L'Algérie française entre 1856 et 1870 ; carte de 1877, tirée d'un ouvrage d'A. Vuillemin. |
(...)
§
1er. Condition juridique des indigènes musulmans
(…)
Dissipant toutes les incertitudes qui avaient pu s'élever à cet
égard dans la doctrine, le sénatus-consulte du 14 juillet 1865,
déclara que la qualité de Français appartient à tout indigène
musulman, c'est-à-dire à toute personne, de religion mahométane,
née en Algérie avant la conquête, ou qui y est née depuis lors de
parents établis en Algérie antérieurement à l'occupation
française (1). La nationalité des indigènes arabes et kabyles est
donc désormais à l'abri de toute contestation. Ils sont Français
et, comme tels, placés nous la protection de la France, en quelque
pays qu'ils se trouvent.
Il
ne s'ensuit pas cependant que le sénatus-consulte de 1865 ait
complètement assimilé l'indigène algérien au Français de
naissance. Il laisse, au contraire, subsister entre eux une
différence profonde. En reconnaissant aux Musulmans de l'Algérie la
qualité de Français, le sénatus-consulte n'emploie cette
qualification que dans le sens restreint et spécial qui lui était
assigné par la jurisprudence antérieure. Il les déclare Français,
mais il leur refuse le titre de citoyens. À moins d'une concession
particulière du gouvernement, l'indigène musulman n'est pas «
admis à jouir des droite du citoyen français »; c'est la
disposition expresse du texte (2). D'autre part, les Musulmans, bien
qu'investis de la qualité de Français, sont régis en Algérie par
leurs lois et coutumes nationales : c'est encore un point que le
sénatus-consulte décide de la façon la plus catégorique.
De
là un contraste marqué entre la condition juridique de l'indigène
algérien et celle du Français, tant au point de vue des droits
politiques que sous le rapport de la jouissance des droite civils.
Examinons
d'abord la situation des Musulmans de l'Algérie relativement à
l'exercice des droits politiques. Le sénatus-consulte leur dénie,
on vient de le voir, la qualité de citoyens.
Or,
par cela même qu'ils sont exclus du droit de cité, ils ne peuvent,
en principe, jouir des droits politiques français, à savoir des
facultés d'ordre constitutionnel impliquant une participation,
directe ou indirecte, au gouvernement du pays. Ainsi, ils ne sont ni
électeurs, ni éligibles, soit aux Chambres législatives, soit aux
conseils généraux. Ils ne sont pas admissibles aux fonctions
publique. Cette règle souffre de notables exceptions.
Tout
en n'étant pas astreints aux obligations du service militaire, les
indigènes musulmans peuvent être admis à servir dans les armées
de terre ou de mer (3). Ils ont accès, mais en Algérie seulement, à
certains emplois civils dont les décrets du 21 avril 1866 et du 24
octobre 1870 contiennent la nomenclature. Ce n'est pas tout: un
décret du 7 avril 1884 leur accorde, sous certaines conditions (4),
l'électorat municipal et les appelle à siéger, au titre musulman,
dans le conseil de leur commune, lorsqu'ils justifient,
indépendamment de la qualité d'électeur inscrit, d'un domicile de
trois ans dans cette commune. Les conseillers municipaux indigènes
ont d'ailleurs les même. droite que leurs collègues français, sauf
celui de participer à l'élection du maire, des adjoints et des
délégués sénatoriaux (5). Enfin, dans les conseils généraux des
départements algériens, siègent, à côté des membres élus par
le suffrage universel, un certain nombre d'assesseurs musulmans
choisis par le gouvernement général parmi les plus notables
propriétaires du département (6).
Malgré
ces tempéraments, il reste acquis que les indigènes musulmans de
l'Algérie sont, au point de vue de l'exercice des droits politiques,
bien loin de marcher de pair avec les Français de la métropole.
Non
moins accentuée est la ligne de démarcation tracée par le
sénatus-consulte de 1865 entre les Mahométans et les Français
d'origine, sous le rapport de la jouissance des droits civils.
Aux
termes de cet acte législatif, les indigènes musulmans, quoique
Français, conservent le bénéfice de la loi musulmane. Les Arabes
restent sous l'empire du droit islamique; les Kabyles continuent à
obéir à leurs kanouns ou coutumes locales. (…)
De
la combinaison de ces textes, il résulte que la condition juridique
des Musulmans algériens doit être appréciée d'après les kanouns
et les usages locaux s'il s'agit d'un Kabyle ; d'après le Coran et
les préceptes des quatre écoles officielles, s'il s'agit d'un
croyant orthodoxe, et d'après la coutume ibadite, lorsqu'il est
question d'un Musulman du M'sab. Et l'action du droit indigène
embrasse, non seulement les questions d'état et de capacité, mais
encore la condition de la personne considérée dans ses rapports
avec la famille et avec le patrimoine. Ainsi, le mariage entre
Musulmans est du ressort exclusif de leur loi traditionnelle,
relativement aux conditions de validité de l'union, aux formes de sa
célébration, aux rapports des époux entre eux et avec leurs
enfants, au régime des biens, aux causes de nullité ou de rupture
du mariage, à la paternité et à la filiation, à l'exercice de la
puissance paternelle. Les règles du Coran et celles de la coutume
kabyle prennent encore le pas sur le Code français pour toutes les
questions concernant la transmission héréditaire du patrimoine de
Musulman à Musulman: c'est d'après ces règles que se détermine,
aussi bien pour les immeubles que pour les objets mobiliers, le
moment de l'ouverture de la succession, l'ordre de la dévolution, la
capacité des successibles. La succession des indigènes est régie
par leur loi personnelle, même lorsqu'il en dépend des Immeubles
pourvue d'un titre français. Enfin, s'il est vrai qu'en principe la
propriété foncière en Algérie soit, depuis la loi du 26 juillet
1873, assujettie à l'autorité de la loi territoriale française, il
n'en est pas moins certain que cette loi laisse en dehors de sa
sphère toutes les portions du territoire où la propriété n'est
pas constituée par des titres français. Pour ces immeubles, c'est
la loi indigène qui reste provisoirement applicable, soit au point
de vue du régime de la propriété et de son exercice, soit au point
de vue de son acquisition et de sa transmission.
Toutefois,
les indigènes musulmans ne sont point attachés Invinciblement à
leur législation personnelle. Il leur est permis de renoncer à leur
statut et de se rallier au droit commun de la métropole,
temporairement, à l'occasion d'un acte ou d'un fait juridique
déterminé. Ce droit d'option, dont nous avons déjà étudié le
caractère et les effets au sujet des Israélites, est consacré au
profit des Musulmans par des textes nombreux et très explicites. (…)
Il
convient d'ajouter que, indépendamment de toute option, la loi
territoriale française gouverne les conventions formée entre un
indigène et un Français ou un étranger. Toutes les fois qu'un
Européen est partie au contrat, le statut indigène doit être
écarté et c'est la loi française qui, seule, est appliquée (7).
Comme
on le voit, la situation qui est faite par la législation algérienne
aux indigènes musulmans contraste singulièrement avec celle des
nationaux français, aussi bien dans la sphère des droits privée
que dans l'ordre des droits politiques.
Le
droit commun de la métropole est d'ailleurs mis en échec sur
d'autres points : ainsi, les indigènes supportent des impôts
spéciaux ; ils sont, au point de vue pénal, soumis au code de
l'indigénat et, en territoire militaire, ils relèvent des conseils
de guerre et des commissions disciplinaires. Il leur est sans doute
permis de se rapprocher de nos institutions juridiques, soit en
optant pour la juridiction de nos tribunaux, soit en soumettant leurs
convention. à l'autorité de la loi française ; mais, comme on
vient de le dire, l'option de législation ne produit que des effets
partiels et limitée.
Les
indigènes musulmans ne peuvent franchir la distance qui les sépare
des Français d'origine qu'au moyen d'une naturalisation
régulièrement obtenue conformément au sénatus- consulte du 14
juillet 1865. (...)
§
2. Naturalisation des indigènes musulmans
(…)
Les indigènes musulmans sont Français ; ils ne peuvent donc opposer
à la loi territoriale française la souveraineté de leur statut
personnel ; s'ils sont restés en possession de ce statut, c'est par
pure tolérance, à titre d'exception.
C'est
la loi française qui forme la règle ; c'est donc elle qui doit
avoir la prépondérance, lorsque les dogmes du Coran ou les
coutumes locales entrent en lutte avec les principes du Code
français. Puisque l'unité de législation dans la famille s'impose
; puisque, d'autre part, il est impossible de concilier, relativement
au mariage et aux rapports familiaux dont il est la source, les
dispositions de la loi musulmane avec celles de notre Code, il est
naturel que, dans ce conflit, la loi française ait le dernier mot.
Par conséquent, on peut, sans méconnaître aucunement l'article 12
du Code civil, adhérer à la jurisprudence du ministère de la
justice et admettre, avec M. Dunoyer, « que la femme du Musulman
naturalisé et les enfants mineurs nés de son mariage avant la
naturalisation, seront traitée, à compter de ce jour, comme de
vrais Français, soumis en tout et pour tout à la législation
française » (8).
Aussi
bien, la question, si intéressante qu'elle soit, n'a pas une grande
portée pratique, étant donnée la répugnance que les indigènes,
Arabes ou Kabyles, ont jusqu'ici témoignée à l'idée de se faire
naturaliser. Pour ceux des indigènes qui sont à même d'en mesurer
les conséquences, la naturalisation n'est rien moins qu'une
apostasie, puisqu'elle implique renonciation aux règles les plus
essentielles de la loi islamique, notamment à celles qui autorisent
la polygamie, la répudiation et qui gouvernent la constitution de la
famille. Or, on sait combien est vivace, au cœur du Musulman, la foi
dans les préceptes du livre sacré. Comment veut-on que le fidèle,
pour qui les paroles du Prophète sont les paroles de Dieu même,
puisse se résoudre à un acte qui le désignerait au mépris de ses
coreligionnaires et le ferait considérer comme un renégat ?
Mais,
nous dira-t-on, ce qui est vrai de l'Arabe ne l'est pas du Berbère.
Les Kabyles se montrent moins stricts observateurs des prescriptions
de l'Islam; ils repoussent l'application du Coran dans le
domaine civil.
C'est
là, en effet, une considération qui est développée avec
complaisance dans l'exposé des motifs du sénatus-consulte de 1865 :
« Les Kabyles, lit-on dans ce document, descendent de familles
chrétiennes réfugiées; ils différent des autres Arabes, sous le
triple rapport des mœurs, des lois et du culte même. Ce million
d'hommes, qui ne pratique pas la polygamie, dont les familles sont
constituées à l'instar des nôtres, qui s'est montré sensible aux
avantages de la civilisation, voudra profiter du nouveau bienfait que
lui : apportera le sénatus-consulte. »
Il
y a dans ces déclarations optimistes presque autant d'erreurs que de
mots. Ceux qui ont étudié de près la société kabyle s'accordent
à reconnaître que, de tous les indigènes algériens, les plus
hostiles à notre influence, les plus rebelles aux bienfaits de
l'assimilation, sont les Kabyles : « Pas plus que les Arabes, a
écrit à ce sujet un témoin oculaire, les Kabyles ne sont encore
acquis à la France. Vaincus, ils restent indomptés, pour ne pas
dire indomptables. De tous les indigènes, ils sont les plus
difficiles à gouverner, car ils se montrent plus rebelles, s'il est
possible, que les Arabes » (9).
En
fait, le nombre des Musulmans naturalisés depuis 1865 n'est guère
que d'un millier d'individus, chiffre dérisoire eu égard à une
population de trois millions et demi d'indigènes. Il convient
d'ajouter que la plupart de ces naturalisés ne sont Français que de
nom et, en dépit de leur qualité de citoyens, s'abstiennent de
déclarer leurs enfants à l'état civil et continuent à pratiquer
la répudiation et la polygamie. Qu'on nous permette d'en appeler ici
encore au témoignage de M. Burdeau.
Mais
les théoriciens de l'assimilation immédiate des indigènes ne se
découragent pas pour si peu. Ils rêvent d'imposer par la contrainte
ce qu'ils n'ont pu obtenir par la persuasion. À leurs yeux, le
meilleur remède à la situation serait de rééditer au sujet des
Musulmans algériens le système de naturalisation en masse que le
décret du 24 octobre 1870 a inauguré à l'égard des indigènes israélites (10).
Cette
expérience serait, selon nous, des plus hasardeuses. Elle
rencontrerait très certainement, dans les mœurs et dans la religion
des indigènes, un obstacle contre lequel viendraient se briser tous
nos efforts. On ne change pas du jour au lendemain, par un trait de
plume, les traditions séculaire., les sentiments et les croyances
d'une race aussi indomptable que celle de nos sujets musulmans.
L'exemple des Israélites naturalisés en 1870 ne prouve rien. Ni
l'Arabe, ni le Kabyle, ne possèdent les qualités d'endurance et de
souplesse qui sont le privilège de la race juive. Nul doute que
l'abrogation de leurs fois et coutumes serait, à brève échéance,
suivie d'un soulèvement général des tribus. Il nous faudrait
reconquérir l'Algérie.
D'ailleurs,
à supposer que l'éventualité d'un conflit dût être écartée, la
naturalisation collective des Musulmans n'en aurait pas moins des
conséquences infiniment funestes pour l'avenir de notre
colonisation, en livrant « les fonctions publiques, les mandats
électifs, l'administration tout entière de la colonie à des
indigènes, peut-être encore ennemis de notre domination » (11).
Toutes les prérogatives qu'emporte avec elle l'admission au droit de
cité deviendraient, pour les Musulmans, un moyen facile de
représailles et de vengeance; l'arme que nous aurions mise entre
leurs mains se retournerait inévitablement contre nous.Jusqu'à
présent, nous n'avons eu en vue que les Musulmans indigènes de
l'Algérie. Quant aux Musulmans étrangers, ils restent, en général,
et sauf les exceptions résultant des traités internationaux, soumis
au droit et aux coutumes de leur pays d'origine, pour le statut
personnel et les questions d'état.
Toutefois,
les lignicoles tunisiens et marocains se trouvent dans une situation
particulière. Les premiers, placés sous le protectorat de la
France, participent actuellement au régime civil des indigènes non
naturalisés de l'Algérie. Les seconds doivent, par le seul fait de
leur établissement sur le territoire algérien, se conformer aux
lois du pays, sans distinguer entre celles qui ont trait au statut
réel et celles qui gouvernent le statut personnel : c'est ce que
stipule expressément l'article 7 du traité conclu avec le Maroc, le
18 mars 1845. Appliquée à la lettre, cette disposition conduirait à
considérer les immigrants marocains comme étant régis de plano
par la loi française. Mais une interprétation plus large a prévalu
dans la pratique. Il est admis que les Algériens originaires du
Maroc conservent, tout comme les indigènes musulmans, le bénéfice
de leur statut personnel (12).
La
famille indigène et le Coran.
Si
nous nous bornions à constater la résistance que les indigènes
musulmans de l'Algérie opposent à la pénétration des idées
françaises et leur peu d'empressement à se faire naturaliser
Français, nous ne remplirions que la moitié de notre tâche. Après
avoir déterminé la nature et l'étendue du mal, il importe d'en
discerner les causes. Il reste à examiner si les obstacles que
rencontre l'assimilation des deux races ne tiennent pas à
l'organisation même de la famille indigène, aux dissemblances
nombreuses et profondes qui séparent le monde musulman du monde
européen, sous le double rapport du rôle qui appartient à
l'individu dans la famille, et à la famille dans la société.
§
1er. La solidarité familiale.
Les
Arabes n'ont pas toujours vécu sous la tente. Ils ont fondé de
puissants empires et il est vrai de dire que, du VIIIe au
XIIe siècle, l'ancien monde n'a guère connu, depuis la
Chine jusqu'à l'Espagne, d'autre civilisation que celle des
sectateurs de Mahomet. Bagdad, « la cité des merveilles », où se
déployait tout le faite des Abbassides ; Damas, la capitale des
califes Omméiades ; le Caire, Cordoue et Kérouan rivalisaient de
splendeur. Ces magnifiques cités avaient leurs palais, leurs écoles,
leurs observatoires. L'industrie, les lettres, les sciences et les
arts y brillaient du plus vif éclat. En Espagne, la bibliothèque du
calife Hakam II ne comptait pas moins de 400 000 volumes.
L'université de Cordoue
était le rendez-vous des savants et des écrivains les plus renommés
du Xe siècle. C'est à deux astronomes de Bagdad, Battani
et Ferghani, que revient l'honneur d'avoir, les premiers, évalué
l'obliquité de l'écliptique et mesuré, dans la plaine de Sennaar,
un degré du méridien. L'industrie était à la hauteur des sciences
et des arts. Dans la seule province espagnole de Jaën, on comptait,
au XIe siècle, 600 villes et villages vivant de
l'industrie de la soie (13).
Mais,
de cette civilisation exquise et fragile, dont l'influence, en somme
bienfaisante, a rayonné pendant cinq siècles sur les plus sombres
époques du moyen âge, il ne reste que de grandioses débris. Après
avoir ébloui le monde de sa hâtive et prodigieuse efflorescence, la
société musulmane est revenue en arrière, comme pour se retremper
dans la rudesse des âges primitifs. L'instinct anarchique de la race
arabe, rebelle à toute unité politique, impatient de toute
centralisation gouvernementale, s'est réveillé plus indomptable que
jamais. Et les anciens sujets des dynasties omméiades et fatimites
nous apparaissent, aujourd'hui comme au temps de l'hégire, groupés
en tribus agricoles ou pastorales, et promenant, dans les terres de
parcours, leurs campements et leurs troupeaux.
La
tribu (ârch) est la base de la société arabe. C'est, à
proprement parler, une agrégation de familles apparentées par la
communauté d'origine, qui vivent, réunies sur le même territoire,
sous l'autorité du plus noble ou du plus ancien (14). Il n'existe
généralement, ni cohésion, ni lien politique entre les diverses
tribus; ce sont des groupes autonomes, souvent en guerre les uns
contre les autres, qui n'oublient leurs rivalités que pour courir
sus à l'infidèle, Mais une forte solidarité règne entre les
familles de la tribu et les membres de chaque famille. Grâce à
elle, l'individu se sent moins isolé. A-t-il à venger quelque
injure, il peut compter sur l'assistance de sa parenté, de sa tribu
(15). À ce point de vue, la solidarité familiale supplée à
l'action protectrice que les lois exercent dans une société plus
avancée. Mais, en revanche, elle comprime, elle annihile en quelque
sorte la personnalité de l'individu. La vie, les intérêts, le
patrimoine, tout est en commun. N'ayant pas d'individualité
indépendante, les membres de la tribu ne sauraient prétendre à
l'assignation d'une part distincte ; leur fortune se confond et
s'absorbe dans celle de la collectivité. Si, à la longue et par une
atténuation apportée à la rigueur du principe, les chefs de
famille arrivent à se faire attribuer, à chacun, un lot
particulier, le droit individuel qui résulte de cette appropriation
est essentiellement instable et précaire. Il reste subordonné au
droit éminent de la collectivité, qui a toujours le droit
d'intervenir, dès qu'il s'agit de maintenir l'intégrité de son
patrimoine et de fermer à l'étranger l'accès de la tribu.
Chez
les Kabyles, comme chez les Arabes, le principe de la solidarité
s'affirme à tous les degrés de l'organisation sociale. Il domine
toutes les relations de l'individu, de la famille et du village ; son
influence se fait jour dons les moindres questions d'intérêt privé.
La ressemblance qui existe à cet égard entre Arabes et Berbères
est d'autant plus frappante que les deux races sont séparées par
des différences de race, de langage et de mœurs.
À
l'inverse des Arabes, les montagnards du Djurdjura sont entrés
depuis longtemps dans la pratique du gouvernement démocratique.
Avant la conquête par la France, chaque village ou thaddart avait
sa vie propre, son autonomie, et nous offrait l'image réduite d'une
république pratiquant le système du self-government. La
souveraineté du village se concentrait entre les mains de la djemaâ
(16), assemblée générale des citoyens. Cette assemblée populaire,
qui offrait de singulières analogies avec le mallus legitimus,
l'assemblée des hommes libres des anciennes tribus franques,
absorbait tous les pouvoirs : elle dictait les lois, rendait la
justice, décidait de la paix ou de la guerre, veillait au maintien
de l'ordre, assurait l'exécution des règlements. Elle se réunissait
une fois par semaine sous la présidence de l'amin. Tous les
citoyens majeurs en étaient membres de droit ; ils devaient y
assister sous peine d'amende.
Mais,
en dépit de la forme démocratique de leurs institutions, les
Kabyles, pas plus que les Arabes, ne se soucient de favoriser le
libre exercice des facultés de l'individu ; le caractère dominant
de leur organisation a toujours été l'étroite dépendance de
l'homme vis-à-vis de la collectivité. La famille (kharouba),
qui comprend le père, la mère, les fils, leurs femmes, leurs
enfants et petits-enfants, les oncles, les tantes, les neveux et les
cousins, forme le premier échelon de l'association berbère. Or, les
membres de la kharouba laissent généralement leurs biens
dans l'indivision, pour subvenir à l'entretien de tous,
indistinctement : « Dans la ruche laborieuse de la famille associée,
dirons-nous avec MM. Hanoteau et Letourneux, tous sont réunis dans
un but commun, et travaillent dans un intérêt général (17). » À
son tour, la kharouba est étroitement subordonnée au
thaddart, groupe principal de la société kabyle ; il n'est
guère d'acte de la vie civile où n'intervienne la communauté de
village, personnifiée par la djemâa. Enfin, les villages
unis par des liens d'affinité forment un troisième groupe, le douar
ou la tribu (ârch). Il arrivait même autrefois, qu'au-dessus
des tribus apparaissait une confédération (thak'ebilt) dont
elles constituaient les éléments.
On
peut donc dire qu'antérieurement à la conquête, l'association, ou
plus exactement, la solidarité des membres de la famille, du
village, du douar ou de la tribu, était la pierre angulaire
de la société arabe ou kabyle. La substitution du pouvoir de la
famille à l'initiative de l'individu imprimait à cette société un
caractère patriarcal.
Depuis
l'occupation française, l'organisation primitive de la tribu arabe
et du village berbère a reçu de sensibles atteintes. Les chefs
actuels des indigènes tendent à dégénérer en simples agents de
notre administration. Le cheik de la ferka, le caïd
de la tribu reçoivent l'investiture de l'autorité française. Comme
l'a reconnu la Cour de cassation, ces chefs, quel que soit leur rang
dans la hiérarchie, sont de véritables fonctionnaires (18).
L'antique djemâa kabyle existe toujours, mais elle n'a plus
guère qu'une puissance nominale,et son président, l'amin,
est nommé par le préfet sur la proposition du sous-préfet (19).
D'un autre côté, en territoire arabe comme en Kabylie, le douar
et la terka ont perdu leur caractère originel d'agrégations
de familles, pour devenir des unités politiques ou administratives,
de simples sections de communes (20).
Sous
l'influence de ces modifications, il s'est produit dans
l'organisation traditionnelle de la famille indigène un travail de
dislocation sur lequel on ne saurait fermer les yeux. Le sentiment de
la consanguinité tend à s'affaiblir, le cercle de la solidarité
familiale se rétrécit graduellement ; chaque tente, chaque foyer,
commence à devenir le centre d'un intérêt spécial, d'une famille
distincte.
Quoi
qu'il en soit, la famille indigène, en dépit des altérations
qu'elle a subies dans sa constitution première, garde l'empreinte de
la communauté patriarcale d'où elle est issue. Pour peu qu'on
explore le droit familial des Arabes et des Kabyles, on y retrouve,
non sans surprise, les traits les plus archaïques des sociétés
primitives : la solidarité qui assujettit l'individu à la famille
et la famille à la tribu ; le mariage par achat ; la polygamie ; la
répudiation par la seule volonté du mari ; la tutelle perpétuelle
de la femme ; le collectivisme agraire de la tribu, la communauté de
village et, partout. Où la propriété individuelle est constituée,
l'indivision érigée en règle ; en un mot, la plupart des usages
juridiques que nous discernons vaguement dans la pénombre de notre
propre civilisation. On arrive ainsi à reconnaître, contrairement à
un opinion trop facilement acceptée, que les populations musulmanes
ne suivent point une voie différente de celle du reste de
l'humanité, mais qu'elles s'attardent à leur point de départ, sous
l'influence d'une religion hostile au progrès social.
C'est,
en effet, un des traits saillants de l'islamisme d'immobiliser dans
leur barbarie native les races qu'il asservit. Voilà pourquoi les
peuples islamisés restent, en général, stationnaires au milieu de
la civilisation ambiante. Ils pourraient certes atteindre à leur
tour les étapes que les races européennes ont depuis longtemps
franchies, nous n'en voulons d'autre preuve que la prestigieuse
histoire des empires arabes du moyen âge. Mais lorsqu'ils l'engagent
dans cette voie de progrès, ce n'est pour ainsi dire qu'à regret,
avec la nostalgie de la libre et aventureuse existence des premiers
âges. De la l'instabilité de la civilisation islamique. C'est un
décor de théâtre.
Le
bon Musulman ne peut que dédaigner notre conception moderne de la
vie. Qu'importe le vain appareil de nos lois économiques et de nos
dogmes utilitaires à ce pur croyant, pour qui le plus saint des
devoirs est de combattre « dans le chemin de Dieu », et qui,
dans la joie ardente des razzias et des batailles, croit savourer
d'avance les délices promises du paradis ?
Comment
s'étonner, après cela, que, dans les pays où règne la loi du
Coran, la marche de l'humanité paraisse retardée de
plusieurs siècles, et que des formes d'organisation sociale, perdues
dans la nuit historique des peuples occidentaux, y reviennent à la
lumière du jour, « comme des villes ensevelies sous un monceau de
cendres volcaniques » (21) ?
§
2. Le mariage par achat.
Ce
qui caractérise au plus haut degré la communauté patriarcale,
c'est son exclusivisme à l'encontre des étrangers et le zèle
jaloux qu'elle témoigne pour la conservation du patrimoine familial.
Pour elle, l'étranger est un ennemi ; il faut que cet ennemi ne
parvienne pas à s'introduire furtivement dans la tribu et que le
mélange du sang, la confusion des enfants soient chose impossible.
Il faut aussi que le patrimoine de la collectivité ne puisse
s'amoindrir et demeure intact à travers les siècles.
Or,
parmi les moyens propres à assurer ce double résultat, celui qui
parait s'être présenté le premier à l'esprit de l'humanité,
c'est de placer la femme sous la mainmise absolue du chef de la
famille, de l'assujettir à une tutelle perpétuelle qui barre la
route aux actes de disposition de nature a frustrer la communauté
d'une partie de son avoir. Accepter une fille au nombre des
héritiers, lui reconnaître même le droit de disposer de sa
personne, ce serait permettre le démembrement du fonds commun, son
aliénation partielle au profit de cet étranger, le fiancé.
L'intérêt de la communauté exige, dès lors, que la femme, bouche
et bras inutiles, destinée à déserter le foyer paternel pour
former une nouvelle famille, soit réduite à une condition infime.
Qu'elle n'ait donc qu'un rôle, celui d'enfanter des guerriers pour
la tribu, de puiser l'eau de la source, de préparer les repas, en un
mot de porter sur ses frêles épaules tout le fardeau du ménage.
Elle fera sans doute partie de la famille, mais à peu près au même
titre que les esclaves. À vrai dire, ce sera moins une personne
qu'un bien appréciable en argent et susceptible d'être aliéné au
mieux des intérêts du groupe familial. Ainsi que l'a dit Michelet
(22), « les nations héroïques, n'estimant que la force,
considèrent l'être faible comme une chose qui peut se vendre ou
s'acheter ».
Une
première et remarquable application de cette brutale théorie nous
est offerte, au sujet du mariage, par la coutume primitive. Lorsque
la femme quitte la tente paternelle pour suivre un étranger, ce
changement dans sa situation se produit sans qu'elle soit consultée.
À l'aube de l'humanité, dans cette phase initiale de la famille que
caractérisait la pratique de l'exogamie, le mariage était ravalé à
sa notion la plus grossière : c'était un rapt, une appropriation de
la femme par capture. On trouve des vestiges du mariage par rapt dans
les usages des nations les plus civilisées de l'Europe moderne,
comme parmi les peuplades les plus arriérées. La « deductio
» (23) de la jeune mariée dans la maison de l'époux, également en
honneur à Rome et en Grèce, qu'est-elle autre chose, sinon un
symbole, une image affaiblie de l'ancien mode de mariage par
enlèvement ? De même, chez les Arabes de l'Algérie, le jour où le
futur époux va chercher sa femme à la maison de ses parents
s'appelle nhar el refoude, le jour de l'enlèvement : les
cavaliers de la tribu de la jeune fille poursuivent le ravisseur et
font parler la poudre.
À
l'enlèvement réel de la femme succédèrent le rapt simulé, puis
le mariage par achat. Il est à croire qu'à l'origine le prix payé
par le fiancé aux parents de l'épouse représentait l'indemnité,
la composition due par le ravisseur à la famille de la victime.
Quoi
qu'il en soit, le mariage par achat, dont on constate des traces
indéniables dans le droit primitif de tous les peuples (24), a
profondément marqué son empreinte dans la législation et les
usages des populations musulmanes de l'Algérie.
Chez
les Kabyles, cette coutume a conservé toute sa rudesse native.
Privée de personnalité, la femme berbère est achetée et livrée
sans que, le plus souvent, sa volonté intervienne. Un agnat (açeb)
quelconque, le père, le frère, l'oncle, vend la jeune fille au
futur époux. À défaut de parents mâles, c'est le tuteur qui en
dispose. Le père a même le droit de livrer à l'acheteur sa fille
impubère. Seules, la veuve et la femme répudiée ont la faculté de
rejeter à deux reprises les prétendants qui se présentent. La
coercition de la famille à l'égard de la femme ne s'arrête que
lorsque celle-ci a atteint un âge où l'union serait stérile (25).
Par
cela même que le mariage est, au regard de la coutume kabyle, une
véritable vente, son existence juridique est subordonnée à deux
conditions : le paiement d'un prix et la livraison de la femme. Le
prix, appelé thâmamth ou thoutchith en langue
berbère, consiste en une somme d'argent, dont la quotité varie
d'une tribu à l'autre, mais qui, en moyenne, n'excède pas 300
francs, prix intérieur à celui d'une bête de somme (26). Quelques
tribus du versant sud du Djurdjura ont même fixé un maximum qu'il
est interdit de dépasser sous peine d'amende au profit de la djemâa
(27). Ainsi, chez les Imecheddalen, la thâmamth ne peut
excéder, pour une vierge, cinquante réaux et deux moutons ; pour
une veuve, trente réaux ; pour une femme répudiée, soixante-dix
réaux. Accessoirement à la thâmamth, le père stipule
ordinairement du futur les bestiaux et les provisions qui seront
consommés pendant les fêtes du mariage, ainsi qu'une certaine
quantité de vêtements et de bijoux au profit de sa fille. Toutes
ces prestations, y compris la thâmamth, dont elles ne sont
que le complément, sont convenues devant témoins, sans acte.
Le
prix nuptial ou thâmamth doit être versé en totalité avant
la consommation du mariage ou par portions à des époques
déterminées. Le défaut de paiement serait une cause légale de
répudiation. En principe, la femme n'a aucun droit sur la thâmamth
: le prix du mariage est touché par le père, le frère, le
grand-père, ou tout autre parent ayant sous son autorité la jeune
fille. Celle-ci ne reçoit une part de la thâmamth qu'à
défaut de parent mâle de la ligne paternelle : dans ce cas, le prix
se partage entre la mère et sa fille ; il ne revient en totalité à
la future épouse que si sa mère est morte ou remariée.
Lorsqu'il
s'agit d'une flille sans famille, attachée comme domestique au
service d'un individu, c'est son maître qui la marie et qui touche
la thâmamth.
Dans
la période préislamique, le mariage se pratiquait chez les Arabes,
comme aujourd'hui chez les Kabyles, sous la forme d'une vente. Il
semble même que le mariage temporaire, qui nous reporte au
matriarcat, ait été toléré par Mahomet. Ce dernier mode d'union,
qui fut aboli à l'avènement du calife Omar, laisse encore de nos
jours des traces chez les Chiites (28). Il n'en est pas moins vrai
que la conception du mariage par achat, dont la coutume kabyle
poursuit l'application dans toute sa rigueur, s'est atténuée
sensiblement dans la législation islamique. Chez les Arabes, le prix
d'achat est transformé en dot, ou du moins en a pris le nom. D'autre
part, cette dot, à la différence de la thâmamth berbère,
n'est pas dévolue aux parents mâles de l'épouse. Il arrive sans
doute à la femme d'être victime de la rapacité de ses proches et
de se voir dépouillée par eux du montant de sa dot ; mais, en
droit, c'est la femme seule qui est propriétaire de la dot fournie
par le mari ; elle seule a le droit de disposer de ses biens dotaux
et d'en percevoir les fruits ; la jurisprudence des cadis est
constante sur ce point (29). La femme touche la moitié de la dot, le
naqd, avant la célébration du mariage, et le surplus, le
kali, dans un délai qui, en Algérie, ne peut dépasser vingt
années.
Une
autre différence, encore plus caractéristique, distingue le mariage
kabyle du mariage musulman. D'après la coutume berbère, nous
l'avons dit, la femme n'a point à donner son consentement personnel
à l'affaire de son mariage. Le contrat de vente se forme, sans
aucune participation active de sa part, entre le représentant de sa
famille et le futur époux. Tout autre est à ce point de vue, la
condition de la femme arabe. Dans les principes de la loi musulmane,
la femme doit intervenir au contrat et donner son consentement au
moins tacite. Il est vrai que ce consentement, ainsi qu'on le verra
tout à l'heure, ne se manifeste le plus souvent que d'une manière
indirecte, par l'intermédiaire des personnes à l'autorité
desquelles l'épouse est soumise, et n'a dès lors, dans nombre de
cas, qu'une valeur théorique. Mais toujours est-il qu'au regard de
la loi, ce consentement est censé émaner de la femme et qu'il
constitue, au même degré que la constitution de la dot, une des
conditions requises pour la validité du contrat. Tout en le
subordonnant à des restrictions qui en rendent maintes fois
l'exercice illusoire, le Prophète a compris la nécessité morale du
consentement de la femme, et il en a déposé la notion dans le texte
du livre sacré.
Il
ne faudrait pas cependant s'exagérer l'importance pratique de ces
réformes et en conclure que, chez les Arabes algériens, le mariage
s'est séparé entièrement de ses origines préislamiques et a
franchi d'une manière définitive l'étape lointaine où s'attardent
encore les coutumes kabyles. Les tempéraments introduits par le
Coran dans la conception primitive du mariage marquent sans
doute une tendance vers la formule moderne du consentement mutuel des
futurs époux ; mais ils n'empêchent pas qu'au fond, et dégagée
des fictions juridiques qui en atténuent la rudesse, la théorie
islamique du mariage s'analyse toujours en une véritable vente, dans
laquelle la femme est l'objet vendu.
Le
mariage, tel que le définissent les commentateurs du Coran,
est un contrat essentiellement commutatif, où chacune des parties
est tenue de fournir une prestation à l'autre contractant. La femme
livre sa personne, le mari livre la dot. Le don nuptial est, en
principe, assimilé à un prix de vente. Il est soumis aux mêmes
règles que lui, en ce qui concerne le paiement et la livraison, la
garantie et la perte. La femme reste maîtresse de sa personne, tant
que le mari n'a pas satisfait à son obligation. Réciproquement, le
mari peut contraindre sa femme à lui livrer son corps, dès qu'il a
rempli son engagement, en versant la portion exigible de la dot (30).
Aussi longtemps que, pour une cause quelconque, l'épouse ne s'est
pas livrée au mari, le contrat, bien que formé, ne produit d'autre
effet juridique que de rendre la femme créancière de la moitié de
sa dot. C'est en quelque sorte par la tradition que la femme fait de
son corps au mari, c'est-à-dire par la consommation physique, que le
mariage acquiert toute sa perfection et fait naître la puissance
maritale, avec son cortège de droits et de devoirs. De là le soin
avec lequel la loi islamique, procédant en ceci, comme pour le
reste, au rebours du législateur français, s'attache à préciser
les faits et les circonstances de nature à faire présumer la
consommation physique de l'union et à fixer le moment précis de cet
acte (31).
D'un
autre côté, bien que le consentement mutuel des époux figure au
nombre des conditions de validité du contrat (32), la loi islamique
a eu recours aux subtilités les plus ingénieuses pour que
l'application de ce principe reste lettre morte en ce qui concerne la
femme. En règle générale, la fille vierge, nubile ou non, peut
être contrainte par son père ou, à défaut de celui-ci, par le
tuteur testamentaire (ouaci) à tout mariage qui ne lui porte
pas préjudice ; elle n'échappe à cette odieuse coercition que dans
les cas limitativement énumérés par la loi, par exemple, lorsque
le contraignant a abdiqué son droit ou que, pubère, elle a séjourné
un an chez son mari. En dehors de ces exceptions, il faut, pour que
la femme puisse consentir directement au mariage, qu'elle soit nubile
et, en outre, privée de la virginité par un fait admis par la loi.
Encore est-il que, dans ce cas, la femme ne saurait consentir en
personne ; elle doit se faire représenter par un mandataire spécial,
le ouali. Sont appelés à la oualaïa, le fils aîné
de la femme, son petit-fils, son père, le tuteur testamentaire, son
frère, son grand-père paternel, et, à défaut de parents, un
membre de la communauté, en témoignage de la solidarité qui est
l'âme de la société musulmane.
Ainsi
donc, en droit islamique comme dans la coutume berbère, toute la
théorie juridique du mariage se ramène, en dernière analyse, à la
conception grossière de l'achat de la femme par le mari. Appliquée
sans atténuation aucune chez les Kabyles, dissimulée sous une
étiquette trompeuse chez les Arabes, cette notion primitive du
mariage est en quelque sorte l'assise première des deux institutions
qui contribuent le plus à donner à la famille indigène une
physionomie à part : nous voulons parler de la polygamie et de la
répudiation.
§
3. La polygamie et la répudiation.
On
a cherché à expliquer la polygamie par la nécessité où la
famille patriarcale se serait trouvée, à un moment de son
évolution, de se ménager des alliances et de remplacer par une paix
durable l'état de guerre continuelle qui caractérise les rapports
des tribus entre elles. Il est vraisemblable, en effet, que le
mariage ait joué dans les pacifications de tribus un rôle
prépondérant. Mais si la préoccupation des alliances a pu influer
sur la pratique de la polygamie, nous croyons que cette coutume a son
point de départ dans le mariage par achat. Du moment, en effet, où
la femme est tenue pour un objet de vente, rien ne s'oppose à ce que
le riche prenne autant de femmes qu'il pourra en nourrir. Il y est
d'ailleurs poussé par son intérêt, car, dans la famille
patriarcale, la femme est, suivant la juste remarque de MM. Le Play
(33) et Kovalevsky (34), « le travailleur par excellence », à qui
incombent tous les soins domestiques, même les travaux des champs et
l'élève du bétail, tandis que le mari dépense son temps à la
chasse ou au noble métier des armes.
Mais
la polygamie suppose forcément, chez ceux qui la pratiquent, les
moyens suffisants pour l'achat de plusieurs femmes et pour leur
entretien. Aussi, dans le monde musulman, en Algérie comme en
Turquie, la polygamie est-elle le privilège des familles les plus
aisées, ordinairement celles des riches marchands des villes. Quant
aux fellahs arabes et aux montagnards kabyles, pauvres pour la
plupart, ils restent, en fait, monogames. Même parmi les tribus de
grande tente, il est très rare de rencontrer un indigène ayant
épuisé le droit qui lui appartient théoriquement d'avoir quatre
femmes légitimes à la fois (35).
C'est
encore dans l'ancienne coutume du mariage par achat que la théorie
islamique de la répudiation paraît avoir son origine ou, tout du
moins, trouve son explication la plus logique. Au fond de tout
contrat commutatif, la condition résolutoire est, en effet, toujours
sous-entendue. Du moment où le mariage est assimilé, en droit, à
une vente, il est naturel qu'il puisse se dissoudre à la manière
d'un contrat à titre onéreux, c'est-à-dire moyennant la remise de
la femme répudiée à sa famille et le remboursement du prix d'achat
ou du don nuptial versé par le mari. Et tel est, en effet, réduit à
ses traits essentiels, l'aspect juridique de la répudiation à
charge de rançon (khola). Dans le khola ou séparation
des époux par consentement mutuel, la rançon offerte au mari par la
femme pour rompre le lien conjugal, bien qu'elle puisse être
inférieure ou supérieure à la dot, n'en est pas moins l'équivalent
juridique, la compensation de cette dot.
À
côté de la répudiation par consentement mutuel, la loi islamique
reconnaît au mari le droit exorbitant de dissoudre le mariage, de
son autorité privée, même contre la volonté de la femme.
Considéré par le Coran comme supérieur à la femme, le mari
est libre de répudier son épouse, à son gré, sous le plus futile
prétexte. Il est armé, à cet égard, d'un droit absolu et sans
contrôle dont, seule, la religion lui défend d'abuser.
Cette
répudiation par consentement unilatéral du mari s'appelle t'alak.
Le t'alak est la formule juridique qui enlève tout caractère
licite aux relations entre époux. Ce mode de répudiation comporte
une variété presque infinie de formules où la subtilité du génie
arabe s'est donné libre carrière.
Ainsi,
indépendamment de la répudiation triple, qui ne laisse debout aucun
vestige du mariage, le mari peut choisir telle ou telle formule d'où
ne résulte qu'une répudiation simple et, par suite, révocable. Il
serait sans intérêt d'exposer ici la longue théorie de la formule
en matière de répudiation. Ce qu'il importe de retenir, c'est que
la répudiation par consentement unilatéral, qui favorise l'égoïsme
et la dureté native de l'homme, est d'un usage très fréquent en
Algérie et permet ainsi aux indigènes de se procurer tous les
agréments de la polygamie sans avoir à en redouter les charges et
les ennuis. Il paraît que, dans certaines localités de la Kabylie,
presque toutes les femmes ont été répudiées au moins une fois, et
M. Charvériat affirme (36) qu'il n'est pas rare d'en rencontrer
ayant appartenu successivement à une demi-douzaine de maris. Il faut
ajouter que cet abus de la répudiation s'explique autant par
l'âpreté au gain des indigènes que par la licence des mœurs.
Grâce à une supercherie juridique contre laquelle la justice des
cadis ne réagit qu'avec mollesse, il est entré dans la
pratique de combiner la répudiation unilatérale ou t'alak
avec le khola ou répudiation par rançon. À la première on
emprunte le droit arbitraire qu'a le mari de se séparer de sa femme
; à la seconde on prend la clause du don compensatoire. À la faveur
de cet expédient, la femme, même lorsqu'elle est chassée sans
motif, par un simple caprice du mari, est censée se racheter de son
propre gré et doit, en conséquence, payer une rançon, comme s'il
s'agissait d'une répudiation par consentement mutuel.
Il
importe de remarquer que la loi Coranique, malgré sa
partialité pour le mari, ne va pas cependant jusqu'à dénier à la
femme tout moyen de protéger sa faiblesse contre la tyrannie de son
maître. Irrecevable en principe à provoquer la répudiation, la
femme est, par exception, admise à prendre cette initiative
lorsqu'elle justifie d'un préjudice grave, souverainement apprécié
comme tel par le cadi (37). Le dommage une fois constaté, le
magistrat met la femme en demeure de choisir entre le maintien ou la
rupture du lien conjugal. Si elle opte pour la répudiation, le cadi
prend acte de cette décision et la sanctionne judiciairement. La
répudiation ainsi prononcée est irrévocable et entraîne
l'exigibilité immédiate de la dot.
La
loi islamique distingue encore deux autres cas où la dissolution du
mariage peut être ordonnée en justice, à la requête de la femme,
à savoir : le ila et le d'ihar. Le ila est le
serment fait par le mari de cesser tout rapport sexuel avec sa femme.
Aux yeux du législateur musulman, ce serment « de continence »
constitue pour la femme une offense des plus graves. De là, pour
celle-ci, le droit de mettre en demeure son mari de revenir à elle
ou de lui rendre sa liberté. Le d'ihar se produit lorsque le
mari assimile sa femme à une - personne avec laquelle tout commerce
charnel lui est interdit : le d'ihar ne rompt pas le mariage
par sa seule force, il rend seulement impossible toute cohabitation
entre les deux époux et donne ouverture à une action au profit de
la femme. Si, au bout de quatre mois, le mari ne se soumet pas à «
l'expiation », par l'affranchissement d'un esclave un jeûne
prolongé, ou même par un simple acte de contrition, la femme
l'appelle devant le cadi et le mariage est dissous
irrévocablement (38).
La
coutume kabyle renchérit encore sur la dureté de la loi musulmane à
l'égard de la femme, en refusant à celle-ci le droit d'obtenir la
répudiation, même pour les causes les plus légitimes. En Kabylie,
le droit de répudiation appartient au mari, en toutes circonstances,
sans contrôle ni restriction aucune.
Aussi
peut-on dire sans exagération, avec M. Charvériat, que la clause
essentielle, celle qui fait le fond même du mariage kabyle, c'est
que « l'acheteur pourra rendre la marchandise dès qu'elle aura
cessé de lui plaire » (39). Le pouvoir d'oppression du mari n'a
d'autre contrepoids que la faculté accordée à la femme de se
mettre en état d'insurrection, c'est-à-dire de s'enfuir du domicile
conjugal et de se retirer dans sa famille.
Mais
la femme insurgée (thamenafek't) n'est pas pour cela
affranchie du lien qui l'enchaîne à son mari. Celui-ci peut, à son
gré, ou la répudier, en réclamant la restitution de la thâmamth,
ou laisser subsister le mariage. Dans ce dernier cas, la femme
devient thamaouok't ou indisponible, en ce sens que celui qui
voudra l'épouser ne pourra le faire qu'avec le consentement du mari
et à la charge de payer à celui-ci une amende ou indemnité plus ou
moins forte, mais presque toujours supérieure à la dot qu'il a
lui-même déboursée. Cette indemnité est de 100 réaux chez les
Taourirt-Abdallah ; elle atteint le chiffre de 500 réaux chez les
Cheurfâ, alors que dans ces tribus, le prix nuptial d'une vierge
n'est tout au plus que de 100 réaux. Ainsi s'explique une des
singularités les plus piquantes de la coutume kabyle, celle qui fixe
la t thâmamth d'une femme ayant eu un premier mari à un taux
plus élevé que la thâmamth d'une jeune fille.
Ce
n'est pas seulement en ce qu'elle fait dépendre la répudiation du
pouvoir discrétionnaire du mari que la coutume berbère aggrave la
situation de la femme ; elle accentue cette défaveur en attachant à
la répudiation des conséquences vraiment exorbitantes, que le Coran
réprouve d'ailleurs de la façon la plus formelle (40).
En
droit kabyle, la répudiation a lieu avec ou sans fixation de prix.
Répudiée sans fixation de prix (berrou-embla-tegouri), la
femme reste toujours sous la dépendance de
son mari, jusqu'au moment où il consent à recevoir du père
ou de tout autre le lefdi, prix de rachat, et où il déclare,
devant témoins, abdiquer tout droit sur sa femme. Dans la
répudiation avec fixation de prix (berrou-n-tegouri), la
femme devient, il est vrai, libre de se remarier, mais à la
condition de payer le prix de rachat stipulé d'avance par le mari
qui l'a répudiée.
Or
il arrive souvent que la somme fixée est tellement exagérée qu'il
ne se présente personne pour couvrir cette mise à prix. La femme
répudiée devient alors thamaouok't, tout comme la femme
insurgée. Elle est frappée d'une sorte d'indisponibilité, et en
quelque sorte retirée du commerce, à moins qu'il ne plaise au mari
d'abaisser le taux de la mise en vente.
Toute
cette théorie de la répudiation kabyle, qui est entrée dans la
pratique de la généralité des tribus, n'est en somme que le
développement logique de la notion du mariage par achat. La femme
kabyle est une chose marchande, un objet de, spéculation qui se vend
aux enchères et dont la coutume elle-même semble encourager le
trafic.
§
4. La puissance paternelle et la tutelle perpétuelle de la
femme.
Ainsi,
au premier regard que nous jetons sur la famille musulmane, nous
sommes à même de constater une opposition de principes manifeste
entre la coutume indigène et la théorie moderne des peuples
occidentaux. Ces différences ne sont point les seules que nous
puissions signaler utilement pour l'objet de cette étude
comparative. Pour peu que nous poursuivions nos recherches, nous
verrons apparaître entre notre système familial et celui des
indigènes algériens d'autres contrastes tout aussi saisissants. Si,
par exemple, nous arrêtons un instant notre examen sur les
dispositions du droit musulman relatives à l'autorité paternelle,
nous voyons que le pouvoir domestique du chef de famille arabe ou
berbère n'est pas sans avoir certains points de contact avec cette
célèbre patria potestas des Romains, qui nous apparaîtra
toujours comme le type le plus expressif de l'autorité du père dans
les temps primitifs.
À
n'envisager la puissance paternelle qu'au point de vue de l'autorité
du père de famille sur la personne de ses enfants, nous n'aurions
aucune particularité vraiment originale à signaler dans la loi
islamique ou dans la coutume indigène.
Il
subsiste sans doute, dans la période actuelle, des vestiges de
l'ancien pouvoir patriarcal ; mais ils tendent à se renfermer dans
des limites de plus en plus étroites. La puissance de vie et de
mort, le jus vitæ necisque, que le père possédait
autrefois sur ses enfants, s'est transformée à la longue en un
simple droit de correction manuelle. Il est défendu au père
d'abuser de ce droit de correction. En Kabylie même, où les
institutions familiales ont conservé sur nombre de points leur
rudesse originelle, la coutume a fait une première brèche aux
antiques prérogatives du chef de famille, en déléguant à la
communauté villageoise le droit de sévir contre les enfants
irrespectueux ou désobéissants. Dans la plupart des tribus
berbères, l'insubordination des enfants les rend passibles d'une
peine pécuniaire, d'une amende au profit de la djemâa.
En
faisant intervenir delà sorte la collectivité dans les rapports de
père à entant, la coutume indigène désagrège, en réalité, le
pouvoir paternel qu'elle est censée corroborer.
D'autre
part, on ne doit pas oublier que, dans le droit islamique, l'autorité
du père sur ses enfants subit, du fait de la hadana, un
véritable démembrement au profit de la mère.
Pour
tout ce qui regarde l'éducation physique à donner aux garçons
jusqu'à leur puberté, et aux filles jusqu'à leur mariage, la mère
est investie d'une tutelle spéciale, qui porte le nom de hadana
(littéralement : action de couver). Réservée exclusivement aux
parentes de la ligne maternelle, à commencer par la mère, Ia hadana
est, pour nous servir de l'heureuse expression d'un commentateur de
Sidi Khalil, « la revanche de la mère sur la femme, si maltraitée
par la législation musulmane » (41). Cette tutelle féminine, grâce
à laquelle la mère joue plus d'une fois le rôle de médiateur de
la paix domestique, n'a pas peu contribué à tempérer l'exercice de
l'autorité paternelle, à laquelle elle sert pour ainsi dire de
contrepoids.
Il
est vrai qu'à côté de ces dispositions qui modèrent si
heureusement le pouvoir du chef de famille, il en est d'autres où
l'absolutisme patriarcal des âges anciens a laissé une large et
visible empreinte. Assurément, rien n'est plus éloigné de nos
idées modernes que le droit reconnu au père, dans les usages
kabyles, de vendre sa fille en mariage, fût-elle impubère. Mais,
ainsi qu'on l'a vu plus haut, ce droit de disposition a dégénéré
en un simple droit de contrainte chez les Arabes soumis aux principes
du Coran, et il parait que, chez les Kabyles eux-mêmes,
notamment dans les villages des environs de Fort-National, le mariage
par achat commencerait à être moins ouvertement pratiqué (42).
Ce
qu'il y a de plus remarquable dans la partie du droit islamique dont
nous nous occupons en ce moment, ce qui donne au statut familial des
indigènes un caractère archaïque des plus prononcés, c'est la
survivance d'une institution que l'ancien droit romain organisa sous
le nom de tutelle perpétuelle des femmes et que Sumner Maine
considère, à bon droit, comme « une prolongation artificielle de
la puissance paternelle » (43). Par l'effet de cette institution
juridique, la femme, affranchie de la puissance paternelle par la
mort du père, continue à dépendre pendant sa vie de son plus
proche parent mâle ou du représentant du père, qui devient son
tuteur.
On
sait d'ailleurs que la tutelle perpétuelle de la femme n'est pas, il
s'en faut, une création propre au droit primitif de Rome ; elle
existait aussi sous 1e nom de mundium chez tous les peuples de
race germanique qui envahirent l'empire d'Occident. De nos jours
encore, dans l'Inde, on observe scrupuleusement le précepte que
Manou formulait ainsi il y a deux mille ans : « La femme, pendant
son enfance, dépend de son père ; pendant sa jeunesse, de son mari
; son mari mort, de ses fils ; si elle n'a pas de fils, des proches
parents de son mari, car une femme ne doit jamais se gouverner à sa
guise » (44). Et l'universalité de cette règle s'explique par le
soin vigilant que l'ancienne coutume témoigne pour la conservation
de la famille. Partout on s'est ingénié à mettre hors du pouvoir
de la femme la faculté de disposer de la moindre partie du
patrimoine familial au préjudice de la communauté ; de cette
préoccupation est née la fiction qui maintient la femme, sa vie
durant, dans la dépendance des liens de famille.
De
cette antique conception, il reste des traces encore très apparentes
dans les usages juridiques des indigènes algériens. Sensiblement
adoucie, sur nombre de points, par la législation coranique, la
tutelle perpétuelle de la femme est au contraire, appliquée presque
sans atténuation par la coutume des populations berbères du
Djurdjura.
Antérieurement
à l'islamisme, le mâle avait seul une personnalité civile. Les
femmes, épouses ou mères, étaient des choses plutôt que des
personnes ; elles dépendaient de la succession du mari et, loin
d'hériter, elles étaient héritées (45). Le Coran a réagi
contre ce système barbare. La femme, qui n'avait, pour ainsi dire,
aucune existence légale, s'est vu attribuer par le Prophète, avec
le droit de succéder, un semblant de personnalité juridique. Dans
les principes de la loi islamique, la femme est affranchie par son
mariage de la tutelle quant aux biens (tutelle chrématique). Elle ne
confond point son patrimoine avec celui de son mari ; elle devient
propriétaire absolue de la dot ; elle peut en disposer à titre
onéreux ou à titre gratuit par tiers successifs. Il lui est permis
de passer des baux, de toucher les loyers, en un mot, de faire tous
les actes que requiert l'administration de ses biens dotaux, et cela
sans que le mari ait à intervenir. Elle peut même ester en justice,
sans aucune autorisation ; elle est également libre d'actionner son
mari pendant la durée de l'union conjugale. La jurisprudence va
jusqu'à lui reconnaître en ce sens le droit de faire saisir et de
vendre les biens de son époux, pour obtenir le paiement de sa dot
(46).
Mais,
si notables que soient les changements introduits à cet égard par
le Coran dans la position primitive de la femme, il n'en est
pas moins vrai qu'aujourd'hui, comme par le passé, la femme
musulmane n'a pas, en principe, la libre disposition de sa personne.
Elle n'échappe à la tutelle de sa famille que pour tomber en la
puissance de son mari, et, après la rupture du lien conjugal, elle
revient sous l'autorité de ses parents.
Tandis
que, pour l'enfant mâle, la tutelle somatique prend fin à
l'avènement de la puberté, l'enfant du sexe féminin demeure,
jusqu'à la consommation du mariage, soumis à la hadana
maternelle et à la tutelle paternelle ; la puberté n'a aucune
influence directe sur sa situation légale. Le mariage seul la
soustrait à la dépendance de la famille ; mais, à vrai dire, elle
ne fait que changer de chaîne et il arrive trop souvent que la
tyrannie de son époux lui fait regretter le despotisme paternel. La
femme musulmane a beau acquérir par le mariage une certaine capacité
juridique quant à la gestion de sa dot et au droit d'en disposer ;
pour tout ce qui touche à sa personne, elle reste cet être
imparfait que le Coran permet sans doute de traiter
humainement, mais qu'il recommande de réprimander et de battre à
l'occasion (47).
Le
droit de correction maritale n'est pas seulement inscrit dans les
textes, il est consacré par la pratique. Un écrivain, qui a étudié
de près les mœurs des Arabes algériens, nous atteste que le bâton
est le grand moyen d'éducation employé pour obtenir des femmes la
fidélité et la soumission (48). « Le droit de battre sa femme, dit
à son tour M. Charvériat, est considéré par les Mahométans comme
le premier des droits de l'homme » (49). Si l'on considère
maintenant que la jeune indigène est vendue ou livrée à un mari,
sitôt qu'il y a acheteur, vers dix ou douze ans, souvent même avant
cet âge, on se rendra compte du degré de déchéance et d'abjection
auquel le mariage réduit la femme musulmane. Une fois mariée, la
seule chance de bonheur qui reste à la femme arabe ou kabyle est
d'avoir des enfants mâles. Si elle n'a que des filles, elle sera
inévitablement répudiée, à moins que le mari ne la garde auprès
de lui, comme bête de somme, pour la condamner aux derniers travaux,
à la culture de la terre « et même aux charrois les plus lourds et
les plus répugnants » (50).
L'épouse
la mieux traitée ne sera jamais que la servante de son mari. Dans la
période germanique de notre histoire occidentale, les femmes
mangeaient debout derrière les hommes assis à table et les
servaient (51). Le même cérémonial n'observe de nos jours chez les
Musulmans algériens : les femmes, humbles domestiques, mangent
toujours à part ; il ne leur est point permis de s'asseoir à la
table du maître. Elles ne peuvent toucher au plat que lorsque le
père de famille, ayant achevé son repas, daigne leur faire signe de
manger les restes.
L'état
de sujétion à laquelle se voit réduite la femme musulmane se
prolonge, on vient de le dire, au delà de la dissolution du mariage.
Nous verront tout à l'heure que cette proposition est rigoureusement
exacte pour l'épouse kabyle ; mais, relativement à la femme arabe,
elle comporte une notable restriction.
En
droit islamique, la femme, veuve ou répudiée, réside au domicile
conjugal, et continue à faire partie de la famille du mari, pendant
la durée de l'aïdda (52). Tant que cette période d'attente
n'est pas expirée, la femme répudiée reste soumise à la puissance
maritale. Si elle est veuve, le lien conjugal subsiste encore jusqu'à
la fin de l'aïdda, car on ignore si elle est enceinte des
œuvres de son mari. C'est seulement au sortir de l'aïdda que
se produit d'une manière définitive la rupture du lien conjugal. La
femme revient alors généralement dans sa famille paternelle, du
moins lorsqu'il s'agit d'une femme répudiée ou d'une veuve sans
enfants.
Lorsqu'elle
reprend ainsi sa place sous la tente paternelle, la femme veuve ou
répudiée ne retombe point sous la tutelle somatique du chef de sa
famille. Elle est désormais affranchie du droit de contrainte, et le
mariage ne peut plus lui être imposé. Mais il ne faudrait pas en
conclure que, désormais pour tous les actes de sa vie civile, elle a
une capacité pleine et entière ; sur nombre de points, elle reste
soumise au contrôle ombrageux de la famille. Ainsi, pour ne citer
qu'un exemple, elle ne peut se remarier sans être assistée d'un
ouali pris parmi ses parents. Il n'est pas indifférent
d'ajouter que la femme veuve ou répudiée n'acquiert cette
demi-indépendance vis-à-vis de ses parents paternels, que si elle a
cohabité un an au moins avec son mari. Si elle a séjourné moins
d'un an au domicile conjugal et si, de plus, elle affirme n'avoir pas
eu de relations sexuelles avec son mari, elle retombe entièrement
sous l'autorité paternelle et, par suite, se trouve de nouveau
astreinte au droit de contrainte qui pesait sur elle avant sa
première union.
Comme
on le voit, la loi musulmane, tout en adoucissant à certains égards
la condition primitive de la femme, n'est point allée jusqu'à
l'affranchir de tous les liens de la tutelle de famille. Si elle
s'est départie de sa sévérité, en accordant à la femme mariée
le droit de disposer de sa dot, en revanche elle n'a eu garde de lui
restituer intégralement le gouvernement de sa personne. Il est
certain qu'à ce point de vue, c'est l'antique conception de la
tutelle perpétuelle de la femme qui a servi de point de départ aux
prescriptions du Coran.
Mais
c'est surtout chez les Berbères que cette notion du droit primitif a
marqué profondément son empreinte. À vrai dire, les coutumes
kabyles font mieux que nous offrir une image plus ou moins
ressemblante de l'institution de la tutelle permanente de la femme ;
elles nous en donnent la restitution à peu près complète et nous
permettent de l'étudier dans son application vivante et actuelle.
Avant, pendant et après son mariage, quelle que soit sa situation
dans la famille, la femme kabyle est toujours astreinte à la plus
étroite sujétion. Jeune fille, c'est une chose marchande, qui est
vendue au mari par le père, le frère, l'oncle ou un agnat
quelconque. Mariée, sa condition est, s'il est possible, encore plus
dure que celle de la femme arabe. Celle-ci reçoit sa dot et en
conserve la propriété. Au contraire, la femme kabyle est
généralement privée de tout droit sur la thâmamth. Elle
n'a la propriété que de ses vêtements. Notons que le droit de
correction maritale affecte chez les Berbères un caractère
particulièrement odieux : le mari peut châtier sa femme, dès
qu'elle est en faute, avec le poing, le bâton, le poignard même : «
son droit ne s'arrête qu'à l'homicide » (53).
Ni
la répudiation, ni la mort de non mari ne rendent à la femme kabyle
la liberté de ses biens et de sa personne. Au cas de répudiation,
nous l'avons vu, elle reste toujours sous la dépendance de son mari,
tant que ce dernier n'a pas reçu du père de la femme le lefdi
ou prix de rachat. La coutume reconnaît même au mari le droit
exorbitant de frapper la femme qu'il répudie d'une sorte
d'interdiction (thamaouok't), en stipulant d'avance un prix de
rachat trop élevé pour qu'il soit jamais offert. C'est seulement
lorsque son premier mari a reçu le lefdi ou a été remboursé
de la thâmamth que la femme répudiée retombe sous
l'autorité de son père ou des aceb de la famille paternelle,
jusqu'au jour où ils l'auront revendue à un nouveau mari.
Quant
à la veuve, si elle a des enfants mâles, elle peut se racheter de
la puissance paternelle en payant à son père ou aux parents qui ont
autorité sur elle une somme prélevée sur les biens de son fils et
dont l'importance varie suivant les tribus. Si la veuve est sans
enfants ou si, ayant des enfants mâles, elle ne se rachète pas de
la tutelle paternelle, elle rentre en général dans sa famille, sous
la dépendance de son père ou de ses parents, absolument comme avant
son mariage : ceux-ci peuvent la remarier, c'est-à-dire la revendre
quand bon leur semblera, moyennant une nouvelle thâmamth.
Toutefois,
dans nombre de tribus, plus particulièrement dans celles qui
avoisinent l'Oued-Sahel, la veuve, même sans enfants, ne revient pas
dans sa famille : elle reste « pendue » (taâllakith) à son
mari et fait partie de sa succession. Le droit de disposer de sa
personne et de la vendre à un second mari appartient dès lors aux
héritiers du défunt, et c'est entre leurs mains que la thâmamth
est versée. Il n'est pas sans intérêt de retrouver chez les
Berbères du Djurdjura un usage qui a été en vigueur, dans un
milieu tout différent, pendant la période barbare des peuples
occidentaux. Chez les Germains comme chez les Kabyles actuels, le
veuvage ne libérait point la femme de la tutelle (mundium) :
celui qui épousait une veuve devait aux parents du mari le prix de
rachat, appelé reipus (54).
§
5. Le lévirat.
Le
développement de notre sujet nous amène à signaler dans la coutume
kabyle un ensemble de règles juridiques étroitement apparentées
avec une institution primitive qui, dans ces derniers temps, a fort
défrayé la critique : nous voulons parler du lévirat.
Une
des préoccupations les plus constantes de la coutume antique est de
pourvoir à la perpétuité de la famille. Il peut arriver que le
mariage reste stérile. Il peut se faire aussi que le père de
famille, ayant vu tous ses fils le précéder au tombeau, ait la
perspective de mourir sans descendance mâle. C'est du besoin
impérieux de parer à cette redoutable éventualité que naquit
l'institution du lévirat. On sait en quoi elle consistait.
Grâce
à cet expédient, dont on discerne des traces dans le droit des
Spartiates et des Athéniens et dont les Hébreux observaient l'une
des formes, un homme sans enfants peut avoir fictivement, de sa femme
ou de sa veuve, un fils qui est engendré par son frère, par un
membre de la famille ou même par un étranger (55).
La
coutume de quelques tribus kabyles, notamment celle des Aït-Flik,
s'est visiblement inspirée de cette pratique, lorsqu'elle a accordé
aux héritiers du mari, mort sans postérité, le privilège
d'épouser sa veuve sans avoir à payer la thâmamth.
Le père de la veuve ne peut, dans ce cas, réclamer du nouveau mari
que la modique somme de cinq douros.
Il en est de même chez les Aït-Mamour : dans cette tribu, la veuve
sans enfants ne peut se remarier avec un étranger que si elle ne
trouve pas un époux parmi les parents de son défunt mari.
Il
est probable que ces usages de la société berbère ont perdu
aujourd'hui leur signification originelle ; mais, en dépit des
altérations que le temps leur a fait subir, on y rencontre des
traces encore perceptibles de l'antique procédé du lévirat,
expédient légal auquel on avait recours pour assurer la continuité
de la famille.
C'est
peut-être à cet ordre d'idées qu'il convient de rattacher une des
plus originales fictions du droit musulman : il s'agit de la théorie
de l'enfant endormi, qui permet à la famille du mari décédé de
réclamer comme lui appartenant un fils né plusieurs années après
sa mort. Lorsque la veuve déclare, en plaçant sa ceinture sur le
corps de son mari, qu'elle est enceinte d'un enfant endormi, il est
admis que cet enfant peut dormir dans le sein de sa mère pendant une
période de temps illimitée chez les Kabyles et réduite à quatre
ans par la majorité des commentateurs du Coran. Si, pendant
la durée de cette gestation supposée, la veuve vient à accoucher,
l'enfant est censé avoir été procréé par le mari ; il a tous les
droits d'un enfant légitime et, comme tel, il vient au partage de la
succession du défunt.
On
a pensé que cette étrange doctrine, qui choque si vivement nos
esprits et que la Cour d'Alger s'est refusée à sanctionner (56), a
eu, dans le principe, un but politique. À l'appui de cette
interprétation, on fait remarquer que, dans la société musulmane,
fondée sur le double principe de la solidarité et de l'égalité
absolue de ses membres, il ne saurait exister aucune classe de
déshérités ; que, par suite, tout enfant dont la mère a été
mariée doit avoir une famille et être exempt de la défaveur qui
s'attache aux naissances illégitimes. Mais cette raison ne nous
semble pas bien convaincante, étant donnée l'extrême rigueur avec
laquelle la loi musulmane et, plus encore, la coutume kabyle,
s'attachent à empêcher la fornication (57) et le mélange du sang.
Comment admettre que la loi islamique, qui s'ingénie, par ses
théories ai caractéristiques de l'aïdda et de l'istibra,
à prévenir la confusio sanguinis et l'incertitude dans la
filiation, ait introduit la fiction de l'enfant endormi dans le seul
but de favoriser, aux dépens de la famille, le fruit d'une union
clandestine et illicite ? Est-il vraisemblable que la coutume
berbère, qui ordonne la mise à mort de l'enfant naturel et de sa
mère, eût consenti, comme elle le fait, à prolonger indéfiniment
la période d'attente de l'enfant endormi dans le sein de sa mère,
si cette supercherie physiologique ne tendait précisément qu'à
légitimer les enfants nés hors du mariage et à réhabiliter en
quelque sorte un cas bien avéré de fornication ?
Pour
que la coutume indigène et la loi coranique se soient ainsi
départies, en faveur de l'enfant conçu après la mort du mari, de
leur sévérité habituelle, il faut qu'elles y aient été conduites
par des raisons plus impérieuses qu'un simple sentiment d'humanité.
Et il n'est peut-être pas téméraire de penser que, parmi ces
raisons, il en est qui ont leur origine dans cette universelle
coutume des peuples primitifs, que le juriste hindou Gautama
décrivait en ces termes : « Une femme dont le mari est mort et qui
désire une postérité peut avoir un fils de son beau-frère ; à
défaut de beau-frère, elle peut obtenir un rejeton en cohabitant
avec un sapinda, un sagotra (agnat), ou même avec un
membre de son clan ou de sa caste » (58). Sans aller jusqu'à ne
voir dans la doctrine de l'enfant endormi qu'une dégénérescence du
lévirat, on peut conjecturer, non sans apparence de raison, que
l'idée de la conservation de la famille est la source commune d'où
sont issues ces deux théories si fortement enracinées dans les
mœurs des peuples orientaux. Dans une société que domine encore de
nos jours un désir intense d'avoir des enfants mâles, la fiction de
l'enfant endormi nous apparaît naturellement comme un des expédients
imaginés pour que le nom du défunt ne soit point effacé de ce
monde et pour que sa race poursuive à travers les siècles le cours
de ses destinées.
§
6. La loi successorale
On
vient de dire que la tutelle perpétuelle de la femme, dont la loi
islamique et la coutume berbère offrent des traces significatives,
s'explique moins par le désir d'opprimer la femme que par la
nécessité où se trouve la famille patriarcale d'empêcher le
démembrement du patrimoine collectif. C'est également sur ce
principe de conservation que les sociétés antiques se sont fondées
pour exclure les femmes de l'hérédité, Suivant la judicieuse
remarque de Sumner Maine, l'intérêt de la famille s'oppose à ce
que les femmes conférent à leur époux, auquel elles sont
généralement mariées dès l'enfance, un droit sur la terre,
propriété éminente entre toutes, qui conserve l'union et fournit
la subsistance de la communauté (59). Du moment où, d'après la
conception fondamentale de l'ancienne coutume, il n'y avait que les
fils qui pussent perpétuer une famille, les filles étaient sans
droit pour élever une prétention quelconque à l'héritage. À
l'époque où il ne reconnaît d'autre parenté que celle de
l'agnation, le droit primitif ne tient compte que des personnes aptes
à exercer et à transmettre à leur descendance la puissance
paternelle, base première de l'agnation.
La
femme n'a pas cette aptitude ; bien qu'elle se trouve entre les
agnats, elle ne communique pas l'agnation à ses descendants, elle
ferme le rameau de la généalogie dans laquelle son nom se
rencontre, en un mot, elle est la limite de la famille (60). Voilà
pourquoi l'ancien droit refuse aux filles le droit de succéder, ne
considérant comme héritiers que les parents mâles, seuls capables
de perpétuer le lien de l'agnation.
Cette
exclusion de la femme est consacrée plus ou moins énergiquement par
les lois successorales des peuples antiques et par la coutume des
races barbares. Dans tous les systèmes de succession livrés à une
influence agnatique, l'idée dominante est que la terre doit être
réservée aux mâles, les filles ne pouvant prétendre qu'à une
part de la fortune mobilière qu'elles ont souvent accrue ou
contribué à créer par leur travail domestique. Il en était ainsi
dans l'Inde, en Égypte, à Athènes. Plusieurs jurisconsultes
soutiennent que la même règle a prévalu dans la Rome patricienne
(61). Tous les anciens codes germaniques, sauf la loi des
Wisigoths, refusent aux, filles le droit de succéder à la terre
(62).
Mais,
parmi ces lois antiques, il en est peu où le principe de
l'exhérédation de la femme ait reçu une formule plus absolue et
plus rigoureuse que dans la coutume moderne des Kabyles. Il importe
d'entrer dans quelques explications à ce sujet, car s'il est vrai
que les règles des successions fassent partie intégrante du statut
réel, il est également certain que cette matière, envisagée au
point de vue où nous nous plaçons en ce moment, se lie intimement
au statut personnel et, par conséquent, rentre très bien dans le
cadre de la première partie de cet essai.
Les
Berbères ont suivi, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, la
théorie successorale des Musulmans qui, on le verra tout à l'heure,
accorde à la femme une place dans l'ordre des héritiers. Mais la
communauté kabyle, dont le plus vif souci est la dévolution de la
propriété dans l'intérieur de la famille, répugnait à accorder à
la femme une part dans ce patrimoine foncier qu'elle est incapable de
défendre et dont elle menace, au contraire, l'intégrité. Aussi,
l'usage s'introduisit-il de bonne heure, dans les tribus berbères,
d'exhéréder les femmes, au moyen d'une constitution de habous,
faite suivant les règles du rite musulman hanéfite. On sait, en
effet, que chez les hanéfites, celui qui constitue habous
peut désigner un de ses héritiers au préjudice des autres, et, par
suite, exclure les filles au profit des mâles. On arrivait, grâce à
cet expédient, à rendre à peu près illusoire le système
d'hérédité réglé par le Coran.
Cette
réaction contre la loi islamique répondait si bien aux tendances du
vieil esprit kabyle que, dans une assemblée générale tenue le
premier jour de l'an 1162 de l'hégire (21 décembre 1748), au marché
des Béni-Ouasif, les tribus berbères proclamèrent solennellement
le retour à l'ancienne coutume et abolirent à l'unanimité le droit
d'héritage des femmes (63).
Aujourd'hui,
cette restauration du droit successoral préislamique est un fait
accompli pour toute la Kabylie. Les femmes sont exclues
impitoyablement de la succession des mâles ; elles ne peuvent venir,
en aucun cas, au partage du patrimoine familial. Les parents par les
mâles ou, plus exactement, les agnats du sexe masculin ont seuls, en
principe, la vocation héréditaire. La succession est dévolue, en
première ligne, à la descendance mâle du défunt. Au père qui
vient en concurrence avec un descendant, la coutume attribue une part
réservataire d'un sixième. À défaut de père, la réserve
appartient au grand-père paternel. S'il n'y a pas de descendance
mâle, l'ascendant devient héritier universel (açeb) et
recueille toute la succession. À défaut de descendants et
d'ascendants, la succession passe aux açeb collatéraux de la
ligne paternelle, quel que soit leur degré ; après ceux-ci, au
patron ou à l'affranchi ; puis, au frère utérin, seul mâle de la
branche maternelle qui soit admis, par exception, à l'hérédité et
qui est relégué, pour ce motif, au dernier plan de l'ordre
successoral. Les frères utérins ne peuvent prendre plus du tiers de
l'hérédité, le surplus revenant à la kharouba. S'il ne se
présente ni açeb, ni frère utérin, c'est la kharouba
et, à son défaut, le village, aujourd'hui l'État français, qui
absorbent la succession (64).
C'est
donc avec la dernière rigueur que la coutume kabyle ferme l'accès
des successions à la femme et aux parents par les femmes (sauf
l'exception admise en faveur du frère utérin).
Quelques
tribus poussent si loin le respect de cette règle qu'elles vont
jusqu'à refuser à la femme étrangère, mariée à un Kabyle, le
droit de prendre la part d'héritage lui revenant dans la succession
de son père : « Nous ne voulons pas, déclarent à ce sujet, les
kanouns des Aït-Khalifa, que les biens de notre tribu passent
à l'étranger par l'héritage des femmes ; nous ne permettons pas
davantage que les biens étrangers entrent chez nous par la même
voie » (65). Tout ce que la femme kabyle peut réclamer des
héritiers, c'est d'être nourrie et vêtue sur les revenus de la
succession. Elle n'a la vocation héréditaire qu'en un seul cas,
bien délimité par la coutume, celui où il s'agit de la succession
d'une femme qui a réussi à se créer, par son travail ou ses
économies, un avoir personnel : la femme est admise au partage de ce
pécule. Encore est-il qu'elle n'y vient qu'à défaut d'héritiers
mêles ; les seuls successibles auxquels elle soit préférée sont
le frère utérin et la kharouba.
Antérieurement
à la réforme islamique, il était de règle absolue chez les
Arabes, comme aujourd'hui chez les Kabyles, que les femmes fussent
exclues des successions. Le Coran a réagi contre ce système
inhumain, en attribuant aux femmes et aux parents assimilés à la
femme une portion légale ou réserve (fard). Les héritiers
mâles (açeb) recueillent le surplus, s'il reste quoique
chose après le prélèvement de la réserve.
La
réserve, qui comporte six quotités différentes (66), revient à
l'époux survivant de la femme morte avec ou sans postérité ; –
à la fille du défunt ; – à la fille de son fils ; – à la
sœur germaine ou consanguine ; – à l'épouse survivante du de
cujus ; – à la mère du défunt ; – à son frère ou à sa
sœur utérine ; – à son aïeule paternelle ou maternelle. Lorsque
ces réservataires, qui viennent tantôt en concurrence, tantôt à
l'exclusion l'un de l'autre, suivant des distinctions qu'il serait
sans intérêt d'exposer ici, ont prélevé leur émolument, tel
qu'il est fixé par le Coran, les açeb (agnats) (67)
reçoivent le surplus de l'actif.
On
distingue trois catégories d'açeb : 1° l'açeb par
lui-même, à savoir le véritable agnat, le mâle qui ne se rattache
au défunt que par les mâles, sans l'intermédiaire d'aucune
génération féminine, comme le fils, le fils du fils, le père, le
grand-père paternel, le frère germain, le frère consanguin,
l'oncle germain, l'oncle consanguin, le frère de l'aïeul paternel,
le patron (lorsque le défunt était un affranchi) et, au dernier
degré, le beït-el-mal ou domaine de l'État (68) ; – 2°
l'açeb par un autre, à savoir la femme réservataire qui se
trouve agnatisée par la concurrence d'un frère du même lien ; –
3° et l'açeb avec un autre, lorsque deux femmes, isolément
réservataires, par exemple la sœur et la fille, se trouvent en
présence l'une de l'autre. Enfin, quelques héritiers cumulent la
qualité de réservataires avec celle d'açeb : tel est le cas
notamment du père qui est en concurrence avec une ou plusieurs
filles ; il touche un sixième comme réservataires, et le surplus,
après le prélèvement des réserves.
Nous
ne saurions, sans sortir du cadre de cette étude, entrer dans le
détail des règles fort complexes qui règlent, en droit musulman,
la double hiérarchie des réservataires et des açeb, la
réduction proportionnelle des réserves et la répartition de l'as
(unité) héréditaire entre les divers ayants droit. Ce qu'il
importe de mettre en lumière, c'est que la théorie successorale du
Coran, tout en réalisant, au point de vue de l'humanité et
de l'équité naturelle, un indéniable progrès, nous offre
cependant une physionomie agnatique des plus accentuées.
Sans
doute, la femme et les autres réservataires que la loi assimile aux
femmes en raison de leur faiblesse ou de leur âge avancé reçoivent
leur part avant les héritiers açeb et peuvent môme absorber
toute la succession ; mais il n'en est pas moins vrai qu'aux yeux du
Prophète il n'y a que l'açeb qui soit héritier au sens
primitif de ce mot. C'est toujours l'açeb, le parent mâle
par les mâles, seul apte à perpétuer par sa descendance le lien de
l'agnation et la puissance paternelle, qui est censé recevoir
l'héritage des mains du chef de famille, sauf à tenir compte aux
réservataires de la part que la loi leur alloue pour assurer leur
subsistance et leur entretien.
Aussi
bien, la doctrine hanéfite permettant à celui qui constitue habous
d'exclure les filles de sa succession, il est en somme assez facile
de priver la femme de la part héréditaire qui lui est reconnue par
le Coran. On vient de voir que les Kabyles ne se faisaient pas
faute de recourir à cet expédient, avant la restauration de leur
ancienne coutume.
D'autre
part, il convient de noter que, dans les tribus arabes qui pratiquent
le régime du collectivisme agraire, la femme est exclue, en fait,
des héritages ; c'est même à cette dernière circonstance que les
commissions administratives, chargées de procéder aux opérations
de délimitation prévues par le sénatus-consulte du 22 avril 1863,
semblent principalement s'attacher, pour distinguer entre les
territoires melk (ou de propriété privée) et les
territoires ârch (ou de propriété collective) (69). Toutes
les fois qu'il s'agit d'un territoire où la propriété individuelle
n'est pas constituée, le rapport des commissaires délimitateurs
contient cette phrase caractéristique : « Les immeubles ne se
transmettent pas par voie de ventes ou d'échanges, et les femmes
sont (d'ordinaire exclues des héritages ; la propriété affecte dès
lors le caractère ârch (69). »
On
peut relever aussi, dans nombre de rapports de délimitation, cette
formule équivalente et non moins expressive : « La propriété
offre, dans cette tribu, le caractère collectif, résultant du mode
de transmission des droits immobiliers et de la non-participation des
femmes dans les successions (70). »
Il
n'était pas indifférent d'insister quelque peu sur ces
constatations. Il en ressort que, partout où la tribu arabe a
conservé son organisation patriarcale et, on conséquence, ne
connaît d'autre mode de propriété foncière que celui de la
possession en commun, la vocation héréditaire de la femme n'a
qu'une valeur en quelque sorte théorique et reste à l'état de
lettre morte, du moins à l'égard des immeubles dépendant du
territoire collectif de la tribu. Les règles successorales
introduites par le Coran on faveur de la femme rencontrent ici
un obstacle on quelque sorte matériel dans la cohésion du groupe
patriarcal et dans le communisme agraire de la tribu.
Nous
en avons assez dit pour montrer combien le droit familial des
indigènes, formé de la fusion du Coran avec les coutumes
patriarcales des autochtones, s'éloigne des idées du monde moderne.
Mariage par achat, polygamie, répudiation au gré du mari, sujétion
permanente de la femme, viol légal de la fille impubère, survivance
de certaines pratiques apparentées plus ou moins directement au
lévirat, caractère agnatique du système des successions, exclusion
des femmes de l'héritage réalisée par le subterfuge juridique du
habous lorsqu'elle n'est pas formellement consacrée par la
coutume : telles sont, en résumé, les particularités les plus
saillantes du droit des Musulmans algériens, en ce qui touche la
constitution de la famille et le rôle de l'individu dans le groupe
familial. Voilà les points où s'accentue le conflit, où s'exagère
le contraste entre les théories juridiques du monde musulman et
celles des peuples occidentaux.
Un
illustre sociologue, qui a creusé plus profondément que tout autre
les sources historiques de notre droit contemporain, sir Henri Sumner
Maine, a dit que « la grande différence entre l'Orient et
l'Occident, c'est que le passé de l'Occident revit encore sous forme
de présent en Orient (71) ». L'exactitude de cette observation,
nous venons de la vérifier au sujet des indigènes de l'Algérie.
Leurs mœurs et leurs coutumes juridiques nous inspirent un sentiment
de surprise lorsqu'on les regarde au point de vue moderne. Mais nous
revenons de notre étonnement, pour peu que nous nous reportions aux
origines historiques de cette société occidentale si fière de ses
progrès matériels et moraux. Nous constatons alors que ce que nous
appelons barbarie chez les Arabes et les Kabyles de l'Algérie n'est
que l'enfance de notre propre civilisation.
Les
Musulmans de l'Afrique du Nord franchiront-ils jamais la distance qui
sépare leur société de la nôtre? Il faut bien avoir le courage de
le dire, ce progrès, s'il se réalise, ne s'accomplira qu'avec une
extrême lenteur. Ainsi que nous en avons déjà fait l'observation
au début de cet essai, ce qui retarde surtout l'évolution du monde
musulman, c'est le caractère religieux et en quelque sorte
dogmatique que le Coran, source unique du droit, imprime aux
usages juridiques. Du moment où elles s'appuient sur l'autorité du
Livre sacré, les coutumes les plus grossières deviennent, pour le
croyant, un article de foi et restent immuables. Le bon Musulman
n'acceptera les idées modernes que dans la mesure permise par
l'Islam, et on a pu voir, d'après nos explications précédentes,
combien cette mesure est étroite.
Il
ne faut cependant pas douter de l'avenir. Tout en repoussant la
chimère d'une prompte assimilation de la race indigène, nous
pouvons préparer ce résultat désiré par un ensemble de mesures
sagement appropriées aux circonstances. Ces mesures, nous essayerons
de les indiquer dans la dernière partie de ce travail. Mais, d'ores
et déjà, nous croyons ne pas trop nous avancer en conjecturant que
notre action réformatrice aura plus de prise sur l'élément kabyle
que sur l'élément arabe. Ce n'est pas qu'entre les mœurs des
Berbères et celles des Arabes, il existe une différence à
l'avantage des premiers : la coutume kabyle renchérit, au contraire,
à plusieurs égards, sur les prescriptions brutales du droit
musulman, et les montagnards du Djurdjura sont peut-être les plus
insoumis de nos sujets indigènes. Mais, à l'inverse des Arabes, les
Berbères séparent la loi civile de la religion révélée ; chez
eux, le droit et le dogme ont chacun leur sphère distincte.
L'attachement des Kabyles aux usages traditionnels de leur pays ne
saurait être mis sur le compte du fanatisme religieux ; il tient
plutôt à leur esprit d'indépendance et d'exclusivisme farouche à
l'encontre de l'étranger. Cela étant, peut-être n'est-il pas
téméraire d'espérer, avec de bons esprits, que cette race encore
indomptée se montrera pourtant moins réfractaire que l'élément
arabe à notre influence civilisatrice, et se laissera plus
facilement imprégner par nos mœurs et nos institutions.
Mais
il y a loin de cette timide espérance aux rêves d'assimilation
immédiate auxquels se complaisent quelques théoriciens.
CHAPITRE
V
L'état
civil des indigènes.
Au
nombre des moyens propres à hâter la désagrégation de la famille
indigène et à favoriser l'émancipation de l'individu, il en est un
dont l'efficacité ne saurait être déniée : c'est la constitution,
pour les Musulmans algériens, d'un état civil régulier. Cette
mesure s'impose à d'autres égards. L'essor de notre colonisation
dépend, en partie, nous l'avons dit, de l'adoption d'un bon régime
foncier, garantissant la sécurité des transmissions entre indigènes
et Européens et individualisant la propriété, là où elle
n'existe encore qu'à l'état de collectivisme familial. Or, comment
donner à la propriété indigène une assiette stable, si l'identité
de son possesseur est indécise, si les événements qui fixent la
condition juridique du détenteur du sol restent secrets ou ne
reçoivent qu'une publicité de fait, impuissante à en conserver la
preuve.
Les
registres de l'état civil n'existent point chez les Musulmans et il
faut bien reconnaître que, si l'on se place au point de vue exclusif
des indigènes et en faisant abstraction, pour un moment, des
exigences de la colonisation, le besoin de cette institution se fait
moins impérieusement sentir dans la société arabe ou kabyle que
dans le monde européen. Par suite de l'étroite dépendance dans
laquelle l'individu se trouve vis-à-vis de la tribu ou de la
famille, les actes les plus importants de la vie civile
s'accomplissent au vu et au su de toute la communauté musulmane.
Examinons,
par exemple, ce qui se passe chez les Kabyles.
En
Kabylie, la naissance d'un enfant mâle est suivie d'un festin auquel
sont convoqués, non seulement la famille et les amis, mais encore
tout le village. La majorité, qui est déterminée par le
développement physique, est solennellement proclamée devant la
djamâa, en présence d'un marabout, qui récite le fâth'a
(72). Quant au mariage, tous ceux qui ont visité la Kabylie savent
de quel imposant cérémonial cet acte est entouré dans le moindre
village. Au jour fixé pour les noces, le père du futur, à la tête
d'un cortège de parents et d'amis, se rend chez la fiancée, en
grand apparat, au bruit de la fusillade et des tambourins. Un
marabout, mandé pour la circonstance, récite le fâth'a et
appelle sur l'union projetée la bénédiction d'Allah. De là, le
bruyant cortège conduit triomphalement la femme chez le mari. En un
mot, le mariage est, pour ainsi dire, une fête publique à laquelle
prennent part tous les habitants du thaddart. Mais, c'est
surtout au moment de la mort que s'affirme, de la manière la plus
saisissante, l'esprit de solidarité qui unit les membres de la
communauté kabyle.
Le
décès est annoncé par un crieur public à tous les habitants. À
partir de cette publication, personne ne peut s'éloigner du village
et tout travail est interdit. Le village entier assiste aux
funérailles et fait cortège derrière le mort que les marabouts
conduisent à sa dernière demeure.
Ce
que nous disons ici des Kabyles s'applique, bien qu'à un moindre
degré, aux Arabes de l'Algérie. Chez ces derniers également, les
naissances, les mariages, les décès, sont solennisés par la
participation plus ou moins complète de la famille et du douar.
Le seul événement notable de la vie familiale qui reste clandestin
et qui puisse, dès lors, échapper au contrôle de la collectivité,
est la répudiation. Encore est il que, dans nombre de cas, la
répudiation est prononcée par autorité de justice ou nécessite
l'intervention du cadi.
Les
faits qui déterminent ou qui modifient l'état et la capacité des
personnes reçoivent donc, dans l'état actuel des coutumes
indigènes, une publicité matérielle, sans doute éphémère et
incomplète, mais qui, par sa simplicité même, semble correspondre
aux besoins d'une civilisation peu avancée, mieux que ne le feraient
des procédés plus parfaits mais aussi plus complexes. On conçoit
très bien que, dans une société à peine sortie du patriarcat, où
la famille, agrandie par une extension presque indéfinie de la
consanguinité, forme en quelque sorte un être un et indivisible, en
qui toutes les individualités se confondent, la preuve testimoniale
puisse remplir, jusqu'à un certain point, le rôle qui est dévolu
aux registres de l'état civil par la législation des peuples
occidentaux. On s'explique ainsi qu'à l'époque de la conquête
d'Alger il n'y eût, ni dans les tribus, ni même dans les
agglomérations urbaines, aucune trace de registres publics affectés
à l'inscription des naissances et des décès.
Cette
situation ne subit aucune modification de 1830 à 1854. Ce n'est
point que le gouvernement n'eût entrevu, dès les premiers jours de
l'occupation de l'Algérie, l'heureuse influence que pourrait avoir,
sous le double rapport du développement de l'individualisme et de la
propagande des idées françaises, la constitution, sous le contrôle
de nos autorités, d'un état civil des Musulmans. Mais il eût été
de la plus insigne imprudence de transporter en Algérie les textes
de nos codes et d'imposer brusquement aux nouveaux sujets de la
France un ensemble de prescriptions auxquelles des mesures
transitoires ne les avaient pas encore préparés. Aussi, les
premières dispositions prises en cette matière par le gouvernement
témoignent-elles du louable souci de ne rien précipiter et
offrent-elles plutôt le caractère d'un essai que d'une
réglementation définitive.
Aux
termes d'un décret du 8 août 1854, il fut prescrit aux cheiks
de recevoir les actes concernant les naissances et les décès des
Arabes habitant en dehors des villes et des villages, et de les
transmettre aux maires, qui auraient à les transcrire en langue
française sur le registre de l'état civil de la commune. Une amende
de 10 à 15 francs et un emprisonnement d'un à cinq jours
punissaient les infractions aux prescriptions de ce décret. Mais
cette sanction fut abrogée par un décret ultérieur, du 18 août
1868, dont l'article 8 se bornait à inviter les adjoints indigènes
à veiller à ce que les déclarations de naissance et de décès
fussent faites exactement pat leurs coreligionnaires à l'officier de
l'état civil.
Cette
réglementation, qu'un arrêté du gouverneur général, du 20 mai
1868, étendit aux parties du territoire militaire délimitées en
vertu du sénatus-consulte de 1863, ne s'appliquait qu'aux naissances
et aux décès; elle laissait de côté les mariages et les divorces.
N'étant fortifiée par aucune sanction, elle n'aboutit qu'à un
résultat des plus médiocres, surtout dans les territoires de
tribus. D'ailleurs, alors même qu'une plus grande ponctualité dans
l'exécution du décret eût été obtenue des indigènes, il aurait
été impossible, en l'absence de noms patronymiques, d'organiser
dans des conditions satisfaisantes l'état civil des Musulmans.
Sauf
de très rares exception, les indigènes n'ont point de noms de
famille ; ils ne possèdent presque jamais qu'un prénom, suivi de
celui de leur père ou même simplement complété par l'indication
assez banale de hadji (pèlerin). Or, comme le cercle des
prénoms arabes est bientôt parcouru, il arrivait fréquemment que
des indigènes, appartenant à des familles différentes et n'ayant
entre eux aucun lien de parenté, figuraient sous les mêmes noms au
registre de l'état civil. Il devint dès lors évident que les
déclarations de naissances et de décès faites en vertu du décret
de 1868 laissaient planer la plus grande incertitude sur l'identité
des individus et, par conséquent, ne pouvaient fournir une base
solide à la constitution de l'état civil des Musulmans.
Les
inconvénients de cet état de choses se firent jour principalement
au lendemain de la loi du 26 juillet 1873, relative à la
constitution de la propriété individuelle en territoire indigène.
Comment, en effet, en présence de la multiplicité des homonymes,
éviter toute confusion dans la délivrance des titres de propriété
? Comment s'y reconnaître au bureau des hypothèques, lorsqu'il y
aurait des titres à transcrire et, plus tard, des états
d'inscription à délivrer ? Pour résoudre cette difficulté, les
auteurs de la loi de 1873 imaginèrent de donner à chaque
propriétaire, lors de la délivrance des titres de propriété, un
nom de famille emprunté à la parcelle de terre désignée dans le
titre (73).
Ce
n'était là qu'un palliatif tout à fait inefficace. L'attribution
d'un nom patronymique n'étant obligatoire qu'à propos de la
création du titre de propriété, il s'ensuivait que, dans le cas de
transmission ultérieure de ce titre au profit d'un indigène
dépourvu d'un nom de famille, on voyait renaître tous les
inconvénients que la loi de 1873 avait voulu prévenir. D'un autre
côté, la loi laissait en dehors de son action les territoires où
la propriété individuelle avait été constituée par voie de
cantonnement ou en vertu de l'ordonnance du 21 juillet 1846 ; or, les
titres de propriété relatifs à ces territoires no portaient la
mention d'aucun nom de famille. Enfin, par une conséquence assez
inattendue de la loi de 1873, il arrivait qu'un même indigène,
possédant des immeubles distincts les uns des autres et soumis à
différentes commissions d'enquête, se voyait attribuer deux ou
trois états civils, dont il pouvait, comme on l'a dit, faire « une
collection soigneusement conservée dans le fond de sa chechia
(74) ».
Autant
pour mettre fin aux difficultés nées de l'application de la loi du
20 juillet 1873 que pour réglementer définitivement l'état civil
des indigènes musulmans, le gouvernement prit, en 1880, l'initiative
d'un projet de loi tendant « à établir l'ordre dans la famille
arabe par la constitution de son état civil et le lien du nom
patronymique, et à perpétuer cet ordre par l'établissement et la
conservation des actes constatant les modifications à intervenir
dans cette même famille ».
Nous
reproduisons ici la phraséologie de l'exposé des motifs, qui se
montrait, d'ailleurs, très sévère dans ses appréciations sur la
loi de 1873. À prendre à la lettre les déclarations contenues dans
cet exposé, le législateur de 1873, « tout eu s'efforçant de
créer l'ordre dans la propriété », serait arrivé « à jeter le
désordre dans la famille, puisqu'il établit des catégories entre
ses membres ». Et le rédacteur de ce document concluait, en
affirmant que, « pour constituer d'une façon durable la propriété
individuelle, il est indispensable de
constituer d'abord l'individu (75). » C'est ce projet de loi
qui a servi de point de départ à la réforme inaugurée en Algérie
par la loi du 23 mars 1882. Nous allons analyser brièvement
l'économie de cet acte législatif.
La
loi de 1882 s'est proposé un double objet : constituer chez les
indigènes l'état civil de lu génération actuelle, et, d'autre
part, assurer, pour l'avenir, la mise à jour et la conservation de
cet état civil.
La
première de ces opérations implique nécessairement la
détermination de l'identité de chaque indigène. Pour obtenir cette
détermination, la loi dispose que, dans chaque commune et section de
commune, il sera fait par les officiers de l'état civil un
recensement de la population musulmane, Les résultats de ce
recensement doivent être consignés sur un registre-matrice, dressé
en double, contenant les noms, prénoms, profession et domicile de
ceux qui y seront inscrits.
Tout
indigène est tenu, au moment de son immatriculation, de choisir un
nom patronymique. S'il a un ascendant mâle dans la ligne paternelle,
un oncle paternel ou un frère aîné, le choix du nom de famille
appartient à ceux-ci. En cas de refus, de la part de l'indigène,
d'exercer son droit d'option, la collation du nom patronymique est
faite par le commissaire à la constitution de l'état civil. Les
noms attribués antérieurement à la loi de 1882, en exécution de
celle du 20 juillet 1873, ne sont pas obligatoires pour les membres
de la famille non désignés dans le titre de propriété. Ceux-ci
peuvent donner la préférence à un autre nom et, dans ce cas,
l'indigène propriétaire doit ajouter ce nom à celui dont il aura
déjà été pourvu lors de la délivrance du titre de propriété.
Au fur et à mesure des immatriculations, une carte d'identité,
ayant un numéro de référence au registre-matrice, est remise sans
frais à chaque indigène.
Le
travail de constitution que nous venons de décrire ne devient
définitif qu'en vertu de l'homologation du gouverneur général.
Lorsque les opérations de recensement et d'immatriculation sont
terminées dans une circonscription, avis en est donné au public par
la voie de la presse et au moyen d'affiches opposées dans la
commune. Les intéressés ont un délai d'un mois pour se pourvoir en
rectification des erreurs ou omissions commises à leur préjudice. À
l'expiration de ce délai, le gouverneur général statue, le Conseil
de gouvernement entendu, sur les conclusions du commissaire à la
constitution de l'état civil, et rend, s'il y a lieu, un arrête
d'homologation.
À
partir de l’arrête d'homologation, le registre-matrice tient lieu
de registre de l'état civil pour ceux qui y sont inscrits, et
l'usage du nom patronymique est désormais imposé aux indigènes
compris dans l'opération. Dès ce moment, il est interdit aux
officiers publics et ministériels, sous peine d'amende, de désigner
les indigènes, dans les actes, autrement que par les noms inscrits
sur leurs cartes d'identité.
Pour
assurer la conservation et la mise à jour permanente du
registre-matrice de l'état civil, la loi de 1882 ordonne d'y
inscrire, au fur et à mesure des immigrations, les indigènes
originaires d'une circonscription non encore soumise au régime de
l'état civil.
Il
ne suffirait pas, on le conçoit, de fixer une fois pour toutes
l'état civil des indigènes, tel qu'il existe à l'époque de leur
inscription au registre-matrice ; il faut, de plus, prendre les
mesures nécessaires pour que les modifications survenues, par la
suite, dans cet état civil, soient légalement constatées par
l'autorité préposée à la tenue du registre. En d'autres termes,
il est nécessaire que les registres publics des mairies offrent le
tableau exact et fidèle de tous les faits qui, à partir de
l'immatriculation initiale de chaque indigène, ont pu modifier son
état d'une manière quelconque. La loi de 1882 y a pourvu, en
stipulant que les déclarations des naissances, des décès, des
mariages et des divorces (76), deviennent obligatoires pour les
indigènes musulmans, à compter du jour où l'usage du nom
patronymique est lui-même de rigueur.
Les
actes de naissance ou de décès sont établis dans les formes
prescrites par la loi française. Quant aux mariages et aux divorces,
le législateur a pensé qu'on ne saurait, sans empiéter sur le
statut personnel des Musulmans, imposer à ces actes les règles de
notre Code civil. Il lui a paru préférable de s'en tenir aux
errements suivis depuis 1875, en vertu de diverses circulaires du
gouverneur général (77), et, en conséquence, de n'exiger, en cette
matière, qu'une simple déclaration faite dans les trois jours, à
la mairie, par le mari et par la femme ou par le mari et par le
représentant de la femme (il s'agit ici du ouali) assistés
de deux témoins. Une telle déclaration n'implique point
l'intervention des autorités françaises dans l'acte juridique du
mariage ou du divorce ; elle se réduit à une simple opération de
transcription (78).
Telle
est, réduite à ses traits essentiels, l'organisation inaugurée en
Algérie par la loi du 23 mars 1882. Cette loi, déclarée
immédiatement applicable à toute la région du Tell, n'a eu,
jusqu'en 1890, qu'une sphère d'action assez restreinte, Il lui a
fallu près de huit ans pour franchir la période des tâtonnements
et des essais. À un moment donné, on a même dû se demander si
nous n'éprouverions pas encore, de ce chef, un nouveau mécompte.
Heureusement, les opérations ont pris, à partir de 1890, une allure
nouvelle. À la fin de 1892, le nombre des indigènes inscrits aux
registres-matrices s'élevait à deux millions environ (79), et tout
fait espérer que ce travail considérable touchera bientôt à sa
fin.
De
vives critiques ont été élevées contre l'œuvre du législateur
de 1882 : « Il est à craindre, lisons-nous dans un document
officiel, que, comme la constitution de la propriété musulmane, la
constitution de l'état civil des indigènes ne soit frappée de
stérilité, ne laissant après elle, dans les tribus, que le
désordre et une sourde irritation (80) ». Cette appréciation nous
parait empreinte de trop de sévérité. Il se peut que la réforme
instituée par la loi de 1882 introduise dans l'antique organisation
de la famille indigène un élément de désagrégation, en éveillant
l'esprit d'individualisme et en affaiblissant à la longue les liens
de solidarité qui unissent entre eux les membres de la communauté
familiale. Mais ce n'est pas nous qui songerions à nous plaindre de
cette conséquence possible de la loi du 23 mars 1882. L'essentiel
est que l'application du nouveau régime soit conduite d'une main
ferme mais prudente, car une trop grande précipitation risquerait de
tout compromettre. Dans une matière qui touche de si prés à la loi
religieuse des Musulmans, il importe d'éviter tout excès de zèle
et de ménager des susceptibilités d'autant, plus irritables
qu'elles sont plus irréfléchies.
Il
y aurait, sans doute, à se demander si la nouvelle loi ne s'est pas
montrée trop confiante, en ne renforçant par aucune sanction
l'obligation imposée aux indigènes de déclarer à l'officier de
l'état civil les mariages et les divorces. Les Arabes et les Kabyles
se montrent, en effet, peu empressés à déclarer ces derniers
actes, tandis qu'ils se conforment volontiers à la loi en ce qui
concerne les naissances et les décès. Mais une difficulté d'ordre
juridique – et qui témoigne d'un scrupule très méritoire de la
part des auteurs de la loi – a paru s'opposer à l'établissement
de cette sanction. Le but avéré de la réforme est de placer les
indigènes sous le régime français, pour tout ce qui concerne
l'état civil. Or, notre Code, qui frappe d'une peine la
non-déclaration des naissances et des décès, n'a rien édicté
contre le défaut de déclaration des mariages et des divorces. Cela
étant, ne serait-il pas contraire à l'idée d'assimilation dont
s'est inspirée la loi de 1882, d'infliger aux indigènes une
sanction pénale dont les Français se trouvent légalement
affranchis ? Tel est le motif sur lequel on parait s'être fondé
pour dégager de toute sanction l'obligation faite aux Musulmans
algériens de déclarer à la mairie les mariages et les divorces.
À
vrai dire, cette raison ne nous semble pas très concluante. Si notre
Code civil s'abstient de frapper d'une peine la non-déclaration des
mariages et des divorces, c'est par la bonne raison que ces actes ne
sauraient exister légalement sans la participation de l'autorité,
ce qui rend dès lors toute sanction inutile. Tout autre est la
situation en Algérie. Nous respectons le statut personnel des
indigènes et nous n'intervenons en aucune façon, par nos autorités,
dans l'acte juridique du mariage ou du divorce de nos sujets
musulmans. Les déclarations qui nous sont faites de ces actes et la
transcription qui en est établie sur nos registres n'ont que la
valeur d'un enregistrement et ne constituent, à aucun égard, une
des conditions requises pour la validité du mariage ou du divorce.
Il ne semble donc pas que l'absence de
toute sanction en cette matière trouve une explication
plausible dans le silence gardé, sur le même point, par notre Code
civil. Et il est permis de conclure que, si l'expérience démontrait
un jour la nécessité d'édicter, dans l'intérêt du service de
l'état civil, un moyen quelconque de contrainte, nous pourrions
compléter en ce sens la loi de 1882, sans craindre de nous mettre en
opposition avec les tendances libérales de cette loi.
CHAPITRE
VI
Conflits
de lois relatifs à la personne.
§
1er. Les sources du conflit législatif.
La
loi française a suivi en Algérie le drapeau de notre armée. Elle
est la loi territoriale, la règle souveraine, à laquelle tous les
habitants de notre colonie doivent, en principe, respect et
obéissance. Mais, bien qu'elle agrandisse chaque jour son domaine,
cette loi n'exerce pus encore sur le territoire algérien une
autorité sans partage. Elle s'y trouve en contact, d'une part, avec
la loi nationale des immigrants étrangers, de l'autre, avec les lois
et coutumes de nos sujets indigènes. De la coexistence de ces
diverses législations naissent fréquemment, à propos de tel
rapport juridique donné, de graves difficultés, d'une solution
d'autant plus délicate qu'elle ne relève pas exclusivement des
principes généraux du droit international privé.
(…)
Le
conflit le plus fréquent et le plus fécond en conséquences
pratiques est. celui qui éclate entre notre loi territoriale et le
statut des indigènes. La législation algérienne établit sans
doute un partage entre les deux législations rivales, en
déterminant, d'une manière aussi précise que possible, la sphère
d'action de chacune d'elles. Mais, en dépit de cette sage
précaution, il s'en faut que toute chance de collision soit écartée.
C'est qu'en effet, même dans les matières qui relèvent en principe
du statut personnel musulman, l'application de ce statut peut
rencontrer une limite, soit dans la nationalité de la personne avec
laquelle contracte l'indigène, soit dans la nature ou l'objet de la
convention. Il en résulte que, dans nombre de cas, la ligne
séparative entre le domaine du droit musulman et celui du droit
français devenant des plus indécises, la question se pose du savoir
à laquelle des deux législations en présence, la prépondérance
doit être attribuée. Question d'autant plus ardue qu'il existe,
presque sur tous les points, une antinomie radicale entre les
principes de l'une et de l'autre loi.
(…)
§
3. Conflit de la loi française et du statut indigène.
(…)
Les indigènes musulmans de l'Algérie sont Français, ne l'oublions
pas ; comme tels, ils sont soumis en principe à l'autorité de la
loi française territoriale. Si, au point de vue de leur statut
personnel et de leurs successions, ils restent en possession des lois
et coutumes qui les gouvernaient avant l'annexion, c'est à titre de
pure exception, par l'effet d'une faveur que la France est libre de
leur retirer. Pour tous les Français de l'Algérie, indigènes ou
nationaux d'origine, il n'y a qu'une loi souveraine, à savoir la loi
française. Ainsi qu'on l'a fait justement observer, cette loi plane
à titre de règle au-dessus des exceptions et « s'étend partout où
une dérogation expresse nu principe de la territorialité ne lui
fait pas échec (81) ».
Ainsi,
tandis que la solution des conflits entre la loi française et la loi
étrangère a pour base juridique la doctrine de la personnalité du
droit, à l'inverse, c'est le principe de la territorialité de la
loi qui doit avoir la prépondérance dans l'appréciation des
difficultés qui naissent, en Algérie, de l'antagonisme du statut
indigène et de la législation française; c'est dans ce principe de
territorialité que réside le critérium du conflit législatif dont
nous allons poursuivre les plus intéressantes applications.
On
aperçoit immédiatement les conséquences de la proposition
doctrinale que nous venons de formuler. Puisque la coutume indigène
ne doit être envisagée que comme une exception à la loi
territoriale de l'Algérie, il s'ensuit nécessairement que, pour
toutes les matières non attribuées expressément au domaine du
droit indigène, c'est la loi française qui, seule, est applicable :
là, en effet, où l'exception ne peut plus être invoquée, la règle
reprend son empire. Il en résulte également que, même dans la
sphère d'application du droit indigène, s'il arrive que cette loi
soit muette ou prête à l'équivoque sur un point quelconque, le
juge ne doit pas hésiter à laisser de côté les théories du droit
musulman et à trancher par la loi française le différend dont il
est saisi. En d'autres termes, toutes les fois que la loi ou la
coutume indigène présente des lacunes ou de l'obscurité, c'est à
la loi territoriale qu'il appartient de subvenir à son insuffisance
et de la compléter. Tels sont, en quelques mots, les principes
théoriques qui nous paraissent devoir être appliqués à la
solution du conflit entre la loi française et le statut personnel de
nos sujets algériens.
Nous
connaissons déjà les limites du domaine réservé aux lois et
coutumes indigènes, Les Musulmans algériens conservent leur
autonomie législative au triple point de vue de leur statut
personnel, de leurs successions et de ceux de leurs immeubles dont la
propriété n'est pas encore établie par un titre français. En
dehors de ces cas limitativement énumérés par le décret du 17
avril 1889, la loi française reprend ses droits et le statut
musulman cède à la souveraineté de la loi territoriale.
Parmi
les matières qui sont du ressort de la loi indigène, figurent, en
première ligne, l'état et la capacité des personnes et les droits
de famille. Les Musulmans de l'Algérie, Arabes, Kabyles ou
Mozabites, restent soumis à leurs lois et coutumes respectives, pour
tout ce qui touche la capacité contractuelle et l'interdiction, la
tutelle, le mariage, la répudiation, la puissance paternelle et
l'autorité maritale, la condition de la femme mariée, la tutelle.
Ils continuent, en un mot, à relever de leur statut traditionnel, en
ce qui concerne la condition juridique de la personne considérée,
soit en elle-même, soit dans ses rapports avec la famille.
C'est
donc d'après la théorie islamique de l'interdiction que doit être
appréciée la capacité des indigènes arabes.
Rappelons
ici, en passant, que l'état de majeur ou de mineur n'a pas son
équivalent exact en droit musulman. Tant qu'il n'a pas atteint la
puberté, l'enfant mâle est privé, en principe, du droit de
disposer de sa personne et de ses biens (82), et l'interdiction, au
sens islamique du mot, résulte, non seulement de l'enfance, mais
encore de la prodigalité, de l'insolvabilité judiciairement
déclarée, et même de la simple maladie.
Quelque
éloignées qu'elles soient des principes de notre Code, toutes ces
règles si originales du droit islamique gardent leur autorité entre
indigènes musulmans et doivent être respectées par nos tribunaux.
Il ne faut donc pas s'étonner de voir la Cour de cassation française
déclarer, par application du droit musulman, que l'interdiction peut
être prononcée pour cause de prodigalité et que les actes passés
par le prodigue antérieurement à l'interdiction sont susceptibles
d'être annulés, dès lors que la cause d'interdiction existait
notoirement à l'époque où les actes ont été passés (83) En se
livrant de la sorte à l'interprétation de la loi islamique, la Cour
suprême consacre souverainement l'indépendance de nos sujets
algériens vis-à-vis de la loi territoriale, pour les questions qui
se lient à l'état des personnes et à leur capacité.
Le
mariage des indigènes musulmans et tous les rapports de famille dont
il est la source demeurent également sous l'empire de
la loi de Mahomet ou des coutumes locales. Ainsi, bien quo
l'article 340 de notre Code pénal punisse sévèrement le crime de
bigamie, il reste permis à nos sujets, Arabes ou Kabyles, de
pratiquer la polygamie dans la mesure autorisée par la loi
religieuse et, en conséquence, d'avoir à la fois jusqu'à quatre
femmes légitimes. Le père garde à l'encontre de ses enfants
l'odieux droit de djebr ou de contrainte matrimoniale : nubile
ou non, la vierge est « contraignable », à la seule condition,
assez illusoire, de ne pas être astreinte à un mariage
désavantageux. On verra bientôt que, par une sorte de jurisprudence
prétorienne, les tribunaux algériens ont essayé de restreindre
cette monstrueuse prérogative de la puissance paternelle. Il n'en
est pas moins vrai qu'en droit, sinon en fait, le viol légal de la
fille impubère fait partie intégrante des coutumes dont nous avons
garanti le libre exercice aux indigènes algériens.
Les
conditions de fond et de forme du mariage entre indigènes, ses
effets quant aux rapport. des époux entre eux et avec leurs enfants,
les conséquences qui en résultent au point de vue du régime des
biens des époux, les modes de rupture du lien conjugal, tout se
règle encore en Algérie conformément aux préceptes des quatre
rites orthodoxes ou des coutumes berbères. Bien que la toi française
du 23 mars 1882 impose aux nouveaux époux l'obligation de déclarer
leur union à la mairie, le mariage de nos sujets musulmans conserve
toujours son caractère essentiellement consensuel ; chez les Kabyles
du Djurdjura, il nous apparaît encore avec la physionomie archaïque
des temps barbares. La femme kabyle est une simple marchandise que
ses parents adjugent au plus offrant et que son mari lui-même revend
avec bénéfice dès que l'occasion s'en présente. À notre timide
théorie du divorce la loi musulmane continue à opposer la variété
presque infinie de ses formules de répudiation. Tantôt le mariage
se dénoue, comme il s'est formé, par khola ou consentement
mutuel ; tantôt le mari répudie de sa propre autorité la femme qui
a cessé de lui plaire. À cet égard, les Français musulmans de
l'Algérie n'ont que l'embarras du choix : la moubara, le
t'alak, le ila, le d'ihar, le lia'n
viennent à qui mieux mieux au secours du mari qui veut se défaire
de sa femme. Et, quoi qu'il puisse leur en coûter, nos magistrats ne
peuvent élever aucune critique contre la répudiation « par trois,
moins deux, moins un ». Il ne leur est pas permis d'ignorer que dire
à une femme : « Tu es répudiée par la moitié plus le tiers d'une
répudiation », c'est prononcer une répudiation simple, réservant
au mari le droit de se repentir d'un mouvement irréfléchi et de
reprendre sa femme.
Nous
n'insisterons pas autrement sur ces particularités du droit
islamique, car ce serait revenir sans profit sur les explications
présentées à ce sujet dans un de nos précédents chapitres. Ce
qu'il importe de retenir, c'est que, pour toutes les matières
ressortissant à l'état et à la capacité des personnes, le statut
personnel des indigènes algériens reste debout et met en échec le
droit français.
Mais,
comme nous l'avons déjà laissé pressentir, la loi territoriale
française, tout en respectant la coutume des Musulmans de l'Algérie,
n'a pas abdiqué son droit de contrôle et sa souveraineté. En
attendant le jour où il lui sera donné de régner en maîtresse sur
le territoire algérien, elle profite des lacunes, des incertitudes
et des obscurités du droit musulman pour intervenir dans les
applications de ce droit et en épurer la doctrine. Lorsqu'un conflit
de cette nature s'engage entre la loi française et la loi
personnelle des indigènes algériens, il est évident que la
prééminence appartient à la première. La raison juridique,
l'intérêt supérieur de la justice et de la civilisation exigent
que, dans toutes les questions où lu coutume musulmane se montre
muette ou insuffisante, la loi territoriale ait le dernier mot.
Un
premier et très significatif exemple du rôle que la loi française
est ainsi appelée à remplir dans le règlement des rapports
juridiques entre indigènes musulmans s'offre à notre examen en
matière d'aliments, On sait que, d'après les règles du rite
malékite, l'obligation alimentaire ne va pas au delà du premier
degré de la filiation. L'iman Malek et son docte continuateur, Sidi
Khalil, ont sans doute pensé que le principe de solidarité et
d'assistance mutuelle dont le Coran fait un devoir aux fidèles
n'a pas besoin, pour être obéi, des sanctions de la loi positive.
L'enfant ne doit donc aucun entretien à son aïeul ; le beau-père
et la belle-mère ne peuvent exiger des aliments de leur gendre ou de
leur belle-fille : le Code de Khalil est formel à cet égard (84)
et, en présence d'une disposition aussi catégorique, il ne saurait
être question de faire intervenir la loi française pour modérer la
rigueur de cette solution du droit musulman.
Mais
la situation change lorsque la question de la dette alimentaire se
pose entre Musulmans du rite hanéfite. L'iman Hanifa s'est montré
sur ce point moins explicite que Malek. Il ne décide pas
positivement si l'obligation d'entretien s'arrête oui ou non au
premier degré de la filiation. Doit-on, dans le doute, se référer
aux préceptes de l'école malékite ? La jurisprudence ne l'a pas
pensé. Il lui a paru, avec raison, que l'obligation alimentaire dont
les enfants et petits-enfants sont tenus envers leurs ascendants,
ayant son principe dans le droit naturel, ne peut être éludée par
les indigènes qu'en vertu d'une stipulation expresse de leur loi. La
loi hanéfite étant muette à cet égard, c'est le cas de revenir à
la règle générale inscrite dans les articles 205 et 206 du Code
civil, et de reconnaître qu'entre Hanéfites, l'obligation
alimentaire incombe, dans la mesure déterminée par notre loi, aux
petits-enfants, ainsi qu'aux gendres et belles-filles.
Un
procédé d'interprétation analogue a permis à la jurisprudence
algérienne de tempérer, dans une certaine mesure, l'exercice de ce
droit de djebr, qui entraîne des conséquences d'une si
révoltante immoralité. Nous avons vu que, dans la théorie du rite
malékite, la fille vierge, impubère ou pubère, est assujettie au
djebr et peut être mariée contre son gré, toutes les fois
que le mariage n'est pas de nature à lui causer un préjudice
appréciable. La loi des Hanéfites se montre plus respectueuse de la
personnalité humaine. Elle admet, pour les enfants des deux sexes,
arrivés à l'âge de la puberté, le droit de se marier de leur
libre consentement. Et, comme les Musulmans de l'Algérie ont la
faculté de choisir, pour le règlement de leurs rapports juridiques,
les prescriptions de l'un quelconque des quatre rites orthodoxes,
même dans le cas où ils n'en suivraient pas la règle religieuse,
la jurisprudence n'a pas hésité à s'arroger le même droit
d'option, dans l'intérêt de la morale et de l'humanité. Ne pouvant
couper à sa racine l'infâme pratique du djebr, qui se lie
intimement à la théorie islamique du mariage, elle s'est ingéniée
à modérer la rigueur de ce droit de contrainte, en faisant
prévaloir les préceptes de l'école hanéfite dans la solution des
litiges qui s'élèvent en cette matière, même entre Musulmans
malékites (85).
Ici
encore, la jurisprudence prend texte des contradictions et des
incertitudes de la loi musulmane pour se ranger à la doctrine qui
offense le moins principes de notre droit.
C'est
encore au sujet d'une des théories les plus étranges du mariage
musulman – nous voulons parler de la fiction de l'enfant endormi –
que l'affirme, à l'encontre du droit indigène, la prééminence de
la loi française. On sait en quoi consiste cette théorie (86). Chez
les Arabes comme chez les Kabyles, il est admis que la veuve peut,
aussitôt après avoir reçu le dernier soupir de son mari, se
déclarer enceinte d'un enfant endormi.
La
durée de cette prétendue gestation dépasse singulièrement le
terme fixé par la nature. L'enfant peut dormir plusieurs années
dans le sein de sa mère et, quelque prolongé que soit son sommeil,
il n'en est pas moins réputé enfant légitime du défunt. Mais
quelle sera la durée de
cette période d'attente ?
La
loi islamique se tait sur ce point et les docteurs musulmans ont
profité de son silence
pour donner libre carrière à leur génie fantaisiste. Tandis que
certains jurisconsultes n'accordent à l'enfant endormi que dix mois
de sommeil, d'autres, en plus grand nombre, prolongent jusqu'à
quatre ans, cinq et même sept années le temps de cette gestation
supposée. La coutume berbère va plus loin : elle consent à ce que
l'enfant reste endormi dans le sein de sa mère pendant une période
de temps illimitée. Il est évident que ces interprétations
contradictoires, qui n'ont aucun point d'attache avec les préceptes
dit Coran, ne sauraient mettre obstacle à l'application des
principes de notre droit. Aussi, la doctrine islamique de l'enfant
endormi a-t-elle définitivement succombé devant nos tribunaux (87).
Si le recours à la législation française s'impose, dans toutes les
circonstances où la loi musulmane n'a pas statué avec la précision
et la clarté nécessaire, à plus forte raison la loi territoriale
doit-elle l'emporter, lorsqu'elle entre en lutte, non plus avec une
règle positive du droit indigène, mais avec des opinions de
casuistes où il entre plus d'imagination que de
souci de la vérité juridique.
Jusqu'ici,
nous n'avons envisagé le conflit des lois française et indigène
qu'au point de vue de
l'état, de la capacité et des rapports de famille. Il nous reste à
rechercher comment ces deux statuts peuvent se disputer le terrain en
matière de contrats et
d'obligations conventionnelles. C'est là, sans contredit, une des
causes les plus actives du conflit législatif propre à l'Algérie.
Lorsqu'il
s'agit de conventions entre Musulmans du même rite, il va de soi
qu'il ne saurait y avoir place pour le conflit que nous avons en vue.
Tout se passe, dans ce cas, dans le champ clos de la législation
indigène. Capacité contractuelle, conditions de
validité du contrat, effets, modes de preuve, tout se
détermine et s'apprécie d'après les règles du droit islamique, si
les contrariants sont de race arabe, et conformément à la coutume
locale, s'ils sont de souche
kabyle.
Le
conflit qui nous occupe ne s'établit à proprement parler que dans
le cas où une même convention met en présence un Français ou tout
autre européen, et un indigène. Il n'y a plus alors de loi
personnelle commune, et il est cependant inadmissible, nous en avons
fait plus haut la remarque au sujet des étrangers, qu'une même
convention relève de deux lois, différentes. Il faut nécessairement
que l'une des deux législations se retire devant sa rivale, car
l'unité du contrat s'accommoderait mal d'un partage législatif.
Qui
l'emportera dans ce conflit, de la loi française ou du statut
indigène ? Appliquerons-nous ici, comme au sujet des conventions
entre Français et étrangers, la lex loci contractus,
c'est-à-dire la loi territoriale de l'Algérie ? La question n'a pas
toujours été uniformément résolue par la législation algérienne.
Dans le principe, il parut préférable d'abandonner la solution de
la difficulté à la sagesse des tribunaux.
L'ordonnance
du 10 août 1834 et, après elle, celle du 26 septembre 1842
exprimaient, en effet, que, dans les contestations entre Français ou
étrangers et indigènes, la loi française ou celle du pays serait
appliquée, selon la nature de
l'objet en litige, la teneur de la convention et, à défaut
de convention, selon les circonstances ou l'intention présumée des
parties.
C'était,
en somme, subordonner l'application de la loi française à de pures
appréciations de fait. Les particularités variables de chaque
espèce jouaient un rôle prépondérant dans le règlement du
conflit, faisant tour à tour pencher la balance, soit du côté de
la loi territoriale, soit en faveur du statut musulman.
À
ce système hybride, qui laissait à l'interprétation une trop large
place, la loi du 16 juin 1851 porta une première et sensible
atteinte. En effet, l'article 16 de cette loi, après avoir maintenu
les transmissions de biens entre Musulmans sous l'autorité de la loi
islamique, dispose qu' « entre toutes autres personnes » elles
seront régies par le Code civil. Par l'effet de ce texte, les
transactions immobilières entre indigènes et Français furent
soustraites au régime de l'ordonnance de 1842 et rentrèrent dans le
domaine exclusif du droit français. À son tour, la loi du 26
juillet 1873, renchérissant sur la loi de
1851, assujettit expressément à la loi française, non
seulement les conventions immobilières entre individus de
statut différent, mais encore et d'une manière générale,
toute transmission contractuelle d'immeubles et de droits immobiliers
en Algérie « quels que fussent les propriétaires », par
conséquent abstraction faite de leur qualité d'indigènes ou
d'Européens (88).
On
le voit, les lois de 1851 et de 1873 élargissaient, dans une très
appréciable mesure, la sphère du droit français en matière de
contrats. Elles n'affirmaient toutefois la suprématie de la loi
territoriale que relativement aux transactions immobilières. En ce
qui concerne les conventions purement mobilières, elles laissaient
les choses en l'état. Pour les obligations et contrats de cette
dernière catégorie, la règle d'interprétation posée par
l'ordonnance de 1842 restait toujours debout.
Il
est vrai que le décret du 13 décembre 1866, sur l'organisation des
tribunaux indigènes, en restreignant par son article 1er
l'application du statut musulman aux conventions civiles et
commerciales entre indigène, autorisait à conclure à contrario,
que tout contrat intervenu entre un indigène et un Français serait
du ressort exclusif de la loi territoriale. D'autre part, un décret
du 27 août 1874 sur la justice en Kabylie, portait expressément que
« les tribunaux de Tizi-Ouzou et de Bougie et les juges de paix de
leurs ressorts, statuant sur les actions civiles et commerciales,
autres que celles qui intéressent exclusivement les indigènes
kabyles ou arabes, appliqueraient la loi française » (89). Mais
cette disposition n'étendait pas son action au delà du territoire
de la Kabylie. Quant à
l'argument à contrario que fournissait la formule restrictive
du décret du 13 décembre 1866, il ne pouvait, quelle qu'en fût la
valeur, prévaloir contre la disposition de l'ordonnance du 20
septembre 1842, dont aucun acte législatif n'avait encore prononcé
l'abrogation.
Les
tribunaux algériens continuèrent donc, après comme avant les
décrets de 1866 et de 1874, à appliquer, en dehors du territoire
kabyle, aux conventions mobilières et aux obligations purement
personnelles entre Français et Musulmans, le régime mixte organisé
par l'ordonnance du 1842. En cette matière, la loi musulmane et la
loi territoriale gardèrent leurs positions respectives, ayant
alternativement la prééminence, suivant que les circonstances de la
cause inclinaient en faveur de l'une ou de l'autre l'interprétation
des magistrats. Sous l'empire de ce système, et à une époque
relativement récente, il a été jugé maintes fois que les
tribunaux, saisis d'un litige sur les conditions et l'exécution d'un
marché verbal entre un Français et un indigène, puisent dans
l'article 37 de l'ordonnance de 1842, la faculté d'appliquer la loi
musulmane, et, par suite, d'accueillir la preuve testimoniale de ce
marché, même dans le cas où le Code français la prohibe, par
exemple, lorsque l'intérêt pécuniaire engagé dans le procès est
supérieur à 150 francs (90).
Mais,
depuis lors, les tribunaux algériens se sont vu dessaisir du droit
d'option que leur avait attribué l'ordonnance de 1842. Le décret du
17 avril 1889 sur la justice musulmane abroge, en effet, expressément
sur ce point l'article 37 de cette ordonnance, et limite
l'application de la loi indigène aux matières énoncées dans son
article 1er, à savoir aux contestations entre Musulmans,
relatives au statut personnel, aux successions et aux immeubles non
pourvus d'un titre français. Par suite de cette abrogation partielle
de l'ordonnance de 1842, la loi française s'annexe définitivement
toutes les conventions, mobilières ou immobilières, qui se forment
entre Français et indigènes. Désormais, pour ces contrats, il n'y
a plus à rattacher la solution du conflit législatif aux
circonstances du procès et à l'intention présumée des parties
contractantes : ce conflit, l'acte législatif du 17 avril 1880 le
règle souverainement et une fois pour toutes on faveur de la loi
territoriale. C'est cette loi, à l'exclusion du statut islamique,
qui déterminera la nature et l'étendue des rapports juridiques que
la convention fait naître entre l'indigène et son cocontractant
européen. Les seules conventions qui, aujourd'hui, échappent à la
souveraineté de la loi française, sont celles qui interviennent, en
matière personnelle ou mobilière, entre indigènes musulmans. Dès
qu'un Français ou tout autre Européen entre en scène, la loi
islamique se retire et cède la place à notre Code civil.
Il
est toutefois un élément juridique de la convention entre Français
et indigènes qui résiste à l'action de la loi française : nous
voulons parler de l'état et
de la capacité contractuelle de l'indigène. Sur ce point, le statut
personnel musulman ne saurait être mis en échec par la loi du
contractant français.
Ainsi,
lorsque la femme d'un Musulman aliène au profit d'un Français ses
effets dotaux (91), l'application de la loi française au contrat
n'implique nullement pour la venderesse l'obligation de
se pourvoir de l'autorisation maritale dont elle est dispensée
en droit islamique. De même encore, la procuration générale ou
fiduciaire (niaba) donnée par un Musulman, emportant pour le
mandataire pouvoir d'aliéner (92), la vente que celui-ci
consentirait à un Européen, bien que régie par la loi française,
échapperait, selon nous, à la disposition finale de l'article 1988
du Code, qui exige en pareil cas un mandat exprès (93). Il convient
cependant de noter qu'en matière de
transactions immobilières, la législation algérienne barre
la route aux causes de résolution quelconques, fondées sur le droit
musulman et incompatibles avec les principes de notre Code,
spécialement aux causes de nullité résultant de l'insuffisance des
pouvoirs des cadis, maris, pères, frères et chefs de famille
ayant stipulé pour autrui sans mandat régulier (94).
La
capacité générale ou spéciale requise chez le Musulman indigène
pour intervenir au contrat doit donc être appréciée d'après sa
loi personnelle, même dans le cas où la nationalité française de
l'autre contractant entraîne l'application des règles de
notre Code. Pour tout le reste, la convention formée entre Français
et Musulmans, est régie par la loi territoriale. Par conséquent,
l'acte devra satisfaire aux conditions de forme requises par le Code
civil et par la loi algérienne, soit en vue, d'assurer la libre
expression de la volonté des parties, soit en vue d'en faciliter la
preuve. C'est encore par les principes de la loi française que nous
réglerons la nature et les effets du contrat, que nous mesurerons
l'étendue des obligations respectives des parties, leur objet, leurs
modalités, les conditions, suspensives ou résolutoires, les causes
d'annulation ou de rescision dont elles peuvent être affectées. Les
règles de notre Code
détermineront également l'interprétation des clauses douteuses ou
obscures de la convention.
Ainsi
donc, en matière de contrats et d'obligations conventionnelles,
l'application du statut personnel des indigènes musulmans rencontre
dans la nationalité française de l'un des contractants une première
et notable limitation.
Une
seconde restriction à la doctrine de la personnalité du droit
musulman en Algérie résulte de la faculté d'option accordée aux
indigènes. Le maintien de leurs lois et coutumes traditionnelles est
une concession gracieuse du vainqueur, une pure faveur à laquelle
ils sont libres de renoncer, à propos d'une convention déterminée,
pour se placer sous l'égide de la loi française. Nous avons défini
précédemment le caractère et les effets de cette option de
législation. Qu'on nous permette de nous référer à ces
explications.
L'exposé
des règles relatives à la condition juridique des indigènes
algériens nous a conduit à signaler plus haut le très intéressant
conflit législatif qui se produit, lorsqu'un indigène marié et
père de famille se fait naturaliser au cours de son mariage. Par
quelle loi seront régis désormais les rapports que le mariage a
fait naître entre l'indigène naturalisé citoyen français et sa
femme musulmane ? La naturalisation est-elle personnelle à
l'indigène qui l'obtient, ou, au contraire, produit-elle des effets
collectifs, s'appliquant de plein droit à la femme et aux enfants
mineurs du bénéficiaire ? Nous avons déjà répondu à ces
questions, dans le chapitre consacré à la naturalisation des
indigènes. Nous n'avons pas à y revenir.
La
naturalisation des indigènes musulmans suscite, en matière de
succession, un autre cas de conflit que nous nous réservons
d'examiner lorsque le moment sera venu de traiter des divers conflits
de lois relatifs au régime des biens.
En
terminant, faisons remarquer que l'indigène musulman non naturalisé
conserve, à l'étranger comme en Algérie, le bénéfice de son
statut d'origine ; il a, dès lors, le droit d'y pratiquer la
répudiation islamique et la polygamie, qui lui sont permises en
Algérie (95).
Notes
(1)
Décret du 7 octobre 1871, Journal officiel du 9 octobre (…).
(2) Article
1 § 3, et 2, § 3 du sénatus-consulte.
(3) Article
1, § 2 du sénatus-consulte de 1865.Les conditions de l'engagement
dans les corps indigènes sont réglées par l'article 8 du décret
du 21 avril 1866.
(4)
Peuvent être inscrits sur la liste des électeurs municipaux les
indigènes musulmans âgés de 25 ans, ayant une résidence de deux
années consécutives dans la commune, à la condition d'être :
propriétaire foncier ou fermier d'une propriété rurale ; ou
membre de l' État, du département, de la commune ; ou membre
de la Légion d'honneur, décoré de la médaille militaire, d'une
médaille d'honneur, d'une médaille commémorative ou titulaire
d'une pension de retraite (article 2 du décret du 7 avril 1884).
(5)
Décret du 7 avril 1884, articles 3 et4.
(6) Décret
du 23 septembre 1875, articles 1er et 5 ; Journal
officiel, 26 septembre 1875.
(7)
Article 1er du décret du 13 décembre 1866 in Ch.-L.
Pinson de Ménerville, Dictionnaire de la législation algérienne,
3e volume, A. Jourdan, Alger ; Durand, Cosse et Marchal,
Challamel, Paris, p. 200 ;
Cf. décret du 29 août 1874 concernant la Kabylie, articles 2
et 3.
(8)
L. Dunoyer, Étude sur le conflit de lois spécial à l'Algérie,
Pedone-Lauriel, Paris, 1888, p. 208.
(9)
F. Charvériat, Huit Jours en Kabylie : à travers la Kabylie et
les questions kabyles, E. Plon, Nourrit et Cie, Paris,
1889, p. 123-124.
(10)
En ce sens, proposition de loi de MM. Michelin et Gaulier, Journal
officiel, 1888, Documents parlementaires, Chambre, p. 106,
annexe n°297 ; – Proposition de loi de M. Martineau, en date
du 21 juillet 1890, Journal officiel de 1890, Documents
parlementaires, Chambre, p. 1625, annexe n°857.
(11)
André Weiss, Traité élémentaire de droit international privé,
t. I : De la nationalité, p. 402.
(12)
On pourrait rechercher ici quelle est, au point de vue de la
nationalité, la situation des personnes nées en Algérie de
Musulmans étrangers. Doit-on leur appliquer la disposition de la loi
du 26 juin 1889, suivant laquelle tout individu né en France d'un
étranger et qui, à l'époque de sa majorité, y est domicilié, est
Français de droit, à moins qu'il ne décline le bienfait de notre
nationalité ? En principe, et à ne consulter que le texte de
la loi de 1889, c'est l'affirmative qui devrait être décidée,
puisque, dans notre hypothèse, Il s'agit bien, non pas d'un indigène
algérien au sens spécial de ce mot (...), mais d un étranger né
sur notre territoire. Cette solution est cependant discutable. Il
peut paraître peu conforme à l'esprit de notre législation
algérienne de mieux traiter le Musulman étranger que le Musulman
indigène, et le reconnaître au premier des droits qui sont déniés
au second. Spécialement, en ce qui concerne les Musulmans venus de
la Tunisie ou du Maroc, i1 nous semble difficile d'admettre que ces
immigrants, assimilés aux indigènes algériens sous le rapport des
droits civils, soient soumis à un régime différent quant à
l'acquisition de la nationalité française. Ces considérations nous
porteraient à penser que les enfants de ces immigrants, nés sur le
territoire de l'Algérie, sont, comme les indigènes algériens, dont
ils partagent la condition juridique, exclus de l'application de la
loi du 18 juin 1889 et ne peuvent obtenir droit de cité qu'en se
faisant naturaliser conformément aux dispositions du
sénatus-consulte de 1865.
(13)
Voir sur l'histoire de la civilisation musulmane : G. Lebon, la
Civilisation des Arabes,
Firmin-Didot, Paris, 1884, in-4° ; E. Renan, l'Islamisme
et la science,
Calmann-Lévy, Paris, 1883, in-8° ; Rafael Contrebas, Estudio
descriptivo de los monumentos árabes de Granada, Sevilla y
Córdoba : ó sea La Alhambra, El Alcázar y La Gran Mezquita de
Occidente,
Establ. Tip. de Ricardo Fé, Madrid, 1885.
(14)
Cela n'est vrai qu'en théorie, du moins pour les Arabes algériens.
Ainsi qu'on le verra bientôt, le cheik de la ferka, le
caïd de la tribu, reçoivent l'investiture de l'autorité
française.
(15)
Deux tribus du Nedjeb, les Abs et les Dhobyas ne firent la guerre
pendant quarante ans, à la suite d'une dispute sur les mérites
comparés de la jument Ghabra et du cheval Dahis.
(16)
Thadjemaïth, en langue kabyle.
(17)
A. Hanoteau et A. Letourneux, La Kabylie et la coutumes kabyles,
t. II, imprimerie nationale, 1873, p. 469.
(18)
Cour de cassation (chambre criminelle), 10 mars 1865.
(19)
Décret du 11 septembre 1873, article 5.
(20)
V. infrà, IIe partie.
(21)
H. Sumner Maine, Études
sur l'ancien droit et la coutume primitive,
trad. de l'anglais par René de Kérallain, E.
Thorin, Paris, 1884, p. 314.
(22)
J. Michelet, Origines du droit français
cherchées dans les symboles et formules du droit universel,
L. Hachette, Paris, 1837,
p. 2l.
(23)
Dans la deductio, le jeune homme prenait la fiancée dans ses
bras et franchissait, avec ce doux fardeau, le seuil de sa maison.
(24)
Le mariage par achat était, à l'origine, d'un usage presque
universel. L'Iliade dit textuellement que les vierges rapportaient
des bœufs à leurs parente (αλφεσιβοια:) ce qui ne
peut s'entendre que d'un prix nuptial. Aristote affirme que les
anciens Grecs achetaient les femmes (εωυοῦντο ;
Politique, II, 8). La loi romaine avait gardé l'image de
l'achat primitif dans le mariage ex coemptione. Dans l'Inde
antique, le mariage par achat offrait deux formes distinctes : «
azura » et « arscha ». (M. Kovalevsky, Tableau
des origines et de l'évolution de la famille et de la propriété,
Samson et Wallin, Stockholm, 1890, p. 42).
Cette coutume était générale chez les peuples de la Germanie et
chez les Scandinaves. Les lois saxonne et burgonde (Lex
Burgundionum, tit. XLVI) comme les chants de l'Edda,
mentionnent fréquemment l'achat de la femme, l'or apporté par le
fiancé. On en retrouve le souvenir dans le mariage per solidum et
denarium des Francs. Au XIe siècle, en France,
c'était une locution courante de dire qu'un père achetait une fille
pour son fils (Gaston Paris, La vie de Saint Alexis, F.
Vieweg, Paris, 1885, p. 2, vers 40).Voir
Ch. Letourneau, Évolution du mariage et de la famille, A.
Delahaye et É. Lecrosnier, Paris, 1888, passim ; d'Arbois de
Jubainville, « L'achat de la femme demi la loi irlandaise »,
Revue celtique, t. III, 1876-1878, F. Vieweg, Paris ;
Trübner and C°, Londres, p. 361 ;
Dareste, « Anciens codes brahmaniques et coutumes des
Ossètes », Journal des savants, Imprimerie nationale,
Paris, 1884, p. 47,
310- 311, 376 ;
1887, p. 283 ;
L. Beauchet, Formation et dissolution du mariage dans le droit
islandais du Moyen Âge, Larose et Forcel, Paris, 1887, p. 3 et
4.
(25)
Toutefois, dans quelques villages, la veuve qui a des enfants mâles
peut, en vivant auprès d'eux, se refuser à ua nouveau mariage. Il
en est ainsi notamment chez les Iâzzousen Bouadda.
(26)
Un mulet se vend, en Kabylie, jusqu'à 600 francs, Charvériat, op.
cit., p. 173.
(27)
Voir, pour plus de développements, Hanoteau et Letourneux, op.
cit., p. 152
et suiv.
(28)
V. sur ce point, Kovalevsky, op. cit., p. 30
; G. A. Wilken, Das Matriarchat (das Mutterrecht) bei den alten
Arabern, Otto Schulze, Leipzig, 1884, d'après Ammien Marcellin,
XIV,
4.
(29)
V. É. Sautayra et E. Cherbonneau, Droit musulman, du statut
personnel et des successions, vol. II, p. 76, n°573.
(30)
V. E. Zeys, Traité élémentaire de droit musulman algérien
(malékite), tome I, Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 12
et suiv. ; Sautayra et Cherbonneau, op. cit., II. p. 60.
(31)
La consommation physique résulte, soit de la cohabitation, soit de
certains faits considérés comme les équivalents de cette
cohabitation, par exemple lorsque, dans la tente, on a laissé tomber
sur les nouveaux époux le rideau qui sépare la couche des femmes de
celle des hommes ; lorsque la femme a habité pendant un an, à
partir de -la puberté, la maison de son mari, etc...
(32)
Ces conditions sont : le contentement, – la présence de deux
témoins, – la constitution d'une dot, – l'absence de tout
empêchement – et la consommation physique.
(33)
Frédéric Le Play, Les ouvrier d'Orient et leurs essaims de la
Méditerranée, coll. « Les ouvriers européens »,
tome II, 2e édition, Alfred Mame et fils, Tours ; Dentu, Paris,
1877.
(34)
M. Kovalevsky, op. cit., p. 101
et suiv.
(35)
V. à cet égard, F. Charvériat, op. cit., p. 178.
(36)
F. Charvériat, op. cit., p. 179,
note 2.
(37)
Par exemple, ci le mari se livre à des violences sur la personne de
sa femme; s'il lui donne une rivale, alors qu'il s'était engagé à
rester monogame.
(38)
Nous ne passons pas en revue, bien entendu, tous les modes
particuliers de répudiation imaginés par le législateur de
l'Islam, tels que la moubara, le lia'n, etc. Des
explications à cet égard nous entraîneraient trop loin et seraient
d'ailleurs sans grand intérêt au point de vue de cette étude, dont
l'objet est de mettre en relief le rôle joué par la femme dans
l'acte juridique de la répudiation.
(39)
F. Charvériat, op. cit., p. 177.
(40)
Coran, sourate IV, v. 23.
(41)
E. Zeys, op. cit., p. 25.
(42)
Charvériat, op. cit., p. 179,
note 2.
(43)
H. Sumner-Maine, L'ancien droit considéré dans ses rapports avec
l'histoire de la société primitive et avec les idées modernes,
traduit par Courcelle-Seneuil, A. Durand et Pedone Lauriel,
Guillaumin et Cie, Paris, 1874, p. 145.
(44)
Les lois de Manou, livre V, 147
et 148. Les lois grecques disent la même chose (Démosthène, In
Onctorem, I, 7 ; In Eubulidem, 40 et 41).
(45)
Coran, sourate XLIII, v. 16
(46)
V. les décisions citées en ce sens par MM. Sautayra et Cherbonneau,
op. cit., p. 77.
(47)
Coran, les femmes, ch. IV. vers. 18 et 88.
(48)
É. Villot, Mœurs, coutumes et institutions des indigènes de
l'Algérie, Adolphe Jourdan, Alger, 1888, 3e édit., p. 112.
En ce sens Zeys, op. cit., p.
90.
(49)
et (50) F. Charvériat, op. cit., p. 181
et 183.
(51)
J.-M. Lehuërou, Histoire des institutions carolingiennes et du
gouvernement des Carolingiens, tome II, Joubert, Paris, 1843, p
39
; P. Viollet, Précis de l'histoire du droit français, L. Larose et
Forcel, Paris, 1886, p. 422.
(52)
L' aïdda est le laps de temps pendant lequel le mariage est
interdit à la femme veuve ou répudiée. L' aïdda de
répudiation est de trois mois ; l' aïdda de mort dure
quatre mois et dix jours.
(53)
A. Hanoteau et A. Letourneux, op. cit., p. 188.
(54)
J. F. Behrend (éd.) et A. Boretius (éd.), Lex Salica, tit.
XLIV, J. Guttentag, Berlin, 1874, p. 57 et suiv.
(55)
Cet usage existait chez les Hindous nous le nom de n[i]yoga.
Il y avait reçu une extension particulièrement révoltante :
l'enfant engendré à la requête de l'époux vivant, sur sa femme,
était censé lui appartenir (Gautama, XVIII, II). – V. sur le
lévirat et la fille épiclère du droit d'Athènes et de Sparte : E.
Caillemer, Le droit de succession légitime à Athènes, coll.
« Études sur les antiquités juridiques d'Athènes », E.
Thorin, Paris ; F. Leblanc-Hardel, Caen, 1879, p. 36
et 44
– Claudio Jeannet, Les institutions sociales et le droit civil à
Sparte, Durand et Pedone Lauriel, Paris, 1873, partie IV, p. 103
; – P. Gide, Étude sur la condition privée de la femme dans le
droit ancien et moderne et en particulier sur le sénatus-consulte
velléien 2e édition, L. Larose et Forcel, Paris, 1885, p. 50,
57
et 78
; – H. Sumner Maine, Études sur l'ancien droit et la coutume
primitive, trad. de l'anglais par René de Kérallain, E. Thorin,
Paris, 1884, p. 138
et suiv ; – R. Dareste, Étude d'histoire du droit, L.
Larose et Forcel, Paris, 1889, p. 25
; – R. Dareste, « Loi de Gortyne », Nouvelle revue
historique de droit français et étranger, 10e année,
L. Larose et Forcel, Paris, 1886, p. 258,
note n° 26, et p. 263.
(56)
Cour d'Alger, 16 avril et 13 novembre 1861 ; E. Robe, Journal
de la jurisprudence de la Cour impériale d'Alger, 3e
volume, Alger, 1861, p. 102.
(57)
Nous attachons ici au mot « fornication » sa
signification islamique.
(58)
H. Sumner Maine, op. cit, p. 140.
(59)
H. Sumner Maine, op. cit, p. 150.
(60)
Nous ne faisons que traduire ici l'adage célèbre : Mulier est
finis familiæ.
(61)
Pour Rome, la question est discutée. – Consultez : R. Dareste,
Étude d'histoire du droit, L. Larose et Forcel, Paris, 1889,
p. 74
; – E. Caillemer, Le droit de succession légitime à Athènes,
coll. « Études sur les antiquités juridiques d'Athènes »,
E. Thorin, Paris ; F. Leblanc-Hardel,
Caen,
1879 ; – Claudio Jeannet, Les institutions sociales et le droit
civil à Sparte, Durand et Pedone Lauriel, Paris, 1873, partie
IV, p. 75
; – N. D. Fustel de Coulanges, La cité antique : étude
sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome,
4e édition, Hachette, Paris, 1888, p. 78 ; – James Muirhead,
Introduction historique au droit privé de Rome, traduction de
G. Bourcart, A. Durand et Pedone-Lauriel, Paris, 1889, p. 56,
note 4.
(62)
J. Merkel (éd.) et J. Grimm (éd.), Lex Salica, W. Hertz,
Berlin, 1850, p. 33, tit. LIX, 5 ; Lex Burgundionum, tit. XIV,
§ 1 ; Lex Ripuaria, tit. LVI ; Loi des Thuringes,
tit. VI, § 1. Comp. nos anciennes coutumes, réduisant le droit des
filles nobles à la dot d'un simple « chapel de roses » (Coutumes
d'Anjou, de Touraine, art 284 ; Ch. Giraud, Précis de
l'ancien droit coutumier français, Auguste Durand, Paris, 1852,
p. 45).
(63)
Voir le texte de cette délibération aux annexes du livre de MM. A.
Hanoteau et A. Letourneux, La Kabylie et la coutumes kabyles,
t. III, Augustin Challamel, Paris, 1893, p. 451
et 452.
(64)
La kharouba et le village sont actuellement remplacés par le
domaine de l'État (Beït-el-mal). Ajoutons qu'en droit
kabyle, la dévolution entre parents a lieu à l'infini.
(65)
Hanoteau et Letourneux, op. cit., II, p. 283,
note 3.
(66)
La réserves sont : de la moitié, du quart, du huitième, des deux
tiers, du tiers et du huitième de la succession.
(67)
On traduit d'ordinaire le mot açeb par « héritiers
universels. » ; mais nous croyons avec M. Zeys que cette expression
a son équivalent exact dans celle d'« agnat » empruntée
au droit romain (E. Zeys, Traité élémentaire de droit musulman
algérien (malékite), tome II, Adolphe Jourdan, Alger, 1886, p.
256).
(68)
Dans le rite malékite, le droit de succession des collatéraux ne
s'étend qu'au sixième degré ; chez les hanéfites, la qualité
d'açeb appartient à tous les parents mâles, à quelque
degré qu'ils soient du défunt.
(69)
Délimitation de la tribu des Cheffia (rapport et arrêté du 11 août
1892, Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie,
1289, n° 1274, p. 1149).
(70)
Id., tribu des Guerbès (rapport et arrêté du 9 juin 1892,
Bulletin officiel du gouvernement général de l'Algérie,
1892, n° 1269, p. 983.
(71)
H. Sumner Maine, op. cit., p. 177.
(72)
Le fâth'a est la première sourate du Coran.
(73)
Loi du 26 juillet 1873, article 17.
(74)
A. Burdeau, Rapport sur le budget de l'Algérie pour 1892, p.
116.
(75)
Annexe du procès-verbal de la séance du 18 mars 1880, n° 2469, p.
2.
(76)
La loi parle des divorces entre Musulmans : il eût été plus
juridique de se servir du mot « répudiation ».
(77)
Circulaire du 29 mai et du 26 juillet 1875 ; circulaire du 22 juillet
1876.
(78)
Il en serait autrement, si les futurs époux contractaient mariage
devant l'officier de l'état civil français.
(79)
Exactement 1 981 286 (Rapport de la Commission du budget de 1893,
p. 142).
(80)
Rapport de la Commission du budget de 1893, loc. cit.
(81)
L. Dunoyer, op. cit., p. 7 et 41.
(82)
Si l'impubère a disposé de ses biens à titre onéreux, le tuteur
est libre de rompre ou de respecter le contrat. Si le tuteur ignore
l'acte de disposition ou s'abstient d'intervenir, l'enfant peut, au
sortir de l'interdiction, annuler ou maintenir la convention.
Ajoutons que l'impubère a la faculté de tester. (V. E. Zeys, Traité
élémentaire de droit musulman algérien (malékite), tome I,
Adolphe Jourdan, Alger, 1885, p. 100.)
(83)
Cour de Cassation, 11 mai 1886, Sirey, 90, 1, 325 [= Recueil
Sirey
ou Recueil général des lois et des arrêts,
fondé par J.-B. Sirey, Paris, 1890, 1ère partie, p. 325]
(84)
E. Zeys, op. cit., p. 28.
(85)
Cour d'Alger, 3 février 1871, E. Robe, Journal de la
jurisprudence de la Cour impériale d'Alger, Alger, 1871,
p. 279.
(86)
V. supra.
(87)
Cour d'Alger, 16 avril et 13 novembre 1861 ; E. Robe, Journal
de la jurisprudence de la Cour impériale d'Alger, 3e
volume, Alger, 1861, p. 102.
(88)
Art. 1 et 2, Loi du 26 juillet 1873.
(89)
Article 1er.
(90)
Cour d'Alger, 11 janvier 1879 et 26 décembre 1884, E. Robe, Journal
de la jurisprudence de la Cour d'appel d'Alger, Gojosso et Cie,
1878, p. 29 et 371 ; 1885, p. 99.
(91)
On sait que la femme musulmane garde la propriété de sa dot et
qu'elle peut en disposer, sans l'autorisation de son mari, à titre
onéreux, et à titre gratuit par tiers successif.
(92)
Mais le mandataire ne doit pas agir contre l'intérêt du mandant.
Fût-il investi du pouvoir le plus général, il ne saurait lui
appartenir, « de répudier la femme du mandant, de marier sa fille
vierge, de vendre la maison qu'il habite » (E. Zeys, Traité
élémentaire de droit musulman algérien (malékite), tome II,
Adolphe Jourdan, Alger, 1886, p. 9).
(93)
Cour d'Alger, 10 août 1844, Ch.-L. Pinson de Ménerville,
Jurisprudence
de la Cour impériale d'Alger en matière civile et commerciale,
1834-1854, Madame Philippe, Alger ; A. Durand, Paris, 1855,
p. 243
et 244.
(94)
Loi du 26 juillet 1878, article 1er ; ordonnance du
1er octobre 1844, art 1er.
(95)
En ce sens, lettre du ministre de la Justice du 13 novembre 1871, L.
Béquet et M. Simon, Répertoire du droit
administratif : Algérie
– Gouvernement – administration – législation,
tome II, Paul Dupont, Paris, 1883, n° 708,
note 4.
Référence
Emmanuel
BESSON,
La
législation civile de l'Algérie. Étude sur la condition des
personnes et le régime des biens en Algérie,
Chevalier-Marescq et Cie
éditeurs, Paris, 1894, p. 68-155.
Les notes et références bibliographiques ont été complétées et corrigées par l'auteur de ce blog.
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