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dimanche 19 novembre 2017

Remobiliser la jeunesse et réenchanter la liturgie de l'Église catholique, 1912


Enfant de chœur, par Julius Scholtz, 1854
Je vais peut-être en surprendre beaucoup, mais je le dirai comme je le pense : il faut tendre à replacer les jeunes gens dans le chœur de l'église, non pas en assistants désœuvrés, mais en figurants actifs et occupés, et à reconstituer toute la hiérarchie, d'ailleurs charmante, des enfants de chœur, acolytes, thuriféraires, maîtrisiens, chantres, etc.

Eh ! oui, il faudra cela, non seulement à la campagne, mais à la ville.

Autrefois, les clergés étaient très nombreux, même dans les moindres paroisses, et ils se suffisaient à toutes les cérémonies; il existait d'ailleurs plus qu'aujourd'hui, quant à la place à occuper dans les édifices religieux, une différence considérable entre les prêtres et les laïques.

En effet, le chœur, le sanctuaire était ordinairement séparé des nefs par des grilles, par des panneaux, par des jubés cloisonnés. L'office, dans sa partie la plus solennelle, se poursuivait en dehors du peuple, lequel rentrait dans l'église même moins comme dans le temple de Dieu que comme dans sa propre maison à lui-même. On sait assez que les cathédrales, autrefois, prêtaient leurs vastes édifices à mille usages qui n'étaient point religieux.

Le sanctuaire n'en était que plus strictement réservé et n'y entraient que ceux qui étaient ou se préparaient à être reçus dans les différents ordres sacrés.

Les cathédrales, et même de plus modestes églises, abritaient alors, de façon continue, tout un peuple qui leur appartenait déjà en propre, qu'elles employaient et qui vivaient d'elles.

Elles ne faisaient guère appel, alors, à un personnel mouvant et momentané qui serait venu, à certaines heures seulement, revêtir un surplis d'emprunt pour chanter, contre bons deniers comptants, les prières et les psaumes.

De ce fait, les offices étaient sans contredit plus beaux, plus hiératiques, plus dignes, mais le peuple, en beaucoup d'endroits, y participait moins effectivement.

Cependant, il devint bientôt impossible, sauf dans les chapitres et dans les abbayes, de maintenir partout cet état de choses, et de bonne heure, sous le nom de confréries de tout vocable et de tout attribut, les laïques furent admis plus ou moins directement à participer aux cérémonies dans le chœur de l'église.

Chaque église, en effet, voulut imiter de plus ou moins près les offices de la métropole, mais elle n'avait point le personnel sacré suffisant, elle dut y suppléer, et le chœur se peupla d'enfants, de jeunes gens, d'hommes et de vieillards qui fournirent une figuration variée aux offices divins.

Il semble bien que partout, au début du moins, ces fonctions furent regardées comme des plus honorables et restèrent honorifiques. Chacun se sentait trop honoré de chanter les louanges de Dieu dans les stalles, auparavant destinées aux seuls clercs et aux moines, pour réclamer d'autres... honoraires.

Mais avec le temps, dans les villes tout au moins, le recrutement des enfants de chœur, des chantres, ne se maintint pas au même niveau. Les hauts bourgeois restèrent marguilliers, mais ils ne revêtirent plus le surplis ; la fonction de chantre paraissant désormais moins honorable par elle-même, commença d'être plus... honorée pécuniairement et, en même temps, ceux-là mêmes qui auraient dû se sentir heureux et réclamer comme un privilège de chanter au chœur, laissèrent même en certains chapitres, si l'on en croit Boileau, à des chantres gagés le soin de louer Dieu.

De plus en plus, au cours des âges, la fonction devenant mercenaire se recruta, en ville surtout, dans un milieu social moins élevé.

Il convient d'ailleurs de dire que, même en beaucoup de villes, un assez grand nombre de fonctions d'enfants de chœur, de thuriféraires et même de chantres restèrent gratuites. En tout cas, le fait se produisit et persiste encore dans la presque totalité des paroisses rurales... où il y a des chantres.

Là, les habitudes d'autrefois ont survécu ; là, l'église est encore un centre d'activité ; là, de père en fils, on se transmet le tome noté et on se succède devant l'aigle doré du lutrin ; là, toute une hiérarchie de chantres, jaloux de leurs droits, et disputant volontiers sur les préséances, remplit les stalles et assure gratuitement le service des offices.

Ces chantres-là, non seulement ne touchent aucun salaire, mais, le plus souvent, s'ils reçoivent du curé leur livre de plain-chant, doivent s'offrir leur soutane et pourvoir au blanchissage de leur surplis ; il en résulte bien des disparates fâcheux dans les costumes et des insuffisances dans la dignité de la tenue, mais il ne ferait pas bon que le curé voulût se mêler de rectifier un pli ou de modifier l'intonation traditionnelle autant qu'inharmonique d'un psaume, les chantres ne tarderaient pas à rendre leur livre avec une dignité que rien ne ferait céder.

Mais cet hommage rendu, comme il convenait, à leur désintéressement, il faut bien convenir que le recrutement des chantres, dans la plupart des paroisses, ne donne point toute garantie au point de vue artistique et même, en certaines régions, au point de vue de la sobriété. N'y a-t-il pas un dicton insolent qui dit : « Ton âne sait-y point boire, fais-en un chantre, il boira ! »

La préparation artistique fait défaut, en tout cas ; les chantres ont des traditions de musique ; ils n'ont guère de méthodes de chant, tous s'arrêteront aux passages où s'arrêtaient les anciens, coupant aussi barbarement les mots, martelant les notes, comme ils battraient du fer sur l'enclume, grinçant les mots latins les plus harmonieux.

En certaines paroisses d'ailleurs, les chantres trop nombreux n'ont même plus la ressource des aveugles se soutenant entre eux tant bien que mal, et alors quelques vieux, demeurant plus fidèles que solides au poste, c'est le massacre abominable de l'office, des cris rauques et éperdus et toute la désharmonisation de la belle liturgie catholique.

Il aurait fallu une réaction énergique contre certains abus, il aurait fallu une énergique action en propagande pour relever le niveau du recrutement.

Car il est bien certain qu'à l'heure actuelle quelqu'un qui dans la bourgeoisie croit se respecter ne voudrait jamais être chantre, ne voudrait même pas laisser ses enfants être enfants de chœur, si ce n'est peut-être en quelques chapelles privilégiées, et il faut convenir que si les gens distingués ont eu tort de déserter le chœur des églises, ils n'y sauraient guère rentrer maintenant sans se commettre avec de braves gens, certes, mais d'une éducation insuffisante.

Les événements se sont chargés, comme presque toujours, mais comme presque toujours aussi brutalement, de solutionner le problème en faisant table rase du passé. L'Église s'est vue dépouillée injustement de ses ressources ; en beaucoup d'endroits, elle a vu, du même coup, disparaître la majeure partie de ses chantres gagés, lesquels ne faisaient qu'exercer un métier dont tout le monde avait perdu le sens comme eux-mêmes.

Si, en certaines régions plus pieuses, plus traditionalistes, les chantres non payés avant la Séparation [de l’Église et de l’État, en 1905] sont restés après, parce que rien n'était changé dans leur situation matérielle, en beaucoup d'autres le chœur des églises s'est vidé, les stalles sont devenues muettes, les chants liturgiques ont cessé en majeure partie. Le curé est resté à peu près seul, dans l'impossibilité de poursuivre l'office chanté et a été obligé de se contenter de célébrer une messe basse et de supprimer processions et cortèges.

(…)

Si donc le clergé ne trouve plus de chantres tout faits, il faut qu'il en fasse lui-même, il faut qu'il en forme. Or, il n'en pourra trouver que parmi les jeunes gens et comme, parmi les jeunes gens, il ne trouvera rien qui soit même ébauché, il pourra les former comme il voudra, d'après les meilleures méthodes, et, instruit par l'expérience des abus qui peuvent se glisser dans les plus sages institutions, au point de vue artistique et à tout autre, il avisera mieux au moyen de les garder dans un sens exact de l'art et de la bonne tenue.

Les jeunes gens des patronages, nous l'avons dit, peuvent et doivent devenir les meilleurs auxiliaires des curés dans les paroisses ; (…).

(…)

Mais il faudra que l'expérience du passé serve à quelque chose. Le service de l'autel, la participation effective aux cérémonies, le chant liturgique, tout cela devra être présenté et apparaître vraiment comme un honneur qu'il faut savoir apprécier et qui se paie par lui-même, sans autre émolument. Ce n'est pas par l'appât du gain qu'il faut ramener la jeunesse à reprendre l'aube de lin des lévites.

(…)

Il faudra donc — ce ne sera que justice et bon goût — rompre résolument avec des accoutrements presque burlesques, soutanes trop courtes, d'où sortent de longs bras étirés et de longues jambes, surplis bossus, cottes mal tirées. Tout ce travestissement qui sent la misère et que l'on n'ose exhiber au soleil. Il faudra rompre aussi avec la désinvolture ou la gaucherie des attitudes, avec ces contorsions du ventre qui constituent le salut de trop d'enfants de chœur.

Il faudra rompre avec ces criailleries nasillardes ou avec ces airs d'opéra qui forment toutes les extrémités des insuffisances liturgiques de nos jours.

Il faudra harmoniser toutes choses, les attitudes, les gestes, les évolutions, les chants, la démarche.

(…)

Aujourd'hui, en beaucoup d'églises, ou c'est le chant liturgique horriblement massacré ou le remplacement du chant liturgique par je ne sais quels motets, quels airs d'opéra plus ou moins déguisés.

C'est l'Ave Maria de Gounod devenu insipide et horripilant, parce qu'il n'est pas une messe de mariage ou une cérémonie soi-disant solennelle où une demoiselle ne vienne le minauder et le miauler sans même le comprendre.

On s'ingénie, semblerait-il, à dérouter les fidèles, à donner des entorses aux chants qui s'imposent et qui s'adaptent à la cérémonie.

On oublie que l'Église a des chants pour chaque fête et qui en rappellent l'origine, le but, le sens, les applications, et on se casse la tête pour composer des programmes pseudo-artistiques où n'entrera pas un seul chant qui y serait à sa place

« Saint-Père, demandait assez naïvement un bon directeur de maîtrise à Pie X, que convient-il de chanter pendant l'office ? » Et Pie X, finement, de lui répondre : « Pendant l'office, mon fils, ce qu'il convient de chanter, c'est l'office ! »

Que de gens ont été renversés à cette révélation. Adieu donc les fantaisies, les cantiques sur des airs de chevaux de bois, les rengaines qui se sifflent aussi bien sur le trottoir que dans l'église. C'est à ne plus s'y reconnaître.

(…)

Le recrutement mérite du soin : il doit se fournir dans l'élite, parmi ceux qui comprennent et qui doivent former le noyau rayonnant de l'art et de la piété. C'est dans la mesure aussi où ce recrutement sera sérieux et même sévère qu'il pourra, au bout d'un certain temps, devenir fécond.

(…) Les chantres, les enfants de chœur n'ont pas une bonne presse : on les juge mal. Si donc on veut ramener au chœur des jeunes gens d'une éducation meilleure, si on veut faire au Christ une cour plus prochaine, qui soit moins indigne de lui, il faut composer le chœur non pas avec les épaves, mais avec la fleur de la paroisse, et on n'y parviendra qu'en tenant fortement la main à une tenue irréprochable et on n'obtiendra cette tenue que par une éducation méthodique de la jeunesse des patronages et par sa formation en vue de la fonction, sublime après tout, qu'on lui destine.

La famille elle-même sera donc intéressée au recrutement : elle tiendra de nouveau à honneur de voir ses enfants et ses jeunes gens revêtir, momentanément tout au moins, les vêtements sacrés.

» Le résultat, on le devine. L'Église deviendra plus intéressante pour tous : les offices seront mieux suivis, mieux vus et mieux compris. L'assiduité pourra être exigée plus strictement par le prêtre et elle sera consentie plus facilement par les jeunes gens : leur fonction et leur piété les appelleront
simultanément auprès du Maître.

(…)

Certes, on ne saurait voir se rénover d'un coup la face de la terre ; mais n'y a-t-il pas quelque chose à tenter sérieusement ?

L'Église et la jeunesse sont faites pour s'entendre, toutes les deux ont des aspirations généreuses, les robustes espérances, la foi en la Beauté et en l'Amour.

Mais, pour s'entendre, il faut qu'elles se fréquentent et qu'elles se rencontrent. La jeunesse a déserté l'Église, l'Église est en train de reconquérir la jeunesse ; elle va vers elle ; mais il faut que ce soit pour la ramener à elle, pour lui faire reprendre le chemin des temples trop déserts, c'est pour que, de nouveau, aux grandes fêtes, toutes les deux puissent chanter ensemble et d'accord l’Alléluia vainqueur.


Référence

Edward Montier, « Les jeunes gens et la liturgie », in La Vie au patronage, 15 juillet 1912, p. 461-465, cité par Les Questions liturgiques et paroissiales, 2e année, 1911-1912, Abbaye du Mont-César, Louvain, p. 473-481.

vendredi 17 novembre 2017

La réalité de la messe paroissiale en France, en 1945, d'après Dom L. Beauduin



Messe solennelle aux Pays-Bas (date inconnue)


(...) quel est aujourd'hui l'état d'esprit et la pratique actuelle au sujet de la messe paroissiale. Une enquête sommaire permet d'établir quatre groupes.

1) Plusieurs paroisses ont abandonné ou à peu près la grand'messe. Je ne parle pas des dessertes ; mais des paroisses normales. Sauf à quelques très grandes fêtes la grand'messe n'existe plus. Quelquefois on donne le change par des auditions musicales et des chants pendant une messe basse ; ou bien le prêtre chante à sa fantaisie quelques pièces : Préface, Pater..., mais en réalité, la grand'messe a disparu.

Les prétextes ne manquent pas : réduction successive du personnel : organistes, chantres, enfants de chœur ; nécessité, dans les villes surtout, d'assurer le rythme régulier des messes basses, plus nécessaires pour l'obligation que la grand'messe ; nécessité plus grande de la prédication qu'il faudrait écourter à une grand'messe, etc.

Quelquefois la grand'messe a été avancée pour permettre aux fidèles d'y assister et de communier : initiative très louable en soi, mais qui pourrait amener, si l'on n'y prend garde, une regrettable réduction et même une insensible suppression de la messe solennelle.

Une sévère et rapide réaction est nécessaire ; sans quoi infailliblement ces paroisses perdront toute vie liturgique.

2) La catégorie des paroisses où la grand'messe se célèbre selon une respectable routine : tous, clergé, chantres, acolytes, fidèles, donnent l'impression d'être en service commandé : assistance muette et ennuyée ; acolytes distraits et dissipés ; aucun élan vivifiant : l'âme a déserté cette assemblée.

Cette fidélité machinale est méritoire sans doute. Grâce à elle, ce cadre cultuel est matériellement conservé.

(…)

3) Dans un nombre assez considérable de paroisses on trouve le louable souci de solenniser le dimanche ; mais les méthodes employées ne sont pas irréprochables. 

Au lieu de mettre en valeur la messe solennelle par les moyens authentiques et efficaces de l'Église et de respecter fidèlement les règles établies, on utilise de préférence les procédés modernes : programmes musicaux annoncés à l'instar de concerts avec le concours d'artistes profanes ; prédicateurs à la mode ; rites nouveaux ; assistance choisie ; bref, toute une action sans aucun rapport avec une assemblée liturgique.

Pour d'autres, d'ailleurs bien disposés, l'effort consiste à grouper dans le chœur, autour d'un harmonium et sous la direction d'une religieuse, une schola de jeunes filles. C'est admissible comme procédé d'initiation et d'entraînement ; mais souvent le système devient définitif, et c'est le pensionnat qui monopolise la participation. La liturgie tombe en quenouille ; la nef masculine surtout est plus silencieuse que jamais et, une fois de plus, la religion passe pour une occupation de femmes.

4) Enfin les paroisses de plus en plus nombreuses, qui utilisent la liturgie telle que l'Église nous la donne aujourd'hui, pour donner à la vie paroissiale et avant tout à la synaxe solennelle du dimanche son maximum de rendement spirituel. Sans attendre des réformes problématiques et assurément encore lointaines, ils-mettent en valeur, sans plus attendre, le missel actuel, avec la conviction que, tel quel, il renferme tant de trésors ignorés « et de richesses assimilables au peuple chrétien qu'un immense et très fécond travail peut et doit s'accomplir. Plusieurs paroisses ont été transformées par ces efforts persévérants : puissent-elles se multiplier encore !

Référence

Dom Lambert Beauduin, « La messe chantée, sommet de la vie paroissiale », in La Maison-Dieu, n°4, Éditions du Cerf, 1945, p. 120-122