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mercredi 13 février 2013

La raison et les passions dans le christianisme, selon S. Reynaud, 1900


Quelle a été l'attitude des païens à l'égard des passions ?

Les païens allèrent à deux excès opposés. Les uns regardèrent les passions comme l'expression naturelle des besoins légitimes de notre sensibilité et allèrent jusqu'à les diviniser.

Les autres les méprisèrent, les condamnèrent et firent tous leurs efforts pour les détruire.

On reconnaît là les procédés et les opinions des deux écoles de l'antiquité : l'école épicurienne et l'école
stoïcienne.

Les Épicuriens disaient : 

« Les passions sont absolument bonnes. Elles font partie de la nature humaine ; elles sont une des manifestations de notre activité : elles ont donc le droit d'exister et d'agir. Arrière les fanatiques qui veulent réprimer l'essor de notre sensibilité, et sacrifier la chair à l'esprit. Il faut émanciper le corps, proclamer qu'il est l'égal de l'âme, et affirmer hautement la légitimité de tous ses penchants! »

Les Stoïciens, allant à l'extrémité opposée, disaient : 

« Les passions sont absolument mauvaises : ce sont des maladies de l'âme. Avec leurs impressions soudaines et leurs élans impétueux, elles gênent l'exercice de la raison et contrarient la marche de la liberté. Donc, pour que l'âme reste libre et la raison sereine, il faut non seulement résister aux passions, mais les détruire autant que possible. »

Entre ces deux théories extrêmes, il y avait place pour la vérité. La doctrine évangélique se leva, et, avec une sagesse merveilleuse, elle dit : 

« Les passions ne sont par elles-mêmes ni absolument bonnes, ni absolument mauvaises. Elles sont une force d'impulsion, dépourvue d'intelligence et de liberté, et par conséquent ni morale ni immorale. Cette force aveugle réclame une direction. Si on la dirige mal, elle sera nuisible, si on la dirige bien, elle sera utile. Soumettez donc les passions au gouvernement de la raison et elles seront d'excellents auxiliaires. »

En parlant ainsi, le christianisme a condamné, d'un côté, ceux qui, sous prétexte de réhabiliter la chair, lui donnaient la suprématie ; et, d'un autre côté, ceux qui, sous prétexte de réprimer la chair, lui refusaient le droit de vivre et d'agir.

Quoi qu'on en ait dit, jamais le christianisme n'a inspiré le mépris et l'horreur de la nature matérielle.

Les Gnostiques enseignèrent, dès le Ier et le IIe siècle de l'ère chrétienne, que la matière était absolument mauvaise, qu'elle était le principe du péché, qu'il fallait la détester et l'exécrer.

Les Manichéens reprirent cette erreur en la simplifiant et en la fortifiant.

Mais les Pères de l'Église anathématisèrent et les Gnostiques et les Manichéens.

D'après le dogme chrétien, notre corps a une noble origine, une haute nature, une incomparable destinée. Il est donc foncièrement bon ; et s'il conspire contre la raison, s'il s'insurge contre l'âme, ce n'est qu'accidentellement, parce que l'harmonie primitivement irréprochable de notre âme a été troublée, et parce que nous devons passer par les épreuves de la lutte avant d'arriver à la victoire et à la récompense. (...)

Les passions domptées et dirigées par la raison deviennent le siège d'un grand nombre de vertus : ces qualités de l'âme qui font que nous vivons bien et que nos œuvres sont bonnes. Autant il y a en nous de principes d'action, autant il y a en nous de sièges de vertus.

La raison pratique qui dirige notre vie et nos mœurs est le siège de plusieurs vertus, par exemple, la prudence et la sagesse.

La volonté qui donne des ordres bons ou mauvais est le siège de plusieurs vertus, par exemple la justice et l'obéissance. 

L'appétit sensitif ou la passion, qui est pour beaucoup dans la rectitude de la volonté, puisqu'elle collabore avec elle à la plupart de nos actions et qu'elle peut l'entraîner ou la faire dévier, est également le siège d'un grand nombre de vertus ; par exemple, la force, le courage, la patience, la persévérance, la tempérance, la sobriété, la pudeur, la chasteté, la douceur, etc., etc. (...)

Il est évident que l'âme a le devoir et le droit de triompher. La sensibilité est l'élément inférieur et animal de notre être, l'âme raisonnable en est l'élément supérieur et divin. La sensibilité, nous l'avons reconnu, a un rôle à remplir : elle concourt directement ou indirectement à la vie intellectuelle et morale; elle ajoute de l'élan et de la chaleur aux opérations de l'âme : elle implique, par conséquent, un certain degré d'être et de perfection, elle a droit de vivre. Elle a plus que le droit de vivre, elle a le droit de jouir.

C'est le prince de la théologie qui l'affirme :

Quia ratione homo non potest uti sine sensitivis potentiis, quæ indigent organo corporali, necesse est quod homo sustentet corpus ad hoc quod ratione utatur. Sustentatio autem corporis fit per operationes delectabiles : unde non potest esse bonum rationis in homine, si abstineat ab omnibus delectationibus. Secundum tamen quod homo, in exequendo actum rationis, plus vel minus indiget corporali virtute, secundum hoc plus vel minus necesse habet delectationibus corporalibus uti.

« L'homme ne pouvant se servir de la raison sans les puissances sensitives, qui ont besoin d'un organe corporel, il est nécessaire de soutenir le corps. Or, on ne peut soutenir le corps qu'en accomplissant certains actes auxquels le plaisir est attaché. Donc certaines jouissances sont nécessaires à l'homme qui veut atteindre le bien de la raison. L'homme se procurera plus ou moins de plaisirs charnels, selon qu'il aura plus ou moins à user de ses organes corporels pour s'acquitter de ses fonctions d'être raisonnable (1). » 

Il est donc entendu que la sensibilité subsistera et jouira, mais d'une façon subordonnée. Nous avons une âme immatérielle et immortelle : cette âme a un plus haut degré d'être et de perfection que le corps ; elle a donc plus de droit que le corps à exister et à se satisfaire.

En cas de conflit, quand les droits de l'âme et les droits du corps ne pourront pas être sauvegardés en même temps, qui sera sacrifié ?

Le corps. Du moment que les droits de l'âme sont supérieurs en dignité comme en importance ; en cas de collision, l'âme l'emporte sur la sensibilité. Nos sens ont le droit de voir de belles choses, d'entendre de belles harmonies, de respirer des parfums, de goûter des mets délicats, mais il faut s'abstenir de tout cela, si des obligations plus hautes et plus urgentes le demandent.

Notre corps a droit à un certain bien-être, à certaines jouissances, à un repos mérité ; mais, s'il est nécessaire de se fatiguer et de se tourmenter pour l'acquisition d'une science supérieure ou d'une vertu indispensable, tant pis pour le corps !

Nous devons nous garder de la mort et veiller consciencieusement sur notre existence, mais il peut se rencontrer et il se rencontre souvent des circonstances particulières qui nous imposent le sacrifice de notre vie, et alors en avant pour Dieu et pour la patrie !

De même qu'il est permis de se couper un bras pour sauver le reste du corps; de même, et à plus forte raison, il est permis d'exposer sa vie matérielle pour sauver sa vie morale.

La vie a-t-elle du prix, si elle n'est point accompagnée par l'honneur ? Peut-on tenir à l'existence, quand les motifs de vivre ont disparu ? Ayant à choisir entre la mort et le déshonneur, le choix ne saurait être douteux.

Que l'étranger envahisse le territoire de notre patrie pour nous imposer un joug humiliant, aussitôt nous renoncerons à notre bien-être, à nos plaisirs, à nos affaires, et nous nous jetterons au devant des envahisseurs, au risque de laisser un cadavre. Potius mori quam fædari ! Qu'une épidémie éclate, qu'il soit nécessaire de se dévouer au prochain, nous mettrons nos forces au service de l'humanité, dussions-nous payer de notre vie ce mouvement de générosité ! Qu'un tyran vienne nous proposer de renier notre foi religieuse ou politique et de fouler aux pieds un drapeau auquel nous avons juré fidélité, nous lui dirons : Plutôt mourir ! et nous nous joindrons à la phalange des martyrs.

Le corps vient après l'âme ; les droits du corps sont subordonnés aux droits de l'âme, et la vie des passions est subordonnée à la vie morale.

Et si la raison est terrassée ! si la liberté est asservie ! si la chair triomphe et tyrannise !

Alors on peut user de violence. Jésus a dit avec une terrible énergie : 

« Si votre main droite vous scandalise, coupez-la et jetez-la loin de vous, il vaut mieux pour vous qu'un de vos membres périsse, que si tout votre corps était jeté dans l'enfer. »

Les mortifications, les macérations, les flagellations, les jeûnes dont parle l'ascétisme chrétien, sont légitimés par les insurrections et les folies de la vie charnelle. L'équilibre doit être rétabli, et là, où il y a eu des ripailles et des débauches, pourquoi n'y aurait-il pas des excès de sobriété et de continence ? Pourquoi ne répondrait-on pas aux recherches raffinées des plaisirs et des voluptés par des recherches de souffrance
et de crucifiement ? S'il y a une humanité jouisseuse et corruptrice, pourquoi n'y aurait-il pas une humanité volontairement souffrante et rédemptrice ?

Quand saint Thomas pose en principe que le corps humain a droit à l'intégrité, au bien-être, à la liberté, il ajoute sagement :

Nisi fiat secundium ordinem justitiæ, aut in pænam, aut in cautelam alicujus mali vitandi.

« À moins que l'ordre de la justice ne requière le contraire, soit comme châtiment d'une faute passée, soit comme préservatif d'un mal à venir (2). »

Il y a donc plusieurs causes qui expliquent et excusent les sévérités chrétiennes.

On peut user des macérations pour punir la chair de ses méfaits passés et présents ; on peut également user des macérations pour se garantir contre les exigences d'un corps trop gourmand ou trop voluptueux. Et puis, en vertu du principe de la solidarité humaine et de la réversibilité des mérites, quelques hommes peuvent user des macérations pour faire descendre sur l'humanité coupable des flots de pardon et de miséricorde. Dans le domaine des devoirs individuels, on ne voit pas pourquoi l'on empêcherait un homme d'employer vis-à-vis de son corps, une répression rigoureuse, du moment que cette répression rigoureuse sera réglée par la raison.

Il y a des mesures préventives ou des mesures médicinales dont notre conscience doit avoir l'initiative, puisque notre conscience a le gouvernement. Ne faut-il pas que l'âme garde l'empire de soi-même? N'est-ce pas dans cette maîtrise de son propre corps et dans cette obéissance parfaite aux lois de l'esprit que réside la dignité de la personne humaine ?

Les premiers adeptes du christianisme engagèrent cette lutte contre les passions avec une ardeur extraordinaire. Jésus leur avait dit dans l’Évangile ces paroles vigoureuses : 

« Prenez garde à vous, de peur que vos cœurs ne s'endurcissent dans la luxure et dans l'ivrognerie », signalant ainsi deux passions principales : Attendite autem vobis, ne forte graventur corda vestra in crapula et ebrietate (3). 

Et l'apôtre saint Paul, un peu plus tard, criait aux premiers chrétiens :

« Agissons au grand jour et soyons honnêtes ; ne nous abandonnons ni à la gourmandise, ni à la boisson, ni aux impudicités, ni aux adultères, ni aux jalousies, ni aux querelles ; mais portons le manteau de Jésus, et ne prenons point souci des convoitises de la chair (4). » 

Et ailleurs :

« Fuyez la fornication; par les autres péchés, l'homme pèche en dehors de son corps, par la fornication, il pèche contre son propre corps. N'oubliez pas que votre corps est le temple de l'Esprit-Saint et la créature de Dieu ? Vous avez été achetés à un grand prix. Glorifiez donc Dieu et gardez-le dans votre chair (5). »

Les motifs que saint Paul met en avant pour nous provoquer à la résistance aux passions, sont des motifs nouveaux. C'est au nom de la dignité de notre corps, remarquez-le bien, que l'Apôtre nous invite à être sobres et chastes. Jamais jusqu'alors, on avait donné une importance pareille à la chair humaine. On réservait pour l'âme, ces appels au sentiment de l'honneur et au respect de soi. Mais avec le christianisme, le corps devient une dignité et une majesté. Il est un temple : le temple de l'âme; il est plus que le temple de l'âme, il est le temple de Dieu. 

Jésus est le premier qui ait eu la hardiesse de donner à son corps ce  grand titre de temple ; et, après Jésus-Christ,  saint Paul et les autres chrétiens ont pu en dire  autant. Un Dieu réside dans le corps humain  sanctifié par la grâce, un Dieu y vit et y agit. Et  c'est à cause de cela, c'est-à-dire parce que le corps  sert d'instrument non seulement à l'intelligence  et à la volonté d'un esprit créé, mais parce qu'il  sert de résidence et d'instrument à Dieu lui-même,  qu'il faut le respecter, le vénérer, lui vouer une  sorte de culte et prévenir toutes les profanations  que d'indignes oublis pourraient occasionner.

En résumé, aucune doctrine n'a signalé, aussi  énergiquement que la doctrine chrétienne, le  conflit de la raison et des passions. Aucune doctrine n'a su aussi bien garder la mesure entre le laisser-aller des Épicuriens et les anathèmes  excessifs des Stoïciens. Aucune doctrine enfin n'a  si bien indiqué la conduite à tenir vis-à-vis de la  sensibilité et n'a obtenu de si bons résultats.

Notes

1. Saint Thomas, Somme théologique, 2a 2æ, qu. 142, art. I, ad 2e.
2. Saint Thomas, 2a 2æ, qu. 65, art. 3
3. Saint Luc, XXI, 35.
4. Saint Paul, ad Rom., XIII, 13.
5. Saint Paul, I Cor., VI, 18, 19.

Référence

P. Stanislas REYNAUD, La civilisation païenne et la morale chrétienne, Perrin, Paris, 1900, p. 164.

lundi 6 février 2012

La prière, selon Proclus, Ve siècle ap. J.-C.

La prière n'est pas une invocation aux dieux pour en obtenir des faveurs; elle est pure de toute espérance ; c'est l'élan de l'âme vertueuse vers le divin, source de toute perfection. Ce qui procède des dieux, tout en s'en distinguant, n'en est pas tout à fait séparé. En vertu de l'affinité qui l'unit encore à son principe, il tend à y revenir, et l'acte d'amour et d'intelligence qui le porte vers un Dieu est la prière. L'essence de la prière , c'est une conversion de l'âme vers la divinité ; son effet immédiat, une plus grande vertu ; son terme suprême, l'absorption en Dieu. Les hommes se trompent étrangement ; ils s'imaginent que Dieu se retire d'eux ou qu'il s'en rapproche , et que la force de la prière est de l'attirer et de le faire descendre à eux. Dieu est toujours et partout présent; il est intime à nos âmes, ou plutôt nos âmes sont en lui. Lorsque nous croyons qu'il se rapproche de nous, c'est nous qui par la vertu, l'amour et la prière nous rapprochons de lui , en nous unissant plus intimement à sa pure essence par la partie de notre être, qui lui ressemble. Dieu ne descend pas vers l'âme : c'est l'âme qui se relève jusqu'à lui. Nous ne croyons pas qu'il ait jamais été rien écrit de plus exact et de plus profond sur la prière (*).

(*) Commentaire du Timée, 64, 65, 66; Commentaire du Parménide, IV, 68.

Référence.

J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.404.

L'amour, la vérité et la foi selon Proclus, Ve siècle ap. J.-C.


Comme il y a en Dieu trois hypostases, dit Proclus, la Bonté qui produit, la Sagesse qui conserve, et la Beauté qui ramène les êtres contingents à leur principe , il y a dans l'âme trois mouvements successifs, l'Amour qui la tourne vers le Beau, la Vérité qui perçoit l'Intelligence et l'Être, la Foi qui nous place et nous affermit dans le Bien. C'est dans le Bien seul que l'âme se repose. L'amour nous convertit et nous attire vers le Beau, sans nous mettre en possession du Bien ; la connaissance n'est qu'un mouvement autour de l'Intelligible, auquel elle ne peut nous unir qu'imparfaitement. À la foi seule il appartient de nous édifier pour ainsi dire dans le Bien, essence même de Dieu.

Cette édification, ce ferme établissement, ce repos en Dieu, voilà le salut. Ce n'est point par la pensée qu'on doit rechercher le Bien : poursuite impuissante et toujours imparfaite. C'est en se livrant à la lumière divine et par un religieux silence de la bouche et de la pensée qu'on s'identifie avec l'unité mystérieuse et inintelligible. Si Proclus répète avec Plotin qu'on ne se sauve ou qu'on ne s'unit aux causes premières que par le délire divin de l'amour et par la philosophie, la foi n'en est pas moins la plus parfaite des initiations et le suprême moyen de salut. Or la foi est le produit de la puissance théurgique, qui est supérieure à toute sagesse humaine, et qui renferme en soi tous les biens de la divination, toutes les vertus purifiantes et toutes les opérations, source de l'enthousiasme. À cet acte supérieur de la foi, union mystérieuse, ineffable, incompréhensible avec l'Être premier, devait répondre la conception d'un Dieu non moins inintelligible.(...).

Référence.

J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p. 396-397.

La voyance avec objets, selon Jamblique, IIIe-IVe siècle ap. J.-C.


« Si la divinité, pour nous donner des signes, descend même dans les objets inanimés tels que des baguettes, des dés, des pierres, du blé, des gâteaux de farine, c'est un des mystères qui méritent le plus notre respectueuse admiration, puisqu'elle communique pour nous instruire une âme à ce qui est inanimé, le mouvement à ce qui est immobile, une raison à ce qui est dépourvu de toute raison. Mais il y a une plus grande merveille, un plus grand mystère que Dieu veut nous révéler par ces étranges événements. Comme il choisit souvent un idiot pour lui faire prononcer les plus sages paroles (car alors il est évident que ce n'est pas l'œuvre de l'homme, mais celle de Dieu qui éclate); de même il nous découvre par les objets dénués de toute connaissance certaines choses supérieures à toute connaissance. Cela montre aux hommes et que ces signes sont dignes d'une entière créance, et que Dieu est supérieur à la nature et ne dépend point d'elle dans ses opérations. Ainsi ce qui est naturellement inintelligible devient intelligible ; ce qui n'a point d'intelligence prend une intelligence ; et par là Dieu nous suggère la sagesse, et nous apprend la vérité des choses qui sont, qui ont été et qui doivent être. »

Référence.

Jamblique. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.383.

dimanche 5 février 2012

La possession divine, l'extase et la voyance, selon Jamblique, IIIe-IVe siècle ap. J.-C.


« Or, il faut savoir ce que c'est que l'enthousiasme et comment il se produit. C'est à tort qu'on le croit un transport de la pensée avec une inspiration démonique. Car lorsque la pensée humaine est vraiment possédée, il ne saurait y avoir de mouvement et de transport. L'inspiration ne vient pas des démons, mais des dieux. L'enthousiasme n'est point proprement l'extase, mais un retour et une conversion au meilleur, tandis que le transport ou la simple extase est une chute vers le pire. Ne parler que de l'extase, c'est dire ce qui arrive accidentellement aux inspirés, mais ce n'est point toucher à la nature et au caractère principal de l'enthousiasme. Ce qu'il y a de principal et d'essentiel, c'est la possession complète des inspirés par la divinité, possession dont l'extase n'est qu'une suite et qu'un accompagnement. On ne peut raisonnablement supposer que l'enthousiasme soit le fait de l'âme ou de quelqu'une de ses puissances, de l'intelligence ou de ses opérations, de la santé ou d'une maladie du corps. Car le ravissement divin n'est pas une œuvre humaine, ne se fonde point sur les facultés humaines et sur leurs opérations. Ces opérations et ces facultés peuvent être des sujets et des instruments dont se sert le Dieu ; mais c'est le Dieu qui consomme l'œuvre de la divination : seul, sans mêler son action à celle d'aucune autre chose, sans le ministère ni du corps ni de l'âme, il opère par lui-même. C'est donc une nécessité que les divinations telles que je viens de les décrire, soient vraies et légitimes. Mais lorsque l'âme est agitée ou avant ou pendant l'opération, lorsqu'elle se mêle et se confond avec le corps, et qu'elle trouble ainsi la divine harmonie, la divination est elle-même pleine de trouble et de mensonge, et l'enthousiasme n'a rien de vrai ni de divin. » 

Note.

On pourrait rendre, pour moderniser le vocabulaire, « enthousiasme »  par « possession divine »  et « divination »  par « voyance ».

Référence.

Jamblique. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p.380.

L'union à Dieu et le manque de qualité des amours terrestres, selon Plotin, IIIe siècle ap. J.-C.


« Ceux à qui cet état supérieur est inconnu, peuvent s'en faire quelque idée par les amours d'ici-bas, lorsqu'on aime ardemment et que l'on obtient ce qu'on aime. Mais les amours de ce monde ne s'adressent qu'à des objets mortels et à des fantômes. Ils passent et changent, parce que nous n'aimions pas réellement et que nous nous étions attachés à ce qui n'est pas notre bien, le but de nos désirs. Là-haut seulement est le véritable objet de l'amour, avec lequel on peut s'unir, parce qu'il n'est pas recouvert d'une enveloppe extérieure de chair. Là il n'y a plus rien entre ce qui aime et ce qui est aimé ; ils ne sont plus deux; mais tous deux, ils ne sont qu'un. »

Référence.

Plotin. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p. 347.

Le rôle de la souffrance dans l'éveil de la conscience à Dieu, selon Porphyre de Tyr, IIIe siècle ap. J.-C.,

 
« Il serait impossible aux âmes, destinées à préparer ici-bas leur retour vers le ciel, de quitter cette terre de passage et d'exil, si elle était un lieu de délices et de volupté. On ne gravit pas au sommet d'une haute montagne sans effort ni fatigue : c'est par le supplice continuel et par la mort du corps, que l'âme arrive à la vie véritable. La douleur est une chaîne de fer, qui pèse trop lourdement sur nous pour ne pas nous faire désirer notre affranchissement, tandis que le plaisir est une chaîne d'or, dont l'éclat nous empêche de sentir tout le poids. »

Référence.

Porphyre de Tyr, Lettre à Marcella. Cité par J. Denis, Histoires des théories et des idées morales dans l’Antiquité, tome 2, Auguste Durand, Paris, 1856, p. 340.

La Providence divine, par Proclus, Ve siècle ap. J.-C. Essai de théodicée.


Proclus le Diadoque [c'est-à-dire le successeur de Platon] était un philosophe  de l'École néo-platonicienne d'Athènes, fermée par l'empereur romain byzantin Justinien en 529. 

É. Vacherot expose ici la justification, par Proclus, de la réalité de la Providence divine, c'est à dire le fait que tout concourt, grâce à Dieu, au bien des créatures.


Dieu étant le Bien a pour attribut nécessaire la bonté ; or, en tant que bonté, il est cause, cause première et universelle de tous les êtres. La cause première peut être envisagée sous trois aspects, selon la triple fonction qu'elle remplit. Elle produit d'abord, c'est-à-dire qu'elle constitue l'essence des êtres; puis elle conserve, c'est-à-dire qu'elle comprend et distingue en même temps les essences qu'elle a constituées, en fixe le caractère propre et le rang ; enfin elle rappelle à elle-même et fait rentrer dans son unité les êtres qu'elle en avait fait sortir pour les distinguer et les déterminer. Ainsi produire, maintenir dans sa nature propre l'être produit, et le ramener à la cause première de toute production, telles sont les trois fonctions de la puissance créatrice (1). Chaque fonction suppose un attribut dans cette puissance : la Bonté produit, la Sagesse conserve, et la Beauté ramène (2). Cette division n'existe point en Dieu même; elle n'existe même pas dans l'acte simple de la création ; mais elle est nécessaire pour concevoir comment Dieu crée. Du reste, produire, conserver, ramener, se confondent dans l'acte simple , indivisible, immanent de la création ; de même que la Bonté, la Sagesse, la Beauté, se perdent dans l'unité de la nature divine (3).

Plotin s'était borné à démontrer l'existence de la Providence par la considération générale de l'ordre du monde. Proclus fait plus ; il établit la distinction de la Providence et de la Fatalité, et s'applique à résoudre les principales difficultés relatives au dogme de la Providence. Il se demande comment la Providence agit sur les êtres, comment elle les connaît, et si son action et sa connaissance ne diffèrent point selon la nature des êtres qu'elle embrasse. Passant de là au redoutable problème de la présence du mal au sein d'un monde gouverné par la Providence, il recherche comment le mal peut se concilier avec la bonté providentielle ; il explique les désordres du monde physique et les anomalies du monde moral, pourquoi le juste est opprimé tandis que le méchant triomphe, pourquoi les fautes des pères retombent sur les fils. Nous ne connaissons pas de doctrine moderne où la thèse de la Providence soit traitée avec plus d'étendue, de clarté et de précision que dans le livre De Fato et Providentia. L'analyse qui va suivre mettra le lecteur à même d'en juger (4).

L'opinion commune sur la Providence et la Fatalité (5) est que la première est cause de tout bien pour toute chose, tandis que la seconde est seulement cause de l'enchaînement et de la dépendance des mouvements soumis à l'action providentielle. C'est la distinction qu'on exprime sans cesse dans les jugements sur les actes ordinaires de la vie. Qu'un homme fasse du bien aux autres, on dit qu'il a été la providence de ceux qui ont reçu son bienfait. Une chose arrive-t-elle en vertu de l'action complexe de causes inconnues, on la rapporte à la fatalité.

La même distinction se retrouve dans l'étymologie des mots. Providence (pronoia) désigne l'acte d'un principe supérieur à l'intelligence ; or, la bonté en soi est encore plus divine que l'intelligence, puisque celle-ci désire le bien en tout et avant tout.

Fatalité (heimarmenè) rappelle l'idée d'enchaînement; c'est ce que les théologiens nous donnent à entendre par leurs fuseaux symboliques, voulant signifier par là l'enchaînement de toutes les choses soumises à l'empire du Destin (6).

La Providence n'est autre que la cause divine, en tant qu'elle est le bien. Car d'où pourrait venir le bien, si ce n'est de Dieu ? Voilà ce qui fait qu'elle gouverne l'univers tout entier, tandis que la Fatalité ne régit que le corps. L'enchaînement des choses ayant sa raison dans le bien, la Fatalité relève nécessairement de la Providence. Tout ce qui est soumis à la Providence ne l'est pas à la Fatalité (7) ; au contraire, celle-ci n'embrasse rien que celle-là n'enveloppe et ne contienne d'une manière supérieure. L'intelligence est l'attribut essentiel de la Providence ; la nécessité est le caractère propre de la Fatalité. Tout corps en effet agit, pâtit, communique ou reçoit nécessairement : par lui-même, il est incapable de choix ; c'est l'être supérieur qui réside en lui, l'âme proprement dite qui choisit. Certains corps se meuvent circulairement dans leur orbite ; d'autres, comme le feu, sont poussés par une force centrifuge ; d'autres, comme la terre, gravitent vers le centre ; quel que soit le genre de mouvement, tous obéissent à une même nécessité (8). D'un autre côté , la Providence diffère de la Fatalité, comme Dieu diffère d'une chose qui est divine, par essence et non par participation. La Fatalité ne produit le bien que par emprunt ; tout bien émane de la Providence, de même que toute lumière vient du soleil. La Providence est Dieu en soi ; la Fatalité vient de Dieu, mais n'est pas Dieu ; elle n'est qu'une image de la nature divine et de la Providence (9). Enfin, la Providence est à la Fatalité dans le même rapport que l'intelligence est au corps.

Cette distinction nettement établie, Proclus aborde les difficultés relatives à la question de la Providence.

D'abord l'action de la Providence s'étend-elle à tout, aux parties de l'univers comme à l'ensemble, aux individus comme aux espèces, au périssable comme à l'éternel ?

Pour cela, il faut que la Providence connaisse parfaitement la valeur de chacun des êtres qu'elle gouverne. Mais comment les connaît-elle ? C'est un principe évident que chaque être connaît selon qu'il est (10). Or, la Providence, étant l'Unité absolue, connaît toutes choses dans l'unité, c'est-à-dire dans une mesure incomparablement supérieure à l'imagination, à l'entendement et même à l'intelligence. Si la Providence ne connaissait les êtres que dans la mesure de l'intelligence, elle n'embrasserait pas l'universalité des choses ; car, si tout participe de l'unité, tout ne participe pas de l'intelligence. Par cela même que la Providence connaît tout en vertu de l'unité, sa science exclut toute diversité et toute succession ; elle est uniforme et identique, quel qu'en soit l'objet, intelligible ou sensible, général ou particulier, incorporel ou corporel.

Si la Providence connaît toutes choses, elle connaît le contingent. Mais, en ce cas, comment concilier la Providence avec la contingence des choses ?

Les uns, acceptant la Providence, ont nié le contingent; les autres, ne pouvant nier le contingent, l'ont relégué hors de la portée de la Providence. Tous reconnaissent que la Providence ne prévoit point l'indéterminé, en tant que tel. Et en effet c'est là le principe qui domine toutes les difficultés du problème. Quel que soit l'objet sur lequel agisse la Providence, déterminé ou indéterminé, nécessaire ou contingent, intelligible ou sensible, elle le connaît toujours d'une manière déterminée, nécessaire , intelligible ; car elle connaît la cause même de l'indéterminé. Elle connaît donc l'indéterminé lui-même, en tant qu'il résulte de sa cause. Or, la relation de l'effet à la cause étant nécessaire , elle connaît le contingent d'une manière nécessaire (11). De même, elle a du corporel une connaissance tout incorporelle, tout corps ayant pour cause une essence incorporelle. Dieu ne connaît le corporel que dans sa cause et par sa cause; il connaît d'autant mieux toute chose qu'il est, d'une manière prochaine ou éloignée, la cause de tout ce qu'il connaît. Il sait donc à l'avance la génération de l'indéterminé, et la manière dont la cause fera passer l'indéterminé à l'état d'être déterminé, sans que cette prévision entrave ou modifie en rien la détermination spontanée et quelquefois volontaire des êtres placés sous sa dépendance.

Mais voici une bien autre difficulté (12). Si la Providence est la cause du déterminé et de l'indéterminé, est-elle, de la même manière, cause de l'un et de l'autre ? Ou bien est-elle cause déterminée du déterminé, cause indéterminée de l'indéterminé ?

Proclus résout la difficulté au moyen d'une distinction ingénieuse et profonde. La Providence doit être conçue tout à la fois comme unité absolue avec pouvoir de se communiquer et comme puissance infinie. Dès lors ce qu'elle produit et dirige participe de son unité et de sa puissance. Or, l'indéterminé vient de l'infini, qu’il imite, comme le déterminé vient de l'unité, dont il est l'image. Un exemple pris dans le monde intelligible éclaircira cette distinction. On sait que l'Intelligence, qui produit les êtres corporels et incorporels, les produit tous incorporellement et les connaît de même, c'est-à-dire qu'elle produit et connaît conformément à sa nature. Dans le premier cas, elle a engendré un produit similaire ; dans le second , un produit modelé sur une nature inférieure à la sienne. L'un et l'autre produit sortent également de son sein : seulement elle engendre l'essence, en tant qu'Intelligence ; le mouvement et le corps, en tant qu'Âme. C'est donc par la diversité des vertus qui sont en elle qu'il faut expliquer la différence de ses produits.

De même la Providence, en tant qu'unité, est la cause du déterminé ; en tant que puissance infinie, elle est la cause de l'indéterminé ; mais, comme l'Intelligence, elle engendre de la même manière tous ses produits. Ainsi tout ce qui se produit se produit ou d'une manière déterminée en vertu de l'unité, ou d'une manière indéterminée en vertu de l'infinité.

Néanmoins le nécessaire peut participer de l'infinité et le contingent de l'unité. Seulement, dans un cas, c'est l'unité qui domine, enchaîne et fixe le contingent; dans l'autre, c'est l'infini qui l'emporte et entraîne le nécessaire hors de sa sphère.

En résumé, la Providence produit en vertu de principes divers tout ce qu'elle produit ; mais elle connaît tous ses effets d'une manière uniforme et toujours conforme à sa propre nature. Ce qui varie seulement, c'est la manière dont les êtres participent de la Providence. La participation est plus ou moins directe, plus ou moins intime, plus ou moins constante, plus ou moins efficace. Tous les êtres, animés ou inanimés, rationnels ou irrationnels, éternels ou périssables, participent de la Providence, chacun dans la mesure de leur capacité. Tel participe de l'être seulement, tel de la vie, tel de la connaissance, tel enfin de la perfection. Si un être ne participe que par intervalle des dons de la Providence, c'est sa propre faiblesse qui en est cause et non la Providence elle-même. Ce n'est pas la bonté de la Providence qui s'épuise; c'est l'être qui ne peut conserver toujours. Ainsi le soleil éclaire constamment ce qui ne peut le voir que par intervalle. De même un miroir réfléchit toujours les objets qui sont en face de lui ; s'il ne les réfléchit plus, c'est l'absence des objets qui en est cause. Enfin, lorsque les oracles s'arrêtent, ce n'est pas que l'inspiration ait cessé, c'est que l'être qui la recevait perd son aptitude à la recevoir de nouveau.

Mais si la Providence existe, comment expliquer la présence du mal dans l'univers (13) ? Les uns ont résolu la difficulté en niant la Providence, les autres en niant l'existence du mal. Proclus ne cherche point la vérité dans ces solutions extrêmes. Il reconnaît en même temps l'existence de la Providence et du mal. Voici comment il essaie de les concilier.

Le mal est de deux espèces, à savoir : le mal pour les corps, c'est la non-conformité à la nature ; le mal pour les âmes, c'est la non-conformité à la raison.

En ce qui concerne le mal des corps, Platon en a dit la vraie raison. Le mal n'est autre chose que la corruptibilité. Or, pour que les corps périssent, il est nécessaire qu'ils soient corruptibles. Mais pourquoi faut-il que les corps périssent ? Pour qu'il n'y ait pas seulement des corps éternels. Autrement, ceux-ci seraient les derniers dans l'ordre universel. C'est l'existence des corps périssables qui relève les corps éternels à un rang supérieur et par là complète la. perfection du Tout. Ce mal a donc pour fin un plus grand bien. Le Tout a besoin de corruption et de génération ; sans quoi la nature ne pourrait se renouveler.

Quant au mal des âmes, il provient de l'union de l'âme immortelle avec l'âme mortelle. De cette union peut naître quelque chose d'opposé à la raison. Si l'âme mortelle prévaut, il y a mal dans l'âme ; c'est le cas de la passion, de la colère, par exemple, ou de la concupiscence. Le mal n'est pas pour l'âme mortelle, laquelle ne fait en cela qu'obéir à sa nature, mais bien pour l'âme immortelle dont il contrarie les tendances, en violant les lois de la raison. Le mal de l'âme a pour cause nécessaire l'union des deux âmes. La difficulté se réduit donc à voir si cette union importe ou non à la perfection du Tout. Or n'est-il pas nécessaire que le bien pénètre jusqu'à l'autre bout de la chaîne des êtres, et l'âme jusqu'à la matière, pour que le Tout soit parfait, qu'il n'y ait pas seulement d'un côté des âmes rationnelles et immortelles, de l'autre des âmes irrationnelles et mortelles, mais encore entre ces deux ordres d'âmes, des âmes intermédiaires, rationnelles et mortelles à la fois? Le Tout, s'il manquait d'âmes de cette nature, ne serait-il pas imparfait? Or, dès que l'âme divine descendait jusqu'à la matière, ne fallait-il pas qu'auparavant l'âme mortelle fût dans le corps, pour préserver l'âme divine du contact immédiat du corps? Sans quoi, comment le corps, cette matière inerte et composée , serait-il entré en communication directe avec l'âme incorporelle et immortelle? Que serait devenu le corps lui-même, sous l'action immédiate de l'âme divine ? Comment aurait-il pu recevoir cette action? Toute communication eût été impossible entre deux substances de nature si différente. Toutes ces facultés qui ont leur principe dans l'âme intermédiaire, la sensation, l'appétit, le désir, l'imagination n'eussent point existé. Or, qui pourrait nier que ces facultés ne soient les conditions de la santé et de la vie du corps ? Donc l'âme intermédiaire importait à la perfection du Tout. Or le mal en est un accident nécessaire. Donc le mal des âmes, comme le mal des corps, a pour fin un plus grand bien, et ne fait en cela qu'augmenter la perfection du tout.

Autre difficulté (l4). Si la Providence existe, n'est-il pas nécessaire que chaque être soit traité selon son mérite ? D'où vient donc cette différence entre les hommes quant à la somme des biens? D'où vient le triomphe du méchant et la misère du juste?

L'explication que donne Proclus de cette anomalie n'est pas nouvelle ; on la trouve fort éloquemment exposée chez les Stoïciens. Mais Proclus, en la reproduisant, la développe sous une forme plus précise et plus scientifique. Il ne faut pas dire que la Providence ne sait point répartir ses faveurs proportionnellement aux mérites, elle dont les desseins profondément harmoniques assurent à chaque être l'accomplissement de sa destinée, donnant aux uns les vrais, aux autres les faux biens. Qui ne sait que l'homme qui veut atteindre la vertu y parvient toujours, tandis que ceux qui recherchent les biens extérieurs échouent quelquefois? D'ailleurs la privation de ces biens apparents n'est qu'un stimulant pour les sectateurs de la vertu, excitant chez les uns l'énergie de l'âme, chez d'autres aiguillonnant l'intelligence, accoutumant l'âme par la pratique à mépriser le corps et tous les avantages qui s'y rattachent, et à estimer la vertu et les biens de l'âme à leur prix. Ce n'est point quand la mer est calme et le ciel serein que nous admirons l'art du pilote; c'est quand l'orage a soulevé les flots en courroux. De même, la vertu nous paraît plus admirable dans les rigueurs que dans les faveurs de la fortune.

D'une autre part, la Providence, par l'inégale répartition des biens, veut instruire ceux qui ne vivent pas selon ses lois. En montrant la vertu dans sa noble simplicité, et le vice au milieu de ses vains ornements, elle nous fait comprendre la vraie beauté de la vertu et la vraie laideur du vice.

Enfin l'homme est une âme, mais une âme ayant à son service un corps qui empêche souvent l'âme de se livrer, comme elle aimerait à le faire, à la contemplation du vrai bien. Or le mal physique devient dans certains cas un secours pour l'accomplissement de la vertu : la souffrance, par exemple, invite l'âme au recueillement et à la méditation ; la santé et la vigueur des organes, au contraire, provoquent souvent l'abus des plaisirs sensuels. N'a-t-on pas vu Platon se condamner à l'obscurité politique, et Cratès renoncer à ses richesses, pour se soustraire à l'esclavage du corps ? Au lieu d'accuser la Providence de cette inégale répartition des biens, il faudrait y voir plutôt un châtiment des méchants; car toute cette prospérité fait ressortir une perversité qui eût été cachée dans la médiocrité de fortune. Et qu'on n'aille pas croire qu'en accordant ainsi ce luxe et cette influence aux méchants, la Providence augmente leur perversité ; l'excès du mal est quelquefois le seul moyen de guérison. D'ailleurs la Providence, en variant les conditions de la vertu, la fait apercevoir sous son véritable jour; elle montre aux hommes cette vertu toujours la même, à travers les situations les plus diverses de la nature humaine, arrivant par toutes les voies au même but, la contemplation des Dieux. Il faut dire encore que la Providence ne devait pas réunir tous ses dons sur un seul être. Ainsi Platon, organisant sa république idéale, ne veut pas que tous les biens soient le partage d'une seule classe, mais les distribue entre les diverses classes de citoyens. Cette conception est l'image de l'ordre qui règne dans l'univers : à chaque espèce sa destinée propre ; à chacun le genre de bien qui convient à sa nature. Mais enfin, pourrait-on dire, pourquoi des hommes inégaux en mérite éprouvent-ils un sort parfaitement semblable ; pourquoi, par exemple, dans le sac d'une ville, bons et méchants périssent de la même mort ? On peut répondre qu'ils éprouvent différemment la fin commune, c'est-à-dire que les uns supportent avec colère, les autres avec résignation, la mort qui les frappe, et qu'après la séparation, ceux-ci vont dans le séjour des méchants, et ceux-là dans le séjour des bons. D'ailleurs, ces catastrophes qui enveloppent indistinctement une foule d'hommes ont souvent lieu en vertu de quelque loi générale, conforme ou même nécessaire à l'ordre universel. Or, si cet ordre universel est l'œuvre de la Providence, comment les mouvements qui y concourent, comment les conséquences naturelles de ces mouvements ne feraient-elles pas partie de l'œuvre providentielle ?

Proclus ne s'en tient pas à ces difficultés (15) Lorsque la Providence juge à propos de punir, pourquoi la punition ne suit-elle pas immédiatement le crime ? Il semble qu'une punition tardive ne sert qu'à faire murmurer à la fois les bons et les méchants contre la Providence. La réponse de Proclus est remarquable.

D'abord on peut contester l'efficacité de la punition immédiate, quand on voit le méchant poursuivre sa voie d'iniquités sous le coup même du châtiment. Mais ici le dessein de la Providence est manifeste. En vrai médecin des âmes et des corps, elle attend pour les ramener au bien le moment favorable. Comme le dit Platon, avec les Dieux, la fortune et le temps gouvernent les choses humaines, soit qu'il faille opérer le bien ou guérir le mal. La Providence sait quand elle doit attaquer le mal sans délai ou attendre. Il est d'un art supérieur de ne point chercher à charmer les spectateurs par la promptitude de la cure, mais de prendre tout le temps nécessaire pour la rendre parfaite. D'ailleurs le châtiment réhabilite l'âme et la retire de sa misère ; donc plus il est différé, plus le méchant est puni. Ce n'est pas indulgence, mais sévérité de la part de la Providence, de ne pas punir immédiatement ; le plus grand châtiment que puisse éprouver le coupable, c'est de rester dans la souillure de sa faute sans l'expier. Dieu remplace alors une peine extérieure par une peine intérieure bien plus grave ; le remords de la conscience est un châtiment que le méchant traîne partout avec lui. C'est là un bel exemple que la justice divine montre à la justice humaine ; elle lui apprend à suspendre ses coups dans le moment de la passion, et à chercher moins une satisfaction personnelle que le salut du coupable. La sagesse de la Providence est impénétrable dans ses profondeurs ; mais combien ce que nous en comprenons n'est-il pas admirable ! On s'étonne de l'inégalité des châtiments pour les mêmes fautes ; mais la vie humaine est longue et mélangée de bien et de mal : tel homme commet de grandes fautes qui plus tard se recommandera par de grandes vertus. La Providence se garde bien de l'accabler pour le punir de ses fautes : elle le conserve pour ce qu'il doit faire de bien ; d'autant plus que ses belles actions le disposeront mieux à l'expiation. En sorte que le bonheur qu'elle leur laisse est pour leurs vertus, et la punition qu'elle leur inflige est pour leurs crimes. Si la loi égyptienne ordonne qu'une femme enceinte, condamnée à mort, ne soit exécutée qu'après son enfantement, faut-il s'étonner que la Providence, ayant à châtier une âme pervertie, mais encore destinée à de grandes choses, attende pour punir que cette âme ait porté ses fruits? Si une jeunesse peu honorable de Thémistocle lui eût valu une punition immédiate, qui eût délivré Athènes de l'invasion des Perses? Mais que parle-t-on de lenteurs à propos de la justice divine ? Qu'est-ce que la vie humaine, qu'est-ce que le temps pour la Providence ?

Autre anomalie apparente (16). Pourquoi le châtiment mérité par les pères est-il supporté par leurs enfants? Proclus en donne une explication très ingénieuse. En premier lieu, un État est, pour ainsi dire, un grand corps animé d'une même vie dans toutes ses parties, inspiré par une influence commune, dirigé par un même chef ; en sorte que, malgré la diversité de qualités corporelles ou de positions sociales, l'État est véritablement un. C'est en quelque sorte un être et après tout un être plus élevé que nous dans la chaîne des êtres, plus vivace, plus divin, plus semblable au Tout. Alors qu'y a-t-il d'étonnant à ce que les crimes d'une génération soient payés par une autre ? La Cité est une ; c'est elle qui mérite et qui démérite ; c'est donc elle que la Providence frappe dans tels ou tels de ses membres. Dans la Cité, dans l'État, dans l'Humanité tout entière, tous les individus sont sympathiques entre eux comme les membres d'un même corps ; en vertu d'une solidarité réciproque, tous partagent la responsabilité et sont passibles de la peine. Proclus n'admet toutefois ce principe que dans certaine mesure et ne va pas jusqu'à étendre la responsabilité également à tous.

Autre argument. À ceux qui admettent la métempsycose, on peut dire que les âmes sont honorées ou punies pour des actes de leurs vies antérieures. D'où est venue à Apollonius (de Tyane) cette puissance divine que les hommes lui ont connue, si ce n'est d'avoir, dans une vie antérieure, sauvé une vierge ? Les âmes, dans cette succession d'états, sont au fond les mêmes, quoique le changement de vêtements les fasse paraître tout autres aux yeux des hommes. Notre vie peut se comparer à un drame dont l'auteur est le Destin et les acteurs sont des âmes. Les divers rôles sont remplis tantôt par des âmes différentes, tantôt par les mêmes âmes qui ont changé de costume.

Enfin, en punissant une âme qui n'a point fait le mal, la Providence ne considère pas seulement la communauté d'origine ; elle coupe, pour ainsi dire, la racine d'une plante qu'elle savait devoir être mauvaise. Avec le scorpion naît le dard, avec la vipère le venin. Nous ne connaissons ce dard et ce venin qu'après en avoir été atteints, mais Dieu les connaissait d'avance.

Dernière difficulté : si la Providence connaît et produit tout, comment peut-on attribuer l'action providentielle aux anges, aux démons et même aux héros et aux âmes qui partagent avec les Dieux le gouvernement de ce monde (17) ? Ils ne peuvent l'exercer en tant qu'unités, puisque c'est là le caractère propre des Dieux ; mais ils l'exercent en tant qu'ils participent de l'unité et dans la mesure même de cette participation. Toutes les puissances inférieures aux Dieux tiennent d'eux à la fois leur unité providentielle et leur action. Toute la hiérarchie des êtres repose sur l'unité ; c'est par elle qu'ils se classent et s'échelonnent, quant à leur essence et quant à leurs opérations. Cela posé, on peut dire que tous les Dieux exercent la Providence, en tant qu'unités, mais que les anges, les démons, les héros et les âmes n'exercent qu'une certaine providence, en tant qu'il n'y a en eux qu'une parcelle d'unité.

Notes.

(1) Théologie platonicienne, I, 21, 24, 25.
(2) Ibid., 22
(3) Ibid, 21, 24, 25.
(4) Cette analyse est souvent une traduction.
(5) De Fato et Providentia, V.
(6) Ibid., V.
(7) Ibid., VIII.
(8) De Fatu et Providentia, VIII.
(9) Ibid., IX. Et Providentià differt à Fato, quà differt Deus à divino quidem , sed participatione divino , et non prime... ( Fatum ) dependat à Providentià, et velut imago est illius.
(10) Dix doutes (aporiai).
(11) Dix doutes, II.
(12) Dix doutes, III.
(13) Dix doutes, V.
(14) Dix doutes, VI.
(15) Dix doutes, VII.
(16) Dix doutes, IX.
(17) Dix doutes, X.

Référence.

Étienne Vacherot, Histoire critique de l'école d'Alexandrie, tome 2, Librairie philosophique de Ladrange, Paris, 1846, p. 253 et sq.

jeudi 23 juin 2011

Définition de la nécromancie, par l'abbé Moréri, 1674-1732.


[Orthographe modernisée.]

NÉCROMANTIE.

Art magique, par lequel on prétend que les hommes consultent les morts sur l'avenir, par le ministère des Démons, qui les font revenir, soit dans leurs cadavres, soit en esprit. 

C'est par cet art que quelques-uns croient que la Pythonisse fit revenir l'âme de Samuel. 

Les Thessaliens, et quelques autres peuples de Grèce avaient cette superstition. Ils arrosaient de sang chaud le corps d'un mort, et prétendaient que ce mort leur donnait des réponses certaines sur l'avenir. Ceux qui les consultaient devaient être purifiés auparavant, et il fallait apaiser les mânes de celui que l'on voulait consulter, afin qu'il rendit réponse : autrement il était sourd aux demandes. 

Quand les Nécromantiens voulaient consulter les Démons, ils prenaient le crâne d'un homme à qui ils offraient de l'encens et des sacrifices. * Antiq. grecq. Et rom. Buxtorf. 

M. Jurieu remarque qu'il y avait plusieurs espèces de Nécromancie. 

1. En certains lieux les Nécromanciens s'endormaient auprès des tombeaux des morts, afin d'avoir des songes prophétiques. Hérodote dans Melpomene ch. 172. dit des Nafamons. peuples de la Libye : « qu'ils juraient par ceux qui avaient été justes et honnêtes gens, qu'ils devinaient en touchant leurs tombeaux, et qu'en s'approchant de leurs sépulcres, après avoir fait quelques prières, ils s'endormaient, et étaient instruits en songe, de ce qu'ils voulaient savoir. » 

2. Quelquefois les Nécromanciens tâchaient de faire parler les cadavres. 

3. D' autrefois ils évoquaient simplement les mânes des morts, sans les obliger de paraître sous une figure vivante. Et c'est cette Nécromance qui s'appelait deviner par les Théraphims

4. Il y avait enfin une espèce de Nécromance qui faisait paraître les morts en forme visible, et qui les faisait parler en voix intelligible. Et cette Nécromance a eu divers noms selon les divers instruments dont les Magiciens se servaient pour l'évocation des morts. 

Elle s'apelloit Catroptomance, quand on faisait paraître les figures dans le miroir; Gastromance, quand les morts paraissaient dans un vaisseau profond; Hydromance, quand les âmes montaient en figure humaine dans l'eau. M. Jurieu croit que cette dernière Nécromance est l'ob des Hébreux. 

Il y avait des Temples consacrés à Pluton et aux Dieux infernaux, Temples que l'on apellait Νεκυομαντέια, et que Cicéron nomme ψυχομαντέια. C'est là qu'on exerçait la Nécromance, et en invoquant Pluton, le Dieu des Mânes, ils évoquaient les mânes pour savoir d'eux l'avenir. 

Nous apprenons d'Hérodote que dans l' Épire proche d'un lieu appelé Thesprotis, il y avait un fameux Temple de Pluton, l'un de ces Νεκυομαντέια, où l'âme d'Euridice fut évoquée par Orphée, son mari, et que de là est venue la fable des Poètes qui disent qu'Orphée tira sa femme des Enfers. * Jurieu, Hist. des Dogmes, etc. p. 471. et 636.

Louis Moréri [Prêtre et théologien], Le grand dictionnaire historique: ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane, t. 5, Jean Brandmuller, Bâle, 1732, p. 482.

L'évocation des morts en différentes cultures, selon l'abbé Brunet, 1792.


[Orthographe modernisée.]

Dans l'île de Madagascar, lorsqu'un homme a rendu le dernier soupir, on vient lui demander à plusieurs reprises pourquoi il a quitté la vie. 

À la Chine, un parent ou un ami d'un homme qui expire, monte sur le toit du logis, et appelle avec de grands cris l'âme du défunt, en se tournant vers le nord, et ensuite vers le midi. Mais ce qui paraît démontrer que les Chinois ne croient pas qu'un homme en mourant perde tout sentiment, ce sont les offrandes qu'ils font aux morts, et les invitations qu'ils leur adressent, de venir prendre part à ces offrandes; cérémonies qui se perpétuent d'année en année. 

Au Tonquin, on consulte quelquefois des sorciers pour savoir en quel lieu est morte une personne qui a perdu la vie dans un pays éloigné. Ces sorciers frappent sur un tambour, et, par le moyen d'un miroir magique, prétendent faire comparaître l'âme du mort, afin; qu'on apprenne d'elle-même ce que l'on veut savoir. 

L'évocation des morts était anciennement en usage chez les Perses. On la trouve établie dans la Phénicie, dit Fréret, qui conjecture qu'elle l'était aussi en Égypte

C'est d'après ce savant qu'on a dit qu'il y avait un oracle des morts à Héraclée, ville de Pont; un, au cap Tenare; un troisième, dans la Thesprotie, sur le bord du fleuve Achéron; et enfin un quatrième , en Italie

À l'anniversaire du sacrifice funèbre institué en l'honneur des Grecs morts à la bataille de Platée, on invitait à haute voix, à peu près comme font les Chinois, les ombres ou les mânes de ces braves gens à venir prendre part au banquet que l'on faisait, et à s'y rassasier du sang de la victime qui avait été égorgée. 

Les Lapons ont quelque chose qui approche de l'évocation des morts.

Abbé François-Florentin Brunet, Parallèle des religions, t. 2, Knapen, Paris, 1792, p.151.

Nécromancie et psychomancie, définition par Antoine Mongez, 1792-1794.


[Orthographe modernisée]

1. NÉCROMANCIE.

Sorte de divination par laquelle on prétendait évoquer les morts pour les consulter sur l'avenir, par le ministère des mânes, qui faisaient rentrer les âmes des morts dans leurs cadavres, ou faisaient apparaître à ceux qui les consultaient, leur ombre ou simulacre. Elle était fort en usage chez les grecs, et surtout chez les Thessaliens. Ils arrosaient de sang chaud le cadavre d'un mort, et prétendaient qu' ensuite il leur donnait des réponses certaines sur l'avenir. Ceux qui les consultaient devaient auparavant avoir fait les expiations prescrites par le magicien qui présidait à cette cérémonie, et surtout avoir apaisé, par quelque sacrifice, les mânes des défunts, qui, sans ces préparatifs, demeuraient constamment sourds à toutes les questions qu'on pouvait leur faire. On sent assez, par tous ses préliminaires, combien de ressources et de subterfuges se préparaient les imposteurs qui abusaient de la crédulité du peuple.

Delrio, qui a traité fort au long cette matière, distingue deux fortes de nécromancies; l'une, qui était en usage chez les thébains, et qui consistait simplement dans un sacrifice et un charme ou enchantement, incantatio. On en attribue l'origine à Tirésias. L'autre était pratiquée par les Thessaliens, avec des ossements des cadavres, et un appareil tout à fait formidable. Lucain ( l. VI. ) en a donné une description fort étendue, dans laquelle on compte trente-deux cérémonies requises pour l'évocation d'un mort. Les anciens ne condamnaient d'abord qu'à l'exil ceux qui exerçaient cette partie de la magie ; mais Constantin décerna contre eux la peine de mort. Tertullien (dans son livre de l'âme) dit sérieusement qu'il ne faut pas s'imaginer que les magiciens évoquassent réellement les âmes des morts, mais qu'ils faisaient voir à ceux qui les consultaient, des spectres ou des prestiges; ce qui se faisait par la seule invocation, ou que les démons paraissaient sous la forme des personnes qu'on désirait de voir, et cette sorte de nécromancie ne se faisait point sans effusion de sang ». D'autres ajoutent que ce que les magiciens et les prêtres des temples des mânes évoquaient, n'était proprement ni le corps, ni l'âme des défunts, mais quelque chose qui tenait le milieu entre le corps et l'âme, que les grecs appelaient ειδωλον, les latins simulacrum, imago, timbra tenuis. Ainsi, quand Patrocle prie Achille de le faire enterrer, c'est afin que les images légères des morts, ειδωλα καποντων, ne l'empêchent pas dépasser le fleuve fatal. Ce n'était ni l'âme, ni le corps qui descendaient dans les Champs Élysées, mais ces idoles. Ulysse voit l'ombre d'Hercule dans les Champs Élysées, pendant que ce héros est lui-même dans l'Olvmpe avec les dieux immortels. ( Delrio, lib. IV, p. 540 et 542. Mémoires de l'acad, des belles-lettres, tom. VII. p. 30. ) 

Antoine Mongez, Antiquités, mythologie, diplomatique des chartres, et chronologie. Encyclopédie méthodique, tome 4, Panckoucke, Paris, 1792, p. 259.

2. PSYCHAGOGUES. ( p. 158-159)

Nom des prêtres qui desservaient un temple à Héraclée en Élide, et qui faisaient profession d'évoquer les âmes des morts ( Plut. in Cimone.). 
 
Leur nom était formé de ψυχη, âme, et de αγω, conduire
 
Leur institution avait quelque chose d'imposant ou de respectable. Ils devaient être irréprochables dans leurs mœurs, n'avoir jamais eu de commerce avec les femmes, ni mangé des choses qui eussent eu vie, et ne s'être point souillés par l'attouchement d'aucun corps mort. Ils habitaient dans les lieux souterrains, où ils exerçaient leur art nommé Psychomancie ou divination par les âmes des morts.

PSYCHOMANCIE. (p. 161)

Sorte de magie ou de divination, qui consistait à évoquer l'âme des morts.
Ce mot est formé de ψυχη, âme, et de μαντεία, divination. 
 
Les cérémonies usitées dans la psychomancie étaient les mêmes que celles qu'on pratiquait dans la nécromancie, Voyez Nécromancie. 

C'était ordinairement dans des caveaux souterrains et dans des antres obscurs qu'on faisait ces sortes d'opérations, surtout quand on désirait de voir les simulacres des morts, et de les interroger. Mais il y avait encore une autre manière de les consulter et qu'on appelait aussi psychomancie, dont toutefois l'appareil était moins effrayant. C'était de passer la nuit dans certains temples, de s'y coucher sur des peaux de bêtes, et d'attendre en dormant l'apparition et les réponses des morts. Les temples d'Esculape étaient surtout renommés pour cette cérémonie. Il était facile aux prêtres imposteurs de procurer de pareilles apparitions, et de donner des réponses ou satisfaisantes, ou contraires, ou ambiguës. Julien Second, pour rendre odieuses les veilles que les premiers fidèles faisaient aux tombeaux des martyrs, les accusait d'y évoquer les morts. 

Antoine Mongez, Antiquités, mythologie, diplomatique des chartres, et chronologie. Encyclopédie méthodique, tome 5, H. Hagasse, Paris, an II de la République.

Remarques : 

Pour plus d'informations sur :

- Antoine Mangez : cf. la notice de l'INHA.