Répondant à leur désir, le
Souverain Pontife a reçu en audience spéciale, les participants au
premier Congrès international de l'Union latine de haute couture et
leur a donné des directives précises en un long discours en
italien, dont voici la traduction.
Eugenio Pacelli, dit Pie XII (1876-1958) |
C'est de grand cœur, que Nous vous
souhaitons paternellement la bienvenue, chers fils et filles,
promoteurs et membres de l'« Union latine de haute couture ».
Vous avez désiré venir en Notre
présence pour Nous rendre témoignage de votre filiale dévotion et,
en même temps, pour implorer les faveurs célestes sur votre Union,
en la plaçant, dès sa naissance, sous les auspices de Celui, à la
gloire de qui doit tendre toute activité humaine, même celles
apparemment profanes, selon le précepte de l'apôtre des Gentils : «
Soit que vous mangiez, soit que vous buviez on quelque autre chose
que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1 Corinthiens
10,31).
Vous vous proposez d'affronter avec des
vues et intentions chrétiennes un problème, aussi délicat que
complexe, dont les inéluctables répercussions morales furent de
tout temps un objet d'attention et d'anxiété chez ceux à qui il
appartient par fonction, dans la famille, dans la société et dans
l’Église, de s'employer à préserver les âmes des embûches de
la corruption et toute la communauté de la décadence des mœurs :
c'est-à-dire le problème de la mode, spécialement féminine.
Il est juste qu'à vos généreux
desseins répondent Notre gratitude et celle de l’Église ; et Nous
formons le vœu fervent que votre Union, née et inspirée d'une
saine conscience religieuse et civile, obtienne, grâce à
l'auto-discipline éclairée des artisans mêmes de la mode, le
double but déclaré dans vos statuts : moraliser cet important
secteur de la vie publique et contribuer à élever la mode au rang
d'instrument et d'expression d'une véritable civilisation.
Désireux d'encourager une entreprise
aussi louable, Nous accédons volontiers au désir qui Nous a été
exprimé de vous exposer quelques pensées, en particulier sur la
vraie façon de poser le problème et sur ses aspects moraux, en vous
indiquant d'autre part certaines suggestions pratiques, propres à
assurer à l'Union une autorité bien accueillie dans un domaine
souvent si discuté.
I.
CERTAINS ASPECTS GÉNÉRAUX DE LA MODE
Suivant
le conseil de la sagesse antique qui indique dans la finalité des
choses le critère suprême de tout jugement théorique et la sûreté
des normes morales, il sera utile de se rappeler les buts que l'homme
s'est toujours fixés en recourant au vêtement.
Sans
aucun doute, il obéit aux trois exigences bien connues de l'hygiène,
de la pudeur et de la bienséance. Ce sont trois nécessités si
profondément enracinées dans la nature, qu'elles ne peuvent être
ignorées ni contrariées sans provoquer répulsion et préjudice.
Elles conservent leur caractère de nécessité aujourd'hui comme
hier ; elles se trouvent chez presque toutes les races ; elles se
révèlent sous toutes les formes de la vaste gamme, dans laquelle la
nécessité naturelle du vêtement s'est concrétisée historiquement
et ethnologiquement. Il est important de noter l'interdépendance
étroite et solidaire entre les trois exigences, bien qu'elles
résultent de sources diverses : l'une du côté physique, l'autre du
côté spirituel, la troisième de l'ensemble psychologique et
artistique.
Trois
exigences commandent la nécessité du vêtement :
-
l'hygiène...
L'exigence
hygiénique du vêtement concerne principalement le climat, ses
variations et d'autres agents extérieurs, comme causes possibles
d'inconvénient ou de maladie.
II
résulte de l'interdépendance évoquée plus haut que le motif ou,
mieux, le prétexte hygiénique n'est pas valable pour justifier une
licence déplorable, particulièrement en public et hors des cas
exceptionnels de réelle nécessité ; dans ces cas, d'ailleurs, un
esprit bien né ne saura pas se soustraire à la gêne d'un trouble
spontané, exprimé à l'extérieur par une rougeur naturelle.
De
même, une manière de se vêtir nuisible pour la santé, — dont
plus d'un exemple est cité par l'histoire de la mode —, ne peut
être légitimé sous prétexte d'esthétique ; comme, d'autre part,
les règles communes de la pudeur doivent céder devant les exigences
d'une cure médicale, qui, si elle semble les violer, les respecte au
contraire lorsqu'on adopte les précautions morales voulues.
-
la pudeur …
Tout
aussi évidente, comme origine et but du vêtement, est l'exigence
naturelle de la pudeur, entendue soit dans sa signification la plus
large, qui comprend également la juste considération pour la
sensibilité d'autrui envers des objets répugnants à la vue ; soit
surtout comme protection de l'honnêteté morale et bouclier contre
la sensualité désordonnée.
La
singulière opinion qui attribue à la relativité de telle ou telle
éducation le sens de la pudeur ; qui même le considère comme une
déformation conceptuelle de l'innocente réalité, comme un faux
produit de la civilisation et même comme un stimulant à la
malhonnêteté et une source d'hypocrisie, cette opinion n'est
appuyée par aucune raison sérieuse ; elle trouve, au contraire, une
condamnation explicite dans la répugnance qui se produit chez ceux
qui, parfois, osèrent l'adopter comme système de vie, confirmant
ainsi la rectitude du sens commun, tel qu'il se manifeste dans les
usages universels.
La
pudeur, étant donné sa signification strictement morale, quelle que
soit son origine, se fonde sur la tendance innée et plus ou moins
consciente de chacun à défendre contre la cupidité générale
d'autrui un bien physique personnel, afin de le réserver, avec un
prudent choix de circonstances, aux sages buts du Créateur, placés
par lui sous la protection de la chasteté et de la pudicité.
Cette
seconde vertu, la pudicité, dont le synonyme « modestie » (de
modus, mesure, limite) exprime peut-être mieux la fonction de
gouverner et de dominer les passions, particulièrement sensuelles,
est le rempart naturel de la chasteté, sa muraille efficace, parce
qu'elle modère les actes étroitement connexes avec l'objet même de
la chasteté.
Comme
sa sentinelle avancée, la pudicité fait entendre à l'homme son
avertissement dès qu'il acquiert l'âge de la raison, avant même
qu'il apprenne la notion de chasteté et de son objet, et elle
l'accompagne pendant toute la vie, en exigeant que des actes
déterminés, honnêtes en eux-mêmes, parce que disposés
divinement, soient protégés par le voile discret de l'ombre et par
la réserve du silence, comme pour leur concilier le respect dû à
la dignité de leurs fins élevées.
Il
est donc juste que la pudicité, en tant que dépositaire de biens si
précieux, revendique pour elle une autorité prépondérante sur
toute autre tendance ou tout autre caprice et préside à la
détermination des manières de se vêtir.
-
la dignité de la personne...
Et
voici la troisième finalité du vêtement, dont la mode tire plus
directement son origine ; elle répond à l'exigence innée, sentie
surtout chez la femme, de donner du relief à la beauté et à la
dignité de la personne, avec les moyens mêmes qui pourvoient à
satisfaire les deux autres.
Pour
éviter de restreindre l'ampleur de cette troisième exigence à la
seule beauté physique et, plus encore, pour soustraire le phénomène
de la mode à l'ardent désir de séduction comme sa première et
unique cause, le terme dignité est préférable à celui
d'embellissement. Le souci de la dignité de sa propre personne
provient manifestement de la nature et est par conséquent légitime.
En
faisant abstraction du recours au vêtement pour cacher les
imperfections physiques, ce que la jeunesse lui demande, c'est ce
relief de splendeur, qui chante le joyeux thème du printemps de la
vie et facilite, en harmonie avec les préceptes de la pudicité, les
prémisses psychologiques nécessaires à la formation de nouvelles
familles ; tandis que l'âge mûr entend obtenir du vêtement
approprié un aspect de dignité, de sérieux et de joie sereine.
Dans
tous les cas où l'on cherche à accentuer la beauté morale de la
personne, la coupe du vêtement sera de nature à éclipser presque
la beauté physique dans l'ombre austère où elle se cache, pour
détourner d'elle l'attention des sens et concentrer au contraire la
réflexion sur l'esprit.
Le
vêtement, interprète des sentiments et des mœurs.
Le
vêtement, considéré sous cet aspect plus vaste, a son propre
langage multiforme et efficace, parfois spontané, et par conséquent
fidèle interprète de sentiments et de mœurs, d'autres fois
conventionnel et artificiel et par conséquent bien peu sincère.
De
toute façon, il est donné au vêtement d'exprimer la joie et le
deuil, l'autorité et la puissance, l'orgueil et la simplicité, la
richesse et la pauvreté, le sacré et le profane. Le caractère
concret des formes d'expression dépend des traditions et de la
culture de tel ou tel peuple, tandis que leur variation est d'autant
plus lente que les institutions, les caractères et les sentiments
interprétés par ces modes sont plus stables.
Raisons
de l'instabilité de la mode.
C'est
à donner un relief à la beauté physique que s'applique
expressément la mode, art antique, aux origines incertaines,
complexe par les facteurs psychologiques et sociaux qui s'y mêlent,
et qui a atteint maintenant une importance indiscutable dans la vie
publique, soit comme expression esthétique des mœurs, soit comme
désir du public et convergence de notables intérêts économiques.
Il
résulte de l'observation approfondie du phénomène que la mode
n'est pas seulement une bizarrerie de formes, mais un point de
rencontre de divers facteurs psychologiques et moraux, tels que le
goût du beau, la soif de la nouveauté, l'affirmation de la
personnalité, le refus de la monotonie, non moins que le luxe,
l'ambition, la vanité.
La
mode c'est l'élégance, certes, mais conditionnée par un changement
continu, de telle sorte que son instabilité même lui confère la
marque la plus évidente. La raison de son changement perpétuel,
plus lent dans les lignes fondamentales, très rapide en revanche
dans les variations secondaires, devenues à présent saisonnières,
semble devoir être recherchée dans la préoccupation de rompre le
passé, facilitée par le caractère frénétique de l'époque
contemporaine, qui a le terrible pouvoir de brûler en peu de temps
tout ce qui est destiné à la satisfaction de l'imagination et des
sens.
Il
est compréhensible que les nouvelles générations, tendues vers
leur propre avenir, — qu'elles rêvent différent et meilleur que
celui de leurs pères —, éprouvent le besoin de se détacher de
ces formes non seulement d'habillement, mais d'objets et d'ornements,
qui rappellent avec plus d'évidence une manière de vivre que l'on
veut dépasser.
Mais
l'instabilité extrême de la mode présente est surtout déterminée
par la volonté de ses artisans et guides, qui ont à leur
disposition des moyens inconnus dans le passé, comme la production
textile énorme et variée, la fertilité inventive des « modélistes
», la facilité des moyens d'information et de « lancement » dans
la presse, dans le cinéma, dans la télévision et dans les
expositions et « défilés ».
La
rapidité des changements est en outre favorisée par une sorte
d'émulation mutuelle qui d'ailleurs n'est pas neuve — entre les «
élites », désireuses d'affirmer leur personnalité par des formes
originales d'habillement, et le public, qui se les approprie
immédiatement, avec des imitations plus ou moins heureuses.
On
ne doit pas négliger non plus l'autre motif subtil et décadent :
l'étude des « modélistes » qui pour assurer le succès à leurs «
créations », misent sur le facteur de la séduction, conscients de
l'effet que provoquent la surprise et le caprice continuellement
renouvelés.
Le
facteur économique.
Une
autre caractéristique de la mode d'aujourd'hui est que, tout en
restant principalement un fait esthétique, elle a acquis d'autre
part la propriété d'un élément économique de grandes
proportions.
Aux
quelques anciennes maisons de couture de haute mode, qui, de telle ou
telle métropole, dictaient sans contestation les lois de l'élégance
au monde de culture européenne, se sont substituées de nombreuses
organisations, puissantes par leurs moyens financiers, qui, tout en
satisfaisant les besoins de l'habillement, forment le goût des
populations, en stimulant les désirs dans le but de se constituer
des marchés toujours plus vastes.
Les
causes de ce changement doivent être recherchées, d'une part, dans
ce qu'on appelle la « démocratisation » de la mode, par laquelle
un nombre sans cesse plus large d'individus cède à l'attrait
impérieux de l'élégance, et, d'autre part, dans le progrès
technique qui permet la production en série de modèles, coûteux
sans cela, mais rendus maintenant d'acquisition facile sur le marché
de ce qu'on appelle les « confections ».
De
la sorte s'est créé le monde de la mode qui englobe des artistes et
des artisans, des industriels et des commerçants, des éditeurs et
des critiques et, en outre, toute une catégorie d'humbles
travailleurs et travailleuses, qui tirent de la mode leurs moyens
d'existence.
Influence
sociale du « modéliste » [aujourd'hui : « styliste
modéliste »].
Bien
que le facteur économique soit la force motrice de cette activité,
l'âme en est toujours le « modéliste », c'est-à-dire celui qui,
par un choix génial des tissus, des couleurs, de la coupe, de la
ligne et des ornements accessoires, donne naissance à un nouveau
modèle expressif et qui plaît au grand public.
Il
n'est pas nécessaire de dire combien est difficile cet art, fruit
d'ingéniosité et d'adresse et, bien plus, de sensibilité à
l'égard du goût du moment. Un modèle, dont on est certain de voir
le succès, acquiert l'importance d'une invention ; on l'entoure du
secret dans l'attente du « lancement » ; par la suite, une fois mis
en vente, il obtient des prix élevés, tandis que les moyens
d'information lui donnent une large diffusion, en en parlant comme
s'il s'agissait d'un événement d'intérêt national.
L'influence
des « modélistes » est si décisive que l'industrie textile se
fait elle-même guider par eux dans l'organisation de sa propre
production, aussi bien pour la qualité que pour la quantité.
Grande
aussi est leur influence sociale par le rôle qui leur revient
d'interpréter les mœurs publiques ; car si la mode a toujours été
l'expression des usages d'un peuple, elle l'est aujourd'hui encore
plus que lorsque le phénomène s'accomplissait comme fruit de
réflexion et d'étude.
Mais
la formation du goût et des préférences dans le peuple et
l'orientation de la société vers le sérieux ou le décadent ne
dépendent pas seulement des modélistes, mais bien de toute
l'organisation complexe de la mode, spécialement des ateliers de
couture et de la critique, dans ce secteur plus raffiné qui a comme
clientèle les classes sociales les plus élevées, en prenant le nom
de « haute couture », comme pour désigner l'origine des courants
que le peuple suivra ensuite, presque aveuglément et comme par une
obligation magique.
Or,
en présence de valeurs si nombreuses et si élevées, que Nous avons
énumérées ici en de rapides allusions, et qui sont mises en cause
par la mode et parfois mises en danger, l’œuvre apparaît
providentielle de personnes préparées techniquement et
chrétiennement, qui se proposent de contribuer à affranchir la mode
de tendances non recommandables ; de personnes qui voient en elle
avant tout l'art de savoir habiller, dont le but est bien, quoique
partiellement, de mettre en un relief modéré la beauté du corps
humain, chef-d’œuvre de la création divine, de manière,
toutefois, que ne se trouve pas offusquée, mais que soit au
contraire exaltée — comme s'exprime le prince des apôtres — «
la pureté incorruptible d'un esprit doux et tranquille, ce qui est
d'un grand prix aux yeux de Dieu » (1 Pierre 3,4).
Attitude
positive de l’Église face au problème moral de la mode.
Et
c'est justement à concilier, en un équilibre harmonieux, l'ornement
extérieur de la personne avec l'ornement intérieur d'« un esprit
doux et tranquille », que consiste le problème de la mode.
Mais
existe-t-il vraiment — se demandent certains — un problème moral
au sujet d'un fait aussi extérieur, contingent et relatif que l'est
la mode ?
Et
ceci admis, en quels termes le problème doit-il être posé, et
suivant quels principes doit-il être résolu ?
Ce
n'est pas ici le lieu de déplorer longuement l'insistance de plus
d'un contemporain dans la tentative de soustraire au domaine moral
les activités extérieures de l'homme, comme si elles appartenaient
à un autre univers et comme si l'homme n'était pas lui-même le
sujet, le terme et, par conséquent, le responsable devant le suprême
ordonnateur de toutes les choses.
Il
est bien vrai que la mode, ainsi que l'art, la science, la politique
et les activités similaires, dites profanes, ont leurs règles
propres pour réaliser les finalités immédiates auxquelles ils sont
destinés ; toutefois leur sujet reste invariablement l'homme, qui ne
peut se dispenser de faire tendre ces activités à la fin ultime et
suprême, à laquelle il est lui-même essentiellement et totalement
ordonné.
Le
problème moral de la mode existe donc, non seulement en tant
qu'activité génériquement humaine, mais, plus spécifiquement, en
tant que s'exerçant dans un domaine où sont impliquées, plus ou
moins directement, d'évidentes valeurs morales ; et, plus encore, du
fait que les buts, honnêtes en eux-mêmes, de la mode sont davantage
exposés à être obnubilés par les inclinations perverses de la
nature humaine déchue par suite du péché originel, et changés en
occasion de péché et de scandale.
Cette
tendance de la nature corrompue à abuser de la mode amena la
tradition ecclésiastique à la traiter plus d'une fois avec méfiance
et avec de sévères jugements, exprimés par d'insignes orateurs
sacrés avec une vigoureuse fermeté, et par de zélés
missionnaires, voire avec la « mise au feu des vanités », qui,
conformément aux usages et à l'austérité de ces temps, étaient
estimés d'une éloquence efficace auprès du peuple.
De
telles manifestations de sévérité, qui démontraient au fond la
sollicitude maternelle de l’Église envers le bien des âmes et les
valeurs morales de la civilisation, ne permettent cependant pas de
déduire que le christianisme exige presque de renoncer absolument au
culte ou au soin de la personne physique et de sa dignité
extérieure.
Quiconque
conclurait dans ce sens démontrerait qu'il a oublié ce qu'écrivait
l'apôtre des Gentils : « Que les femmes aient une tenue décente,
parées avec réserve et modestie » (1Timotée 2,9).
Mais
la mode ne doit jamais fournir une occasion de péché.
L’Église
ne blâme donc pas et ne condamne pas la mode, quand elle est
destinée à la juste dignité et au juste ornement du corps ;
toutefois, elle ne manque jamais de mettre les fidèles en garde
contre ses faciles égarements.
Cette
attitude positive de l’Église dérive de motifs bien plus élevés
que ceux purement esthétiques et hédonistes adoptés par un retour
de paganisme. Elle sait et enseigne que le corps humain, chef-d’œuvre
de Dieu dans le monde visible, lequel est au service de l'âme, fut
élevé par le divin Rédempteur à la dignité de temple et
d'instrument du Saint-Esprit et doit être respecté en tant que tel.
Sa
beauté ne devra donc pas être exaltée comme une fin en elle-même,
encore moins de façon à avilir cette dignité acquise.
Sur
le terrain concret, il est incontestable qu'à côté d'une mode
honnête on en trouve une autre impudente, cause de trouble chez les
esprits raisonnables, si ce n'est même incitation au mal.
Il
est toujours ardu d'indiquer par des règles universelles les
frontières entre l'honnêteté et l'indécence, parce que
l'évaluation morale d'une parure dépend de nombreux facteurs ;
toutefois ce qu'on appelle la relativité de la mode par rapport aux
temps, aux lieux, aux personnes, à l'éducation n'est pas une raison
valable pour renoncer « a priori » à un jugement moral sur
telle ou telle mode, lorsqu'elle dépasse les limites de la pudicité
normale.
Celle-ci
perçoit immédiatement, sans presque même avoir été interrogée,
où se trouvent l'impudence et la séduction, l'idolâtrie de la
matière et le luxe ou seulement la frivolité ; et si les artisans
de la mode impudique sont habiles dans une sorte de contrebande de la
perversion, en la mêlant à un ensemble d'éléments esthétiques,
honnêtes en eux-mêmes, la sensualité humaine est malheureusement
encore plus adroite à la découvrir et prête à en subir l'attrait.
Une
très grande sensibilité dans la perception de la menace du mal, ici
comme ailleurs, ne constitue nullement un titre de blâme pour celui
qui en est pourvu, comme si c'était seulement l'effet d'une
dépravation intérieure ; c'est au contraire le signe de la pureté
d'esprit et de la vigilance à l'égard des passions.
Mais
si vaste et mouvante que puisse être la relativité morale de la
mode, il y a toujours un absolu à sauver, après avoir écouté
l'avertissement de la conscience qui constate le danger : la mode ne
doit jamais fournir une occasion proche de péché.
Ce
qui caractérise une mode impudique ou immorale.
Parmi
les éléments objectifs qui concourent à former une mode impudique,
il y a en premier lieu la mauvaise intention de ses artisans.
Lorsque
ceux-ci se proposent de susciter par leurs modèles, des images et
des sensations dénuées de chasteté, ils font preuve, même sans
aller à l'extrême, d'une malignité larvée. Ils savent, entre
autres, que la hardiesse en cette matière ne peut être poussée
au-delà de certaines limites ; mais ils savent également que
l'effet cherché se trouve à peu de distance de celles-ci, et qu'un
habile mélange d'éléments artistiques et sérieux avec d'autres
d'ordre inférieur sont plus aptes à surprendre l'imagination et les
sens, tandis qu'ils rendent le modèle acceptable aux personnes qui
désirent le même effet, sans toutefois compromettre — du moins,
le pensent-elles — leur réputation de personnes honnêtes.
Toute
épuration de la mode doit donc commencer par celle des intentions
aussi bien chez celui qui fait le vêtement que chez celui qui le
porte ; chez l'un comme chez l'autre doit être réveillée la
conscience de leurs responsabilités à l'égard des conséquences
fatales qui peuvent dériver d'un vêtement trop hardi, spécialement
lorsqu'il est porté sur la voie publique.
Plus
précisément, l'immoralité de certaines modes dépend surtout des
excès aussi bien d'immodestie que de luxe.
Quant
aux premiers, qui pratiquement mettent en cause la coupe, ils doivent
être appréciés non pas selon le jugement d'une société en
décadence ou déjà corrompue ; mais selon les aspirations d'une
société qui apprécie la dignité et la gravité des mœurs
publiques.
On
a souvent l'habitude de dire et avec une sorte de résignation
inerte, que la mode exprime les mœurs d'un peuple ; mais il serait
plus exact et plus utile de dire qu'elle exprime la volonté et
l'orientation morale qu'entend prendre une nation, à savoir faire
naufrage dans le dérèglement ou bien se maintenir au niveau où
l'ont élevée la religion et la civilisation.
Les
excès de la mode ne sont pas moins néfastes, bien que dans un
domaine différent, lorsqu'on lui assigne le rôle de satisfaire la
soif de luxe.
Le
faible mérite du luxe, comme source de travail, est presque toujours
annulé par les graves désordres qui en dérivent pour la vie privée
et publique. En faisant abstraction du gaspillage de richesses que le
luxe excessif exige de ses adorateurs, destinés pour la plupart à
être dévorés par lui, il a toujours le caractère d'une offense à
l'honnêteté de celui qui vit de son travail, tandis qu'il révèle
un cynisme d'esprit envers la pauvreté, soit en dénonçant des
gains trop faciles, soit en semant des doutes sur la conduite de vie
de celui qui s'en entoure.
Là
où la conscience morale ne réussit pas à modérer l'usage des
richesses, même honnêtement gagnées, de terribles barrières se
dressent entre les classes ou bien c'est toute la société qui ira à
la dérive, épuisée par la course vers l'utopie de la facilité
matérielle.
Principes
pour la solution du problème moral de la mode.
Le
fait d'avoir fait allusion aux maux que le dérèglement de la mode
peut causer aux individus et à la société ne signifie pas la
volonté d'en comprimer la force expansive, ni de freiner
l'inspiration créatrice de ses auteurs ni non plus de la réduire à
la fixité des formes, à la monotonie ou à une sombre sévérité ;
mais c'est lui indiquer le bon chemin, afin qu'elle atteigne le but
d'être une fidèle interprète de la tradition civile et chrétienne.
Pour
arriver à cela, quelques principes serviront, comme points de repère
dans la solution du problème moral de la mode ; il est facile d'en
déduire des règles plus concrètes.
1.
— Prendre conscience de l'influence réelle de la mode.
Le
premier est de ne pas donner trop peu d'importance à l'influence de
la mode même, autant dans le bien que dans le mal.
Le
langage de l'habillement, comme Nous l'avons déjà indiqué, est
d'autant plus efficace qu'il est plus fréquent et compris par
quiconque. La société parle, pour ainsi dire, par le vêtement
qu'elle porte ; par le vêtement, elle révèle ses aspirations
secrètes et elle se sert de lui, au moins en partie, pour édifier
ou détruire son avenir.
Mais
le chrétien, qu'il soit auteur ou client, se gardera de négliger
les dangers et les ruines spirituelles, semés par les modes
immodestes, spécialement en public, en raison de la cohérence qui
doit exister entre la doctrine professée et la conduite même
extérieure.
Il
se rappellera la pureté élevée que le Rédempteur exige de ses
disciples, même dans les regards et dans les pensées ; et il se
rappellera aussi la sévérité manifestée par Dieu contre les
fauteurs de scandales. À ce propos, on peut rappeler la page
vigoureuse du prophète Isaïe, où est prophétisé l'opprobre
réservé à la ville sainte de Sion pour l'impudicité de ses filles
(Isaïe 3,16-24) et l'autre où le sublime poète italien exprimait,
par des paroles brûlantes, son indignation contre l'indécence qui
se propageait dans sa cité (Cf. Dante, Purgatoire,
23, 94-108.).
2.
— Ne pas suivre aveuglément la mode, mais réagir fermement quand
la conscience le demande.
Le
second principe est que la mode doit être disciplinée et non pas
abandonnée au caprice ou servilement suivie.
Ceci
vaut pour les artisans de la mode — modélistes et critiques —
auxquels la conscience demande de ne pas se soumettre aveuglément au
goût dépravé que peut manifester la société, ou plutôt une
partie d'elle, qui n'est pas toujours la plus digne de considération
pour sa sagesse.
Mais
cela a également une valeur pour les individus, dont la dignité
exige qu'ils s'affranchissent, par une conscience libre et éclairée,
de l'imposition de goûts déterminés, spécialement discutables
dans le domaine moral.
Discipliner
la mode signifie également réagir avec fermeté contre les courants
opposés aux meilleures traditions. Le contrôle sur la mode
n'infirme pas, mais au contraire corrobore le dicton : « la
mode ne naît pas sans et contre la société », à condition qu'on
attribue à celle-ci, comme il se doit, conscience et autonomie dans
sa propre direction.
3.
— Se laisser guider par le sens de la modération.
Le
troisième principe, encore plus concret, est le respect de la «
mesure », c'est-à-dire de la modération dans tout le domaine de la
mode.
Si
les excès sont les principales causes de sa déformation, la
modération lui conservera sa valeur. Elle devra agir avant tout sur
les esprits, en réglant l'ardent désir du luxe, de l'ambition, du
caprice à tout prix. Les artisans de la mode se laisseront guider
par le sens de la modération, spécialement les « modélistes »,
en dessinant la ligne ou la coupe et en choisissant les ornements
d'un habit, persuadés que la sobriété est la meilleure qualité de
l'art.
Sans
vouloir aucunement ramener à des formes dépassées par le temps —
qui, du reste, reviennent plus d'une fois comme nouveauté dans la
mode — mais seulement pour confirmer la valeur permanente de la
sobriété, Nous voudrions inviter les artistes d'aujourd'hui à
contempler, dans les chefs-d’œuvre de l'art classique, certaines
figures féminines de valeur esthétique indiscutable, où le
vêtement, inspiré de la pudicité chrétienne, est un digne
ornement de la personne, avec la beauté de laquelle il se fond comme
en un unique triomphe d'admirable dignité.
Et
maintenant, quelques suggestions particulières pour vous, chers fils
et filles, en tant que promoteurs et membres de l'« Union latine de
haute couture ».
Il
Nous semble que le terme même de « latine », par lequel vous avez
tenu à désigner votre association, exprime non seulement une sphère
géographique, mais surtout l'orientation idéale de votre action.
En
effet, ce terme de « latin », si riche en significations élevées,
semble exprimer, entre autres, la vive sensibilité et le respect
pour les valeurs de la civilisation et, en même temps, le sens de la
« mesure », de l'équilibre et du réalisme, toutes qualités
nécessaires aux membres de votre Union.
Nous
avons noté avec satisfaction que ces caractères ont inspiré les
buts de vos statuts, que vous avez courtoisement soumis à Notre
connaissance, et qui sont le résultat d'une vision complète du
problème complexe de la mode, mais spécialement de votre ferme
conviction de ses responsabilités morales. Votre programme est donc
aussi ample que le problème lui-même, concernant tous les secteurs
déterminant la mode : le milieu féminin, directement, avec
l'intention de le guider dans la formation du goût et dans le choix
de l'habillement ; les maisons « créatrices de la mode » et
l'industrie textile afin que, dans une entente mutuelle, elles
adaptent leur production aux sains principes professés par l'Union.
Et
comme votre Union se compose d'organismes, qui ne sont pas simplement
des spectateurs, mais agissent et dirions-Nous presque sont des
pionniers dans le domaine de la mode, son programme s'occupe aussi,
opportunément, de l'aspect économique, rendu à présent plus ardu
par les transformations prévues de la production et de l'unification
des marchés européens.
Former
un goût sain chez le public.
Une
des conditions indispensables pour atteindre les buts de votre Union
est la formation d'un goût sain chez le public.
Entreprise
ardue, en vérité, et parfois intentionnellement combattue, elle
exige de vous beaucoup d'intelligence, beaucoup de tact et beaucoup
de patience. Affrontez-la, malgré tout, avec hardiesse, avec
l'assurance de trouver de bons alliés tout d'abord dans les
excellentes familles chrétiennes, que votre patrie compte encore en
grand nombre.
Il
est clair que, dans ce but, vous devez vous appliquer principalement
à conquérir à votre cause ceux qui, par la presse et d'autres
moyens d'information, dirigent l'opinion publique.
Dans
la mode, plus que dans toute autre activité, le peuple veut être
guidé. Non point qu'il soit dépourvu d'esprit critique en fait
d'esthétique et d'honnêteté, mais parfois trop docile et parfois
paresseux pour employer cette faculté, il accueille d'emblée ce qui
s'offre à lui, quitte à se rendre compte plus tard de la médiocrité
ou de l'inconvenance de certains modèles. Il faut donc que votre
action soit opportune.
En
outre, parmi ceux qui guident à présent avec le plus d'efficacité
le goût du public, une place prépondérante est occupée par les
personnes célèbres, spécialement celles du monde du théâtre et
du cinéma. Comme leur responsabilité est grave, votre action sera
féconde si vous réussissez à en gagner au moins quelques-unes à
la bonne cause.
Réagir
contre l'esprit dit moderne, indifférent à l'aspect moral de la
mode.
Une
caractéristique propre à votre Union semble être l'étude sérieuse
des problèmes esthétiques et moraux de la mode dans des rencontres
périodiques, comme le présent congrès, à tendance de plus en plus
internationale, persuadés comme vous l'êtes que la mode de l'avenir
aura un caractère unitaire dans chacun des continents.
Appliquez-vous
donc à apporter dans ces assemblées la contribution chrétienne de
votre intelligence et de votre expérience, avec une sagesse
convaincante telle que personne ne puisse soupçonner chez vous ni
préjugés partiaux ni faiblesse de compromis.
La
solide cohérence avec vos principes sera mise à l'épreuve par
l'esprit dit moderne, qui ne supporte point de frein, et par
l'indifférence même de beaucoup à l'égard du côté moral de la
mode.
Les
sophismes les plus insidieux, qui sont d'habitude répétés pour
justifier l'impudicité, semblent être les mêmes partout. Un de
ceux-ci s'appuie sur l'ancien dicton ab assuetis non fit passio,
afin de présenter comme dépassée la saine rébellion des honnêtes
gens contre les modes trop hardies.
Est-il
donc nécessaire de démontrer combien l'antique dicton est déplacé
dans une telle question. Nous avons déjà fait allusion, en parlant
des limites absolues à sauvegarder dans le relativisme de la mode,
au manque de fondement d'une autre opinion également fausse, selon
laquelle la modestie ne s'accorde plus avec l'époque contemporaine,
désormais affranchie de scrupules inutiles et nuisibles.
Certes,
il existe, des degrés différents de moralité publique selon les
temps, les caractères et les conditions de civilisation de chaque
peuple ; mais cet état de fait n'invalide pas l'obligation de tendre
à l'idéal de la perfection, ni n'est un motif suffisant pour
renoncer aux hauteurs morales atteintes, qui se manifestent
précisément dans la plus grande sensibilité qu'ont les consciences
à l'égard du mal et de ses pièges.
Que
votre Union s'engage donc avec ardeur dans cette lutte, qui vise à
assurer aux mœurs publiques de votre patrie un niveau de moralité
toujours plus élevé, digne de ses traditions chrétiennes.
Ce
n'est pas par hasard que Nous qualifions de « lutte » votre œuvre
visant à moraliser la mode, comme est une lutte aussi toute autre
entreprise qui entend restituer à l'esprit la domination sur la
matière. Considérée chacune en particulier, elles sont les
épisodes distincts et significatif! de l'âpre et perpétuel combat,
que doit soutenir ici-bas quiconque est appelé à la liberté par
l'Esprit de Dieu ; un combat dont l'apôtre des Gentils décrit avec
une exactitude inspirée le front et les troupes opposées : « Les
désirs de la chair vont à l'en-contre de l'esprit, et ceux de
l'esprit à l'encontre de la chair. Ils se font opposition l'un à
l'autre, pour vous empêcher de faire ce que vous avez résolu »
(Galates 5,17).
Énumérant
ensuite les œuvres de la chair, en une sorte de triste inventaire de
l'héritage de la faute originelle, il mentionne aussi l'impureté, à
laquelle il oppose, comme fruit de l'Esprit, la modestie.
Engagez-vous
généreusement et avec confiance, sans jamais vous laisser arrêter
par la timidité, qui fit dire aux troupes peu nombreuses mais
héroïques du grand Judas Macchabée : « Comment pourrons-nous si
peu nombreux combattre contre une multitude aussi grande ? » (1
Macchabée 3,17). Que la réponse de ce grand soldat de Dieu et de la
patrie vous encourage : « Vaincre une bataille ne dépend pas du
nombre des soldats ; car c'est du ciel que vient la force» (ibid.,
19).
C'est
avec cette certitude basée sur le ciel que Nous prenons congé de
vous, chers fils et filles ; et Nous élevons Nos prières
suppliantes au Tout-Puissant, afin qu'il daigne prodiguer son
assistance à votre Union et ses grâces à chacun de vous, à vos
familles et, en particulier, aux humbles travailleurs et
travailleuses de la mode.
En
gage des faveurs célestes, Nous vous donnons de tout cœur Notre
paternelle Bénédiction apostolique.
Référence
Pie XII, Discours
au Congrès de l'Union latine de haute couture, 8
novembre 1957.
URL
sources :