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mercredi 6 juillet 2011

Foi et hommage que le vassal doit porter au seigneur, selon la Jurisprudence, 1782.

 
[Orthographe modernisée.]


Foi et Hommage,  
(Droit féodal.) 


Qu'on appelle aussi foi ou hommage, en latin fides et hominium ou homagium, est la soumission et reconnaissance que le vassal fait au seigneur du fief dominant, pour lui marquer qu'il est son homme, et lui jurer une entière fidélité.

On peut encore définir la foi et hommage, avec M. le président Bouhier, observations sur la coutume de Bourgogne, chap. 43, la promesse de fidélité solennellement faite par le vassal à son seigneur, avec les marques de soumission et de respect prescrites par les coutumes, ou réglées par l'usage des lieux.

La foi et hommage est un devoir personnel dû par le vassal à chaque mutation de vassal et de seigneur ; en sorte que chaque vassal la doit au moins une fois en sa vie, quand il n'y aurait point de mutation de seigneur, et le même vassal est obligé de la réitérer à chaque mutation de seigneur.

Anciennement on distinguait la foi de l’hommage. La foi consiste dans la prestation du ferment de fidélité, l’hommage, dans la reconnaissance faite par le vassal, qu'il est l'homme de son seigneur, c est-à-dire son sujet.

La foi était due par le roturier pour ce qu'il tenait du seigneur, et l'hommage était dû par le gentilhomme, comme il paraît par un arrêt du parlement de Paris rendu aux enquêtes, le 10 décembre 1238. Le serment de fidélité se prêtait debout après l'hommage, il se faisait entre les mains du bailli ou sénéchal du seigneur, quand le vassal ne pouvait pas venir devers son seigneur ; au lieu que l’hommage n'était dû qu'au seigneur même par ses vassaux.

La forme la plus ordinaire de l'hommage était que le vassal fût nue tête, à genoux, les mains jointes entre celles de son seigneur, sans ceinture, épée ni éperons ; ce qui s'observe encore présentement ; et les termes de l’hommage étaient : 

je deviens votre homme, et vous promets feauté dorénavant comme à mon seigneur envers tous hommes (qui puissent vivre et mourir) en telle redevance comme le fief la porte, etc.

Cela fait, le vassal baisait son seigneur en la joue, et le seigneur le baisait ensuite en la bouche : ce baiser, appelé osculum fidei, ne se donnait point aux roturiers qui faisaient la foi, mais seulement aux nobles. En Espagne, le vassal baise la main de son seigneur.

C’est avec juste raison que nous avons dit que telle était la forme la plus ordinaire de l’hommage, car il paraît, par d'anciens monuments historiques, que les circonstances qui l'accompagnaient, ont varié suivant les temps et les lieux. Si l'on en croit Guillaume de Malmesbury, du temps de Charles le Simple, celui qui recevait un bénéfice, baisait le pied de son seigneur. On lit dans une convention faite entre Guillaume, duc d'Aquitaine, et Hugues de Lusignan, qu'un évêque d'Angoulême fit hommage au duc, en lui baisant les bras. Dans le recueil des actes du règne d’Édouard III, on trouve que Jean Leukner et Elisabeth son épouse, après avoir fait la foi et hommage, en la cour du commun banc, en posant leurs mains sur un lieu qui leur avait été désigné, ont baisé le lieu où leurs mains avaient été posées.

Quand c'était une femme qui faisait l'hommage à son seigneur, elle ne lui disait pas, je deviens votre femme, cela eût été contre la bienséance, mais elle lui disait, je vous fais l'hommage pour tel fief.

De même lorsqu'un chef d'une communauté religieuse faisait hommage à son seigneur, il ne lui disait pas, je deviens votre homme, parce que sa profession est d'être tout entier à Dieu, mais je vous fais hommage, je vous serai fidèle et loyal, et je reconnaîtrai toujours tenir de vous seul les fonds donc vous êtes seigneur. Présentement on confond la foi avec l'hommage, et l'un et l'autre ne sont dus que pour les fiefs.

Il n’y a proprement que la foi et l’hommage qui soit de l'essence du fief ; c'est ce qui le distingue des autres biens. Un fief existe comme tel, par cela seul qu'il soumet le propriétaire à l'obligation d'être fidèle au seigneur dominant feudumjn solá fidelitate consistit. Elle est tellement attachée au fief, qu'elle ne peut être transférée sans l’aliénatíon du fief pour lequel elle est due. 


§. I. Ancienneté et divisions de l’hommage. 

On trouve des exemples d'hommage dès le temps que les fiefs commencèrent à se former ; c'est ainsi qu'en 734, Eudes, duc d'Aquitaine, étant mort, Charles Martel accorda à son fils Hérald la jouissance du domaine qu'avait eu son père, à condition de lui en rendre hommage et à ses enfants.

De même en 778, Charlemagne, étant allé en Espagne pour rétablir Ibinalarabi dans Sarragosse, reçut dans son passage les hommages de tous les princes qui commandaient entre les Pyrénées et la rivière d'Ebre.

Mais il faut observer que dans ces temps reculés la plupart des hommages n'étaient souvent que des ligues et alliances entre des souverains ou autres seigneurs, avec un autre souverain ou seigneur plus puissant qu'eux ; c'est ainsi que le comte de Hainaut, quoique souverain dans la plupart de ses terres, fit hommage à Philippe-Auguste en 1290.

Quelques-uns de ces hommages étaient acquis à prix d'argent ; c'est pourquoi ils se perdaient avec le temps, comme les autres droits.

Au reste le plus connu des hommages faits dans ces anciens temps, est celui rendu par Tassillon, duc de BavièreChantereau le Fevre prétende que ce n'est qu'un simple ferment de fidélité, tel que celui dont tous les sujets sont tenus envers leurs souverains. Telle est la manière dont il est rapporté dans nos anciennes annales : 

illuc et Tassilo, dux Bajariorum, cum primoribus gentis suæ venit, et more Francorum, in manus regis, in vassaticum, manibus suis semetipsum commendavit ; fidelitatemque tam ipsi regi Pipino, quàm filiis ejus Carolo et Carlomano, jurejurando supra corpus S. Dionisii promisit. 

Lorsque l'usage des fiefs fut entièrement établi en France, et généralement dans toute l'Europe, et que par les actes d'inféodation, on eut imposé au vassal des obligations différentes, plusieurs espèces d'hommage. On connut alors l'hommage simple, l'hommage ordinaire, et l'hommage lige ou plein. 

L'hommage simple est celui où il n'y avait pas de prestation de foi, ni d'obligation de service particulier, confirmée par serment, il consistait seulement dans l'hommage rendu au seigneur nue tête, les mains jointes avec le baiser. On l’appelait simple par opposition à la foi à l'hommage que le vassal doit faire les mains jointes sur les évangiles avec les serments requis. Il marquait que le possesseur de la chose, qui composait le fief, n'était assujetti envers le suzerain à aucun service, soit de cour, de plaids ou d'ost ; en sorte que le vassal en était quitte pour lui demeurer fidèle, ne prendre parti contre lui, ni directement, ni indirectement ; et que le suzerain ne pouvait lever aucune taille, capitation ou autre taxe sur les hommes de son vassal simple. 

L’hommage ordinaire, qui était exprimé par le terme homo, assujettissait le vassal à trois choses :

1°. à la fiance envers son suzerain, ce qui s'exprimait en latin par le mot fiducia, c'est-à-dire, à lui donner conseil en son âme et conscience lorsqu'il tenait ses plaids généraux ;

2°. au ressort de la justice, ce qui s'exprimait par l’unique mot justitia ; 

3°. à servir le suzerain en guerre pendant quarante jours, à compter du jour qu'il lui avait indiqué par son acte de semonce, pour le rendez-vous général au camp : cette obligation du vassal était exprimée par le mot servitium, et c'est ce qu'on appelait être sujet à l’ost de quarante jours. 

L’hommage lige ou plein, était celui où le vassal promettait de servir son seigneur envers et contre tous.

On l’appelait lige, parce qu'il était dû pour un fief lige, ainsi appelé à ligando, parce qu'il lie plus étroitement que les autres. Il y en avait autrefois de deux sortes, l'un par lequel le vassal s'obligeait de servir son seigneur envers et contre tous, même contre le souverain, comme l’a remarqué Cujas, lib. a feud. tit. 5, et lib. 4, tit. 31, 90 et 99, et comme il paraît par l’article 50 des établissements de France ; le second, par lequel le vassal s'obligeait de servir son seigneur contre tous, à l’exception des autres seigneurs dont le vassal était déjà homme lige. Il y a plusieurs de ces hommages rapportés dans les preuves des histoires des maisons illustres.

Les guerres privées que se faisaient autrefois les seigneurs, furent la principale occasion de ces hommages liges.

Plusieurs ont cru que l'hommage lige n'avait été introduit que vers le douzième siècle, ainsi que nous l’avons dit sous le mot Fief lige. Cependant il paraitrait que le mot lige commençait à être en usage dès la fin du onzième siècle; car on trouve dans un synode, tenu par Lambert, évêque d'Arras, en 1097, un article tiré du concile de Clermont de 1095, conçu en ces termes: nec episcopus, nec sacerdos regi vel alicui laico in manibus ligiam fidelitatem faciat. S. Antonin et le jésuite Maturus paraissent être de cette opinion, puisqu'ils ont expliqué le mot liga par obsequium, et par les mots legitimam ei facientes fidelitatem faciat. Mais on peut croire que ces auteurs se sont servi d'une expression usitée de leur temps.

Si on s'arrêtait aux termes d'un diplôme de Charles-le- Chauve, de l’an 845, rapporté par D. Bouquet, histoire du Languedoc, tom. 8, pag. 470, où le comte Vandrille est qualifié homme lige, homo ligias ; il faudrait dire que l’hommage lige était usité en France dès le neuvième siècle, et avant l’établissement des fiefs. Le comte Vandrille ne possédait alors que des bénéfices civils et des alleux, et il n'est pas fait mention de fiefs. Les bénéfices civils étaient des terres concédées à la charge du service militaire, les alleux des terres converties en bénéfices par le moyen des recommandations usitées sous les deux premières races, et dont l’effet était que le possesseur d'un alleu se mettait sous la protection de quelque seigneur puissant, et se rendait son homme.

On voit dans un ancien hommage rendu à un seigneur de Beaujeu, qu'en signe de fief lige, le vassal toucha de sa main dans celle du procureur général du seigneur. Baudry, qui a achevé sa chronique de Cambrai et d'Arras, vers l'an 1082, parlant d'un châtelain de Cambrai, qui vivait sous Henri I, dit que ce chevalier était homme lige du comte de Flandre. S'il n'y a pas de faute dans ces textes, il faudrait convenir que le mot lige a commencé d être employé au onzième siècle, et n'est devenu commun que dans le douzième.

Les femmes faisaient aussi l’hommage lige. On voit, par exemple, dans un terrier de 1351, qu'à Chalamont et Dombes, une femme se reconnut femme lige, quoique son mari fût homme de noble homme Philippe le Mesle.

Depuis l'abolition des guerres privées, l’hommage lige n'est proprement dû qu'au roi ; et s'il était rendu à d'autres grands seigneurs qu'au roi, il faudrait excepter le roi de l'obligation de servir le suzerain envers et contre tous.

L’hommage lige doit être rendu en personne, de quelque condition que soit le vassal.

Nous n'avons rien de plus propre à nous instruire de la manière dont se rendait l’hommage lige, que ce qui se passa en 1230, entre Philippe de Valois et le roi d'Angleterre Édouard III. Suivant la chronique de Froissard, liv.I, chap. 25, le roi d'Angleterre vint en France, et se rendit en la ville d'Amiens, où le roi et toute sa cour l'attendaient pour le recevoir à la prestation de sa foi et hommage ; et étant sur le point de l'exécution, le roi Édouard ne le voulut jamais faire que de bouche, et de parole seulement,

« sans les mains mettre entre les mains du roi de France, ou aucuns princes ou prélats de par lui députés, et ne voulut à donc le roi d’Angleterre procéder plus avant, qu'il ne fût retourné en Angleterre, pour voir les anciens titres, et pour montrer comment et de quoi le roi d'Angleterre devait être homme du roi de France ». 

Le roi de France, Philippe de Valois, ne trouva point à redire sur la difficulté que lui faisait le roi d'Angleterre, et lui répondit : 

« mon cousin, nous ne voulons point vous décevoir, et nous plaît bien ce que vous nous en avez fait à présent, jusqu'à ce que vous soyez retourné en votre pays, et que vous ayez vu par les scellés de vos prédécesseurs, quelle chose vous en devez faire ».

Le roi d'Angleterre, étant de retour en son palais, excité par-une solennelle ambassade du roi Philippe de Valois, expédia des lettres-patentes, que Froissard rapporte tout au long, par lesquelles il reconnaît que son hommage doit être rendu li ement, et explique la forme qui sera observée à l’avenir en ce» termes :

« le roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine, tiendra ses mains ès mains du très noble roi de France ; et celui adressera ses paroles au roi d'Angleterre, duc d’Aquitaine, et qui parlera pour le noble roi de France, dira ainsi : vous devenez homme lige au roi monseigneur qui est ici, comme duc de Guienne et pair de France ; et lui promettez foi et loyauté porter ; dites voire : et le roi d'Angleterre, duc de Guienne, et aussi ses successeurs, diront voire ; et lors le roi de France recevra le roi d'Angleterre et duc de Guienne audit hommage lige, à la foi et à la bouche, sauf son droit et l'autrui ».

Les auteurs parlent encore de différences espèces d'hommage, tel que celui de dévotion, de paix, de foi et service en marche, etc. Nous en parlerons sous le mot Hommage. 


§. 2. Des engagements qui résultaient de la foi et hommage. 

Ils sont détaillés dans deux lettres de Fulbert. Ce prélat, dans celle qu'il écrit au duc d'Aquitaine, les réduit à six ; conservation, sûreté, honnêteté, utilité, facilité et possibilité; c'est à-dire, que le vassal ne doit porter aucune atteinte à la personne de son seigneur ; ne point révéler son secret, ni préjudicier à la sûreté de ses forteresses ; ne point lui faire de tort du côté de sa justice et de ses honneurs, ni de ses possessions ; ne point lui susciter des obstacles qui rendraient difficile ou impossible ce qu'il a la facilité ou la possibilité d'entreprendre et d'exécuter.

Mais un vassal n'a pas rempli toute justice en ne nuisant pas à son seigneur ; il lui doit encore conseil et aide dans toutes les occasions qui peuvent l'intéresser.

Le seigneur, de son côté, doit remplir les mêmes obligations à l'égard de son vassal : s’il y manque, il est coupable de mauvaise foi, comme le vassal qui ne s'acquitterait pas de ses devoirs envers son seigneur, serait coupable de perfidie et de parjure.

Un vassal, en s'engageant ainsi à défendre son seigneur immédiat envers et contre tous, devait excepter le cas de fidélité envers le roi ; de même que celui qui aurait possédé des fiefs dans différentes mouvances, faisait la réserve de la fidélité envers son principal seigneur. C'est ce que nous apprend une autre lettre de Fulbert à un des vassaux de l'église de Chartres.

Chantereau le Fevre, dans son traité de l'origine des fiefs, chap. 15, parle également des obligations respectives des seigneurs et des vassaux. Ce qu'il dit mérite d'être rapporté.

« Par tous les titres que j'ai vus, et que je rapporte en très grand nombre, du douzième et treizième siècles, où le droit des fiefs était en sa vigueur, il se reconnaît qu'il y avait une grande liaison d'amitié et d'intérêt entre le seigneur dominant et ses vassaux ; en sorte qu'ils se secouraient mutuellement en leurs besoins : le seigneur s'obligeait et cautionnait ses vassaux quand ils promettaient quelque chose, ou empruntaient quelque somme de deniers, jusqu'à la concurrence de la valeur du fief ; et les vassaux rendaient un pareil office à leur seigneur dominant, tellement que cet établissement était d'une merveilleuse utilité aux uns et aux autres: ce qui fît que sitôt que l'ouverture en fut faite, chacun en voulait être. Un seigneur était grand et puissant, à proportion du nombre, de la quantité, et des moyens de ses vassaux ; et le vassal était respecté, par la considération de la puissance et des richesses de son seigneur dominant ».

Il ne faut pas oublier ce qu'observe Dumoulin, que dans l'acte de foi et hommage, et du serment de fidélité, il n'est pas nécessaire de spécifier les obligations auxquelles on s'engage par-là, et qu'il suffit de promettre la fidélité, telle qu'elle est due de droit. Aussi serait-on assez embarrassé de les spécifier, depuis que ces engagements, qui étaient anciennement fort considérables, ont été, par l'abolition des guerres privées, réduits à presque rien, du moins à 1’égard des particuliers.

C'est pour cela qu'Hevin a soutenu, avec beaucoup d'apparence et de raison, qu'il serait peut-être à propos d'abolir la formalité de l'hommage, non seulement à l'égard des particuliers, mais du roi même : car pour les particuliers, puisque le service militaire est interdit à leur égard, il ne paraît pas trop convenable qu'ils exigent de leurs vassaux une promesse de fidélité, qui n'est due qu'au souverain. Et à l'égard du roi, l'hommage n'est qu'une vaine cérémonie, puisque tous ses sujets, soit vassaux ou autres, sont également obligés à lui être fidèles, et y sont portés autant par inclination que par devoir. Ainsi l'hommage n'est bon aujourd'hui qu'à procurer des droits aux officiers qui le reçoivent sur les vassaux auxquels ils sont sont à charge,et qu'à renouveler le souvenir des temps malheureux, où, à cause des diverses factions qui régnaient dans l'État, les rois étaient obligés de s’assurer de la fidélité de leurs vassaux, et de les lier par la religion du serment. Et il ne faut pas dire que l'intérêt du roi et des seigneurs en souffrirait ; car il serait suffisamment à couvert par les aveux et dénombrements des vassaux, où leurs engagements pourraient être expliqués. 


§. 3. Forme de la foi et hommage. 

C’est un principe général, en matière de prestation de foi et hommage, qu'on doit suivre scrupuleusement les formalités prescrites par la coutume du lieu, ou par le titre d'inféodation. L'hommage doit encore se faire toujours au chef-lieu de la seigneurie dominante ; ailleurs il serait nul, quand bien même il le serait à la personne du seigneur, à moins qu'il ne veuille bien l'agréer, par la raison que tout est réel dans cette matière, non persona personæ, sed res rei subjicitur.

Nous trouvons l'ancienne forme des hommages dans les établissements de S. Louis, deuxième partie, chap. 18. En voici les termes : 

« quand aucun veut entrer en foi de faingneur si le doit requierre, si comme nous avons dit ci-dessus et doit dire en tele manière ; sire je vous requiex comme à mon saigneur, que vous me meté en vostre foi et en vostre homage de tele chose assisse en votre fié que j'ai achetée, et li doit dire de tel home, (et doit cil estre présent, qui est en la foi du seigneur ), et se ce est par achat, ou se ce est d'eicheoite ou de descendüe, il le doit nommer, et jointes meins, dire en tele manere : sire, je devien vostre homme, et vous promet feauté d'orénavant comme à mon seigneur envers tous hommes (qui puissent vivre ne mourir ) en telle redevance comme li fies la porte en fesant vers vous de vostre rachat, comme vers seignieur. Et doit dire de quoi, de bail ou d'écheoite, ou d'héritage, ou d'achat, et li sires doit présentement respondre, et je vous reçois et preinz à hons, et vous en bese en nom de foi, et sauf mon droit et l'autruy selon l'usage de divers pays ; et li sires püet prendre large place de la moitié et des rentes se il ne tine du rachat et ausis des relevoisons ». 

Ce baiser, ainsi que nous l'avons dit plus haut, n'était accordé qu'aux vassaux nobles, et non aux vilains ou roturiers.

La forme actuelle de l'hommage est consignée dans l'article 63 de la coutume de Paris. Cet article est conçu en ces termes : 

« le vassal, pour faire la foi et hommage, et ses offres à son seigneur, est tenu aller vers ledit seigneur au lieu dont est tenu et mouvant ledit fief, et y étant, demander si le seigneur est au lieu, ou s'il y a autre pour lui ayant charge de recevoir la foi de lui, et hommage et offres, et ce faisant doit mette un genouil en terre, tête nue, sans épée et éperons, et dire qu'il lui porte et fait la foi et hommage qu'il est tenu de faire à cause dudit fief mouvant de lui, et déclarer à quel titre ledit fief lui est avenu, ce requérant qu'il lui plaise le recevoir. Et où le seigneur ne seroit trouvé, ou autre ayant pouvoir pour lui suffit faire foi et hommage et offres devant la principale porte du manoir, après avoir appellé à haute voix le seigneur par trois fois, et s'il n'y a manoir au lieu seigneurial dont dépend ledit fief, et en cas d'absence dudit seigneur, ou de ses officiers, faut notifier lesdites offres au prochain voisin dudit lieu seigneurial, et laisser copie ». Article 63 de la coutume de Paris, ajouté. 

La forme adoptée par cet article de la coutume de Paris, est presque générale par tout le royaume, à l'exception néanmoins de la génuflexion, qui paraissait à Dumoulin devoir être réservée au roi, étant trop indécente à l'égard des particuliers.

Les notaires du châtelet mettent ordinairement dans ces actes de foi faits à la porte, ces seuls mots en état de vassal, sans décrire davantage les cérémonies prescrites par la coutume, ce qui cause souvent des procès ; ce n'est pas que cette expression ne puisse être suffisante, étant relative à ce qui est ordonné par cet article ; mais le plus sûr est de détailler les formalités tout au long. C'est l'avis de Duplessis, des fiefs, liv.1, chap. 3.

Chorier, sur Guy-Pape, dit que c'est un privilège de la noblesse d'être debout en faisant la foi, à moins que le contraire ne soit porté par le titre du fief, suivant l'exemple qu'il donne de la terre de la Beaume, pour laquelle Charles de la Beaume de Suze, nonobstant la naissance illustre, fut condamné, par arrêt du parlement de Grenoble, de le rendre à genoux.

La foi et hommage lige due au roi, se fait toujours à genoux ; il y en a plusieurs exemples remarquables dans Pasquier et autres auteurs.

Tel est celui de Philippe, archiduc d'Autriche, lorsqu'il fit la foi à Louis XII, entre les mains du chancelier Guy de Rochefort, pour les comtés de Flandre, Artois et Charolais : le chancelier assis, prit les mains de l'archiduc ; et celui-ci voulant se mettre à genoux, le chancelier l'en dispensa, et en le relevant, lui dit, il suffit de votre bon vouloir ; l'archiduc tendit la joue, que le chancelier baisa.

Le comte de Flandre fit de même la foi à genoux, tant à l’empereur qu'au roi de France, pour ce qu'il tenait de chacun d'eux.

La même chose a été observée dans la foi et hommage faite pour le duché de Bar par les ducs de Lorraine à Louis XIV, et à Louis XV.

Revenons à la manière de prêter l'hommage. Dumoulin décide, avec raison, que le vassal doit déclarer dans l'acte pour quels fiefs il rend le devoir ; si c'est pour le tout ou pour partie de la chose féodale ; et en cas que ce soit pour une partie, il doit dire s'il la possède divisément ou indivisément ; car s'il offrait seulement l'hommage pour cc qui est mouvant du seigneur en général, sans rien spécifier davantage, le seigneur serait en droit de le refuser, comme il a été jugé par un arrêt du parlement de Toulouse du 23 octobre 1606. La raison est qu'il est de son intérêt de savoir au vrai quelles sont les choses que son vassal tient de lui, soit pour régler le dénombrement qui lui en sera donné dans la suite, soit pour la conservation de ses droits et de son domaine direct.

Par la même raison, le vassal doit faire exhibition à son seigneur, et même lui laisser une copie en forme, s'il le désire, soit de son contrat d'acquisition du fief, soit de l'investiture de son prédécesseur, s'il tient le fief par succession, faute de quoi le seigneur serait bien fondé à refuser l'hommage, à moins que le vassal ne justifiât d'une possession trentenaire.

Et c'est aussi la raison pour laquelle à chaque mutation de vassal, il est dû un nouvel hommage au seigneur féodal : formalité qui a été introduite à l'exemple des reconnaissances des cens, soit emphytéotiques ou autres, comme l'a observé M. de Chaffeneuz. Autrement il pourrait arriver par succession de temps, que le seigneur ne saurait plus, ni ce que serait devenue la chose féodale, ni en quelles mains elle aurait passé, ni du moins quelle en serait la consistance . 


§. 4. Quelles personnes doivent la foi et hommage. 

La foi doit être faite par tout propriétaire de fief servant, soit laïque ou ecclésiastique, noble ou roturier, mâle ou femelle ; les religieux la doivent aussi pour les fiefs dépendants de leurs bénéfices ou de leurs monastères ; et personne ne peut s'exempter de ce devoir, à moins d'abandonner le fief ; à l'exception du roi qui ne doit point de soumission à ses sujets, ou lorsque par le titre d'inféodation, le vassal en a été dispensé à perpétuité.

Lorsque le vassal possède plusieurs fiefs relevants d'un même seigneur, il peut ne faire qu'un seul acte de foi et hommage pour tous ses fiefs.

Ainsi la foi est due toutes les fois qu'il y a mutation de la part du vassal, soit par succession, donation, vente, échange ou autrement ; et dans tous ces cas, il n'est pas besoin de réquisition de la part du suzerain, parce que c'est un axiome de notre droit, que tout nouveau vassal doit la foi à son seigneur, et lui faire reconnaissance. Mais lorsque la mutation procède du chef du seigneur dominant, le vassal n'est point obligé de porter la foi à son nouveau seigneur, s'il n'en est par lui requis.

Quoique tout vassal soit tenu de faire la foi à son seigneur, cependant comme il y a quelques différences à cet égard entre les vassaux, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails.

I. L'engagiste d'un fief faisant partie du domaine de la couronne, n'est pas assujetti à l'hommage envers le roi, parce qu'un engagement n'est pas une inféodation ; l’engagement n'est qu'une aliénation précaire et révocable ad nutum, et l'inféodation est de sa nature perpétuelle.

De même que l'engagiste n'est pas tenu de rendre hommage au roi, il ne peut pas non plus recevoir en foi les vassaux mouvants du fief qu'il tient à titre d'engagement.

La raison de cette exclusion de l'engagiste, de recevoir la foi, est qu'il n'est point le seigneur de la terre qui lui est engagée, dont il n'a que la simple faculté de recevoir les fruits ; et la maxime est si constante, qu'une clause précise d'un engagement qui serait contraire n'aurait aucune exécution, comme il a été jugé en 1676, par arrêt du conseil, contre le sieur de Falleville.

En effet, il n'y a que le seigneur qui puisse recevoir les vassaux en foi ; et l'engagiste n'a constamment point cette qualité, comme Loiseau le reconnoit, des offices, 4, c. 9, n. 28 et suivant.

Cet auteur, après avoir décidé que l'engagiste ne peut prendre la qualité de duc ou de comte, ou même de seigneur du domaine engagé, observe qu'il peut prendre la qualité de seigneur par engagement d'un tel domaine. Voyez Bacquet, des Droits de justice, 12 (?), n. 15 ; et la Lande sur Orléans, 63. 

II. Quand le fief appartient à plusieurs copropriétaires, tous doivent porter la foi; mais chacun peut le faire pour sa part, ce qui ne fait pas néanmoins que la foi soit divisée, car de sa nature elle est indivisible. Dans ce cas, le copropriétaire qui porte la foi, doit spécifier pour quelle partie du fief il la rend.

Il en est de même lorsque le fief est à partager entre plusieurs cohéritiers, tous sont tenus de lui présenter hommage, mais il doit les investir à mesure qu'ils se présentent.

III. La propriété du fief étant contestée entre plusieurs contendants, chacun peut aller faire la foi et payer les droits. Le seigneur doit les recevoir tous, et celui qu'il refuserait pourrait se faire recevoir par main souveraine.

Il suffit même qu'un d'entre eux ait fait la foi et payé les droits, pour que le fief soit couvert pendant la contestation ; mais après le jugement, celui auquel le fief est adjugé doit aller faire la foi, supposé qu'il ne l'ait pas déjà faite, quand même il y en aurait eu une rendue par un autre contendant ; autrement il y aurait perte de fruits pour le propriétaire.

IV. Lorsque le propriétaire du fief servant est mineur, c'est-à-dire,qu'il n'a pas l'âge requis pour faire la foi, le délai, pour la rendre, est en suspens ; le tuteur ne peut pas la faire pour lui, il doit seulement payer les droits, et pour la foi demander souffrance jusqu'à ce que le mineur soit en âge. La demande même suffit, quoiqu'elle n'ait pas été accordée. Mais jusqu'à ce que l’oreille du seigneur en ait été frappée, il peut user de son droit, c'est-à-dire, saisir féodalement le fief, par faute de foi.

La forme de cette réquisition est de demander souffrance, par un acte signifié au seigneur, contenant l'âge et le nom du propriétaire mineur, ou des propriétaires, s'il y en a plusieurs..Comme cet acte n'est pas un service de fief, mais plutôt une exception contre celui qui est à faire, il peut être fait par procureur, et signifié à la personne, ou au domicile du seigneur, sans que l'huissier soit tenu de se transporter au principal manoir du fief dominant. Voyez Souffrance.

V. Le mari, comme administrateur des biens de fa femme, doit la foi pour le fief qui lui est échu pendant le mariage, et payer les droits s'il en est dû ; en cas d'absence du mari, la femme peut demander souffrance. Elle peut aussi dans le même cas, ou au refus de son mari, se faire autoriser par justice à faire la foi, et payer les droits.

Quand la femme est séparée de biens d'avec son mari, elle doit faire elle-même la foi et hommage. Il en est de même lorsqu'il n'y a point de communauté établie entre eux par la coutume, ou par leur contrat de mariage. Le mari peut néanmoins dans ces cas, porter la foi et hommage pour sa femme, en vertu d'une procuration spéciale.

Après le décès du mari, la femme, pour laquelle le mari a fait la foi et hommage, à raison des fiefs qui lui sont échus pendant la communauté, ne doit point de nouveaux droits, mais seulement la foi, au cas qu'elle ne l'eût pas déjà faite en personne. Pour ce qui concerne les fiefs acquis pendant la communauté, elle ne doit point de foi pour sa part après le décès de son mari, pourvu que celui-ci eût porté la foi, par la raison que la femme étant conquéreur, il n'y a point de mutation en sa personne.

VI. Il n'est pas dû de foi et hommage par la douairière pour les fiefs sujets au douaire ; la veuve n'étant qu'usufruitière de ces biens, c'est aux héritiers du mari à faire la foi. Tel est le droit le plus généralement observé ; il y a cependant quelques coutumes qui autorisent la femme à faire la foi, pour les fiefs dont elle jouit pour son douaire. Mais lorsque les héritiers du mari ne font pas la foi, ou ne paient pas les droits, la veuve peut la porter elle-même à leur place, après néanmoins qu'elle les a fait sommer de satisfaire à ce devoir de fief.

VII. Lorsqu'un fief advient au roi par droit d'aubaine, déshérence, bâtardise, confiscation, il n'en doit point la foi au seigneur dominant par la raison qui a déjà, été dite ; mais il doit vuider ses mains dans l'an de son acquisition, ou payer une indemnité au seigneur, lequel néanmoins ne peut pas saisir pour ce droit, mais seulement s'opposer.

Tel est le droit que nous suivons à cet égard, depuis l'ordonnance de Philippe-le-Bel, en 1302 ; car auparavant lorsque le roi possédait un fief dans la mouvance de quelque seigneur particulier, il lui en rendait hommage de la même manière que tout autre seigneur eût fait. Lorsque Herpin vendit la vicomté de Bourges au roi Philippe I, celui-ci en fit rendre hommage en son nom au comte de Sancerre, pour la portion des terres qui en relevaient. On trouve même postérieurement à Philippe-le-Bel, des exemples qui prouvent que dans ce cas, le roi faisait porter la foi par un fondé de procuration.

Le roi Charles V acheta de Jean de Lorris, vers l'an 1365, la terre de Beaurain, relevant du comté de Saint-Pol. Depuis l'acquisition, Charles V, sur la remontrance du comte de Saint-Pol, commit le 2 janvier 1366, Raoul de Bonneval pour rendre en son nom à ce comte la foi de cette terre ; le 17 juin 1368, Beaurain fut uni à la couronne. Les lettres-patentes d'union portent qu'il est assis au bailliage d'Amiens, et que cette union est faite par des raisons particulières: ces lettres patentes furent déposées à la chambre des comptes ; c'était l'usage de ce temps-là, on n'en faisait pas d'autre enregistrement.

Postérieurement à cette union, le roi Charles VI crut qu'il devoir avoir égard à la remontrance qui lui fut faite par le comte de Saint-Pol, que la terre de Beaurain relevait de lui: il commit, le 10 janvier 1396, Wallerand de Bonneval son chambellan, pour rendre en son nom la foi au comte de Saint - Pol ; Wallerand de Bonneval, en vertu du pouvoir qu'il en avait du roi, en fit la foi le 29 de janvier 1396, au nom du roi, au comte de Saint-Pol.

VIII. Le donataire entre vifs d'un fief, même avec rétention d'usufruit en faveur du donateur, est tenu de faire foi, parce qu'il y a changement de personne par rapport à la propriété du fief, que le changement donne ouverture au fief, et que le seigneur est dans le droit d'user de main-mise, si le nouveau vassal ne couvre pas son fief par la prestation de foi, dans les délais prescrits par la coutume.

IX. Le simple usufruitier n'a pas le droit d'entrer en foi, et de demander que le seigneur l'admette à ce devoir, qui regarde uniquement le propriétaire. Telle est la disposition précise des coutumes de Paris, art. 40 ; d'Anjou, art. 125 ; du Maine, art. 125 ; de Poitou, art. 264, et de plusieurs autres. C'est aussi l’avis de Dumoulin, Chaffeneuz et d'Argentré.

Cependant si le propriétaire du fief servant négligeait de faire la foi et hommage et de payer les droits, et que le fief fût saisi féodalement par le seigneur, je ne vois pas par quelles raisons on pourrait empêcher l'ufufruitier de faire la foi et hommage, de payer les droits pour avoir main-levée de la saisie, et éviter la perte des fruits. Dans ce cas, l'usufruitier aura son recours contre le propriétaire pour ses dommages et intérêts ; et comme ce n'est pas pour lui-même qu'il fait la foi, il sera tenu de la réitérer à chaque mutation de propriétaire qui se trouvera dans le même cas.

X. Les corps, chapitres et communautés d'hommes séculiers et réguliers, qui possèdent des fiefs, sont obligés d'en porter la foi. Leur manière de la faire est réglée par les articles 110, 111 et 112 de la coutume d'Anjou, et par les articles 121, 122 et 123 de celle du Maine, et elle se réduit à cette disposition.

Si le corps ou chapitre a un chef, comme un doyen, un abbé, un prieur, ce chef fera la foi pour le corps ou chapitre ; et en cas de légitime empêchement, elle sera faite par un député ou commis à cet effet.

Pour les corps et communautés qui n'ont point de chef principal, comme les fabriques, hôpitaux, etc. la foi et hommage doit être faite par l’homme vivant et mourant, et pour les bénéfices particuliers par les titulaires ; ce qui est conforme au droit commun du royaume.

Pour les religieuses, nous avons une décrétale qui porte que si elles possèdent quelque fief, elles doivent tâcher d'être admises à en faire le devoir par procureur, mais que si elles ne peuvent l'obtenir du seigneur féodal, l'abbesse et la prieure du monastère doivent aller en personne prêter la foi et hommage avec le plus de décence qu'il fera possible. En France elles sont dispensées de rendre ce devoir en personne, et l'on exige seulement qu'elles s'en acquittent par procureur, soit que ce soit l'homme vivant et mourant qu'elles ont donné au seigneur, ou un autre ayant charge d'elles. Voyez^ homme vivant et mourant..

Outre le serment de fidélité, les évêques doivent également au roi la foi et hommage pour les fiefs qu'ils tiennent de lui, à cause desquels, comme vassaux, ils étaient tenus anciennement d'assister le roi de gens à la guerre, comme on voit dans les épîtres de Lupus, abbé de Ferrières, dans les écrits d'autres anciens auteurs, et dans les preuves des libertés de l'église gallicane. On y trouve que l'archevêque de Sens devait quatre chevaliers, 1’évêque d'Orléans deux, l'évêque de Chartres trois, l'évêque de Paris trois, l'évêque de Troyes deux, l'évêque de Noyon cinq, l'évêque de Beauvais cinq, l'évêque de Lisieux vingt, l'évêque de Bayeux vingt, l'évêque d'Avranches cinq, et le semblable presque en la plupart des abbayes du pays de Normandie. C'est pourquoi, en l'exemption de la régale, que Philippe-Auguste accorda aux évêques d'Auxerre en l'an 1206, il ajouta particulièrement cette réserve: salvo servitio nostro equitationis, exercitûs et subventionis, sicut epíscopi Altissiodorenses nobis fecerunt, etc. et en celle de Nevers, de l'an 1208 : præterea exercitûs et procurationis, sicut nos et prædecessores nostri ea solens et debens habere.

Il nous reste plusieurs hommages rendus aux rois par les évêques. On y distingue très bien le ferment de fidélité et l'hommage proprement dit. Nous n'en rapporterons qu'un exemple: c'est le serment prêté par Hincmar, évêque de Laon, à Charles-le-Chauve. Voici les termes dans lesquels il est conçu. On le trouve dans Aymoin, de gestis Francorum, liv. 4, chap. 24.

Ego Hincmarus, Laudunensis ecclesiæ episeopus, amodo et deinceps domino seniori meo Carolo regi sic fidelis et obediens, secundum ministerium meum ero, sicut homo sup seniori et episcopus per rectum suo regi esse debet. 

Ces termes, sicut episcopus per rectum suo regi esse debet, témoignent la fidélité ; et ceux-ci, sicut homo suo seniori, la foi et hommage qu'il faisait au roi son seigneur, comme vassal, à cause des fiefs dépendants de son évêché ; car senior, qui est un mot latin de ce siècle-là, ne signifie autre chose que seigneur ; et le mot homo signifie vassal, d'où vient le mot latin hominium pour hommage ; et en termes de fiefs, saisir un fief à faute d'homme, c'est-à-dire, à faute de vassal.

Le passage que nous allons transcrire, achèvera d'établir la dépendance féodale des évêques envers le roi, et l'obligation où ils sont de lui faire hommage du temporel de leurs églises. Ce passage est tiré du traité des régales de M. le Maître.

« Le serment de l'archevêque de Reims Arnoul, est encore considérable par-dessus les autres, en ce qu'il fait foi notamment, que la peine de l’infidélité d'un évêque français envers son roi, a été, même sous la troisième race de nos rois, la perte de son évêché, comme nous avons dit ci-devant, ni plus ni moins que la peine d'un vassal qui désavoue son seigneur dominant, ou le dément, ou l'appelle en duel, est la perte de son fief. C'est sur quoi se fonda ce grand parlement de Paris, lorsque le 16 février 1595, il jugea qu'il y avait ouverture de régale, par la rébellion du cardinal de Pelue, archevêque de Sens, comme, le 15 février 1594, auparavant, il avait jugé à Tours, en l'audience, que l'évêque, par sa rébellion, si elle est publique et notoire, perd son évêché, ipso jure et non expectata sententia, et que la régale est ouverte du jour de la rébellion ; plaidant Robert pour M. Antoine Messalin, pourvu en régale d'une prébende de Senlis, par la rébellion de l'évêque dudit lieu, nommé M. Rose ».

On ne peut donc pas douter du droit que nos rois ont d'exiger la foi et hommage de la part des évêques, à raison des fiefs qu'ils possèdent. Mais il serait peut-être difficile de trouver un acte de foi et hommage, rendu par un évêque, depuis celui de Louis de Poitiers, évêque et comte de Valence et de Die, fait par lui en 1456, au dauphin, depuis roi sous le nom de Louis XI.

« Depuis ce temps-là, dit le P. Thomassin, en sa discipl. ecclès. part. 4, liv. 2, chap. 53, il ne paraît plus d’hommages rendus, mas de simples serments de fidélité ; ces serments de fidélité ont même quelque chose plus honnête et plus honorable pour la probité de ces derniers siècles envers les princes souverains. Quelques-uns ont cru que 1’hommage s'était confondu avec le serment ; mais un arrêt du conseil-privé en 1652, en faveur de l'évêque d'Autun, nous donne d'autres lumières. Cet évêque, ayant prêté son serment de fidélité au roi, eut peine de le faire enregistrer dans la chambre des comptes, parce qu'elle exigeait encore de lui l’hommage et le dénombrement des fiefs et domaines qu'il tenait ; il présenta requête au roi conjointement avec les agents du clergé, et elle contenait que par tes lettres patentes de Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII, enregistrées au parlement et en la chambre des comptes, les ecclésiastiques de ce royaume auraient été déclarés exempts de faire la foi et l’hommage, et donner, par aveu et dénombrement, leurs fiefs, terres et domaines, attendu les amortissements faits d’iceux en 1522 et 1547 par les rois Français I, et Henri II.... le roi prononça en faveur de l'évêque ».

D'ailleurs il est certain que le clergé a obtenu divers arrêts de surséance pour la foi et hommage des fiefs qu'il possède mouvants nuement du roi ; il y en a plusieurs indiqués dans Brillon au mot Foi, n°. 8, et rapportés dans les mémoires du clergé : mais il ne paraît pas que cette surséance s'étende aux fiefs mouvants des seigneurs particuliers. On peut voir dans le Commentaire d'Auroux Despommiers, prêtre, docteur en théologie, et conseiller-clerc en la sénéchaussée de Bourbonnais, et siège présidial de Moulins, sur la coutume de Bourbonnais, art. 380, qu'il pense que la forme de la foi et hommage, de la part des gens d'église, n'est point différente, nonobstant la dignité de leur caractère, qui semblerait les exempter de cet abaissement envers un laïque ; parce qu'en ce qui concerne les choses temporelles, ils sont sujets au droit commun.

Nous n'avons jamais admis en France la prétention des papes, et d'une grande partie du clergé étranger, consignée dans plusieurs canons des conciles, par laquelle les évêques soutenaient n'être tenus envers les souverains, pour les fiers dépendants de leurs bénéfices, qu'au serment de fidélité, sens charge d'hommage.

Les décrets du concile de Clermont de 1097, et de celui de Latran de 1215, qui défendent aux laïques d'exiger des personnes ecclésiastiques le ferment d'hommage et de fidélité, n'ont jamais eu d'autorité parmi nous, ou n'ont pu y être entendus, que du cas où l'on aurait exigé le serment d'hommage, pour raison du bénéfice ecclésiastique, c'est-à-dire, à raison de la spiritualité du bénéfice ; parce qu'en effet l'hommage rendu pour la spiritualité d'un bénéfice, ne pourrait être regardé que comme une simonie : indignum est ut pro spiritualibus facere quis homagium compellatur : pro habendis spiritualibus homagium facere simoniacum est. Cap. ex diligenti, et cap. fin. de reg. juris.

Dans les onzième, douzième et treizième siècles, la vanité se trouvait si flouée de l'espèce d’assujettissement de celui qui faisait hommage, à celui qui le recevait, que l'usage s'était introduit dans le clergé, d'exiger des hommages de ceux qui étaient dans un rang inférieur. Il existe une lettre du pape Pascal II, écrite au clergé de Paris, dans laquelle il se récrie avec violence contre cette coutume.

Les abbés, n'ayant point d’ecclésiastiques qui leur fussent assujettis, et voulant, d'un autre côté, imiter les souverains, exigèrent des curés le serment de fidélité, lorsqu'ils les instituaient dans les paroisses, eu égard aux dîmes qu'ils leur cédaient. Un concile de Chicester de l'an 1289 s'éleva contre cet abus, et dit, en parlant de ces abbés : fidelitatis exigunt sacramentum et nec exactores sinimus impunitos cum simoniacam contineant pravitatem. 

XI. Quand un fief est saisi réellement, et qu'il y a ouverture survenue, soit avant la saisie réelle ou depuis, pour laquelle le seigneur dominant a saisi féodalement, le commissaire aux saisies réelles ou autre établi à la saisie, doit aller faire la foi, et payer les droits au nom du vassal partie saisie, après l'avoir sommé de le faire lui-même.

Le seigneur dominant doit recevoir le commissaire à faire la foi, ou lui donner souffrance; s'il n'accordait pas l'un ou l'autre, le commissaire peut se faire recevoir par main souveraine, afin d'éviter la perte des fruits.

XII. Le vassal étant absent depuis longtemps, et son fief ouvert avant ou depuis l'absence, le curateur créé à ses biens peut faire la foi ; le vassal absent peut aussi demander souffrance s'il a quelque empêchement légitime. Voyez Souffrance.

XIII. Le délaissement par hypothèque d'un fief ne faisant point ouverture jusqu'à la vente, n'occasionne point de nouvelle foi et hommage ; mais si le fief est ouvert d'ailleurs, le curateur créé au déguerpisse ment doit faire la foi, et payer les droits pour avoir main levée de la saisie féodale, et empêcher la perte des fruits.

Si c'était un déguerpisse ment proprement dit du fief, le bailleur qui y rentre de droit, doit une nouvelle foi et hommage, quoiqu'il l'eût faite pour son acquisition. Loyseau, du déguerp. liv. 6, chap. 5, n. 12.

Dans une succession vacante où il se trouve un fief, on donne ordinairement le curateur pour homme vivant et mourant, lequel doit la foi et les droits au seigneur.

XIV. En succession directe, le fils aîné est tenu de faire la foi, tant pour lui que pour ses frères et sœurs, soit mineurs ou majeurs, avec lesquels il possède par indivis, pourvu qu'il soit joint avec eux au moins du côté du père ou de la mère dont vient le fief.

S'il n'y a que des filles, l’aînée acquitte de même ses sœurs de la foi.

Après le partage, chacun doit la foi pour sa part, quoique l'aîné eût fait la foi pour tous.

Si l’aîné était décédé sans enfants et avant d'avoir porté la foi, ce serait le premier des puînés qui le représenterait ; s'il y a des enfants, les fils de l'aîné représentent leur père ; s'il n'avait laissé que des filles, entre roturiers, l'aînée serait la foi pour toutes ; mais entre nobles,ce serait le premier des puînés mâles.

Il y a plusieurs cas où l'aîné n'est pas obligé de relever le fief pour ses puînés, c'est-à-dire, de faire la foi pour eux, savoir :

1°. Lorsqu'il a renoncé à la succession des père et mère, et dans ce cas, le puîné ne le représente point.
2°. Quand il a été déshérité.
3°. Lorsqu'il n'est pas joint aux puînés du côté d'où leur vient le fief ; car en ce cas, il leur est à cet égard comme étranger.
4°. Lorsqu'il est mort civilement.

Quand l’aîné renonce à la succession, le puîné ne peut pas porter la foi pour son aîné ni pour ses autres frères et sœurs, parce qu'il ne jouit pas du droit d'aînesse ; mais l'aîné même peut relever le fief, parce que ce n'est pas la qualité d'héritier, niais celle d'aîné qui autorise à porter la foi pour les puînés.

Si l'aîné a cédé son droit d'aînesse, le cessionnaire, même étranger, doit relever pour les autres, et les acquitter.

L'aîné, pour faire la foi, tant pour lui que pour les autres, doit avoir l'âge requis par la coutume, sinon son tuteur doit demander souffrance pour tous.

En faisant la foi, il doit déclarer les noms et âges des puînés.

La foi n'est point censée faite pour les puînés, à moins que l'une ne le déclare; il peut aussi ne relever le fief que pour quelques-uns d'entre eux, et non pour tous.

Lorsqu'il fait la foi, tant pour lui que pour eux, il est obligé de les acquitter du relief, s'il en est dû par la coutume, et en vertu de quelque titre particulier.

L'aîné n'acquitte ses frères et sœurs que pour les fiefs échus en directe, et non pour les successions collatérales, où le droit d'aînesse n'a pas lieu. 


§. 5. À qui la foi est-elle due ? 

La foi et hommage doit être faite au propriétaire du fief dominant, et non à l'usufruitier, lequel a seulement les droits utiles.

Lorsque le seigneur est absent, le vassal doit s'informer s'il y a quelqu'un qui ait charge de recevoir la foi pour lui.

Le seigneur peut charger de cette commission quelque officier de sa justice, son receveur ou son fermier, ou autre, pourvu que ce ne soit pas une personne vile et abjecte, comme un valet ou domestique.

S'il n'y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, quelques coutumes veulent que le vassal se retire par devers les officiers du seigneur, étant en leur siège, pour y faire la foi et les offres ; ou s'il n'a point d'officier, que le vassal aille au chef-lieu du fief dominant avec un notaire ou sergent, pour y faire la foi et les offres. Celles de Paris, article 63, et plusieurs autres semblables, portent simplement que s'il n'y a personne ayant charge du seigneur pour recevoir la foi, elle doit être offerte au chef-lieu du fief dominant, comme il vient d'être dit.

Lorsqu'il y a plusieurs propriétaires du fief dominant, le vassal n'est pas obligé de faire la foi à chacun d'eux en particulier ; il suffi de la faire à l'un d'eux au nom de tous, comme à l'aîné ou à celui qui a la plus grande part ; mais l'acte doit faire mention que cette foi et hommage est pour tous.

Au cas qu'ils se trouvassent tous au chef-lieu, le vassal leur ferait la foi à tous en même temps ; et s'il n'y en a qu'un, il doit recevoir la foi pour tous.

Les propriétaires du fief dominant n'ayant pas encore l'âge auquel on peut porter la foi, ne peuvent pas non plus la recevoir ; leur tuteur doit la recevoir pour eux et en leur nom.

Les chapitres, corps et communautés qui ont un fief dominant, reçoivent en corps et dans leur assemblée la foi de leurs vassaux ; il ne suffirait pas de la faire au chef du chapitre ou d'un autre corps.

Le mari peut seul, et sans le consentement de fa femme, recevoir la foi due au fief dominant, dont elle est propriétaire ; néanmoins s'il n'y avait pas communauté entre eux, la femme recevrait elle-même la foi.

La foi due au roi pour les fiefs mouvants de sa couronne, tels que sont les fiefs de dignités doit être faite entre les mains du roi, ou entre celles de M. le chancelier, ou à la chambre des comptes du ressort.

À l'égard des fiefs relevants du roi à cause de quelque duché ou comté réuni à la couronne, la foi se fait devant les trésoriers de France du lieu en leur bureau, à moins qu'il n'y ait une chambre des comptes dans la même ville, auquel cas on y ferait la foi.

Les apanagistes reçoivent la foi des fiefs mouvants de leur apanage ; mais les engagistes n'ont pas ce droit, étant considérés plutôt comme usufruitiers que comme propriétaires.

Quand il y a combat de fief entre deux seigneurs, le vassal doit se faire recevoir en foi par main souveraine. Pour cet effet il obtient en la chancellerie établie prés la cour souveraine ou le présidial, dans le ressort de laquelle est situé le fief servant, des lettres adressées aux baillis, aux sénéchaux, par lesquelles il leur est enjoint de recevoir le vassal en foi par main souveraine. Voyez ce mot. Quarante jours après la signification de la sentence, s'il n'y a point d'appel, ou après l'arrêt qui a jugé le combat de fief, le vassal doit faire la foi à celui qui a gagné la mouvance, à moins qu'il ne la lui eût déjà faite.

Le seigneur ayant saisi le fief du vassal, s'il y a des arrière-fiefs ouverts, et que le seigneur suzerain les ait aussi saisis, la foi doit lui en être faite.

Le propriétaire d'un fief peut-il exiger et recevoir la foi de ses vassaux, avant que d'avoir rempli lui-même ce devoir envers son seigneur dominant ? Loisel et les anciens jurisconsultes français ont pensé qu'un propriétaire de fief ne pouvait recevoir la foi de son vassal, avant d'être lui-même entré en foi : ils se fondaient à cet égard sur la constitution originaire des fiefs, qui ne regardait le vassal en possession du fief, que du moment où il en avait reçu l'investiture. Buridan, sur l'art. 58 de la coutume de Rheims ; Lalande, sur Orléans, art. 60 ; le président Bouhier, sur Bourgogne, art. 45, ont embrassé le même sentiment.

La coutume de Nivernais, tit. des fiefs,.art. 54, a une disposition contraire, qui a été adoptée par Coquille, Duplessis, de Laurière, Ragueau et Guyot. Je me rangerai volontiers à cet avis, parce que le propriétaire du fief dominant n'est pas moins véritablement propriétaire, avant d'avoir été investi par le suzerain, et qu'il peut faire tous les actes qui appartiennent à la qualité de propriétaire et de maître du fief.

Cependant cette décision ne peut s'appliquer qu'au cas où le seigneur suzerain dort, c'est-à-dire, n'a point fait saisir le fief de sen vassal à défaut de foi et hommage. Car s'il avait fait saisir féodalement, le saisi ne pourrait, pendant la durée de la saisie, exiger la foi de ses vassaux qui seraient tenus de la porter à leur suzerain. 


§. 6. Où la foi doit-elle être portée ? 

C'est une maxime générale, ainsi que nous l’avons déjà dit §. 3, que la foi n'est légitimement faite qu’au chef-lieu de la seigneurie dominante. Ainsi le vassal, pour remplir ce devoir, doit se transporter au château ou principal manoir ; et s'il n'y en a point, au chef-lieu du fief dominant.

Si le seigneur a fait bâtir un nouveau château dans un autre lieu que l'ancien, le vassal est tenu d'y aller, pourvu que ce soit dans l'étendue du fief dominant.

S'il n'y a point de chef-lieu, le vassal doit aller faire la foi devant les officiers du seigneur, ou s'il n'y en a point, au domicile du seigneur, ou en quelque autre lieu où il se trouvera, ou dans une maison ou terre dépendante du fief dominant.

Le seigneur n'est pas obligé de recevoir la foi, ni le vassal de la faire ailleurs qu'au chef-lieu ; mais elle peut être faite ailleurs, du consentement du seigneur et du vassal.

S'il n'y a personne au chef-lieu pour recevoir la foi, le vassal doit la faire devant la porte, au lieu principal du fief, assisté de deux notaires, ou d'un notaire ou sergent, et de deux témoins.

À l'égard du temps où l'hommage peut être fait, M. de Chaffeneuz observe, avec raison, qu'il se doit faire tempore congruo, et qu'ainsi le vassal ne doit pas choisir pour cela le temps de la nuit, ou celui des repas du seigneur, à moins qu'il n'y soit contraint par quelque nécessité pressante. 


§. 7. Du délai dans lequel la foi doit être portée. 

Dans les pays coutumiers, le vassal a quarante jours francs pour porter la foi, et rendre hommage ; le seigneur ne peut exiger de lui aucun droit avant l'expiration de ce délai qui est tellement donné en faveur du vassal, qu'il ne peut être ni réduit ni diminué.

Les quarante jours se comptent du moment de l'ouverture du fief, c'est-à-dire, du jour du décès du vassal, si la mutation est par mort ; si c'est par donation, vente, échange, du jour du contrat ; si c'est par un legs, du jour du décès du testateur ; si c'est par décret, du jour de l'adjudication ; et si c'est par résignation d'un bénéfice, à compter de la prise de possession du résignataire.

Mais si la foi est due à cause de la mutation du seigneur dominant, le délai ne court que du jour des proclamations et significations que le nouveau seigneur a fait faire à ce que ses vassaux aient à lui venir faire la foi.

La minorité ni l'absence du vassal n'empêchent point le délai de courir.

Si le nouveau possesseur d'un fief vient à décéder pendant les quarante jours qui lui sont accordés pour porter la foi, son successeur aura de son chef, un nouveau délai de quarante jours, à compter du jour du décès du défunt, parce que le temps qui s'est écoulé pendant la vie du premier vassal, ne doit pas être compté à son successeur, qui ne vient pas par le bénéfice du défunt, mais en vertu d'un certain droit successif.

Dans les pays de droit écrit, les vassaux ont un an pour porter la foi et hommage. Ce délai n'est point fatal, comme dans le pays coutumier, il n'emporte aucune peine ; et lorsqu'il est expiré, le seigneur ne peut faire saisir féodalement, qu'après avoir constitué son vassal en demeure par trois sommations, et avoir obtenu contre lui un jugement de commise.

Il résulte de ce que nous venons de dire, que la foi et hommage sont dus non seulement aux mutations des vassaux, mais encore toutes les fois que le fief dominant change de propriétaire ; que dans le premier cas, le vassal est tenu de porter la foi dans les quarante jours de l'ouverture du fief ; et dans le second, qu'il n'est tenu à ce devoir que quarante jours après qu'il en a été sommé par le nouveau seigneur, et que, jusqu'à l'expiration de ce délai, il ne craint pas la saisie féodale.

Quelques coutumes cependant permettent au nouveau seigneur de saisir le fief de l'ancien vassal ; mais cette saisie ne tient lieu que de sommation, sans emporter la perte des fruits. Mais si le vassal néglige de se mettre en règle, et que le seigneur saisisse de nouveau, il gagne les fruits échus depuis la première saisie. 


§.8. Des conditions requises pour rendre la foi valable, et de ses effets. 

La foi et hommage doit être pure et simple, et non pas conditionnelle.

L'âge requis pour faire la foi est différent, selon les coutumes: à Paris, et dans la plupart des autres coutumes, l'âge est de vingt ans accomplis pour les mâles, et quinze ans pour les filles ; coutume de Paris, art. 32.

En cas de minorité féodale du vassal, son tuteur doit demander souffrance pour lui au seigneur, laquelle souffrance vaut foi, tant qu'elle dure. Voyez Souffrance.

La plupart des coutumes veulent que le vassal fasse la foi en personne, et non par procureur, à moins qu'il n'ait quelque empêchement légitime ; auquel cas le seigneur est obligé de le recevoir en foi par procureur, à moins qu'il n'aime mieux lui accorder souffrance.

Quand la foi a été faite par procureur, le seigneur peut obliger le vassal de la réitérer en personne, lorsqu'il a atteint la majorité féodale, ou qu'il n'y a plus d'autre empêchement.

La réception en foi et hommage, qu'on appelle aussi investiture, est un acte fait par le seigneur dominant, ou par ses officiers ou autre personne par lui préposée, qui met le vassal en possession de son fief.

Il y a encore deux autres principaux effets de la réception en foi ; l'un est que le temps du retrait lignager ne court que du jour de cette réception en foi ; l'autre est que le seigneur qui a reçu la foi, ne peut plus user du retrait féodal.

Le seigneur dominant n'est pas obligé de recevoir la foi, à moins que le vassal ne lui paie en même temps les droits, s’il en est dû. •

Quoiqu'il y ait combat de fief, un des seigneurs auquel le vassal se présente, peut recevoir la foi, sauf le droit d'autrui auquel cet acte ne peut préjudicier.

Lorsque le vassal se présente pour faire la foi, il est au choix du seigneur de recevoir la foi et les droits, ou de retirer féodalement.

Si le seigneur refusait, sans cause raisonnable, de recevoir la foi, le vassal doit faire la foi, comme il a été dit, pour le cas d'absence du seigneur,et lui notifier cet acte.

L'obligation de faire la foi et hommage au légitime seigneur, est de sa nature imprescriptible ; mais s'il y a désaveu bien sondé, le vassal peut être déchargé de la foi que le seigneur lui demande.

Au reste on doit dresser un acte authentique de la prestation de foi et hommage, et en laisser une copie en forme au seigneur s'il est présent, et en cas d'absence, à quelqu’un de ses officiers. Ces deux expéditions doivent être signées du vassal, de la personne publique et des témoins : elles sont nécessaires au seigneur pour la conservation de ses droits, au vassal pour le mettre dans le cas de justifier qu'il a rempli le devoir de fief.

Mais ces formalités n'ont lieu qu'à l'égard des foi et hommages rendues à des seigneurs particuliers ; car la réception de celles qui sont portées au roi, est constatée par l'arrêt de la chambre des comptes, dont le double est expédié au vassal. 


§. 9. De la manière dont la foi et hommage est portée au roi, par ceux qui relèvent immédiatement de la couronne. 

Les possesseurs des grands fiefs du royaume, qu'on peut appeler les hauts-vassaux, tels que les princes et les ducs, prêtent communément l'hommage à la personne du roi même, ou à celle de M. le chancelier, les autres peuvent aussi le faire entre les mains de ce dernier ; mais comme il leur est plus commode de s'acquitter de ce devoir dans leurs provinces, nos rois commettaient anciennement pour cette fonction les baillis et sénéchaux, qui y furent confirmés par l'article 4 de l'édit de Crémieu donné en 1536 ; l'attribution en fut faite dans la suite aux chambres des comptes, et depuis aux trésoriers de France par l'édit du mois d'avril 1617.

Enfin, par un arrêt du conseil d'État du 19 janvier 1668, il a été réglé que la chambre des comptes de Paris continuerait de recevoir les foi et hommages des vassaux de la couronne, comme elle avait ci-devant fait, et qu'elle aurait le dépôt général de tous les actes d'hommage qui seraient rendus à la personne du roi, à M. le chancelier et aux bureaux des finances, et néanmoins que les officiers des bureaux de Châlons et de Bourges continueraient pareillement de recevoir les foi et hommages des vassaux du roi dans leurs ressorts, à quelque somme que le revenu des fiefs se montât, à l'exception toutefois des duchés, comtés, marquisats, vicomtés, baronnies et châtellenies vérifiées, dont les hommages seraient rendus à la personne du roi ou de M. le chancelier, ou à la chambre des comptes. Cela s'observe dans toutes les généralités qui sont dans l'étendue de la chambre des comptes de Paris.

Dans le Lyonnais, le Forez et le Mâconnais, presque tous les fiefs relèvent du roi. À Lyon, l'hommage se rend par devant les trésoriers de France ; à Montbrison, par devant le lieutenant général, en qualité de juge du domaine ; et dans le Mâconnais à la chambre des comptes de Dijon, parce que le Mâconnais fait partie des états de Bourgogne.

Dans le Beaujolais, les fiefs relèvent presque tous de M. le duc d’Orléans, en qualité de sire et baron de Beaujeu ; l'hommage se fait par devant les officiers du bailliage de Villefranche.


Encyclopédie méthodique. Jurisprudence dédiée et présentée à Monseigneur Hue de Miromesnil, garde des sceaux de France, tome 4, Panckoucke, Paris ; Plomteux, Liège, 1782, p. 555 a – 566 a.

Définition de la foi selon un dictionnaire de Jurisprudence, 1782.


 [Orthographe modernisée.]


FOI, 
f. f. ( Droit naturel. Droit des gens. Droit civil.


Ce mot, dans sa véritable acception, signifie la promesse que l'on fait, ou la parole que l'en donne de faire quelque chose. Mais il a encore, en droit, d'autres significations.

On entend par foi, lorsque ce terme est joint à celui d'hommage, la fidélité que le vassal doit à son seigneur : nous en traiterons fous le mot particulier Foi Et Hommage. 

Foi signifie aussi croyance, par exemple, quand on dit, ajouter foi à un acte. C'est, dans le même sens qu'on appelle foi publique, la créance que la loi accorde à certaines personnes pour ce qui est de leur ministère : tels sont les juges, greffiers, notaires et huissiers : c'est à-dire que l'on ajoute foi tant en jugement que dehors, aux actes qui font émanés d'eux en leur qualité, et à tout ce qui est rapporté comme étant de leur fait, ou s étant passé sous leurs yeux. De là cette manière de parler, avoir foi en justice, pour signifier, avoir la confiance de la justice.

Foi signifie encore attestation ou preuve, comme lorsque l'on dit qu'un acte fait foi de telle chose. Cette foi est ou provisoire, ou pleine et entière. Elle est pleine et entière, lorsque l'acte est authentique, et qu'il fait preuve complète de ce qui y est contenu : on appelle foi provisoire, la croyance qu'on donne à un acte argué de faux, jusqu'à ce qu'il soit détruit.

On se sert quelquefois de l’expression,  foi du contrat, pour désigner l'obligation qui en résulte : suivre la foi du contrat, c'est se fier pour son exécution à la promesse des contractants, sans prendre d'autres sûretés, comme des gages ou des cautions. C'est dans ce sens que les jurisconsultes disent qu'un vendeur a suivi la foi de l'acquéreur, lorsqu'il lui accorde un terme pour payer le prix de la chose vendue et livrée, c'est-à-dire, qu'il est fié à sa promesse pour acquitter le prix qui fait une des parties essentielles du contrat de vente.

On distingue la foi en bonne et mauvaise. On appelle bonne foi, la conviction intérieure que l'on a de la justice de son droit ou de sa possession ; et mauvaise foi, lorsqu'on fait quelque chose malgré la connaissance que l'on a que le fait n'est pas légitime.
Les lois romaines distinguaient les contrats, en contrats de bonne-foi et contrats de droit étroit : mais parmi nous, tous les contrats sont de bonne foi. Voyez Contrat.
La bonne-foi est principalement requise par les lois civiles, dans l'administration des affaires d'autrui, dans la vente d'un gage, dans la prescription. Il est inutile de traiter ici de tout ce que la bonne foi exige dans les différents actes que les hommes font entre eux ; on le trouvera sous le mot particulier de chaque convention, contrat ou obligation. C'est pourquoi nous nous bornerons à donner quelques principes généraux du droit naturel et des gens, sur la foi donnée.

I. On peut demander si le serment ajoute quelque chose à l'obligation qui résulte d'une promesse. Les moralistes et les jurisconsultes conviennent unanimement que le serment ne constitue pas l'obligation de garder une promesse, d'accomplir un traité ; il lui prête feulement une nouvelle force en y faisant intervenir le nom de Dieu. Un honnête homme ne se croit pas moins lié par sa parole seule, par la foi donnée, que s'il y avait ajouté la foi du serment. Cicéron n'admet presque aucune différence entre le parjure et le mensonge.

« L'habitude de mentir, dit-il, est volontiers accompagnée de la facilité à se parjurer. Si on peut engager quelqu'un à manquer à sa parole, sera-t-il bien difficile d'obtenir de lui un parjure ? Dès qu'une fois on s'écarte de la vérité, la religion du serment n'est plus un frein suffisant. Quel est l'homme qui sera retenu par l'invocation des dieux, s'il ne respecte ni sa foi, ni sa conscience ? C'est pourquoi les dieux réservent la même peine au menteur et au parjure ; car il ne faut pas croire que ce soit en vertu de la formule du serment que les dieux immortels s'irritent contre le parjure : c'est plutôt à cause de la perfidie et de la malice de celui qui dresse un piège à la bonne foi d'autrui ».

Le serment ne produit donc point une obligation nouvelle ; il fortifie seulement celle que la promesse ou le traité impose, et il en suit entièrement le sort : réel et obligatoire par surabondance, quand le traité l'était, il devient nul avec le traité. Voyez Contrat.
Ce que nous venons de dire du serment, doit s'appliquer aux assévérations dont on use, en prenant des engagements, à ces formules d'expression destinées à donner plus de force aux promesses. Ainsi, lorsque les rois engagent leur parole royale, promettent saintement, solennellement, irrévocablement ; lorsqu'un homme promet sur sa parole d'honneur, un noble sur sa foi de gentilhomme, etc., ils ne sont pas plus strictement, plus nécessairement obligés que celui qui engage simplement sa parole avec réflexion et en connaissance de cause.
Cependant ces assévérations ne sont pas tout à fait inutiles ; elles servent à donner plus d'authenticité à la foi donnée ; elles rendent l'infidélité plus honteuse. Il faut tirer parti de tout parmi les hommes, dont la foi est si incertaine ; et puisque la honte agit plus fortement sur eux que le sentiment de leur devoir, il serait imprudent de négliger ce moyen. 

II. On peut engager sa foi tacitement, aussi bien qu'expressément ; il suffit qu'elle soit donnée, pour devenir obligatoire : la manière n'y peut mettre aucune différence. La foi Grotius, dans la nature de certains actes dont on est convenu, est tacitement compris dans la convention ; ou, en d'autres termes, toutes les choses, sans lesquelles ce dont on est convenu ne peut avoir lieu, sont accordées tacitement, et les parties doivent religieusement s'en garder la foi. 
 
III. Est-on dispensé de tenir la  foi donnée envers un ennemi ? Ce serait une erreur également funeste et grossière de s'imaginer que tout devoir cesse, que tout lien d'humanité soit rompu, entre deux nations qui se font la guerre. Réduits à la nécessité de prendre les armes pour leur défense et pour le maintien de leurs droits, les hommes ne cessent pas pour cela d'être hommes : les mêmes lois de la nature règnent encore sur eux. Si cela n'était pas, il n'y aurait point de loi de la guerre. Celui-là même qui nous fait une guerre injuste est homme encore ; nous lui devons tout ce qu'exige de nous cette qualité. Mais il s'élève un conflit entre nos devoirs envers nous-mêmes, et ceux qui nous lient aux autres hommes. Le droit de sûreté nous autorise à faire contre cet injuste ennemi tout ce qui est nécessaire pour le repousser, ou pour le mettre à la raison : cela est vrai, mais tous les devoirs, dont ce conflit ne suspend pas nécessairement l'exercice, subsistent dans leur entier ; ils nous obligent et envers l'ennemi, et envers tous les autres hommes. Or tant s'en faut que l'obligation de garder la foi puisse cesser pendant la guerre, en vertu de la préférence que méritent les devoirs envers soi-même, elle devient plus nécessaire que jamais. Il est mille occasions, dans le cours même de la guerre, où, pour mettre des bornes à ses fureurs, aux calamités qu'elle traîne a fa fuite, l'intérêt commun, le salut de deux ennemis exige .qu'ils puissent convenir ensemble de certaines chose. Que deviendraient les prisonniers de guerre, les garnisons qui capitulent, les villes qui se rendent, si l'on ne pouvait compter sur la parole d'un ennemi ? La guerre dégénérerait dans une licence effrénée et cruelle ; ses maux n'auraient plus de bornes. Et comment pourrait-on la terminer enfin et rétablir la paix ? S'il n'y a plus de foi entre ennemis, la guerre ne finira avec quelque sûreté que par la destruction entière de l'un des partis. Le plus léger différend, la moindre querelle produira une guerre semblable à celle qu'Hannibal fit aux Romains, dans laquelle on combattit, non pour quelque province, non pour l'empire, ou pour la gloire, mais pour le salut même de la nation. Il demeure donc constant que la foi des promesses et des traités doit être sacrée, en guerre comme en paix, entre ennemis aussi bien qu’entre nations amies.
Les conventions, les traités faits avec une nation, sont rompus ou annuités par la guerre qui s'élève entre les contractants, soit parce qu'ils supposent tacitement l'état de paix, soit parce que chacun pouvant dépouiller son ennemi de ce qui lui appartient, il lui ôte les droits qu'il lui avait donnés par des traités. Cependant il faut excepter les traités où l'on stipule certaines choses en cas de rupture : par exemple, le temps qui sera donné aux sujets de part et d'autre pour se retirer, la neutralité assurée d'un commun consentement à une ville, ou à une province, etc. Puisque, par des traités de cette nature, on peut pourvoir à ce qui devra s'observer en cas de rupture, on renonce au droit de les annuler par la déclaration de guerre.
Par la même raison, on est tenu à l'observation de tout ce qu'on promet à l'ennemi dans le cours de la guerre : car, dés que l'on traite avec lui, pendant que l'on a les armes à la main, on renonce tacitement, mais nécessairement, au pouvoir de rompre la convention, par forme de compensation et à raison de la guerre, comme on rompt les traités précédents ; autrement ce serait ne rien faire, et il serait absurde de traiter avec l'ennemi.
Mais il en est des conventions faites pendant la guerre, comme de tous autres pactes et traités, dont l'observation réciproque est une condition tacite, on n'est plus tenu à les observer envers un ennemi qui les a enfreints le premier ; et même, quand il s'agit de deux conventions séparées, qui n'ont point de liaisons entre elles, bien qu'il ne soit jamais permis d'être perfide, par la raison que l'on a affaire à un ennemi qui, dans une autre occasion, a manqué à sa parole, on peut néanmoins suspendre l'effet d'une promesse, pour l'obliger à réparer son manque de foi, et retenir ce qu'on lui a promis, par forme de gage, jusqu'à ce qu'il ait réparé sa perfidie. C'est ainsi qu'à la prise de Namur, en 1695, le roi d'Angleterre fit arrêter le maréchal de Boufflers, et le retint prisonnier malgré la capitulation, pour obliger la France à réparer les infractions faites aux capitulations de Dixmude et de Deinse.

IV. On a longtemps agité la question de savoir si un chrétien est obligé de garder la foi donnée aux ennemis de la religion. Plusieurs papes ont entrepris de rompre les traités des souverains, de les délier de leurs engagements, de les absoudre de leurs serments.
Césarini, légat du pape Eugène IV, rompit le traité conclu entre Vladislas, roi de Pologne et de Hongrie, et le sultan Amurath. Il força ce prince à reprendre les armes contre les Turcs ; mais il paya cher sa perfidie, ou plutôt sa crédulité superstitieuse, puisqu'il périt avec son armée auprès de Varna. Le pape osa bien publier contre la paix de Westphalie, une bulle dans laquelle il déclare certains articles « nuls, vains, invalides, iniques, injustes, condamnés, réprouvés, frivoles, sans force et effet, et que personne n'est tenu d'observer, encore qu'ils soient fortifiés d'un serment ; et de sa science, délibération et plénitude de puissance, il les condamne, réprouve, casse et annule ».
Qui ne sent pas que ces entreprises des papes, très-fréquentes autrefois, étaient des attentats contre le droit des gens, et tendaient directement à détruire tous les liens qui peuvent unir les peuples, à saper les fondements de leur tranquillité ? Qui n'est pas indigné de cet abus étrange d'une religion sainte qui défend si expressément le mensonge et le parjure ?
La loi naturelle seule régit les conventions et les traités des nations : la différence de religion y est absolument étrangère. Les peuples traitent ensemble en qualité d'hommes, et non en qualité de chrétiens ou de musulmans ; il s'agit de la vie, des biens qui n'ont rien à faire avec le pape ou le mufti, avec la messe ou le sermon. Le salut commun des hommes demande qu'ils puissent traiter entre eux, et traiter avec sûreté. Toute religion qui heurterait en ceci la loi naturelle, porterait un caractère de réprobation ; elle ne saurait venir de l'auteur de la nature, toujours constant, toujours fidèle à lui-même, et elle devrait être en horreur à tout le monde. Mais si les maximes d'une religion vont à s'établir par la violence, à opprimer tous ceux qui ne la reçoivent pas, la loi naturelle défend de favoriser cette religion, et de s'unir sans nécessité par des traités à ses inhumains sectateurs, et le salut commun des peuples les invite plutôt à se liguer contre des furieux, à réprimer des fanatiques, qui troublent le repos public et menacent toutes les nations.
La foi des traités, cette volonté ferme et sincère, cette constance invariable à remplir ses engagements, dont on fait la déclaration dans un traité, est sainte et sacrée entre les nations, dont elle assure le salut et le repos ; et si les peuples ne veulent pas se manquer à eux-mêmes, l’infamie doit être le partage de quiconque viole sa foi.
Celui qui viole ses traités viole en même temps le droit des gens ; car il méprise la foi des traités, cette foi que la loi des nations déclare sacrée ; et il la rend vaine, autant qu'il est en son pouvoir. Doublement coupable, il fait injure à son allié, il fait injure à toutes les nations et blesse le genre humain. 

« De l'observation et de l'exécution des traités, disait un souverain respectable, dépend toute la sûreté que les princes et les états ont les uns à l'égard des autres, et on ne pourrait plus compter sur des conventions à faire, si celles qui sont faites n'étaient point maintenues ».

Les partisans de l'opinion contraire conviennent bien avec nous que les alliances faites avec les ennemis de la religion, n'ont rien de contraire avec le droit naturel, mais qu'elles sont prohibées par la loi divine, qui nous ordonne de regarder comme nos ennemis, ceux qui sont hors de l'église.
Mais, outre que cette assertion est fausse, puisque Moïse n'ordonna pas aux Israélites d'avoir les Égyptiens en abomination ; qu'il leur était au contraire expressément permis de faire des traités avec les idolâtres, comme David et Salomon s'allièrent avec Hiram, roi de Tyr : cette décision est encore plus mal fondée, à considérer l'évangile, puisqu'il nous apprend que J. C. lui-même ne fit point de difficulté de recevoir de l'eau de la main d'une femme samaritaine.
Il est vrai que, dans les proverbes de Salomon, on trouve plusieurs sentences concernant le soin qu'on doit avoir d'éviter toute société avec les impies ; mais ce sont là de simples conseils, et non des commandements ; encore même ces conseils souffrent-ils plusieurs exceptions, comme l'indique l'exemple de Salomon même, contractant alliance avec le roi de Tyr. En un mot, l'évangile ne défend pas de vivre, même familièrement, avec ceux d'une autre religion ; nulle part il n'engage de rompre avec les idolâtres, ni même avec les apostats, infiniment plus inexcusables que les infidèles. Il nous est seulement ordonné de n'avoir pas avec eux des liaisons assez fortes pour participes à leur infidélité.

V. Rien n'est plus contraire à la foi donnée qu'une interprétation manifestement fausse d'une convention, d'une promesse, d'un traité. Celui qui en use, ou se joue impudemment de la foi sacrée qui doit régner parmi les hommes, ou il témoigne assez par ces prétextes spécieux, qu'il n'ignore pas combien il est honteux d'y manquer. Il rend hommage malgré lui à la bonne foi, puisqu'en agissant en malhonnête homme, il cherche à garder la réputation d'un homme de bien. Mais cette action n'en est pas moins condamnable, puisqu'elle joint à la perfidie un crime encore plus odieux, celui de l'hypocrisie. 

VI. La foi ne consiste pas seulement à tenir ses promesses, mais encore à ne pas tromper, dans les occasions où l'on se trouve obligé, de quelque manière que ce soit, à dire la vérité.
Nous touchons ici une question vivement agitée autrefois, et qui a paru embarrassante, tant que l'on a eu des notions peu justes ou peu distinctes du mensonge. Plusieurs, et surtout des théologiens, se sont représenté la vérité comme une espèce de divinité, à laquelle on doit je ne sais quel respect inviolable pour elle-même, et indépendamment de ses effets : ils ont condamné absolument tout discours contraire à la pensée de celui qui parle : ils ont prononcé qu'il faut en toute rencontre parler selon la vérité connue, si l'on ne peut se taire, et offrir comme en sacrifice à leur divinité, les intérêts les plus précieux, plutôt que de lui manquer de respect.
Mais des philosophes plus exacts et plus profonds ont débrouillé cette idée si confuse et si fausse dans ses conséquences. On a reconnu que la vérité doit être respectée en général ; parce qu'elle est l'âme de la société humaine, le fondement de la confiance dans le commerce mutuel des hommes ; et par conséquent qu'un homme ne doit pas mentir, même dans les choses indifférentes, crainte d'affaiblir le respect dû en général à la vérité, et de se nuire à soi-même, en rendant sa parole suspecte, lors même qu'il parle sérieusement.
Mais en fondant ainsi le respect qui est dû à la vérité sur ses effets, on est entré dans la vraie route, et dès lors il a été facile de distinguer entre les occasions où on est obligé de dire la vérité, ou de manifester sa pensée, et celles où on n'y est point tenu.
Nous ne sommes dans l'obligation de découvrir indistinctement tout ce que nous pensons, qu'autant que nous y sommes engagés, soit par une convention particulière, soit par une loi générale et inviolable du droit naturel, soit enfin par la nécessité qui nous est prescrite par la nature de l'affaire que nous traitons, ou de vive voix, ou par écrit.
Ainsi il n'est pas douteux que, si nous sommes chargés d'enseigner une science ou un art à quelqu'un, nous sommes obligés de ne lui rien cacher de ce qui les concerne : si nous sommes chargés de rendre compte à quelqu'un d'une affaire, nous devons ne lui rien taire de tout ce que nous avons pu découvrir de relatif à cette affaire : si nous écrivons un récit historique, nous ne devons y mêler aucune circonstance fausse : en un mot, dans tout ce que nous disons, dans tout ce que nous faisons, d'où il peut résulter, en vertu de notre propre consentement, ou de la loi civile ou naturelle, quelque droit, quelque obligation, c'est manquer essentiellement que de ne point parler avec sincérité, et de déguiser ce qui concerne la chose sur laquelle on traite. Si de telles dissimulations étaient permises, il ne serait plus possible de compter sur les hommes, ni sur aucun de leurs engagements.
Mais toutes les fois qu'aucun droit parfait ou imparfait ne nous oblige pas de découvrir notre pensée, c'est prudence que de la cacher à propos ; c'est même un devoir, lorsqu'on ne peut par aucun autre moyen procurer à soi-même ou à autrui quelque avantage, ou éviter un préjudice, un danger pressant, pourvu toutefois que par des signes ou des paroles trompeuses, on ne préjudicie pas aux droits de qui que ce puisse être.
D'après ces principes, il est aisé de sentir que tout discours contre la pensée n'est point un mensonge ; qu'on ne doit donner ce nom qu'aux paroles trompeuses, dites dans les occasions où on est obligé de parler conformément à l'exacte vérité, ou lorsqu'elles sont accompagnées de l’intention de nuire, soit à ceux à qui on les adresse, soit à d'autres. Dans le cas où les discours faux sont tenus à des gens qui n'ont aucun droit d'exiger qu'on leur dise la vérité, sans cependant pouvoir leur nuire ou à d'autres, ce n'est plus un mensonge ; c'est ce que les Latins appellent falsiloquium ; c'est dissimulation, si l'on veut, mais dissimulation prudente, et souvent nécessaire.
Il n'est plus difficile actuellement de marquer quel doit être, dans les occasions, le légitime usage de la vérité ou du discours faux. Par exemple, il est permis de tromper un ennemi, en semant de faux bruits pour l'épouvanter, et même pour lut causer du dommage ; mais cette permission ne doit jamais s'étendre jusqu'aux conventions que l'on tait avec lui, soit pour finir, soit pour suspendre les hostilités. Il est alors de toute nécessité de parler vrai, car il serait absurde de dire que l'on ne s'engage pas à ne pas tromper l'ennemi, sous couleur de traiter avec lui ; ce serait se jouer et ne rien faire.
Il est permis de déguiser à un insensé une vérité, dont il pourrait déduire des conséquences très nuisibles à lui-même ou aux autres ; de feindre, lorsque la feinte, loin d'être nuisible, est avantageuse à autrui : par exemple, lorsqu'il est question de mettre à couvert l’innocence de quelqu'un, d'apaiser une personne en colère, de relever par une ruse heureuse le courage abattu des soldats.
Au reste, il serait difficile de rapporter tous les exemples des cas où l'on peut innocemment dissimuler la vérité ; il suffit d'indiquer deux principes sur cette matière, dont on ne peut s'écarter sans se rendre criminel.

1°. Il faut, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, que tout ce que l'on dit, l'on écrit, l'on marque par des caractères, ou que l'on donne à entendre par des signes, ne puisse être pris dans un sens différent de la pensée de celui qui s'exprime, lorsqu'on est tenu de dire vrai, soit par la nature de l'affaire que l'on traite, soit par la qualité de la personne avec qui l'on traite. 

2°. C'est un lâche artifice et un grand signe de fourberie, que d'avoir recours aux équivoques, lorsqu'il s'agit de contrats, ou de quelques affaires d'intérêt.
Une manière de tromper plus odieuse encore, et inventée par des fourbes insignes, est l'usage des restrictions mentales, par lesquelles, au moyen d'une pensée qu'on sous-entend, on ramène à un sens directement contraire les paroles les moins équivoques, en sorte qu'on nie précisément dans le fond de son âme, ce que l'on paraît affirmer expressément. Par exemple, si on me demande : avez-vous fait telle chose ? je réponds affirmativement : je ne l'ai pas fait, en sous-entendant une autre chose que celle dont on me parle.

On demande si une personne coupable d'un crime, dont elle est accusée en justice, peut innocemment le nier, et éluder les accusations par de fausses preuves. Il est certain qu'au tribunal de Dieu, tout criminel, quelle que puisse être la noirceur de ses forfaits, est obligé d'avouer sincèrement ses mauvaises actions, et de s'en repentir. Mais quant aux tribunaux humains, il est constant que nul homme n'est tenu de s'avouer coupable, ou de s'exposer lui-même à la peine qu'il a méritée : ne pouvant la regarder qu'avec horreur, surtout si elle doit aller jusqu'à la perte de la vie, il lui est permis de chercher à l'éviter par toutes sortes de moyens, surtout lorsque cette voie ne nuit à personne.
Il importe peu à l'État, qu'un crime qui n'est pas notoire, soit puni ou couvert, par des excuses spécieuses : au contraire il lui est avantageux qu'un homme ne périsse pas, et par conséquent qu’il ne se trahisse pas lui même. Si le juge peut interroger, et employer toute son adresse pour faire avouer le crime à l'accusé, celui-ci, par la même raison, peut user de la même adresse, et rien ne l'oblige en conscience de s'accuser. Ces deux droits ne sont pas opposés l'un à l'autre : le magistrat fait ce qu'il doit pour avoir connaissance du délit, et le coupable emploie une exception naturelle, licite et raisonnable, contre le droit qu'a son juge d'exiger qu'on lui dise la vérité.

Encyclopédie méthodique. Jurisprudence dédiée et présentée à Monseigneur Hue de Miromesnil, garde des sceaux de France, tome 4, Panckoucke, Paris ; Plomteux, Liège, 1782, p.550a-555a.

mardi 5 juillet 2011

Définition de la honte par le Dr F. Poujoul, 1857.


 
HONTE 
(sentiment). 


Reproche de la conscience ; remords d'une mauvaise action qui nous fait rougir ; trouble de l'âme causé par le déshonneur ; conviction du mépris encouru ( Vauvenargues) ; tristesse de l'âme causée par la crainte ou la certitude du blâme (Descartes) : telles sont les définitions que l'on a données de la honte.

On a dit encore de la honte, qu'elle est une sorte de tristesse ou de douleur morale subite et profonde, à laquelle se joint subitement aussi la crainte du mépris, ce qui concentre tout à coup les forces et l'action vitales, en même temps qu'elle agit puissamment sur le cœur, de manière à augmenter l'activité de ses mouvements. De là ces action et réaction organiques, vives et instantanées qui, s'opérant soudainement en sens inverse, donnent lieu à des palpitations violentes et tumultueuses que l'on ressent à la région précordiale, et qui peuvent être suivies des plus grands dangers, si la résistance ou la force des fibres musculaires de l'organe central de la circulation ne triomphe pas de cet état spasmodique. De là, en un mot, des affections graves et même la mort. Ainsi, au rapport de Diogène de Laërce, Diodore le Dialecticien serait mort de honte de n'avoir pu répondre à un argument qu'on lui présenta en présence de Ptolomée Soter.

En considération de ces résultats attribués à la honte, celle-ci pourrait être classée parmi les bonnes qualités, si elle n'était le résultat d'une faute, qui lui ôte tout son mérite. Néanmoins, il est bon que chacun soit accessible à ce sentiment, attendu que celui qui le connaît s'efforce d'éviter de mal faire, retenu qu'il est par la crainte du déshonneur, et pour n'avoir pas à rougir, par conséquent, devant les gens de bien. C'est pourquoi nous dirons de la honte, qu'elle est quelquefois le fidèle gardien de la probité chez l'homme ,ou de la vertu des femmes, très peu étant vertueuses pour la vertu même. (Madame Lambert.) 
 
Mais quant à cette honte qui nous empêche de faire le bien ; quant à ce misérable respect humain qu'on décore du nom de honte ; c'est un défaut qui vient quelquefois de la timidité et plus souvent de la faiblesse, et qui, dès lors, est condamnable dans tous les cas.


Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 534.

Définition de la fierté par le Dr F. Poujoul, 1857.


 
FIER, Fierté 
(qualité bonne ou mauvaise). 


Fierté est une de ces expressions qui, n'ayant d'abord été employées que dans un sens odieux, oui été détournées ensuite à un sens favorable.
C'est un blâme très-mérité quand on lui fait signifier la vanité altière, hautaine, orgueilleuse ; c'est presque une louange quand il signifie la hauteur d'une âme noble. De là cette comparaison ingénieuse et brillante de la sultane Eldir : 

« La fierté est comme l'oiseau qui balance ses ailes pour s'envoler ; l'orgueil est comme une corde tendue, toujours prèle à se rompre. » 

De là aussi cette déduction, bien plus exacte encore, qu'en a donnée cette dame anglaise, qui, réprimandée sur son orgueil, répondit qu'elle n'était que fière, et ajouta : 

« L'orgueil est offensif, et la fierté défensive. »

Ainsi, en se faisant une idée juste de la fierté, on peut avancer, sans crainte d'être démenti, que la fierté de l'âme sans hauteur est compatible avec la modestie : c'est de la grandeur, parce qu'elle est fondée sur l'estime que l'on a de soi-même ; au lieu que la fierté dans l'air et les manières, la fierté dans l'extérieur, choque et déplaît toujours, même dans les rois, parce qu'elle est l'expression de l'orgueil. Cette fierté est tellement un défaut, que les petits, qui louent bassement les grands de ce défaut, sont obligés de l'adoucir, ou plutôt de le relever par une épithète : cette noble fierté. (Voltaire.)
Du reste, les nuances qu'on remarque entre ces différentes sortes de fierté sont tellement délicates, que si esprit fier est un blâme, et âme fière une louange, c'est que, je le répète, on entend par esprit fier, un homme qui pense avantageusement de lui-même, et par âme fière, des sentiments élevés.
Toujours est-il que la fierté, quand elle part d'un sentiment noble et louable, étant une vertu (alors qu'elle est réglée, s'entend), il est des occasions où il sied bien à un homme d'être fier: c'est quand il a le mérite d'une bonne action, et qu'il n'a à s'en prévaloir qu'auprès d'un public qui l'approuve. Ainsi, soldat valeureux, il sera heureux et fier de voir briller sur sa poitrine l'étoile des braves, juste récompense de ses services et de son courage ; citoyen, il éprouvera un sentiment de noble fierté, si par sa capacité, son dévouement et son intrépidité, il mérite le titre de bienfaiteur de sa patrie ; magistrat, il apportera dans sa retraite le sentiment d'une délicieuse fierté, s'il n'est descendu de son siège que pour ne pas forfaire à l'honneur que la magistrature doit sauvegarder, etc., etc.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 487.

Définition de la faiblesse morale par le Dr F. Poujoul, 1857.


 
FAIBLE, Faiblesse 
(défaut), Facile. 


La faiblesse en morale est une disposition habituelle et passagère de l'âme, qui fait manquer, malgré soi, soit aux lumières de la raison, soit aux principes de la vertu. Les effets de cette disposition s'appellent également faiblesse. 
 
Assurément personne n'en est exempt ; mais, heureusement pour l'humanité, tout le monde n'est pas également faible et ne le devient pas pour la même cause. Ainsi, le faible du cœur n'est point le faible de l'esprit ; le faible de l'âme n'est pas celui du cœur. Ainsi, une âme faiblesse sans ressort et sans action, elle se laisse aller à ceux qui la gouvernent : un cœur faible s'amollit aisément, mais change facilement d'inclination ; ne résiste point à la séduction, mais l'ascendant qu'on prend sur lui ne peut longtemps subsister. De même l'un se montre faible par timidité, par mollesse ou par crainte de déplaire en affectant trop de rigueur ; l'autre est faible parce qu'ayant laissé prendre de l'empire sur lui, il ne peut jamais résister ni à de feintes larmes, ni aux marques d'un désespoir bien joué, ni à de tendres caresses, ni à de séduisantes paroles, etc. ; mais, quel qu'en soit le motif, la faiblesse n'en est pas moins un défaut. Heureux encore quand on n'est pas faible par lâcheté. Alors c'est la plus ignoble des faiblesses, et il ne faudrait pas confondre cette avilissante espèce avec les précédentes, l'une n'ayant jamais rien de vil et de repoussant, tandis que les autres peuvent s'allier au vrai courage. Exemple : Charles IX qui, bien que très-brave et courageux, se laissa cependant dominer par sa mère.

Du reste, la faiblesse a bien des étages. Il y a très loin, chez les gens faibles, de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l'application. ( Le cardinal de Retz.) Mais, dans aucun cas, il ne faudrait confondre ensemble la faiblesse à faire quelque chose et la facilité avec laquelle ou a consenti à la faire. Cette distinction est d'autant plus importante, qu'être faible indique toujours un défaut ; tandis que ce n'en est pas toujours un d'être facile ; au contraire, c'est souvent une qualité. Je m'explique. Quand être facile désigne un esprit qui se rend aisément à la raison, à la justice, en un mot, un homme facile à vivre, dans ce cas la facilité est une qualité bonne en soi et que tout le monde recherche. Ce serait donc une grande faute que de la condamner à l'égal de la faiblesse.
Au contraire, quand le mot facile est employé pour désigner un esprit crédule, faible, qui se laisse gouverner, dans ce cas cette dénomination indique un défaut que la société ne pardonne pas. Aussi se sert-on volontiers de ce mot pour injurier une femme qui résiste peu aux séductions dont on l'environne : c'est une femme facile, dit-on.
Chacun doit donc se préserver, autant que possible, de toute faiblesse inexcusable ou d'être par trop facile ; et s'il est incapable de résistance, il faut qu'il recherche à quoi peuvent tenir sa faiblesse et sa facilité, pour trouver plus aisément dans cette connaissance le moyen d'y remédier.
On lui eût peut-être évité cette épreuve et cette peine si, dès sa tendre enfance et alors que, trop jeune pour se gouverner, former son caractère et réformer ses mauvais penchants, ceux qui furent chargés de le diriger s'étaient opposés de tout leur pouvoir à ce que ces défauts se développassent et prissent domicile en son âme ; s'ils avaient eu le talent de lui inspirer des sentiments contraires et de lui faire sentir l'odieux de la faiblesse ou d'une certaine facilité par des faits frappants de force et de vérité. (...).
Mais on n'est pas toujours enfant, et, quels qu'aient été les avis qui lui ont été donnés, tout homme d'une sensibilité exquise doit savoir que c'est un devoir pour lui d'augmenter sa force intérieure, et qu'à défaut de la grâce la sagesse lui eu fournit les moyens. C'est un devoir pour lui, parce que les personnes avec qui il est liée par des rapports intimes, souffrent fréquemment de sa faiblesse ; parce qu'il est un grand nombre d'occasions où un homme faible est plus embarrassant ou même plus dangereux qu'utile. Que cet homme se fortifie par l'exercice de la sagesse, qu'il acquière cette fermeté modérée qui appartient naturellement à l'homme dont le caractère a été placé primitivement à égale distance des extrêmes ; et alors il ajoutera tous les avantages qui appartiennent à cet homme, à tous les dons qu' il tient de sa nature, douce et délicate.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 470.

Définition de l'amour-propre et de l'amour de soi-même par le Dr F. Poujoul, 1857.


Ces définitions datent du XIXe siècle et reflètent donc la façon dont les auteurs de cette époque conçoivent les caractères et les devoirs supposés des femmes.



AMOUR-PROPRE 
(qualité bonne ou mauvaise).


Le célèbre professeur Baumes a défini l'amour-propre

« une préoccupation de son propre mérite qui rend plein et bouffi de soi-même ; qui fait que de tout ce qui est de ce monde on n'estime que soi, et qui rend très attentif à faire sentir à autrui la supériorité que l'on croit avoir sur lui. »

D'après celte définition, l'amour-propre devrait être toujours pris en mauvaise part et toujours considéré comme un défaut ; et les moralistes auraient eu tort d'avancer qu'il fait tout les vices et toutes les vertus, selon qu'il est bien ou mal entendu. Cependant est-il rien de plus vrai que cette opinion ? N'est-ce pas que l'amour-propre ressort de nos mouvements, fait agir l'âme, et devient par là le plus puissant de tons les mobiles ? N'est-ce pas que sans l'amour-propre, l'homme ne mettrait aucun intérêt dans ses actions ? Que, principe moteur plein de force, son opération très-active suggère, presse, excite, pousse parfois et souvent à bien faire, à chercher le bonheur, et qu'il est d'autant plus fort que son objet est toujours plus présent ? Ou, pour parler plus clairement, n'est-ce pas que le défaut d'amour-propre ou besoin d'approbation engendre l'insouciance, la malpropreté et la paresse ; au lieu que son développement excessif produit la vanité et l'ambition avec toutes les nuances, depuis la passion de la parure et du luxe jusqu'à la soif immodérée de la célébrité, des honneurs et des conquêtes ? Cela est incontestable ; mais comme ce bonheur revêt toutes les formes que l'éducation, la coutume, les préjugés, lui donnent, il s'ensuit qu'ici l'humanité tend vers la nature angélique, et là descend au niveau de la bêle. (C. Bonnet.) L'amour-propre nous conduit donc au bien ou au mal.
Pour moi, qui ai vu l'amour-propre s'identifier tellement avec l'amour de la gloire qu'ils paraissaient ne former qu'un seul et même amour, dans ce cas toujours beau, toujours grand, toujours louable quand on arrive à la célébrité par la vertu, je crois pouvoir concilier les opinions diverses que l'on a émises touchant ses effets bons ou mauvais, en disant que, s'il nous aveugle sur nos talents, nos qualités, nos perfections, à ce point que nous devenons incapables de rendre justice au mérite des autres, l'amour-propre est alors le plus intolérable des défauts ; tandis que si, au contraire, il a pour but d'exciter l'émulation dans le cœur des hommes, si, semblable à un génie bienfaisant, il les conduit comme par la main à la véritable gloire, cet amour devra nécessairement prendre rang parmi les plus précieuses qualités dont on puisse désirer la possession.
Sans doute que c'est l'amour-propre dont chacun de nous est pétri qui donne tant de crédit aux flatteurs ; sans doute que nous sommes parfois, pour ne pas dire toujours, si prévenus en notre faveur, que nous prenons en nous pour des vertus ce qui n'est que des vices qui leur ressemblent, et que l'amour-propre déguise (La Rochefoucauld) ; sans doute que, plus nous approchons, par nos lumières, de la médiocrité, et plus l'amour-propre nous rend vains et ridicules : et malgré cela, n'est-ce pas que le désir d'être approuvé est un sentiment bien naturel ?
On ne l'a jamais contesté, et ce qu'on ne conteste pas non plus, c'est que les artistes médiocres, quand ils sont remplis d'amour-propre, et il y en a bien peu qui ne le soient pas, sont toujours si contents de ce qu'ils font, qu'ils concourent bien peu, s'ils y concourent parfois, à la perfection idéale vers laquelle ils ont rarement porté leur pensée. Et comment pourraient-ils jamais y concourir, lorsqu'ils sont toujours en admiration devant leurs productions, et que s'ils daignent comparer leurs ouvrages avec d'autres ouvrages, c'est d'ordinaire avec ceux des artistes leurs égaux, et plus souvent encore avec ceux des artistes beaucoup plus médiocres qu'eux, afin que la comparaison tourne toujours à leur profil. Aussi, un des caractères qui distinguent le mieux l'homme doué d'un véritable talent d'avec l'homme médiocre, c'est que l'un, juge pour lui trop sévère, n'est jamais content de ses propres œuvres, au lieu que l'autre, dans sa présomption, en est toujours très-satisfait.
Santeuil, l'ami de Boileau, était un de ces esprits médiocres qui s'admirent et se louent. Il écrivait en vers latins, avait la faiblesse de croire que ce talent d'écolier le mettait au rang des poètes, et disait avec une satisfaction véritable : « Pour moi, je suis toujours content de mon œuvre. » Ce à quoi Despréaux répliquait avec une maligne ambiguïté: « Vous êtes le premier des grands hommes à qui cela soit arrivé. » (.4. Smith.)
À ce caractère différentiel, tiré du jugement que l'homme de mérite et celui qui au contraire en manque, portent chacun en particulier de leurs propres œuvres, j'ajouterai le portrait d'un individu bouffi d'amour-propre, afin qu'il soit bien plus facile encore de le reconnaître.
L'homme plein de lui- même se tient droit, marche la tête haute et dressée, le front relevé et tendu. Ses sourcils, fortement arqués au milieu, entraînent la paupière supérieure, et découvrent un œil brillant et animé dont la prunelle dilatée se dirige en haut ; les narines présentent ce renflement, cette turgescence, si propres à l'orgueil ; les joues sont légèrement enflées et de forme globuleuse ; les lèvres sont jointes et un peu avancées ; quelquefois un sourire presque imperceptible les effleure ; c'est le sourire de la satisfaction.
Mais de quelque côté qu'on l'envisage, il est quelques points incontestables et incontestés touchant certains effets de l'amour-propre. Ainsi, non-seulement il sert merveilleusement à exciter l'émulation des enfants et de la jeunesse, il concourt en les stimulant à perfectionner leur éducation ; mais encore, mis en jeu avec beaucoup de ménagement et d'adresse, il peut contribuer à la guérison de certaines maladies sur lesquelles l'influence de l'imagination peut quelque chose.
Sous ce rapport, les effets de l'amour-propre sont directs et indirects. (…).


AMOUR DE SOI-MÊME 
(passion innée). 


La grande passion, l'origine et le principe de toutes les passions, une passion qui naît avec l'homme et ne le quitte jamais, c'est l'amour de soi-même ; passion innée, primitive, antérieure à toutes les autres, et dont toutes les autres ne sont, en un mot, que des modifications. (J.-J. Rousseau, Helvétius, etc.)
Ce qui la constitue, en morale, cette passion, c'est un sentiment ou plutôt un désir pour ainsi dire instinctif, mais passionné, de fuir le mal et de rechercher le bien. C'est pourquoi, quand il se trouve tempéré, éclairé, dirigé par la sagesse, il est, comme l'ont prouvé la plupart des philosophes, un sentiment légitime, louable, nécessaire, indispensable.
Qu'est-ce en effet qui porte les femmes à rester pures, honnêtes, ou tout au moins à vouloir paraître telles aux yeux du monde? N'est-ce pas l'amour de leur repos (La Rochefoucauld ), de la considération, l'amour d'elles-mêmes ?
Qu'est-ce qui fait que les hommes qui s'estiment ne se laissent jamais manquer impunément, et que, mus par le sentiment de leur dignité blessée, fidèles aux devoirs qu'il leur impose, ils repoussent avec courage et par tous les moyens licites tout ce qui peut porter atteinte à leur réputation et à leur honneur? N'est-ce pas l'amour d'eux-mêmes?
Pourquoi cette jeune fille résiste-t-elle aux séductions dont elle est entourée, et préfère t-elles a pauvreté, son obscurité, à des richesses ou à des parures qu'il lui faudrait acheter par le sacrifice de sa vertu ? N'est-ce pas l'amour d'elle-même ?
Ainsi, quand le malheureux faquir se tient tout nu au soleil, chargé de fers, mourant de faim, mangé de vermine et la mangeant, et que, bercé par l'espérance d'aller au dix-huitième ciel, il regarde en pitié celui qui ne sera reçu que dans le neuvième ; quand la Malabare se brûle sur le corps de son mari, avec la croyance qu'elle le retrouvera dans l'autre monde et y sera plus heureuse que dans celui-ci ; tous sont mus par le sentiment de l'amour d'eux-mêmes. Donc cet amour de soi-même, c'est l'amour de l'estime, de la considération qu'on veut mériter ou conserver, c'est le désir d'obtenir les récompenses qui seront accordées à ceux qui pratiquent la vertu.
Nous devons remarquer toutefois qu'il faut, pour que l'amour de soi-même conserve ce beau caractère, qu'il soit renfermé dans de sages limites ; car s'il pèche par excès, et nous aveugle sur la nature de tel ou tel de nos sentiments, il devient alors un vice monstrueux, il tombe dans l'ÉGOÏSME ( Voy. ce mot). C'est d'autant plus fâcheux pour celui qui ne saurait s'en défendre, qu'il ne peut plus parler ni s'occuper que de lui-même, il fait un dieu de sa personne, il lui sacrifie tout.
À ce propos, nous signalerons une erreur dans laquelle sont tombés et tombent encore bien des hommes fort instruits d'ailleurs, et qui n'ont pas assez réfléchi sur ce sujet. Pour eux, amour de soi-même et égoïsme sont parfaitement synonymes ; ils ne forment qu'un seul et même sentiment.
Bien certainement ils se trompent ; car il est facile de concevoir, d'après ce qui précède, que ces mots ne peuvent signifier une seule et même chose, avoir une seule et même acception.
Sans doute que dans l'un et l'autre cas les motifs qui dirigent l'être pensant sont essentiellement personnels ; mais comme celui qui le fait agir a, d'un côté, beaucoup de noblesse et de dignité ; et d'un autre côté, beaucoup de bassesse et d'immoralité, on devra conserver l'expression d'amour de soi-même, pour le premier, et celle d'égoïsme pour le second.
Est-il nécessaire de signaler quel est celui des deux qu'il convient de développer, et celui qu'on est obligé d'étouffer dans le cœur des hommes ?

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 221 et 224.