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jeudi 9 novembre 2017

La gloire de Dieu, selon Jean Rivière, 1931




Croix de la façade de la Basilique Notre-Dame (La Chapelle-Montligeon)

 

Au sommet de toutes choses, notre raison conçoit Dieu, c'est-à-dire l’Être excellent et infini qui réunit dans la plus admirable simplicité et la plus indissoluble harmonie toutes les perfections, l’Être absolu Qui ne dépend lui-même de personne et de Qui dépendent tous les autres.

En vain l'homme chercherait-il à étreindre Son essence, en unissant aux concepts les plus élevés de la philosophie les enseignements supérieurs de la foi : devant Sa divine transcendance nos idées restent courtes et notre langage impuissant.

Tout ce que nous savons en dire, dans une sorte de muette adoration, c'est qu'Il est en Lui-même l’Être par excellence et dans toute Sa pureté, c'est qu’Il est au dehors la source de tout ce qui est.

Car ce Dieu, Qui n'a besoin de rien et trouve dans Ses perfections mêmes la suprême béatitude, a voulu cependant produire des êtres qui fassent rayonner au dehors Son ineffable beauté.

Sortant donc un jour de Son éternel repos, par un acte aussi mystérieux que Lui-même, Il a créé du néant le monde et tout ce qu'il renferme, c'est-à-dire cet ensemble d'êtres qui reproduisent en des proportions variées les traits de l’exemplaire divin : toutes créatures distinctes de Dieu comme l’œuvre l'est de son ouvrier, mais par là même dépendantes en tout de Lui jusqu'au plus intime de leur être.

Pourquoi cependant Dieu a-t-Il créé ?

Il ne pouvait évidemment le faire que pour Lui-même et la manifestation de Sa propre gloire (1) : : « Universa propter semetipsum operatus est Dominus [Le Seigneur a fait toutes choses à cause de Lui-même] » (Proverbes 16, 4).

C'est pourquoi les êtres ne sauraient avoir une autre fin que Dieu, pas plus qu'ils ne peuvent avoir un autre principe. En un sens très philosophique le Seigneur dit au voyant de l'Apocalypse : « Ego sum alpha et omega, primus et novissimus, principium et finis [Moi, Je suis l’ alpha et l’omega, le premier et le dernier, le commencement et la fin] » (Apocalypse 22, 13).

Parce que Créateur, Dieu a sur toutes choses le droit souverain du maître ; et la créature revient vers son auteur par une sorte de destination nécessaire, de loi constitutive, dont on ne peut raisonnablement concevoir ni l’absence ni la violation.

Or, au sixième jour, Dieu dit : « Faisons l'homme à Notre image et selon Notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre » (Genèse 1, 26). Ces simples paroles de la Bible ne sont-elles pas la plus belle définition de l'homme et de son rôle, la charte solennelle où l'humanité peut trouver la formule de ses droits et de ses devoirs ?

Elles signifient que l’homme est en lui-même la plus parfaite et la plus excellente des créatures, parce qu’il est tout spécialement l’image de Dieu Dont il reproduit les perfections les plus hautes : conscience, raison, liberté ; qu’il est mis, de ce chef, à la tête de ce monde comme un roi dans son empire. Certaine philosophie, éprise d'une soudaine humilité, a beau s'insurger contre cet anthropocentrisme, la doctrine catholique ne fait pas autre chose que d'affirmer, avec le spiritualisme traditionnel, la valeur de la personne humaine.

Voilà pourquoi l'homme est doublement tenu de rendre hommage à Dieu, en son nom personnel et au nom de la création dont il est le chef. En tant que créature raisonnable, consciente et libre, il doit s'ordonner vers Dieu, qu'il connaît comme l'auteur de tout son être ; en tant que représentant du monde, il doit payer à Dieu le tribut de louanges dû par toutes les créatures et que celles-ci ne peuvent acquitter que par son intermédiaire.

Tout cela est le devoir de l'homme, et ce n'est pas le moment de dire ici ce qu'il peut entrer dans son accomplissement de respect, de religion et d'amour.

Mais tout cela est aussi le droit de Dieu, Son droit strict de créateur, auquel Il ne peut pas plus renoncer qu'à sa divinité même.

Et l'on peut apercevoir maintenant l'harmonie de cet admirable poème qu'est la création. C'est déjà une splendide expression des perfections divines que ce monde matériel au milieu duquel nous vivons, dont la poésie a souvent célébré les charmes, dont la science nous découvre de jour en jour les lois et les richesses.

L'intarissable fécondité de vie qui s'y manifeste, les forces à la fois puissantes et parfaitement disciplinées qui s'agitent dans son sein, le fini des détails non moins que la grandeur de l'ensemble, tout cela ne forme-t-il pas comme un concert grandiose à la louange du Créateur ?

De cette muette harmonie les âmes religieuses ont toujours aimé se faire les interprètes, témoin le Psalmiste qui chantait :

« Les cieux racontent la gloire de Dieu
et l'étendue manifeste l’œuvre de ses mains.
Le jour en instruit un autre jour,
la nuit en donne connaissance à une autre nuit.
Ce n'est pas un langage, ce ne sont pas des paroles
dont le son ne soit point entendu.
Leur retentissement parcourt toute la terre,
leurs accents vont aux extrémités du monde. » (Psaume 19, 2-5)

Mais de toutes ces merveilles l'homme constitue sans contredit la plus grande.

« Yahvé notre Seigneur,
que ton nom est magnifique sur toute la terre !
(…)
Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains,
la lune et les étoiles que tu as créées.
Qu'est-ce que l'homme pour que tu te souviennes de lui
et le fils de l'homme pour que tu prennes garde à lui ?
Tu lui as donné la domination sur les œuvres de tes mains,
tu as tout mis sous ses pieds. » (Psaume 8, 2-7)

Aussi le concert du monde n'est-il complet que lorsque l’homme y mêle sa voix. Quelle que soit la grandeur de ce culte permanent rendu par la création inanimée, n'est-il pas vrai qu'il y a un hommage incomparablement plus parfait, lorsque l’âme du dernier des hommes se tourne vers Dieu pour reconnaître en Lui son Maître et son Père, pour faire jaillir de son cœur un hymne de reconnaissance, pour Lui soumettre sa volonté et sa vie ? Ce que l’univers accomplit sans le savoir, l’homme le fait en pleine conscience ; ce que l'univers accomplit nécessairement et par le déterminisme bienfaisant qui emporte tout son être, l’homme est appelé à le faire par libre choix, c’est-à-dire par amour.

En un mot, l’univers matériel n’est qu’un reflet pour ainsi dire inerte et passif des perfections divines ; l’homme seul, par son être spirituel, est l’image vivante de Dieu, capable de devenir Son imitateur et collaborateur, d'être la source, effective, bien que dérivée, de réalités ayant valeur morale dans l’ordre du vrai et du bien.

Par là, il rend d’une certaine manière quelque chose à Dieu qui lui a tout donné, lorsqu'il Lui offre la seule chose que Dieu puisse aimer, savoir la soumission religieuse, l’hommage conscient d'une créature libre (2).

Telle est, ou plutôt telle serait, la vocation naturelle de l’homme. Car il a plu à la bonté divine d'élever l’homme à une fin supérieure et transcendante, en investissant son esprit de lumières nouvelles et accordant à sa volonté des élans imprévus, en allumant dans son cœur un amour plus profond et admettant son âme à une familiarité plus intime que ne le comportait sa nature : tout ce monde mystérieux, cette assimilation à la vie divine, que la foi nous révèle sous le nom d'ordre surnaturel.

De ce chef naît pour l’homme ainsi privilégié une obligation plus pressante, en même temps qu'une plus grande facilité, de rendre à Dieu ses devoirs, tandis que la grâce dont il est orné embellit à l'infini le résultat de son activité religieuse (3).

La foi chrétienne exclut donc le panthéisme qui dégrade Dieu, comme le matérialisme qui supprime l’homme ; au théisme spiritualiste de la simple philosophie, elle ajoute le dogme fondamental de l’élévation surnaturelle.

Ainsi Dieu et l’homme sont des êtres distincts ; l’homme, venant de Dieu mais différent par là même, est fait pour se donner à Lui librement, reconnaître sa dépendance et offrir sa filiale soumission.

Dans l'accomplissement de cette destinée, il est superflu de dire que l'homme trouvera son bonheur.

Mais ce qu'il faut maintenir avant tout, c'est que tel est son devoir, parce que tel est le droit inaliénable de Dieu, tel le fruit qu'Il attend de ce monde par Lui créé. De même que, par le jeu des lois naturelles, l’ordre règne dans l'univers physique pour la gloire de son Auteur, il appartient à la volonté humaine de produire l’ordre et l'harmonie de l'univers moral.

Notes

(1) Ce point. a été défini par le [premier] concile du Vatican comme une vérité de foi : « Si quis (...) mundum ad Dei gloriam conditum esse negaverit, anathema sit [Si quelqu’un (…) nie que le monde a été créé pour la gloire de Dieu, qu’il soit anathème] », Constitution Dei Filius, I, canon 5, Denzinger-Bannwart, n°1805.
(2) Là-dessus, voir G. Pell, Das Dogma von der Sünde und Erlösung, Ratisbonne, 1883, p. 17-23.
(3) Ibid., p. 23-35.

Référence

Jean Rivière, Le dogme de la Rédemption : étude théologique, 3e édition, revue et augmentée, J. Gabalda et Fils, Paris, 1931, p. 165-170.

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