depuis longtemps dominé par l'empirisme, par l'école sociologique
qui ne reconnait au droit aucune permanence.
Le droit, affirme cette
école, doit suivre les changements sociologiques qui ont lieu sans
cesse dans la société, le droit codifié étant trop rigide pour
remplir ses fonctions. Par conséquent, la common law ,
affirment les partisans de l'école sociologique, sert mieux les
intérêts de la société que le droit codifié. La thèse selon
laquelle le droit suit de très près la courbe de l'évolution
sociologique, signifie, en fin de compte, que le système entier est
en proie à l'instabilité. Il est facilement comparable à cette
femme inconnue de Paul Verlaine « qui n'est chaque fois ni tout à
fait la même, ni tout à fait une autre ». Le caprice de la
casuistique animée par la sociologie est capable de dérouter de
temps en temps même les meilleurs des principes.
Un autre aspect
inquiétant du système juridique est son pragmatisme myope, qui
n'est pas capable de raccorder les objectifs et les moyens. Entre le
droit de porter des armes et la criminalité toujours croissante, il
y a évidemment une corrélation directe. Or, aux États-Unis, la
liberté des citoyens d'acheter, de porter et de garder des armes est
une liberté assurée par la Constitution. C'est un vieux privilège
garanti par l'Amendement II à la Constitution de 1787. À cette
époque, un tel amendement pouvait avoir une justification, car les
États-Unis n'avaient que 3 millions d'habitants qui vivaient souvent
dans des fermes fort éloignées les unes des autres. L'organisation
de l'administration municipale était embryonnaire. De nos jours,
pour tout homme de bon sens, une telle disposition semble périmée.
Chaque municipalité a son commissariat de police qui devrait
remplacer la justice privée de jadis.
Néanmoins, la
disposition a survécu jusqu'à présent, illustrant ainsi le manque
de logique du système. Or, les pragmatistes se soucient peu de la
consistance du droit. Un juge célèbre de la Cour Suprême, Oliver
Wendell Holmes, n'a-t-il pas affirmé que « le droit ne suit pas la
logique, mais l'expérience » (3).
Les troubles raciaux et
la haute criminalité prouvent aux législateurs et aux hommes de loi
qu'il est nécessaire de limiter le privilège du port d'armes si
l'on veut sauvegarder l'ordre public. Or, l'Association Américaine
des Tireurs est farouchement opposée à toute limitation, de même
que les fabricants et marchands d'armes qui évoquent une longue
tradition fondée sur une entière liberté. Les statistiques les
plus récentes indiquent que la vente des armes n'a jamais été
autant élevée que maintenant. Ceci signifie que la justice privée
risque de l'emporter sur la justice publique, alors qu'il est évident
que dans un pays bien organisé, ce genre de commerce devrait être
strictement réglementé.
Le manque d'unité du
système est dû également au pragmatisme de la bureaucratie.
D'après le droit romain, « jura novit curia » ; or, très
souvent aux États-Unis, la main droite ne sait ce que fait la main
gauche. Dans un gouvernement qui contient un grand nombre de services
particuliers, toute synthèse des intérêts contradictoires devient
fort difficile.
(…)
Une autre particularité
du droit américain est son hostilité envers les concepts plus
larges et les principes généraux. Le droit jurisprudentiel se
consacre à une analyse microscopique des circonstances et à un
formalisme qui échappe à la lumière des principes. La boutade du
juge Jerome Frank (4), selon laquelle le juge n'applique pas le
droit, mais le crée plutôt au fur et à mesure des nécessités
soulevées par les différents cas, est devenue presque une thèse
officielle de l'école sociologique.
Il est exact que chaque
cas criminel et judiciaire est unique, mais pourtant par sa nature
même, il tombe forcément dans une catégorie déterminée. Or, le
juge ignore souvent ces catégories. D'après les circonstances, il
se prête à changer non seulement la nature du crime, mais encore de
statuer s'il est justiciable ou non. Les questions de procédure (the
due process of law) jouent un rôle extrêmement important dans
les procès criminels. Une erreur de procédure peut justifier la
mise en liberté du coupable comme cela est arrivé dans quelques cas
demeurés très célèbres : dans le cas de Mallory versus les
Etats-Unis (1957), la Cour Suprême a renversé la condamnation pour
viol de Mallory, âgé de 19 ans, simplement parce que la police,
avant de le remettre au juge d'instruction le jour de son
arrestation, l'avait interrogé, avait obtenu sa confession sans
l'avoir averti qu'il avait le droit de garder le silence jusqu'à
l'arrivée de son avocat.
Par ses décisions dans
les cas Escobedo versus Illinois (1964) et Miranda versus Arizona
(1966) la Cour Suprême a encore renforcé la position des suspects
dans les procès en établissant qu'une consultation préalable avec
son avocat est la condition de la légalité dans la procédure
devant le juge d'instruction. Ces cas ont servi ensuite de précédents
pour une série de décisions semblables par les tribunaux
inférieurs.
L'accent mis sur les
circonstances et la procédure a pour conséquence l'effacement de
l'autorité du droit et l'élargissement de l'interprétation
judiciaire. Il arrive parfois que cette liberté aille jusqu'au
grotesque.
Ainsi, dans un cas où la
femme avait demandé le divorce, le juge a refusé cette demande et a
condamné le mari à embrasser la plaignante trois fois par jour.
Ceci ressemble davantage à une peine infligée à un pénitent au
confessionnal qu'à une sanction proprement juridique.
Par contre, si l'on
compare le cas de l'assassin de Martin Luther King, James Earl Ray,
qui a été condamné à 99 ans de prison, on se rend compte du
manque de réalisme de la justice.
De même, le système
juridique manque d'imagination ; il ne prévoit pas les situations
qui peuvent aboutir à un crime : il est donc dépourvu de rôle
préventif. S'appuyant dans leur raisonnement sur la méthode
déductive, les gardiens de l'ordre se refusent à agir sur des
hypothèses.
L'intervention de la
police est déclenchée par des actes, non par des déclarations
orales tout injurieuses qu'elles soient.
Lorsqu'il y a, au même
endroit, des manifestations de groupes opposés, la police doit se
tenir à l'écart jusqu'à ce qu'il y ait « un danger clair et
présent ». À cause de cette règle, au moment où un tel danger
devient manifeste, la situation est le plus souvent irréparable.
La police américaine
s'emploie à démêler les conséquences d'un conflit, d'une bagarre,
d'une attaque, d'un crime : par contre, elle ne s'interpose pas pour
empêcher deux groupes hostiles ou deux personnes en conflit de
s'affronter. L'intervention a lieu, une fois le fait accompli, non
avant.
Pourquoi cette attitude ?
Parce que l'une des prérogatives traditionnelles des citoyens
américains est le droit à la dissension. Ce droit protégé par la
Constitution avait été introduit dans la doctrine politique
américaine à l'époque de la lutte pour l'indépendance. Les colons
américains considéraient alors comme un droit la possibilité
d'exprimer une opinion contraire à la politique du gouvernement
anglais. Depuis ce temps-là ce droit s'est maintenu et de nos jours,
il prend des formes inquiétantes.
(…)
On se demande si la
violence en Amérique est une prime payée par ses citoyens pour leur
liberté, un peu trop relâchée, ou si elle résulte du manque de
traditions, coutumes et convictions communes à tous.
Alors que la common
law a pu, sans grande difficulté, survivre en Angleterre, pays
de traditions homogènes, en Amérique, marquée par le sectionnement
à la fois racial, ethnique, religieux, linguistique des immigrations
successives, c'est-à-dire par une société hautement diversifiée,
elle n'a pas su apporter des solutions justes et égalitaires. Le
fait est qu'aux États-Unis, dans les circonstances actuelles, la
common law représente non seulement un système juridique
différent, mais un système qui n'a pas été capable de se séparer
de ses attaches médiévales, en un mot de se moderniser. Il est
resté démodé à tel point que l'ancien doyen de la faculté de
droit de l'Université Harvard, Erwin N. Griswold n'a pas hésité à
le qualifier d'absurde (5).
À beaucoup d'égards, le
droit américain en est à l'ère des encyclopédies, des
dictionnaires juridiques, des décisions des tribunaux dont les
volumes couvrent les étages entiers des bibliothèques. Il constitue
un labyrinthe offrant aux avocats et aux parties d'innombrables
occasions de jouer à cache-cache dans ses méandres. Ce dont le
système juridique a le plus besoin, c'est d'une refonte, d'une
révision, sinon d'une unification. Son caractère flou prive la vie
sociale d'une base de stabilité. (…)
Notes
(1) Timoty Leary, Docteur
en Philosophie, ancien professeur au Centre de Recherches
Psychologiques de l'Université Harvard, apôtre d'une religion qui
vénère « les énergies sacrées des drogues hallucinatoires »,
condamné à 30 ans de prison et $ 30 000 d'amende pour l'importation
illicite de drogues.
(2) « The Claim of
Conscience », The New York Times du 2 avril 1969.
(3) Oliver Wendell
Holmes, The Common Law, Little, Brown and Co., Boston, 1923, p. 1.
(4) Jerome Frank, Law and the the Modem Mind, Anchor Books, Garden
City, New York, 1963, pp. 36-45.
(5) Erwin N. Griswold,
Law and Lawyers in the United States, p. 79.
Référence
Prof. Joseph A. MIKUS,
« La crise du civisme et du droit aux États-Unis », in
Les Études sociales, nouvelle
série, n°82-82, année 1969, n°3-4, juillet-décembre 1969, p. 2.