Depuis le milieu des
années 1980, les parents se sont de plus en plus investis dans la
vie de leurs enfants. Les média et les écrivains populaires ont
décrit cette pratique comme « le style parental hélicoptère »
(''helicopter parenting''), le « maternage étouffant »
(''smothering mothering''), le « style parental alpha »
(''alpha parenting''), ou le « style parental centré
sur l'enfant » (''child-centered parenting'') (15). Nous
userons du terme « style parental intensif » (''Intensive
Parenting''), pour décrire le type dominant du parent
contemporain (16). Ce parent est un parent qui s'investit
intensivement, en développant activement la culture de son enfant,
en acquérant une connaissance approfondie des meilleurs pratiques
d'élevage des enfants, et en utilisant ce savoir pour suivre de près
le développement de l'enfant et ses activités quotidiennes. (p.
1225) (…).
La pratique du style
parental intensif se compose de trois éléments.
Premièrement, les
parents acquièrent une connaissance approfondie de ce que les
experts considèrent comme étant propre au développement de
l'enfant, dans le but de reconnaître et de répondre à chaque stade
du développement émotionnel et intellectuel de l'enfant (46).
Deuxièmement, les
parents s'engagent dans l'« éducation culturelle concertée »
(''concerted cultivation''): les parents encouragent et
valorisent activement les talents de l'enfant, orchestrent, pour
l'enfant, de multiples activités de loisir, et interviennent
régulièrement, au nom de l'enfant, dans les structures
institutionnelles (47).
Troisièmement,
afin d'atteindre les mêmes objectifs, les parents suivent de près
de nombreux aspects de la vie de l'enfant. (p. 1232) (…).
Les effets
psychologiques du style parental intensif.
Les parents qui
s'engagent dans le style parental intensif procurent à leurs enfants
d' importants avantages.
Le style parental
intensif prend sa source dans le désir de façonner un enfant à
l'attachement sûr, et assez évolué pour répondre aux besoins
d'une société de plus en plus exigeante et compétitive (260).
La recherche a démontré
que le style parental intensif donne des enfants mieux préparés à
faire face aux institutions et qui savent faire fonctionner les
règles en leur faveur ; alors que les enfants élevés sou
l'influence de pratiques d'éducation différentes ont tendance à
manifester de l'embarras dans leurs interactions avec les
institutions (261).
D'autres recherches ont
démontré les effets positifs du style parental intensif sur la
motivation et la réussite universitaire (262), le comportement à
l'école (263), la probabilité d'être blessé (264) et la
satisfaction d'être à l'université (265).
Cela dit, alors que la
première génération d'enfants élevés par des parents
intensivement investis arrive à l'université, de nouvelles
recherches psychologiques révèlent que le style parental intensif
n'apporte pas seulement des avantages mais a, également, des
conséquences indésirables sur les enfants.
Dans cette partie nous
abordons ces études pionnières et indiquons qu'une intégration
non-critique du style parental intensif au sein des normes légales
peut faire courir le risque de contrecarrer l'un des rôles les plus
importants des parents, à savoir, celui de nourrir le sens de
l'indépendance et de la séparation d'avec eux-mêmes (266).
« Chaque automne,
selon un professeur de l'University of Virginia, les parents
laissent à eux-mêmes leurs étudiants de première année bon chic
bon genre ; deux ou trois jours plus tard, nombre d'entre eux
ont consommé une quantité dangereuse d'alcool, se mettant eux-mêmes
dans une situation dangereuse. Ces gosses qui ont été sous contrôle
si longtemps deviennent tous simplement dingues. (267) »
Le style parental
intensif conçoit les enfants, quelque soit leur âge, comme
vulnérables et sans défense. Par conséquent, le style parental
intensif entraîne une surveillance constante destinée à les
protéger (268). Il apparaît que, si, auparavant, la mission des
parents était d'affronter l'enfant au monde extérieur, les parents
actuels cherchent à protéger leur enfant de ce dernier (269).
Tout un îlot de
recherche, qui s'ajoute à de nombreux éléments anecdotiques,
suggère que les tendances actuelles du style parental intensif
peuvent être, en fait, dangereuses pour les enfants.
Le style parental
intensif ne permet pas aux enfants de développer leur sens de
l'indépendance, de l'autonomie ainsi que les capacités d'adaptation
nécessaires pour aborder les défis de l'existence (270). Les
enfants élevés sous l'influence d'un style parental intensif ne
parviennent pas à développer d'importantes compétences, qui
incluent la capacité à organiser leur temps, à organiser des
stratégies et à négocier dans le cadre d'un conflit ouvert durant
le jeu (271). Dans l'ensemble, ils ont tendance à montrer moins de
créativité, de spontanéité, de plaisir et d'initiative au cours
de leur temps de loisir que les autres enfants, élevés dans le
cadre de pratiques d'éducation différentes (272).
De surcroît, la recherche
conduite ces dernières années, indique que les enfants de parents
intensivement investis ont tendance non seulement à être moins
indépendants, mais également moins attentifs et soucieux des
sentiments des autres (273).
Beaucoup parmi ces
enfants ont le sentiment que l'âge adulte commence seulement à
l'âge de trente ans (274).
En outre, comparés aux
autre générations, ils sont plus susceptibles de souffrir d'une
basse estime de soi (275), de dépression, d'anxiété et de stress
(276).
Les recherches montrent
que les enfants de parents intensivement investis quittant le foyer
conservent un contact permanent avec leurs parents par le biais de
l'internet et du téléphone portable. Toutefois, cette communication
continuelle infantilise le jeune en le maintenant dans un état
constant de dépendance (277). Si jamais la plus petite difficulté
paraît, ils s'en remettent, pour être guidés, automatiquement à
leurs parents (278).
Il apparaît qu'un
investissement parental plus élevé a contribué au déclin des
prises de décisions et des capacités d'adaptation des étudiants.
Ils ne sont pas capables
d'analyser les décisions importantes associées à la transition
lycée-université (279). Ces déficiences soumettent cette
génération d'enfants adultes, comparée aux générations
précédentes, au risque élevé de faire de mauvais choix en matière
d'alcool, de drogues, d'abus et de relations sexuelles (280).
De surcroît, ils sont
plus sujets aux conflits non résolus et croissants avec leurs
camarades de chambre et à la malhonnêteté intellectuelle (281).
Les autorités
universitaires ont observé que, dans leur tentative d'empêcher
leurs enfants de faire des erreurs, les parents encouragent leur
dépendance (282). Par conséquent, les universités sont de plus en
plus concernées par le fait que le style parental intensif inhibe le
développement des étudiants vers l'état adulte indépendant (283).
En outre, les risques de
l'investissement parental intensif ne trouvent pas seulement leur
origine dans l'extension au jeune adulte de cette pratique d'élevage
de l'enfant. La source du problème gît dans le style
d'investissement parental lui-même. Le psychanalyste Bruno
Bettelheim explique que le monde intérieur des enfants est appauvri
par l'absence d'espace mental suffisant dédié au jeu (284). Le jeu
est un mécanisme central à travers lequel les enfants entrent en
relation avec le monde environnant et développent leur sens de
l'indépendance et de la séparation (285). Or, l'investissement
parental intensif demande une surveillance intense qui limite
significativement le jeu (286). Le processus de séparation des
parents est essentiel au développement sain de l'enfant ; mais
le surinvestissement parental pourrait bien le mettre en danger
(287).
Finalement, si certains
enfants peuvent être réceptifs au style parental intensif, d'autres
peuvent percevoir ce style parental comme du surinvestissement. Le
style parental intensif peut tout simplement se révéler trop
intense pour certains enfants.
Un mère, directrice de
rédaction d'un journal, rapporta que, dans le but de passer plus de
temps avec sa fille et de conserver sa carrière, elle décida de
travailler de nuit ; or, ce fut sa fille qui « la poussa à
travailler la journée . Il semble qu'elle pensa qu'avoir une
Maman dans les pattes la plupart du temps n'était pas si marrant que
ça, spécialement si Maman est toujours limite (288). » En
effet, « [les] enfants sont le centre du ménage et tout tourne
autour d'eux », observe un mère préoccupée, « [et]
vous pouvez, dans ce cadre, rendre vos gosses complètement dingues
(289). » (p. 1274-1277)
Notes
(15) Lisa
Belkin,
« Let
the Kid Be », in N.Y.
Times,
31 mai 2009, p. MM19.
(16)
Nous empruntons et retouchons le terme utilisé par Sharon Hays,
« Intensive Mothering », cf.
Sharon
Hays, The
Cultural Contradictions of Motherhood, p.
1-18
(1996).
(46)
Cf.
Hays,
op.
cit., p.
8.
(47)
Annette Lareau,
Unequal
Childhoods : Class, Race and Family Life,
(2003),
p.
31.
(260)
Cf.
Hays,
op.
cit., p.
44 (discutant de la relation entre les normes contemporaines du style
parental intensif et les théoriciens de l'attachement);
Tali Schaefer,
« Disposable
Mothers: Paid In-Home Caretaking and the Regulation of Parenthood »,
in Yale Journal of Law & Feminism,
n° 19, 2008,
p.
336-37.
(261)
Cf.
Lareau,
op.
Cit., p.
5-6.
(262)
Wendy S. Grolnick
& Richard M. Ryan,
« Parents
Styles Associated with Children’s Self-Regulation and Competence in
School », in J.
Educ. Psychol.,
n°81, 1989,
p.
149-51 (indiquant que les mères investies façonnent des enfants
possédants de plus hauts grades universitaires);
Timothy Keith
et al., « Does Parental Involvement Affect Eighth-grade Student
Achievement
? : Structural Analysis of National Data »,
in Sch. Psychol. Rev., n°22, 1993,
p.
474 (démontrant qu'un investissement parental croissant a un impact
direct sur la motivation des enfants, leur réussite et le temps
passé à faire les devoirs à la maison).
(263)
Cf.
Grolnick
& Ryan,
op.
cit., p.
143 (indiquant que les enfants de mères investies sont moins
susceptibles d'être perturbateurs à l'école).
(264)
Pour une approche plus générale, cf.
David C. Schwebel
et al., « Interactions
Between Child Behavior Patterns and Parenting : Implications for
Children’s Unintentional Injury Risk »,
in J.
Pediatric Psychol.,
n° 29,
2004, p. 93, (abordant la corrélation entre le style parental
intensif et la probabilité décroissante de blessure pour l'enfant).
(265)
Sara Lipka, « Helicopter Parents Help Students, Survey Finds »,
in Chron. Higher Educ., 9 nov. 2007, p. A1 (citant un sondage
indiquant que les étudiants dont les parents interviennent en leur
nom sont plus actifs et satisfaits de l'université).
(266)
Hara Estroff Marano,
« A Nation of Wimps »,
in Psychol. Today, n°37, 1er
novembre 2004, p. 64-66. , consultable à
http://www.psychologytoday.com/articles/pto-20041112-000010.html.
(267)
id., p. 62.
(268)
Cf. Gill Valentine,
« ‘My Son’s a Bit Dizzy.’ ‘My Wife’s a Bit Soft’:
Gender, Children and Cultures of Parenting », in Gender,
Place & Culture, n° 4 , p.
37-38 (1997); Gill Valentine,
« “Oh Yes I Can.” “Oh No You Can’t”: Children and
Parents’ Understandings of Kids’ Competence to Negotiate Public
Space Safely », in Antipode, n° 29, 1997, p. 73.
(269)
Tina Kelley,
« Dear Parents: Please
Relax, It’s Just Camp »,
in N. Y. Times, 26
juillet 2008, p. A1.
(270)
Cf. par exemple, Wendy S.
Grolnick
& Kathy Seal,
Pressured Parents, Stressed-out Kids : Dealing with
Competition while Raising a Successful Child,
2008, p. 21-38 (argumentant du fait qu'un contrôle excessif
de touts les aspects de la vie de l'enfant diminue, en fait, la
motivation et les compétences de l'enfant) ; Richard
Weissboard, The Parents we Mean : How Well-intentioned Adults
Undermine Children's Moral and Emotional Development,
2009, p. 81-97
(2009) (illustrant le fait que la proximité accentuée entre les
parents et les enfants fait obstacle à la capacité des enfants de
se séparer avec succès de leurs parents); Gill Valentine & John
McKendrick, « Children’s
Outdoor Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety
and the Changing Nature of Childhood », in Geoforum,
n°28, 1997, p. 220, (1997) (argumentant du fait qu'un nombre
moindre d'enfants jouent dehors que par le passé, principalement à
cause des angoisses de leurs parents à propos de leur sécurité, et
que cette tendance est en train de changer la nature de l'enfance).
(271)
Cf. Lareau, op. cit., p. 67; Barbara K. Hofer &
Abigail Sullivan Moore, The Iconnected Parent : Staying Close
to your Kids in College (and Beyond) While Letting Them Grow Up,
2010, note p.90,
p. 45-49 (rendant compte d'une étude sur des étudiants montrant que
le style parental intensif est corrélé à des problème
d'autorégulation, comprenant la gestion du temps, l'organisation et
d'autres capacités inhérentes à l'étude).
(272)
Cf. Lareau, op. cit., p. 83.
(273)
Jean M. Twenge, Generation Me : Why Roday's Young Americans
Are More Confident, Assertive, Entitled – And More Miserable Than
Ever Before, 2006, p. 25.
(274)
id., p. 97.
(275)
Alvin Rosenfeld & Nicole Wise, « The Over-Scheduled Child:
Avoiding the Hyper-Parenting Trap », in Child &
Adolescent Behavior Letter, n° 17, 2001, p. 6.
(276)
Twenge, op. cit., p. 104-05; Anna M. L. van Brakel et al., « A
Multifactorial Model for the Etiology of Anxiety in Non-Clinical
Adolescents: Main and Interactive Effects of Behavioral Inhibition,
Attachment and Parental Rearing », in Child Fam. Stud.,
n° 15, 2006, p. 570. Certes, les taux de dépression et d'anxiété
ont augmenté dans les autres secteurs de la population, mais
l'augmentation des niveaux de dépression et d'anxiété a été
particulièrement forte chez les enfants et les étudiants. Twenge,
op. cit., p. 107.
(277)
Marano, op. cit., p. 64-66. Mais cf. Naomi Cahn &
June Carbone, Red Families v. Blue Families : Legal
Polarization and The Creation of Culture, 2010, p. 57-58;
Courriel de June Carbone à Gaia Bernestein (12 octobre 2009)
(argumentant du fait que, par le passé, les enfants, et
particulièrement les femmes, quittaient la surveillance parentale
pour entrer dans celle d'hommes mariés, au sein du mariage ou
sur les lieux de travail, alors que, désormais, comme l'âge adulte
est retardé, la surveillance parentale remplace minutieusement les
structures surveillées des générations précédentes.
(278)
Marano, op. cit., p. 66. Mais cf. Cahn & Carbone,
op. cit. ; Courriel de June Carbone à Gaia Bernstein, op.
cit.
(279)
Hofer & Moore, op. cit., p. 39-40 (rapportant qu'une étude
portant sur des étudiants démontre que les étudiants qui ont les
contacts les plus fréquents avec leurs parents, se montrent moins
autonomes que les autres étudiants) ; Darby Dickerson, « Risk
Management for the Modern Campus », in Campus Activities Programming Mag., janvier-février 2007, p.
A12-13.
(280)
id.
(281)
id.
(282)
Judith Hunt, « Make Room for Daddy . . . And Mommy: Helicopter
Parents Are Here ! », J. Acad. Admini. Higher Educ., printemps 2008, p. 9,
consultable à
http://jwpress.com/JAAHE/Issues/JAAHE-Spring2008.pdf?Spring07=Spring+2008+Issue+
(283)
id.
(284)
Bruno Bettelheim,
« The Importance of Play », in Atlantic Monthly, mars 1987, p.
35, rediscuté dans Judith WARNER, Perfect Madness : Motherhogg in the Age of Anxiety, 2005,
p. 235.
(285)
Cf. David Elkind,
« Thanks for the Memory: The Lasting Value of True Play »,
Young Children, n°
58, 2003, p. 46
(2003) (discutant de l'importance du libre jeu).
(286)
Valentine
& McKendrick,
op. cit., p. 220-21;
David Elkind,
« Playtime Is Over » , in N.Y. Times,
27 mars 2010, p. A19 (rapportant que les écoles embauchent des
« coachs de récréation » afin de surveiller les
étudiants pendant ce temps).
(287)
Cf. WARNER, op.
cit., p. 235, 237. Pour une
approche plus générale, cf.
Mary D. Salter Ainsworth,
« Infant-Mother Attachment », in Am. Psychologist, n°34,
1979, p. 932 (suggérant que le sain attachement mère-enfant
implique, entre autres choses, de nourrir le sentiment de
sécurité du petit enfant dans le cadre du lien mère-enfant et,
ainsi, la capacité d'une séparation sans anxiété) ; Arlene
Skolnick,
« The Myth of the Vulnerable Child », Psychol. Today, février
1978, p. 60 (sur le fait, par la surprotection parentale, de nourrir
« l'impuissance acquise » des enfants) ; Kenneth
Sullivan
& Anna Sullivan,
« Adolescent-Parent Separation », Developmental Psychol.,
n°16, 1980, p. 93 (démontrant que la séparation est cruciale dans
la mesure où elle facilite la croissance des garçons et leur
développement sain en tant qu'adultes indépendants, tout en
conservant les liens émotionnels avec leurs parents).
(288)
WARNER, op. cit., p.
4.
(289)
id., p. 6.
Référence
Gaia
BERNSTEIN & Zvi TRIGER, « Over-Parenting »,
UC Davis Law Review, vol. 44, n°. 4, 2011. La version française présentée ci-dessus est le fait de l'auteur de ce blog.
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