On trouvera ci-dessous un rapide exposé du panthéisme par un prêtre de la fin du dix-neuvième siècle qui en fait, bien évidement, la critique.
I.
— Notion du panthéisme. — Le panthéisme est l'erreur
de ceux qui, niant la distinction substantielle de l'Être nécessaire
et des êtres contingents, enseignent que Dieu, c'est l'universalité
même des êtres existants et possibles. D'après eux, seule la
substance divine existe et peut exister. Ce qu'on appelle la nature
ou le fini n'est autre chose que les divers modes de la substance
divine. Cette substance et ses modes, qui en sont comme les
épanouissements, ne constituent qu'un seul être complet et entier,
qui est Dieu. Tenter de séparer ces deux choses, ce serait rendre
tout inexplicable : la substance n'est pas sans ses modes, et les
modes exigent la substance.
On
le voit, la tentative du panthéisme est d'identifier
scientifiquement le nécessaire et le contingent, l'infini et le
fini, la cause première et ses effets, Dieu et le monde, pour n'en
former qu'un seul être substantiel, avec des évolutions
incessantes, qui sont comme le rayonnement permanent de sa substance
infinie.
II.
— Principales formes du panthéisme. — Le panthéisme a
revêtu diverses formes, selon les développements de l'esprit
humain, et c'est ce qui explique, en partie du moins, la facilité
toujours croissanté avec laquelle cette erreur s'est accréditée,
malgré son énormité. On en compte trois principales, qui sont
connues sous les noms d'émanatisme, de formalisme et d'idéalisme.
III.
— Émanatisme. — La forme la plus ancienne sous laquelle le
panthéisme s'est produit, c'est l'émanatisme ou l'émanation. On le
trouve sous cette forme, bien qu'à des degrés différents, dans la
plupart des systèmes philosophiques et des traditions religieuses
des Orientaux, des Égyptiens et des Grecs.
D'après
les enseignements de l'émanatisme, ce n'est pas par un acte de sa
volonté libre que Dieu a produit le monde. Il l'a produit, non en le
tirant du néant, mais en le faisant sortir de sa propre substance
inépuisable. Tous les êtres ne sont qu'un écoulement ou une
expansion de l'essence divine, qui s'étend et se développe par de
successives émanations. Cette première sorte de panthéisme a été
formulée d'une manière plus régulière et plus savamment
sophistique par les philosophes d'Alexandrie.
IV.
— Formalisme. — Le formalisme, appelé aussi panthéisme
d'immanence, est un raffinement du grossier panthéisme de
l'émanation. Il ne se borne pas, comme ce dernier, à admettre
l'unité de la substance, mais il rejette toute distinction réelle
entre les individualités qui composent l'univers, pour ne
reconnaître entre elles qu'une distinction de formes, sur un même
fond commun. Ce fond, c'est la substance divine, cachée sous ces
formes, substance toujours une, mais multiple dans ses
épanouissements.
La
théorie du formalisme a été nettement exposée par Spinoza, dans
le Traité Théologico-Politique et dans la Morale
géométriquement démontrée. D'après ce philosophe, il
n'existe qu'une substance indivisible, éternelle, infinie,
nécessaire. Mais celle substance a deux attributs essentiels, la
pensée et l'étendue, qui se développent en deux séries parallèles
de phénomènes ou modes variés. Ces modes, ce sont les esprits et
les corps, qui forment comme les deux aspects inséparables d'une
même existence. L'homme est dans l'univers comme un rouage dans un
mécanisme immense, ou plutôt comme un membre dans un organisme où
tout se tient. Ce qu'on appelle liberté est une chimère. La nature
de Dieu ost d'agir avec une nécessité absolue, qui constitue sa
volonté même. Fénelon a fait ressortir les absurdités d'un tel
système et les a savamment réfutées dans le Traité de
l'Existence de Dieu.
V. — Idéalisme. — Le panthéisme idéaliste, dont on trouve des traces parfaitement accusées dans la doctrine de quelques philosophes de l'antique Grèce, a reçu sa forme actuelle des philosophes de l'Allemagne, tout particulièrement de Fichte, de Schelling et de Hegel. Ce mouvement de la philosophie allemande vers le panthéisme avait été préparé par le scepticisme de Kant, qui, en détruisant l'objectivité de la raison pure, fait de la connaissance une forme de l'esprit, quelque chose de subjectif et d'idéal.
1° Notion générale de l'idéalisme. — Le point de départ de l'idéalisme n'est pas la substance, comme dans le spinozisme, mais l'être, qu'il entend à sa manière et qu'il appelle de divers noms, le moi, l'absolu, l'idéal. Il en vient à l'effrayante confusion de l'être et du néant, et à faire de Dieu le devenir, se développant nécessairement jusqu'à ce qu'il soit ce qu'il doit être.
Le
but général de cette école est de trouver la cause première des
choses en dehors de toute idée de création. Voilà pourquoi elle
affirme a priori que la cause première est la substance
unique, à laquelle tout doit être identifié, car elle est sans
objectivité en dehors d'elle-même. Mais quelle est cette cause
première ? Ici se divisent, comme on va le voir, les divers systèmes
de l'idéalisme allemand.
Johann Gottlieb Fichte, gravé par J. F. Jugel, 1808 |
2°
Idéalisme de Fichte. — La cause première, d'après Fichte,
est le moi pensant. Il est amené à cette conclusion
par le raisonnement suivant, auquel revient, pour le fond du moins,
toute sa doctrine. « On ne peut concevoir ce qui existe dans l'ordre
réel des choses, qu'autant qu'on le pose, tout d'abord, comme
existant dans l'ordre intelligible, c'est-à-dire, comme idées. Or,
rien ne peut exister dans l'ordre intelligible ou des idées, si ce
n'est dans une intelligence. Donc, tout ce qui existe dans la nature
est nécessairement contenu dans un sujet pensant, dans une
intelligence, qui est la forme de tout dans l'ordre intelligible et
le principe efficient de tout dans l'ordre réel. » Pris en
lui-même, ce raisonnement de Fichte doit être admis ; mais ce
philosophe le fait servir, d'une façon étrange, au triomphe de son
système.
Quel
est, on effet, ce sujet pensant ? Quelle est cette intelligence, dans
laquelle le réel existe comme intelligible, et qui en est le
principe efficient ? C'est le moi humain. Mais le moi ne peut
exister, dit Fichte, qu'autant qu'il pose son antithèse, qui est le
non-moi ; autrement il serait indéterminé. Le moi et le non-moi
découlent ainsi d'un seul et même principe et forment par là même
entre eux une synthèse dans laquelle les deux sont identifiés :
d'où le philosophe tire ses conclusions panthéistes.
Mais
comment Fichte essaie-t-il de justifier son assertion, à savoir que
le moi humain est la condition de toutes choses ? Il distingue notre
moi absolu du moi actuel, qui s'apparaît à lui-même sous une forme
individuelle. Il ne faut pas confondre, dit-il, ce qui est avec ce
qui doit être. Ce qui doit être, l'absolu, n'est pas un être
achevé et immobile, mais l'activité qui se fait elle-même, qui
tend à réaliser ce qu'elle doit être. L'absolu est le vrai moi de
chaque homme, de l'humanité, du monde entier.
Le
système de Fichte est appelé idéalisme subjectif, parce qu'il part
du moi, considéré comme absolu et cause première.
F. W. J. Schelling par J. K. Stieler, 1835 |
3°
Idéalisme de Schelling. — L'idéalisme de Schelling est connu
sous le nom d'idéalisme objectif, parce qu'il ramène tout à ce
qu'il appelle l'absolu, pris en dehors du moi et du non-moi,
c'est-à-dire, de l'esprit et de la nature, de l'idéal et du réel.
Comme Fichte, il reconnaît que l'idéal et le réel doivent être
ramonés à un principe, à une cause première, qui les explique et
on soit la raison, et en cela il ne peut être blâmé. Mais quelle
est cette cause première ?
D'après
Schelling, la cause première est quelque chose d'impersonnel, qui
n'est ni l'idéal ni le réel, ni la nature ni l'esprit, mais
l'identité des contraires, le principe neutre dans lequel
tout s'unit et s'explique. C'est cette chose insaisissable qu'il
nomme l'absolu. Notre esprit saisit l'absolu, et, en le
saisissant, il s'identifie avec lui. L'absolu de Schelling devient
ainsi le moi de Fichte. Cet absolu a deux aspects : l'idéal et le
réel, l'esprit et la nature. C'est sous ces deux aspects quo
l'absolu se développe. La série de ces développements constitue
l'histoire, qui n'est ainsi que l'évolution de l'absolu.
Qui
ne reconnaît ici la doctrine de Spinoza, avec les deux attributs
essentiels de la substance ?
G. W. F. Hegel, par J. Schlesinger, 1831 |
4° Idéalisme de Hegel. — Hegel place l'absolu ou la cause première dans l'idée, et c'est pour cela quo son système est connu sous la dénomination de philosophie de l'idée. L'idée est, à ses yeux, la seule réalité substantielle; mais, par idée, il entend l'être pur et abstrait, l'être transcendantal avec lequel l'idée s'identifie. Considéré dans cet état d'indétermination, l'être est le non-être pur et le non-être est l'être indéterminé. La vérité de l'être et du non-être est dans l'unité des deux, et cette unité, c'est le devenir. Le devenir est l'absolu, qui tout d'abord est non-être, néant, et qui nécessairement finit par être tout. Le principe de contradiction qui exclut le non-être de l'être, et réciproquement, doit être, d'après Hegel, absolument rejeté. C'est à ces quelques points que revient toute la philosophie de Hegel. (ZIGLIARA.)
Le
système de Hegel repose sur un sophisme. Si l'être abstrait et
transcendantal est indéterminé, c'est-à-dire, n'est pas un être
générique, spécifique ou individuel, il n'est pas pour cela la
négation de toute entité, le néant absolu. Dans une partie de son
raisonnement, Hegel prend le non-être dans un sens relatif, et, dans
l'autre, il lui donne le sens de néant absolu. La conclusion à
laquelle il arrive par ce procédé frauduleux est précisément
l'opposé de la vérité.
VI.
— Réfutation du panthéisme. — Puisque tous les systèmes
entachés de panthéisme, quelles qu'en soient les divergences
accidentelles, ont un point commun, à savoir, la confusion du
contingent et du nécessaire, du fini et de l'infini, par
l'affirmation d'une seule substance, qui est la substance divine, il
suffira de les réfuter d'une manière générale Nous disons donc
que le panthéisme est une des erreurs les plus évidemment fausses
et les plus condamnables qui soient écloses dans l'esprit humain,
sous l'influence des passions.
1° Le panthéisme contredit la notion de Dieu. — Dieu est l'Être immuable, parfait, éternel, simple et un. Or, comment pourrait-on découvrir dans, l'univers les perfections de la divinité ? L'univers est sujet à de continuels changements ; il renferme une multitude d'êtres différents, dont aucun, pas même l'âme humaine, ne réalise l'idée que nous avons de la simplicité et de la perfection absolues.
1° Le panthéisme contredit la notion de Dieu. — Dieu est l'Être immuable, parfait, éternel, simple et un. Or, comment pourrait-on découvrir dans, l'univers les perfections de la divinité ? L'univers est sujet à de continuels changements ; il renferme une multitude d'êtres différents, dont aucun, pas même l'âme humaine, ne réalise l'idée que nous avons de la simplicité et de la perfection absolues.
Le
panthéisme implique donc contradiction, et, en confondant Dieu avec
ses œuvres, l'infini avec le fini, il détruit du même coup la
notion de Dieu et la raison humaine.
2°
Il détruit toute morale. — Si tout est Dieu, on ne conçoit
pas même la possibilité de la loi naturelle, ou d'une distinction
quelconque entre le bien et le mal. Le mal, qui a son expression dans
toutes les langues, dont la notion existe chez tous les hommes, n'est
pas et ne peut être. Le panthéisme est l'apothéose de tous les
crimes.
3° Il est subversif de la société. — Tous les hommes, étant l'être divin, sont égaux d'une manière nécessaire et absolue. Il n'y a plus d'autorité et il n'y a plus d'inférieurs ; toute législation est un non- sens. Dès lors, que deviennent les sociétés, qui reposent évidemment sur le principe d'autorité et sur les lois qui en découlent ?
3° Il est subversif de la société. — Tous les hommes, étant l'être divin, sont égaux d'une manière nécessaire et absolue. Il n'y a plus d'autorité et il n'y a plus d'inférieurs ; toute législation est un non- sens. Dès lors, que deviennent les sociétés, qui reposent évidemment sur le principe d'autorité et sur les lois qui en découlent ?
4° Il rend la certitude et la science impossibles. — Au principe de contradiction, le panthéisme substitue l'identité des contraires, puisqu'il fait du fini et de l'infini une même chose. Dès lors, le vrai et le faux sont confondus, et le scepticisme devient le partage de l'esprit humain.
5° Enfin, il est en contradiction avec la pratique du genre humain. — Si le panthéisme est la vérité, le genre humain est convaincu de folie, puisque, depuis son origine, il adore un Être suprême différent de lui-même, il lui érige des temples, il lui adresse des prières et lui offre des sacrifices. Mais, si le genre humain est Dieu, comment a-t-il pu ignorer sa divinité, comment a-t-il pu parler et agir comme ne soupçonnant pas même la possibilité d'un titre que les panthéistes lui décernent si généreusement ? Singulière divinité que celle qui est ignorante au point de se méconnaître elle-même ! Le système des panthéistes ne mérite donc qu'un souverain mépris. Il est le nec plus ultra de l'orgueil humain.
Disons toutefois, en terminant, que, tout déraisonnable qu'il est, le panthéisme nous fait voir par ses superbes égarements combien est forte et puissante l'aspiration de notre âme vers l'infini, aspiration légitime, puisque Dieu est sa fin, comme il est son principe, aspiration qui doit avoir son terme et son repos, non dans l'identification de nous-mêmes avec Dieu, mais dans la possession éternelle de Dieu, méritée par la pratique de la vertu.
Référence
Marin-Jean-Pierre
Dagorne (abbé), Cours de philosophie d'après le programme du
baccalauréat ès-lettres : suivi de l'Histoire de la
philosophie, en trente leçons, 3e édition, R. Haton,
Paris ; J. Bazouge, Dinan, 1880, p. 421-426.
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