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dimanche 12 mars 2017

Sur les modes inconvenantes, Mgr Luçon, 1925


Louis-Joseph Cardinal Luçon (1842-1930)
Lettre pastorale de Son Éminence le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims, au Clergé et aux Fidèles de son Diocèse.


NOS TRÈS CHERS FRÈRES,

Nous ne pouvons différer davantage de venir vous entretenir d'un abus que tous les gens sensés sont unanimes à déplorer : nous voulons parler des modes inconvenantes dans l'habillement des femmes.

Les publicistes, les conférenciers, les médecins ont eu beau protester, au nom de la morale, de l'esthétique et de l'hygiène, les plus hautes autorités ecclésiastiques au nom de la modestie chrétienne ; peine perdue : les traits de la satire, comme les arguments de la raison, se sont émoussés contre la tyrannie de la mode, le sentiment religieux lui-même n'a pas réussi à se faire obéir, et l'on voit des costumes et des nudités que la bienséance devrait interdire même dans la rue, pénétrer aujourd'hui dans nos églises et jusqu'à la Table Sainte, où elles sont plus déplacées que partout ailleurs. C'est ce qui nous met dans la nécessité de parler.

Il n'est point dans notre rôle, ni dans notre intention de critiquer sous le rapport de l'esthétique et de l'art ces manières extravagantes de s'habiller, et de faire ressortir ce qu'elles ont de ridicule et de contraire au bon goût dont notre pays s'est toujours glorifié d'être la meilleure école.

Nous ne les envisagerons point non plus sous le rapport de l'hygiène pour faire remarquer que certaines nudités ne sont pas sans danger pour la santé. Nous nous plaçons à un point de vue plus élevé.

I. – Nous observerons, en premier lieu, que les modes actuelles ne s'accordent pas avec l'honnêteté et la morale même simplement naturelle.

La modestie est la plus belle et la plus noble parure de la femme. Le respect de soi-même et le sentiment de sa dignité devraient lui inspirer le dégoût de ces costumes excentriques et de ces nudités qui semblent un défi à la pudeur, et qui ne conviennent qu'à des femmes auxquelles elles auraient honte de ressembler.

Si, il y a quelques années, elles avaient vu une personne en pareil accoutrement, avant qu'il fût devenu de mode, elles en auraient ri, et l'auraient peut-être méprisée ; à aucun prix, certainement, elles n'auraient consenti à l'imiter.

La mode n'a point changé le caractère intrinsèquement déshonnête de ces costumes indécents.

On réclame le relèvement moral du pays : ce n'est certes pas dans l'intention d'y contribuer qu'on a inventé et lancé les modes actuelles. Nées de la corruption, elles sont un des agents les plus efficaces de la dépravation des mœurs. Elles sont, par elles-mêmes, une provocation au mal, un excitant des passions. Nul ne peut de bonne foi en soutenir l'innocuité.

Ne laissez pas périr entre vos mains, femmes chrétiennes, ces belles traditions familiales de simplicité, de dignité de vie, de pureté de mœurs qui, dans les siècles passés, ont assuré l'honneur et le bonheur de vos foyers, et qui ont fait de la femme française le type de la distinction.

N'allez pas chercher vos modèles hors de chez nous. Depuis longtemps c'est la France qui donne le ton : maintenez-la digne de cette honorable prérogative.

En matière de toilette, le beau ne se sépare pas du bien, ni la distinction et l'élégance de la simplicité.

Veillez à ce que le costume de vos enfants soit toujours conforme aux règles de la décence, et ne permettez pas à vos filles de céder à l'entraînement des modes répréhensibles ; mais pour avoir l'autorité de leur faire accepter cette réserve, donnez-leur en vous-même l'exemple.

Tout se tient d'ailleurs : les concessions faites à la mode par trop de liberté et de frivolité dans le vêtement sont une brèche à la loi de la modestie ; par cette brèche s'introduira la facilité à se permettre toutes sortes de lectures, de spectacles, de divertissements, de fréquentations mondaines, au grand détriment des vertus domestiques et de la vie de famille.

II. En second lieu, il ne faut pas oublier que nous vivons en société et que nous avons les uns envers les autres des obligations, particulièrement celle de donner le bon exemple. Nous avons tous le devoir strict de ne pas scandaliser le prochain en le portant au mal par des exemples mauvais.

Ce devoir s'impose avec d'autant plus de rigueur que l'on appartient à une classe plus élevée de la société. Les classes inférieures, en effet, cherchent naturellement à se modeler sur les classes supérieures. Celles-ci doivent bien se garder de l'oublier, et ne donner jamais aux autres que des exemples qu'elles puissent imiter. Quelle autorité peuvent-elles avoir pour condamner dans le peuple un abus ou un désordre, si elles-mêmes se le permettent ?

Le peuple le comprend très bien : il a un sentiment inné, quoique confus peut-être, des convenances. Il se rend parfaitement compte que les personnes qui, à raison de leur naissance, de leur fortune, de leur culture, de leur profession, occupent dans la société un rang supérieur, sont obligées à une tenue en rapport avec la supériorité de leur rang ; et de même que l'étalage d'un luxe excessif et insolent sert de prétexte aux excitations anarchistes et révolutionnaires ; de même l'excentricité et l'indécence des modes tuent le respect que le peuple aurait pour les personnes des classes élevées, si elles avaient toujours une tenue digne de leur situation.

Les modes ridicules provoquent le mépris. Que les femmes auxquelles la Providence a donné parmi les autres un rang privilégié, évitent avec soin de donner prétexte à ce mépris ; qu'elles aient à cœur, au contraire, de mériter le respect par la dignité irréprochable de leur tenue : c'est un de leurs devoirs sociaux. :

III. Mais c'est surtout au sentiment religieux de nos femmes chrétiennes que nous voulons en appeler pour les détourner des modes indécentes ou même simplement inconvenantes.

De même que dans l'ordre des choses civiles, chacun tient à être vêtu selon que l'exigent les bienséances de son rang ou de son état, ainsi devons-nous observer dans l'ordre moral les bienséances de notre religion et de notre condition de chrétiens. Ces bienséances doivent se régler d'après les enseignements de notre foi.

Or, d'après les enseignements de notre foi, Dieu nous a fait l'honneur de nous créer à son image. Ne comprenons-nous pas l'obligation de respecter en nous cette divine ressemblance et de ne pas la déshonorer par une manière indécente de nous vêtir ?

Par le baptême Dieu nous a adoptés pour ses enfants. Si un enfant d'humble condition était adopté par un roi, ne serait-il pas tenu à ne porter que des vêtement s en rapport avec le rang auquel il aurait été élevé par une si haute faveur ? À combien plus forte raison, devons-nous honorer notre dignité d'enfants de Dieu, en nous interdisant toute mise qui ne s'accorderait pas avec une si surnaturelle condition ?

Nous devenons par la grâce sanctifiante les temples de l'Esprit saint, par la sainte Communion les sanctuaires vivants de la divine Eucharistie : est-ce que cela ne nous impose pas une tenue toujours digne des hôtes divins qui daignent nous honorer de leur visite et de leur présence permanente ?

« Ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont les temples de l'Esprit-Saint, les membres du corps mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ »: glorifiez donc et honorez par votre tenue extérieure Dieu présent en vous et en présence de qui vous êtes partout.

Enfin le Christianisme est essentiellement la religion de la Croix. Il comporte indispensablement une certaine gravité de mœurs, qui se résume en assujettissement de la chair à l'esprit. C'est à tous les croyants de son Évangile que Notre-Seigneur adresse ces. paroles : « Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il se renonce à soi-même, qu'il prenne ma croix et qu'il me suive. » Toute la vie du chrétien, son langage, sa tenue, ses mœurs doivent être marqués de l'empreinte de la Croix. Les modes frivoles et indécentes sont un retour aux mœurs païennes ; elles sont incompatibles avec l'esprit de l’Évangile, avec la morale chrétienne : une chrétienne doit se les interdire.

Nous exhortons donc nos fidèles diocésaines à ne pas se laisser entraîner au courant des modes inconvenantes, que réprouve le bon goût, aussi bien que la modestie naturelle à la femme honnête et sérieuse. Si les considérations que nous venons d'exposer ne réussissent pas à les convaincre et à les persuader toutes, nous ne doutons point qu'un grand nombre d'entre elles n'aient assez le sens chrétien pour en reconnaître la justesse et ne se fassent un devoir de s'y conformer.

Il est du moins un point sur lequel nous nous considérons comme certain de rencontrer une obéissance unanime : c'est que personne ne voudra plus se permettre de paraître à l'église avec ces toilettes inconvenantes, c'est-à-dire en robe décolletée ou les bras nus. S'il est un lieu où les modes frivoles et les nudités sont particulièrement déplacées, n'est-ce pas la Maison de Dieu ?

N'est-ce pas un inexcusable manqué de respect, pour ne point dire un défi ou une insulte à la sainteté de Dieu, que d'entrer dans son temple, et surtout de s'approcher des Sacrements dans une tenue si manifestement immodeste ? L'habitude qu'ont certaines personnes de ces sortes de toilettes les empêche sans doute de remarquer l'irrévérence qu'elles commettent en les portant jusque dans le lieu saint : Nous avons le devoir de le leur faire remarquer, et il n'en sera pas une qui, ainsi avertie, ne s'empresse, par respect pour la Maison de Dieu, de se conformer h nos recommandations.

En conséquence :

1° Nous exhortons instamment les femmes et les jeunes filles de notre diocèse à observer dans leurs vêtements les règles de la modestie chrétienne.

2° Elles doivent absolument s'interdire de paraître à l'église, surtout pendant les offices publics et pendant le saint sacrifice de la Messe, en robes décolletées ou les bras nus.

3° Elles ne seront pas admises dans cette tenue au saint Tribunal de la Pénitence ni à la sainte Table.

Et sera, la présente lettre pastorale avec le mandement qui la termine, lue et publiée au prône de la messe principale, dans les églises et chapelles de notre diocèse, le dimanche qui en suivra la réception.

Donné à Reims, en la fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, le 15 août 1925.

+ L.-J., Cardinal LUÇON,
Archevêque de Reims.

Par Mandement,

J. LECOMTE, Camérier de Sa Sainteté,
V. G., Secrétaire Général.

Référence

Bulletin du diocèse de Reims, 53e année, n°35, samedi 29 août 1925, p. 273-276.

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