Mais Proclus innove
véritablement sur l'amour.
Si l'amour n'est le plus souvent pour
lui, comme pour ses devanciers, que le sentiment du beau, il est
aussi quelquefois un sentiment d'une autre nature, ce que nous
appelons la charité. N'est-ce pas lui qui unit tous les hommes dans
la divinité ? N'est-il pas une vertu bienfaisante, qui aide ceux qui
veulent être sauvés ; qui inspire l'intelligence et la vie selon
l'intelligence ; qui, en un mot, fait des hommes vertueux la
providence de ceux qui sont moins parfaits ? Ne court-il pas après
ceux qui s'égarent pour les ramener dans la droite voie, comme
Socrate était sans cesse à la piste d'Alcibiade ? Ne les suit-il
pas tranquillement et en silence, jusqu'à ce que le moment soit venu
de leur ouvrir les yeux, et de les détourner doucement des abîmes
où ils allaient trébucher, faute de guide et de lumière ? On ne
peut le nier, voilà la charité dans son expression la plus haute et
la plus pure. L'amour est doux, patient, discret et plein d'une
bienveillance à toute épreuve, parce qu'il est désintéressé; il
supporte doucement le mépris de l'objet aimé, parce qu'il est sur
de sa conquête , ou tout au moins du bien qu'il veut faire.
Mais comment Proclus
conciliait-il cette théorie de l'amour avec l'ancienne théorie
platonicienne, qui le définissait le sentiment de la beauté ? Le
voici : Proclus considère l'amour comme une chaîne immense qui,
descendant du ciel à la terre , unit les êtres supérieurs aux
êtres inférieurs et réciproquement.
« Les êtres supérieurs,
dit-il, aiment les inférieurs, non parce que ceux-ci sont beaux et
par suite aimables, mais par providence. Les êtres inférieurs, au
contraire, aiment les supérieurs, non par providence (car quel bien
pourraient-ils faire à ceux qui sont meilleurs et plus parfaits
qu'eux ?), mais parce qu'ils trouvent dans les êtres supérieurs le
modèle vers lequel ils peuvent se tourner. Ainsi la bienfaisance et
la bonté dans les êtres supérieurs, et dans les êtres moins bons,
le sentiment de leur propre indigence et l'admiration des natures qui
sont au-dessus d'eux, voilà les deux grandes manifestations et comme
le double courant de l'amour. »
C'est de cette manière
ingénieuse et profonde, que Proclus concilie la théorie
platonicienne de l'amour et la théorie stoïque et chrétienne de la
charité (*).
(*) Commentaire sur
l’Alcibiade, I , p. 52, 64, 68, 70, 86, 88, 96, 102, 112, 114,
118, 132, 134, 138, 142, 148, 150, 152, 156, 164, 166, 170, 172,210.
Référence.
J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans
l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.403-404