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M. Luther, par Lucas Cranach l'Ancien, 1526 |
Vous trouverez ci-dessous un petit florilège tiré du De servo arbitrio ou De l'arbitre esclave de Martin Luther (Eisleben, 1483-Eisleben, 1546).
Ce florilège veut illustrer les positions du célèbre docteur théologien protestant sur l'inexistence du libre arbitre humain et sur la Volonté cachée de Dieu qui dirige et prédestine en toutes choses quelques soient les dispositions connues de sa Parole révélée. Cette réflexion anticipe clairement celle d'un autre célèbre théologien protestant, Jean Calvin (Noyon, 1509-Genève 1564) bien connu pour sa théorie de la double prédestination...
1)
Martin Luther, De
servo arbitrio, in
D. Martin Luthers
Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar,
1883ff., p. 615.
Est
itaque et hoc imprimis necessarium et salutare Christiano, nosse,
quod Deus nihil præscit contingenter, sed quod omnia incommutabili
et æterna, infallibilique uoluntate et præuidet et proponit et
facit. Hoc fulmine sternitur et conteritur penitus liberum arbitrium.
C'est
pourquoi, principalement, il est nécessaire et salutaire, pour le
chrétien, de reconnaître ceci, à savoir que Dieu ne connaît pas
d'avance de manière contingente mais il prévoit, dispose et fait
toutes choses par une Volonté immuable, éternelle et infaillible.
Par cette foudre, le libre arbitre est terrassé et broyé
entièrement.
2)
Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers
Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 615-616.
Ex
quo sequitur irrefragabiliter: omnia quæ facimus, omnia quæ fiunt,
etsi nobis uidentur mutabiliter et contingenter fieri, reuera tamen
fiunt necessario et immutabiliter, si Dei uoluntatem
spectes. Voluntas enim Dei efficax est, quæ impediri non
potest, cum sit naturalis ipsa potentia Dei, deinde sapiens, ut falli
non possit. Non autem impedita uoluntate, opus ipsum impediri non
potest, quin fiat, loco, tempore, modo, mensura, quibus ipsa et
præuidet et uult.
De cela, il
s'en suit irréfutablement que toutes les choses que nous faisons,
toutes les choses qui se produisent, même si elles nous semblent
produites de façon inconstante et contingente, se produisent,
cependant, en réalité, de façon nécessaire et immuable, si tu
considères la Volonté de Dieu. En effet, la Volonté de Dieu est
efficace, qui ne peut être empêchée, étant donné qu'elle est la
Puissance naturelle même de Dieu ; ensuite Elle est
intelligente, de telle manière qu'Elle ne peut être trompée. Or,
la Volonté n'étant pas empêchée, l'action elle-même ne peut être
empêchée sans qu'elle ne se produise en lieu, temps, mode et mesure
selon lesquels Elle-même l'a prévue et voulue.
3)
Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers
Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 633.
Sic
ætemam suam clementiam et misericordiam abscondit sub æterna ira,
Iustitiam sub iniquitate. Hic est fidei summus gradus, credere ilium
esse clementem, qui tam paucos saluat, tam multos damnat, credere
iustum, qui sua uoluntate nos necessario damnabiles facit, ut
uideatur, referente Erasmo, delectari cruciatibus miserorum et odio
potius quam amore dignus.
Ainsi
[Dieu] cache sa clémence et sa miséricorde éternelle sous sa
colère éternelle, la justice sous l'injustice. Là est le degré le
plus haut de la foi : croire qu'Il est clément, Lui qui [en]
sauve un si petit nombre, et [en] condamne de si nombreux ;
croire qu'il est juste, Celui qui, par sa Volonté, nous rend
nécessairement condamnables, si bien que l'on considère, comme le
rapporte Érasme, qu'Il s'amuse des souffrances des malheureux et
[qu'Il est] digne de haine plus que d'amour.
4)
Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers
Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 684.
Cæterum,
Cur alii lege tanguntur, alii non tanguntur, ut illi suscipiant et hi
contemnant gratiam oblatam, alia quæstio est, nec hoc loco tractatur
ab Ezechiele qui de prædicata et oblata misericordia Dei loquitur,
non de occulta illa et metuenda uoluntate Dei, ordinantis suo
consilio, quis et quales prædicatæ et oblatæ misericordiæ capaces
et participes esse uelit.
D'ailleurs,
pourquoi les uns sont touchés par la Loi et les autres n'[en] sont
pas touchés, de telle sorte que ceux-là reçoivent la grâce
offerte et ceux-ci [la] méprisent, c'est une autre question, et elle
n'est pas traitée en cet endroit par Ézéchiel qui parle de la
miséricorde prêchée et offerte de Dieu et non de cette Volonté de
Dieu, cachée et qu'il faut craindre, [de ce Dieu] qui ordonne, par
son dessein, qui et lesquels il veut rendre capables et participants
de la miséricorde prêchée et offerte.
5)
Martin Luther, De servo arbitrio, in
D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 685-686.
Aliter de
Deo uel uoluntate Dei nobis prædicata, reuelata, oblata, culta, Et
aliter de Deo non prædicato, non reuelato, non oblato, non culto
disputandum est.
Quatenus
igitur Deus sese abscondit et ignorari a nobis uult, nihil ad nos.
Hic enim uere ualet illud: Quæ supra nos, nihil ad nos.
Et ne meam
hanc esse distinctionem quis arbitretur, Paulum sequor, qui ad
Thessalonicenses (2 Thes 2,4) de Antichristo scribit, quod sit
exaltaturus sese super omnem Deum prædicatum et cultum, manifeste
significans, aliquem posse extolli supra Deum, quatenus est
prædicatus et cultus, id est, supra uerbum et cultum, quo Deus nobis
cognitus est, et nobiscum habet commercium, sed supra Deum non
cultum, nec prædicatum, ut est en sua natura et maiestate, nihil
potest extolli, sed omnia sunt sub potenti manu eius.
Relinquendus
est igitur Deus in maiestate et natura sua, sic enim nihil nos cum
illo habemus agere, nec sic uoluit a nobis agi cum eo; Sed, quatenus
indutus et proditus est uerbo suo, quo nobis sese obtulit, cum eo
agimus, quod est decor et gloria eius, quo Psalmista eum celebrat
indutum. (Ps. 21,6).
Sic
dicimus: Deus pius non deplorat mortem populi, quam operatur in illo,
Sed deplorat mortem, quam inuenit in populo et amouere studet. Hoc
enim agit Deus prædicatus, ut ablato peccato et morte, salui simus.
Misit enim
uerbum suum et sanauit eos. (Ps. 107,20) Cæterum Deus absconditus in
maiestate, neque deplorat neque tollit mortem, sed operatur uitam,
mortem, et omnia in omnibus. Neque enim tum uerbo suo definiuit sese,
sed liberum sese reseruauit super omnia.
Illudit
autem sese Diatribe ignorantia sua, dum nihil distinguit inter Deum
prædicatum et absconditum, hoc est, inter uerbum Dei et Deum ipsum.
Multa facit
Deus, quæ uerbo suo non ostendit nobis, Multa quoque uult, quæ
uerbo suo non ostendit sese uelle. Sic non uult mortem peccatoris,
uerbo scilicet, Vult autem illam uoluntate illa imperscrutabili. .
Nunc autem
nobis spectandum est uerbum, relinquendaque illa uoluntas
imperscrutabilis, Verbo enim nos dirigi, non uoluntate illa
inscrutabili, oportet.
Atque adeo,
quis sese dirigere queat ad uoluntatem prorsus imperscrutabilem et
incognoscibilem? Satis est, nosse tantum, quod sit quædam in Deo
uoluntas imperscrutabilis, Quid uero, Cur et quatenus illa uelit, hoc
prorsus non licet quærere, optare, curare, aut tangere, sed tantum
timere et adorare.
Igitur
recte dicitur: Si Deus non uult mortem, nostræ uoluntati imputandum
est, quod perimus. Recte, inquam, si de Deo prædicato dixeris; Nam
ille uult omnes homines saluos fieri, dum uerbo salutis ad omnes
uenit, uitiumque est uoluntatis, quæ non admittit eum, sicut dicit
Matth. 23[,37]: Quoties uolui congregare filios tuos et noluisti ?
Il
faut examiner d'une façon [le sujet] de Dieu et [de] la Volonté de
Dieu [qui] nous est prêchée, révélée, offerte et [qui est]
honorée ; et d'une autre façon [le sujet] de Dieu non prêché,
non révélé, non offert, non honoré.
Puisque,
donc, Dieu se cache et veut être ignoré de nous, cela ne nous
concerne pas. En effet, cet [adage] [montre] vraiment sa valeur :
« Ce qui est au-dessus de nous ne nous concerne pas. »
Et
afin que personne ne croit que cette distinction soit la mienne, je
suis [l'avis] de Paul qui écrit aux Thessaloniciens (Th 2, 4) au
sujet de l'Antéchrist, qu'il s'élèvera au-dessus de tout Dieu
prêché et honoré, signifiant manifestement que quelqu'un peut être
élevé au-dessus de Dieu en tant qu'Il est prêché et honoré,
c'est-à-dire, au-dessus de la Parole et du culte par lequel Dieu
nous est connu et est en relation avec nous. Mais au-dessus de Dieu
non honoré ni prêché, comme Il est en sa nature et [en sa]
majesté, rien ne peut être élevé mais toutes choses sont sous sa
main puissante.
Il
faut donc laisser de côté Dieu en sa majesté et [en sa] nature ;
ainsi, en effet, nous n'avons rien à faire avec Lui, et ainsi Il n'a
pas voulu que nous traitions avec Lui. Mais, dans la mesure où Il
est revêtu de sa Parole et révélé [par Elle], par laquelle Il
s'est offert à nous, nous avons affaire à Lui parce qu'Elle est sa
parure et sa gloire, Elle par laquelle le Psalmiste fait connaître
qu'Elle en est revêtue (Ps. 21, 6).
Ainsi
nous disons : Dieu bienveillant ne pleure pas la mort du peuple,
[mort] qu'Il produit en lui ; mais il pleure la mort qu'Il
trouve dans le peuple et s'applique à écarter. C'est, en effet, ce
que fait Dieu prêché afin que nous soyons sauvés, le péché et la
mort ayant été supprimés. En effet, Il a envoyé sa Parole et nous
a guéris (Ps. 107,20). Du reste, Dieu caché en [sa] majesté ne
pleure ni n'enlève la mort ; mais Il produit la vie, la mort et
toutes choses en tous. Et, en effet, Il ne s'est pas limité par sa
Parole, mais Il s'est gardé libre [de dominer] sur toutes choses. Le
Diatribe [d'Érasme] a illustré son ignorance en ne faisant
pas la distinction entre le Dieu prêché et le [Dieu] caché,
c'est-à-dire entre la Parole de Dieu et Dieu lui-même. Dieu fait de
nombreuses choses pour lesquelles Il ne nous montre pas par sa Parole
qu'Il les veut Lui-même. Ainsi Il ne veut pas la mort du pêcheur
par sa Parole, cela va sans dire ; mais Il la veut par cette
Volonté insondable.
Maintenant
donc, il nous faut considérer la Parole et cette Volonté insondable
doit être laissée de côté. Il convient, en effet, que nous soyons
dirigés par la Parole et non par cette Volonté insondable. Et bien
plus, qui pourrait s'aligner tout à fait sur cette Volonté
insondable et inconnaissable ? C'est assez de reconnaître
seulement qu'il existe en Dieu une certaine Volonté insondable. Ce
qu'elle veut vraiment, pourquoi et jusqu'où, cela n'est absolument
pas permis de le chercher, de l'examiner, de s'en occuper ou d'y
toucher, mais seulement de la craindre et de l'adorer.
Donc,
il est juste de dire : si Dieu ne veut pas la mort, il faut
imputer à notre volonté le fait que nous périssions. Juste,
dis-je, si tu avais dit [cela] du Dieu prêché. En effet, Celui-ci
veut que tous les hommes soient sauvés, lorsqu'Il vient vers tous
par la Parole du salut, et c'est un vice de la volonté qui ne laisse
pas venir, ainsi que le dit Matthieu 23[,37] : « Combien
de fois ai-je voulu rassembler tes fils et tu n'as pas voulu ? »
6)
Martin Luther, De servo arbitrio, in D. Martin Luthers
Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 689-690.
Deus
igitur incarnatus hic loquitur: Volui et tu noluisti, Deus, inquam,
incarnatus in hoc missus est, ut uelit, loquatur, faciat, patiatur,
offerat omnibus omnia, quæ sunt ad salutem necessaria, licet
plurimos offendat, qui secreta illa uoluntate maiestatis uel relicti
uel indurati non suscipiunt uolentem, loquentem, facientem,
offerentem, sicut Iohan. dicit: Lux in tenebris lucet, et tenebræ
eam non comprehendunt. Et iterum: In propria uenit, et sui non
receperunt eum. Huius itidem Dei incamati est flere,
deplorare, gemere super perditione impiorum, cum uoluntas
maiestatis ex proposito aliquos relinquat et reprobet, ut pereant.
Dieu
incarné dit donc ici : « J'ai voulu et tu n'as pas
voulu ». Dieu incarné, dis-je, a été envoyé pour cela, [à
savoir] afin qu'il veuille, parle, fasse, souffre, offre à tous
toutes les choses qui sont nécessaires au salut, bien qu'il [en]
blesse un très grand nombre qui, délaissés et endurcis par cette
Volonté secrète de la majesté, ne Le reçoivent pas, [Lui] qui
veut, parle, fait, offre, comme le dit Jean : « La lumière
a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas reçue. »
Et encore : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont
pas reçu. » De même, [le propre] de ce Dieu incarné est de
pleurer, se lamenter, gémir sur la perdition des impies, alors que
la Volonté de la majesté, selon son dessein, abandonne et condamne
les autres, afin qu'ils périssent.
7)
Martin Luther, De servo arbitrio, in
D. Martin Luthers Werke. Kritische Gesamtausgabe, volume
18, Weimar, 1883ff., p. 719.
Primo Deum esse
omnipotentem non solum potentia, sed etiam actione (ut dixi), alioqui
ridiculus foret Deus. Deinde ipsum omnia nosse et
præscire, neque errare neque falli posse. Istis duobus omnium corde
et sensu concessis, coguntur mox ineuitabili consequentia admittere,
nos non fieri nostra uoluntate, sed necessitate, ita nos non facere
quodlibet pro iure lib. arb., se prout Deus præsciuit et agit
consilio et uirtute infallibili et immutabili. Quare simul
in omnium cordibus scriptum inuenitur, liberum arbitrium nihil esse,
(…).
Premièrement,
[les hommes trouvent inscrit dans leurs cœurs] que Dieu est
tout-puissant, non seulement en puissance mais en action (comme je
l'ai dit), sans quoi Dieu serait risible ; ensuite, qu'il
connaît et sait par avance toutes choses et qu'il ne peut errer ni
se tromper. Ces deux choses admises par le cœur et l'intelligence de
tous, [ces derniers] sont bientôt forcés, par une conséquence
inévitable, d'admettre que nous ne sommes pas faits par notre
volonté, mais par nécessité, de telle manière que nous ne faisons
pas n'importe quoi, par l'autorité de notre bon plaisir mais selon
ce que Dieu voit par avance et conduit avec un dessein et une force
infaillible. C'est pourquoi, simultanément, dans tous les cœurs, on
trouve écrit que le libre arbitre n'est rien (…).
Référence
Pour la source du texte latin : voyez : http://www.martinluther.dk/serv-arbit01.html.
La version française du texte latin est le fait de l'auteur de ce blog.