Louis-Joseph Cardinal Luçon (1842-1930) |
Lettre
pastorale de Son Éminence le Cardinal Luçon, Archevêque de Reims,
au Clergé et aux Fidèles de son Diocèse.
NOS
TRÈS CHERS FRÈRES,
Nous
ne pouvons différer davantage de venir vous entretenir d'un abus que
tous les gens sensés sont unanimes à déplorer : nous voulons
parler des modes inconvenantes dans l'habillement des femmes.
Les
publicistes, les conférenciers, les médecins ont eu beau protester,
au nom de la morale, de l'esthétique et de l'hygiène, les plus
hautes autorités ecclésiastiques au nom de la modestie chrétienne
; peine perdue : les traits de la satire, comme les arguments de la
raison, se sont émoussés contre la tyrannie de la mode, le
sentiment religieux lui-même n'a pas réussi à se faire obéir, et
l'on voit des costumes et des nudités que la bienséance devrait
interdire même dans la rue, pénétrer aujourd'hui dans nos églises
et jusqu'à la Table Sainte, où elles sont plus déplacées que
partout ailleurs. C'est ce qui nous met dans la nécessité de
parler.
Il
n'est point dans notre rôle, ni dans notre intention de critiquer
sous le rapport de l'esthétique et de l'art ces manières
extravagantes de s'habiller, et de faire ressortir ce qu'elles ont de
ridicule et de contraire au bon goût dont notre pays s'est toujours
glorifié d'être la meilleure école.
Nous
ne les envisagerons point non plus sous le rapport de l'hygiène pour
faire remarquer que certaines nudités ne sont pas sans danger pour
la santé. Nous nous plaçons à un point de vue plus élevé.
I.
– Nous observerons, en premier lieu, que les modes actuelles ne
s'accordent pas avec l'honnêteté et la morale même simplement
naturelle.
La
modestie est la plus belle et la plus noble parure de la femme. Le
respect de soi-même et le sentiment de sa dignité devraient lui
inspirer le dégoût de ces costumes excentriques et de ces nudités
qui semblent un défi à la pudeur, et qui ne conviennent qu'à des
femmes auxquelles elles auraient honte de ressembler.
Si,
il y a quelques années, elles avaient vu une personne en pareil
accoutrement, avant qu'il fût devenu de mode, elles en auraient ri,
et l'auraient peut-être méprisée ; à aucun prix, certainement,
elles n'auraient consenti à l'imiter.
La
mode n'a point changé le caractère intrinsèquement déshonnête de
ces costumes indécents.
On
réclame le relèvement moral du pays : ce n'est certes pas dans
l'intention d'y contribuer qu'on a inventé et lancé les modes
actuelles. Nées de la corruption, elles sont un des agents les plus
efficaces de la dépravation des mœurs. Elles sont, par elles-mêmes,
une provocation au mal, un excitant des passions. Nul ne peut de
bonne foi en soutenir l'innocuité.
Ne
laissez pas périr entre vos mains, femmes chrétiennes, ces belles
traditions familiales de simplicité, de dignité de vie, de pureté
de mœurs qui, dans les siècles passés, ont assuré l'honneur et le
bonheur de vos foyers, et qui ont fait de la femme française le type
de la distinction.
N'allez
pas chercher vos modèles hors de chez nous. Depuis longtemps c'est
la France qui donne le ton : maintenez-la digne de cette honorable
prérogative.
En
matière de toilette, le beau ne se sépare pas du bien, ni la
distinction et l'élégance de la simplicité.
Veillez
à ce que le costume de vos enfants soit toujours conforme aux règles
de la décence, et ne permettez pas à vos filles de céder à
l'entraînement des modes répréhensibles ; mais pour avoir
l'autorité de leur faire accepter cette réserve, donnez-leur en
vous-même l'exemple.
Tout
se tient d'ailleurs : les concessions faites à la mode par trop de
liberté et de frivolité dans le vêtement sont une brèche à la
loi de la modestie ; par cette brèche s'introduira la facilité à
se permettre toutes sortes de lectures, de spectacles, de
divertissements, de fréquentations mondaines, au grand détriment
des vertus domestiques et de la vie de famille.
II.
En second lieu, il ne faut pas oublier que nous vivons en société
et que nous avons les uns envers les autres des obligations,
particulièrement celle de donner le bon exemple. Nous avons tous le
devoir strict de ne pas scandaliser le prochain en le portant au mal
par des exemples mauvais.
Ce
devoir s'impose avec d'autant plus de rigueur que l'on appartient à
une classe plus élevée de la société. Les classes inférieures,
en effet, cherchent naturellement à se modeler sur les classes
supérieures. Celles-ci doivent bien se garder de l'oublier, et ne
donner jamais aux autres que des exemples qu'elles puissent imiter.
Quelle autorité peuvent-elles avoir pour condamner dans le peuple un
abus ou un désordre, si elles-mêmes se le permettent ?
Le
peuple le comprend très bien : il a un sentiment inné, quoique
confus peut-être, des convenances. Il se rend parfaitement compte
que les personnes qui, à raison de leur naissance, de leur fortune,
de leur culture, de leur profession, occupent dans la société un
rang supérieur, sont obligées à une tenue en rapport avec la
supériorité de leur rang ; et de même que l'étalage d'un luxe
excessif et insolent sert de prétexte aux excitations anarchistes et
révolutionnaires ; de même l'excentricité et l'indécence des
modes tuent le respect que le peuple aurait pour les personnes des
classes élevées, si elles avaient toujours une tenue digne de leur
situation.
Les
modes ridicules provoquent le mépris. Que les femmes auxquelles la
Providence a donné parmi les autres un rang privilégié, évitent
avec soin de donner prétexte à ce mépris ; qu'elles aient à cœur,
au contraire, de mériter le respect par la dignité irréprochable
de leur tenue : c'est un de leurs devoirs sociaux. :
III.
Mais c'est surtout au sentiment religieux de nos femmes chrétiennes
que nous voulons en appeler pour les détourner des modes indécentes
ou même simplement inconvenantes.
De
même que dans l'ordre des choses civiles, chacun tient à être vêtu
selon que l'exigent les bienséances de son rang ou de son état,
ainsi devons-nous observer dans l'ordre moral les bienséances de
notre religion et de notre condition de chrétiens. Ces bienséances
doivent se régler d'après les enseignements de notre foi.
Or,
d'après les enseignements de notre foi, Dieu nous a fait l'honneur
de nous créer à son image. Ne comprenons-nous pas l'obligation de
respecter en nous cette divine ressemblance et de ne pas la
déshonorer par une manière indécente de nous vêtir ?
Par
le baptême Dieu nous a adoptés pour ses enfants. Si un enfant
d'humble condition était adopté par un roi, ne serait-il pas tenu à
ne porter que des vêtement s en rapport avec le rang auquel il
aurait été élevé par une si haute faveur ? À combien plus forte
raison, devons-nous honorer notre dignité d'enfants de Dieu, en nous
interdisant toute mise qui ne s'accorderait pas avec une si
surnaturelle condition ?
Nous
devenons par la grâce sanctifiante les temples de l'Esprit saint,
par la sainte Communion les sanctuaires vivants de la divine
Eucharistie : est-ce que cela ne nous impose pas une tenue toujours
digne des hôtes divins qui daignent nous honorer de leur visite et
de leur présence permanente ?
«
Ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont les temples de
l'Esprit-Saint, les membres du corps mystique de Notre-Seigneur
Jésus-Christ »: glorifiez donc et honorez par votre tenue
extérieure Dieu présent en vous et en présence de qui vous êtes
partout.
Enfin
le Christianisme est essentiellement la religion de la Croix. Il
comporte indispensablement une certaine gravité de mœurs, qui se
résume en assujettissement de la chair à l'esprit. C'est à tous
les croyants de son Évangile que Notre-Seigneur adresse ces. paroles
: « Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il se renonce à
soi-même, qu'il prenne ma croix et qu'il me suive. » Toute la vie
du chrétien, son langage, sa tenue, ses mœurs doivent être marqués
de l'empreinte de la Croix. Les modes frivoles et indécentes sont un
retour aux mœurs païennes ; elles sont incompatibles avec l'esprit
de l’Évangile, avec la morale chrétienne : une chrétienne doit
se les interdire.
Nous
exhortons donc nos fidèles diocésaines à ne pas se laisser
entraîner au courant des modes inconvenantes, que réprouve le bon
goût, aussi bien que la modestie naturelle à la femme honnête et
sérieuse. Si les considérations que nous venons d'exposer ne
réussissent pas à les convaincre et à les persuader toutes, nous
ne doutons point qu'un grand nombre d'entre elles n'aient assez le
sens chrétien pour en reconnaître la justesse et ne se fassent un
devoir de s'y conformer.
Il
est du moins un point sur lequel nous nous considérons comme certain
de rencontrer une obéissance unanime : c'est que personne ne voudra
plus se permettre de paraître à l'église avec ces toilettes
inconvenantes, c'est-à-dire en robe décolletée ou les bras nus.
S'il est un lieu où les modes frivoles et les nudités sont
particulièrement déplacées, n'est-ce pas la Maison de Dieu ?
N'est-ce
pas un inexcusable manqué de respect, pour ne point dire un défi ou
une insulte à la sainteté de Dieu, que d'entrer dans son temple, et
surtout de s'approcher des Sacrements dans une tenue si manifestement
immodeste ? L'habitude qu'ont certaines personnes de ces sortes de
toilettes les empêche sans doute de remarquer l'irrévérence
qu'elles commettent en les portant jusque dans le lieu saint : Nous
avons le devoir de le leur faire remarquer, et il n'en sera pas une
qui, ainsi avertie, ne s'empresse, par respect pour la Maison de
Dieu, de se conformer h nos recommandations.
En
conséquence :
1°
Nous exhortons instamment les femmes et les jeunes filles de notre
diocèse à observer dans leurs vêtements les règles de la modestie
chrétienne.
2°
Elles doivent absolument s'interdire de paraître à l'église,
surtout pendant les offices publics et pendant le saint sacrifice de
la Messe, en robes décolletées ou les bras nus.
3°
Elles ne seront pas admises dans cette tenue au saint Tribunal de la
Pénitence ni à la sainte Table.
Et
sera, la présente lettre pastorale avec le mandement qui la termine,
lue et publiée au prône de la messe principale, dans les églises
et chapelles de notre diocèse, le dimanche qui en suivra la
réception.
Donné
à Reims, en la fête de l'Assomption de la Sainte Vierge, le 15 août
1925.
+
L.-J., Cardinal LUÇON,
Archevêque
de Reims.
Par
Mandement,
J.
LECOMTE, Camérier de Sa Sainteté,
V. G., Secrétaire Général.
V. G., Secrétaire Général.
Référence
Bulletin
du diocèse de Reims,
53e année, n°35, samedi 29 août 1925, p. 273-276.
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