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jeudi 25 octobre 2012

Le surinvestissement parental, Bernstein et Triger, 2011


Depuis le milieu des années 1980, les parents se sont de plus en plus investis dans la vie de leurs enfants. Les média et les écrivains populaires ont décrit cette pratique comme « le style parental hélicoptère » (''helicopter parenting''), le « maternage étouffant » (''smothering mothering''), le « style parental alpha » (''alpha parenting''), ou le « style parental centré sur l'enfant » (''child-centered parenting'') (15). Nous userons du terme « style parental intensif » (''Intensive Parenting''), pour décrire le type dominant du parent contemporain (16). Ce parent est un parent qui s'investit intensivement, en développant activement la culture de son enfant, en acquérant une connaissance approfondie des meilleurs pratiques d'élevage des enfants, et en utilisant ce savoir pour suivre de près le développement de l'enfant et ses activités quotidiennes. (p. 1225) (…).

La pratique du style parental intensif se compose de trois éléments.

Premièrement, les parents acquièrent une connaissance approfondie de ce que les experts considèrent comme étant propre au développement de l'enfant, dans le but de reconnaître et de répondre à chaque stade du développement émotionnel et intellectuel de l'enfant (46).

Deuxièmement, les parents s'engagent dans l'« éducation culturelle concertée »  (''concerted cultivation''): les parents encouragent et valorisent activement les talents de l'enfant, orchestrent, pour l'enfant, de multiples activités de loisir, et interviennent régulièrement, au nom de l'enfant, dans les structures institutionnelles (47).

Troisièmement, afin d'atteindre les mêmes objectifs, les parents suivent de près de nombreux aspects de la vie de l'enfant. (p. 1232) (…).

Les effets psychologiques du style parental intensif.

Les parents qui s'engagent dans le style parental intensif procurent à leurs enfants d' importants avantages.

Le style parental intensif prend sa source dans le désir de façonner un enfant à l'attachement sûr, et assez évolué pour répondre aux besoins d'une société de plus en plus exigeante et compétitive (260).

La recherche a démontré que le style parental intensif donne des enfants mieux préparés à faire face aux institutions et qui savent faire fonctionner les règles en leur faveur ; alors que les enfants élevés sou l'influence de pratiques d'éducation différentes ont tendance à manifester de l'embarras dans leurs interactions avec les institutions (261).

D'autres recherches ont démontré les effets positifs du style parental intensif sur la motivation et la réussite universitaire (262), le comportement à l'école (263), la probabilité d'être blessé (264) et la satisfaction d'être à l'université (265).

Cela dit, alors que la première génération d'enfants élevés par des parents intensivement investis arrive à l'université, de nouvelles recherches psychologiques révèlent que le style parental intensif n'apporte pas seulement des avantages mais a, également, des conséquences indésirables sur les enfants.

Dans cette partie nous abordons ces études pionnières et indiquons qu'une intégration non-critique du style parental intensif au sein des normes légales peut faire courir le risque de contrecarrer l'un des rôles les plus importants des parents, à savoir, celui de nourrir le sens de l'indépendance et de la séparation d'avec eux-mêmes (266).

« Chaque automne, selon un professeur de l'University of Virginia, les parents laissent à eux-mêmes leurs étudiants de première année bon chic bon genre ; deux ou trois jours plus tard, nombre d'entre eux ont consommé une quantité dangereuse d'alcool, se mettant eux-mêmes dans une situation dangereuse. Ces gosses qui ont été sous contrôle si longtemps deviennent tous simplement dingues. (267) »

Le style parental intensif conçoit les enfants, quelque soit leur âge, comme vulnérables et sans défense. Par conséquent, le style parental intensif entraîne une surveillance constante destinée à les protéger (268). Il apparaît que, si, auparavant, la mission des parents était d'affronter l'enfant au monde extérieur, les parents actuels cherchent à protéger leur enfant de ce dernier (269).

Tout un îlot de recherche, qui s'ajoute à de nombreux éléments anecdotiques, suggère que les tendances actuelles du style parental intensif peuvent être, en fait, dangereuses pour les enfants.

Le style parental intensif ne permet pas aux enfants de développer leur sens de l'indépendance, de l'autonomie ainsi que les capacités d'adaptation nécessaires pour aborder les défis de l'existence (270). Les enfants élevés sous l'influence d'un style parental intensif ne parviennent pas à développer d'importantes compétences, qui incluent la capacité à organiser leur temps, à organiser des stratégies et à négocier dans le cadre d'un conflit ouvert durant le jeu (271). Dans l'ensemble, ils ont tendance à montrer moins de créativité, de spontanéité, de plaisir et d'initiative au cours de leur temps de loisir que les autres enfants, élevés dans le cadre de pratiques d'éducation différentes (272).

De surcroît, la recherche conduite ces dernières années, indique que les enfants de parents intensivement investis ont tendance non seulement à être moins indépendants, mais également moins attentifs et soucieux des sentiments des autres (273).

Beaucoup parmi ces enfants ont le sentiment que l'âge adulte commence seulement à l'âge de trente ans (274).

En outre, comparés aux autre générations, ils sont plus susceptibles de souffrir d'une basse estime de soi (275), de dépression, d'anxiété et de stress (276).

Les recherches montrent que les enfants de parents intensivement investis quittant le foyer conservent un contact permanent avec leurs parents par le biais de l'internet et du téléphone portable. Toutefois, cette communication continuelle infantilise le jeune en le maintenant dans un état constant de dépendance (277). Si jamais la plus petite difficulté paraît, ils s'en remettent, pour être guidés, automatiquement à leurs parents (278).

Il apparaît qu'un investissement parental plus élevé a contribué au déclin des prises de décisions et des capacités d'adaptation des étudiants.

Ils ne sont pas capables d'analyser les décisions importantes associées à la transition lycée-université (279). Ces déficiences soumettent cette génération d'enfants adultes, comparée aux générations précédentes, au risque élevé de faire de mauvais choix en matière d'alcool, de drogues, d'abus et de relations sexuelles (280).

De surcroît, ils sont plus sujets aux conflits non résolus et croissants avec leurs camarades de chambre et à la malhonnêteté intellectuelle (281).

Les autorités universitaires ont observé que, dans leur tentative d'empêcher leurs enfants de faire des erreurs, les parents encouragent leur dépendance (282). Par conséquent, les universités sont de plus en plus concernées par le fait que le style parental intensif inhibe le développement des étudiants vers l'état adulte indépendant (283).

En outre, les risques de l'investissement parental intensif ne trouvent pas seulement leur origine dans l'extension au jeune adulte de cette pratique d'élevage de l'enfant. La source du problème gît dans le style d'investissement parental lui-même. Le psychanalyste Bruno Bettelheim explique que le monde intérieur des enfants est appauvri par l'absence d'espace mental suffisant dédié au jeu (284). Le jeu est un mécanisme central à travers lequel les enfants entrent en relation avec le monde environnant et développent leur sens de l'indépendance et de la séparation (285). Or, l'investissement parental intensif demande une surveillance intense qui limite significativement le jeu (286). Le processus de séparation des parents est essentiel au développement sain de l'enfant ; mais le surinvestissement parental pourrait bien le mettre en danger (287).

Finalement, si certains enfants peuvent être réceptifs au style parental intensif, d'autres peuvent percevoir ce style parental comme du surinvestissement. Le style parental intensif peut tout simplement se révéler trop intense pour certains enfants.

Un mère, directrice de rédaction d'un journal, rapporta que, dans le but de passer plus de temps avec sa fille et de conserver sa carrière, elle décida de travailler de nuit ; or, ce fut sa fille qui « la poussa à travailler la journée . Il semble qu'elle pensa qu'avoir une Maman dans les pattes la plupart du temps n'était pas si marrant que ça, spécialement si Maman est toujours limite (288). » En effet, « [les] enfants sont le centre du ménage et tout tourne autour d'eux », observe un mère préoccupée, « [et] vous pouvez, dans ce cadre, rendre vos gosses complètement dingues (289). » (p. 1274-1277)

Notes

(15) Lisa Belkin, « Let the Kid Be », in N.Y. Times, 31 mai 2009, p. MM19.
(16) Nous empruntons et retouchons le terme utilisé par Sharon Hays, « Intensive Mothering  », cf. Sharon Hays, The Cultural Contradictions of Motherhood, p. 1-18 (1996).
(46) Cf. Hays, op. cit., p. 8.
(47) Annette Lareau, Unequal Childhoods : Class, Race and Family Life, (2003), p. 31.
(260) Cf. Hays, op. cit., p. 44 (discutant de la relation entre les normes contemporaines du style parental intensif et les théoriciens de l'attachement); Tali Schaefer, « Disposable Mothers: Paid In-Home Caretaking and the Regulation of Parenthood », in Yale Journal of Law & Feminism, n° 19, 2008, p. 336-37.
(261) Cf. Lareau, op. Cit., p. 5-6.
(262) Wendy S. Grolnick & Richard M. Ryan, « Parents Styles Associated with Children’s Self-Regulation and Competence in School », in J. Educ. Psychol., n°81, 1989, p. 149-51 (indiquant que les mères investies façonnent des enfants possédants de plus hauts grades universitaires); Timothy Keith et al., « Does Parental Involvement Affect Eighth-grade Student Achievement ? : Structural Analysis of National Data », in Sch. Psychol. Rev., n°22, 1993, p. 474 (démontrant qu'un investissement parental croissant a un impact direct sur la motivation des enfants, leur réussite et le temps passé à faire les devoirs à la maison).
(263) Cf. Grolnick & Ryan, op. cit., p. 143 (indiquant que les enfants de mères investies sont moins susceptibles d'être perturbateurs à l'école).
(264) Pour une approche plus générale, cf. David C. Schwebel et al., « Interactions Between Child Behavior Patterns and Parenting : Implications for Children’s Unintentional Injury Risk », in J. Pediatric Psychol., n° 29, 2004, p. 93, (abordant la corrélation entre le style parental intensif et la probabilité décroissante de blessure pour l'enfant).
(265) Sara Lipka, « Helicopter Parents Help Students, Survey Finds », in Chron. Higher Educ., 9 nov. 2007, p. A1 (citant un sondage indiquant que les étudiants dont les parents interviennent en leur nom sont plus actifs et satisfaits de l'université).
(266) Hara Estroff Marano, « A Nation of Wimps », in Psychol. Today, n°37, 1er novembre 2004, p. 64-66. , consultable à http://www.psychologytoday.com/articles/pto-20041112-000010.html.
(267) id., p. 62.
(268) Cf. Gill Valentine, « ‘My Son’s a Bit Dizzy.’ ‘My Wife’s a Bit Soft’: Gender, Children and Cultures of Parenting », in Gender, Place & Culture, n° 4 , p. 37-38 (1997); Gill Valentine, « “Oh Yes I Can.” “Oh No You Can’t”: Children and Parents’ Understandings of Kids’ Competence to Negotiate Public Space Safely », in Antipode, n° 29, 1997, p. 73.
(269) Tina Kelley, « Dear Parents: Please Relax, It’s Just Camp », in N. Y. Times, 26 juillet 2008, p. A1.
(270) Cf. par exemple, Wendy S. Grolnick & Kathy Seal, Pressured Parents, Stressed-out Kids : Dealing with Competition while Raising a Successful Child, 2008, p. 21-38 (argumentant du fait qu'un contrôle excessif de touts les aspects de la vie de l'enfant diminue, en fait, la motivation et les compétences de l'enfant) ; Richard Weissboard, The Parents we Mean : How Well-intentioned Adults Undermine Children's Moral and Emotional Development, 2009, p. 81-97 (2009) (illustrant le fait que la proximité accentuée entre les parents et les enfants fait obstacle à la capacité des enfants de se séparer avec succès de leurs parents); Gill Valentine & John McKendrick, « Children’s Outdoor Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the Changing Nature of Childhood », in Geoforum, n°28, 1997, p. 220, (1997) (argumentant du fait qu'un nombre moindre d'enfants jouent dehors que par le passé, principalement à cause des angoisses de leurs parents à propos de leur sécurité, et que cette tendance est en train de changer la nature de l'enfance).
(271) Cf. Lareau, op. cit., p. 67; Barbara K. Hofer & Abigail Sullivan Moore, The Iconnected Parent : Staying Close to your Kids in College (and Beyond) While Letting Them Grow Up, 2010, note p.90, p. 45-49 (rendant compte d'une étude sur des étudiants montrant que le style parental intensif est corrélé à des problème d'autorégulation, comprenant la gestion du temps, l'organisation et d'autres capacités inhérentes à l'étude).
(272) Cf. Lareau, op. cit., p. 83.
(273) Jean M. Twenge, Generation Me : Why Roday's Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – And More Miserable Than Ever Before, 2006, p. 25.
(274) id., p. 97.
(275) Alvin Rosenfeld & Nicole Wise, « The Over-Scheduled Child: Avoiding the Hyper-Parenting Trap », in Child & Adolescent Behavior Letter, n° 17, 2001, p. 6.
(276) Twenge, op. cit., p. 104-05; Anna M. L. van Brakel et al., « A Multifactorial Model for the Etiology of Anxiety in Non-Clinical Adolescents: Main and Interactive Effects of Behavioral Inhibition, Attachment and Parental Rearing », in Child Fam. Stud., n° 15, 2006, p. 570. Certes, les taux de dépression et d'anxiété ont augmenté dans les autres secteurs de la population, mais l'augmentation des niveaux de dépression et d'anxiété a été particulièrement forte chez les enfants et les étudiants. Twenge, op. cit., p. 107.
(277) Marano, op. cit., p. 64-66. Mais cf. Naomi Cahn & June Carbone, Red Families v. Blue Families : Legal Polarization and The Creation of Culture, 2010, p. 57-58; Courriel de June Carbone à Gaia Bernestein (12 octobre 2009) (argumentant du fait que, par le passé, les enfants, et particulièrement les femmes, quittaient la surveillance parentale pour entrer dans celle d'hommes mariés, au sein du mariage ou sur les lieux de travail, alors que, désormais, comme l'âge adulte est retardé, la surveillance parentale remplace minutieusement les structures surveillées des générations précédentes.
(278) Marano, op. cit., p. 66. Mais cf. Cahn & Carbone, op. cit. ; Courriel de June Carbone à Gaia Bernstein, op. cit.
(279) Hofer & Moore, op. cit., p. 39-40 (rapportant qu'une étude portant sur des étudiants démontre que les étudiants qui ont les contacts les plus fréquents avec leurs parents, se montrent moins autonomes que les autres étudiants) ; Darby Dickerson, « Risk Management for the Modern Campus », in Campus Activities Programming Mag., janvier-février 2007, p. A12-13.
(280) id.
(281) id.
(282) Judith Hunt, « Make Room for Daddy . . . And Mommy: Helicopter Parents Are Here ! », J. Acad. Admini. Higher Educ., printemps 2008, p. 9, consultable à http://jwpress.com/JAAHE/Issues/JAAHE-Spring2008.pdf?Spring07=Spring+2008+Issue+
(283) id.
(284) Bruno Bettelheim, « The Importance of Play », in Atlantic Monthly, mars 1987, p. 35, rediscuté dans Judith WARNER, Perfect Madness : Motherhogg in the Age of Anxiety, 2005, p. 235.
(285) Cf. David Elkind, « Thanks for the Memory: The Lasting Value of True Play », Young Children, n° 58, 2003, p. 46 (2003) (discutant de l'importance du libre jeu).
(286) Valentine & McKendrick, op. cit., p. 220-21; David Elkind, « Playtime Is Over » , in N.Y. Times, 27 mars 2010, p. A19 (rapportant que les écoles embauchent des « coachs de récréation » afin de surveiller les étudiants pendant ce temps).
(287) Cf. WARNER, op. cit., p. 235, 237. Pour une approche plus générale, cf. Mary D. Salter Ainsworth, « Infant-Mother Attachment », in Am. Psychologist, n°34, 1979, p. 932 (suggérant que le sain attachement mère-enfant implique, entre autres choses, de nourrir le sentiment de sécurité du petit enfant dans le cadre du lien mère-enfant et, ainsi, la capacité d'une séparation sans anxiété) ; Arlene Skolnick, « The Myth of the Vulnerable Child », Psychol. Today, février 1978, p. 60 (sur le fait, par la surprotection parentale, de nourrir « l'impuissance acquise » des enfants) ; Kenneth Sullivan & Anna Sullivan, « Adolescent-Parent Separation », Developmental Psychol., n°16, 1980, p. 93 (démontrant que la séparation est cruciale dans la mesure où elle facilite la croissance des garçons et leur développement sain en tant qu'adultes indépendants, tout en conservant les liens émotionnels avec leurs parents).
(288) WARNER, op. cit., p. 4.
(289) id., p. 6.

Référence

Gaia BERNSTEIN & Zvi TRIGER, « Over-Parenting », UC Davis Law Review, vol. 44, n°. 4, 2011. La version française présentée ci-dessus est le fait de l'auteur de ce blog.

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