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vendredi 26 octobre 2012

L'importance de l'honneur en France, Ph. D'Iribarne, 2006



Le petit texte suivant permet d'aborder plusieurs sujets contemporains, parfois difficiles à saisir et comprendre :

- la différence de la France et des États-Unis, où la morale et la vertu tiennent une place publique si considérable ;

- le statut, en France, de la religion, de sa morale, et de l'éthique, même laïque, qui doivent être vécues dans l'intimité de la conscience individuelle, sans aucun contrôle de la sphère collective et dont les défenseurs publiques doivent toujours supporter un certain ridicule ;

- la difficulté, pour tous les ministres de l'Éducation Nationale, d'imposer l'enseignement d'une « morale laïque », à l'école de la République ;

- l'importance des statuts, en France, et des codes qui en découlent, même si on n'ose les décrire comme des codes d'honneurs, ce qu'ils sont cependant...



L'histoire des sociétés européennes est marquée par un double héritage éthique. 

À un héritage antique, grec et romain, se superpose un héritage biblique, et au premier chef évangélique, bien différent (1). L'un célèbre la grandeur et la magnanimité, l'autre l'humilité. L'un distingue radicalement les devoirs propres aux divers états de vie, l'autre soumet les puissants et le humbles aux mêmes devoirs.

Dans les sociétés européennes d'avant la Réforme, ces deux éthiques coexistaient. L'éthique sociale, sanctionnée par l'opinion, attachée aux exigences de l'honneur, cohabitait avec l'éthique religieuse, portée par l'Église, attachée aux exigences de la vertu. Parfois ces exigences s'opposaient radicalement, ainsi à propos du duel ou de la morale sexuelle masculine. Une stricte référence aux exigences évangéliques était réservée aux moines  voués aux « états de perfection », pendant que l'Église s'accommodait largement d'un « compromis entre les exigences de la morale temporelle et la morale chrétienne originaire » (2).

Dans la France de la fin de l'Ancien Régime, même si la France se dit « fille ainée de l'Église », l'éthique chrétienne reste soumise en pratique à rude concurrence de la part d'une éthique mondaine relevant du registre de l'honneur. 

« Dans les États monarchiques et modérés, écrit Montesquieu, la puissance est bornée par ce qui en est le ressort ; je veux dire l'honneur, qui règne, comme un monarque, sur le prince et sur le peuple. On n'ira point lui alléguer les lois de la religion ; un courtisan se croirait ridicule : on lui alléguera sans cesse celles de l'honneur (3). » 

Et si le règne de l'honneur n'interdit pas l'existence d'âmes pieuses, attachées à une éthique chrétienne, il incite cet attachement à rester discret. 

« Quand on était sage, rapporte un témoin d'époque, c'était par goût et sans faire le pédant ou la prude (4). » 

Le respect de l'éthique religieuse relève de l'intime, non du contrôle par une communauté de croyants identifiée au corps politique. 

Certes, en matière d'éthique comme ailleurs, la Révolution française et ses héritiers ont voulu radicalement innover. Pour certains, Robespierre, Saint-Just, la vertu, liée à la religion de l'humanité, est au cœur de la République (5). 

De multiples efforts ont été faits pour asseoir sa place dans la société. Les philosophes ont été vus comme ses prêtres. Jules Ferry et la troisième République ont voulu faire de l'école un instrument de sa diffusion. 

Mais comme la morale religieuse, la morale laïque ne relève pas d'un contrôle exercé par la communauté des « croyants » (des citoyens), mais des rapports de chacun avec sa conscience. l'époque où les sans-culottes ont prétendu exercer un contrôle à caractère moral paraît un temps de tyrannie. Et les conceptions du devoir qui ont  prévalu dans la sphère publique sont restées marquées par une éthique de l'honneur.


Notes

(1) Pierre Manent, La Cité de l'homme, Fayard, 1994.
(2) Ernst Troeltsch, Protestantisme et Modernité (1909, 1911, 1913), Gallimard, 1991, p. 62.
(3) Montesquieu, De l'esprit des lois (1747), première partie, livre III, chap. 10.
(4) Cité par Taine, Les Origines de la France contemporaines (1875), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1986, p. 107.
(5) François Furet,  La Révolution, Hachette, 1988, p. 151-152.


Référence

Philippe d'Iribarne, L'étrangeté française, Seuil, coll. « La couleur des idées », avril 2006, p. 79-80

jeudi 25 octobre 2012

Le surinvestissement parental, Bernstein et Triger, 2011


Depuis le milieu des années 1980, les parents se sont de plus en plus investis dans la vie de leurs enfants. Les média et les écrivains populaires ont décrit cette pratique comme « le style parental hélicoptère » (''helicopter parenting''), le « maternage étouffant » (''smothering mothering''), le « style parental alpha » (''alpha parenting''), ou le « style parental centré sur l'enfant » (''child-centered parenting'') (15). Nous userons du terme « style parental intensif » (''Intensive Parenting''), pour décrire le type dominant du parent contemporain (16). Ce parent est un parent qui s'investit intensivement, en développant activement la culture de son enfant, en acquérant une connaissance approfondie des meilleurs pratiques d'élevage des enfants, et en utilisant ce savoir pour suivre de près le développement de l'enfant et ses activités quotidiennes. (p. 1225) (…).

La pratique du style parental intensif se compose de trois éléments.

Premièrement, les parents acquièrent une connaissance approfondie de ce que les experts considèrent comme étant propre au développement de l'enfant, dans le but de reconnaître et de répondre à chaque stade du développement émotionnel et intellectuel de l'enfant (46).

Deuxièmement, les parents s'engagent dans l'« éducation culturelle concertée »  (''concerted cultivation''): les parents encouragent et valorisent activement les talents de l'enfant, orchestrent, pour l'enfant, de multiples activités de loisir, et interviennent régulièrement, au nom de l'enfant, dans les structures institutionnelles (47).

Troisièmement, afin d'atteindre les mêmes objectifs, les parents suivent de près de nombreux aspects de la vie de l'enfant. (p. 1232) (…).

Les effets psychologiques du style parental intensif.

Les parents qui s'engagent dans le style parental intensif procurent à leurs enfants d' importants avantages.

Le style parental intensif prend sa source dans le désir de façonner un enfant à l'attachement sûr, et assez évolué pour répondre aux besoins d'une société de plus en plus exigeante et compétitive (260).

La recherche a démontré que le style parental intensif donne des enfants mieux préparés à faire face aux institutions et qui savent faire fonctionner les règles en leur faveur ; alors que les enfants élevés sou l'influence de pratiques d'éducation différentes ont tendance à manifester de l'embarras dans leurs interactions avec les institutions (261).

D'autres recherches ont démontré les effets positifs du style parental intensif sur la motivation et la réussite universitaire (262), le comportement à l'école (263), la probabilité d'être blessé (264) et la satisfaction d'être à l'université (265).

Cela dit, alors que la première génération d'enfants élevés par des parents intensivement investis arrive à l'université, de nouvelles recherches psychologiques révèlent que le style parental intensif n'apporte pas seulement des avantages mais a, également, des conséquences indésirables sur les enfants.

Dans cette partie nous abordons ces études pionnières et indiquons qu'une intégration non-critique du style parental intensif au sein des normes légales peut faire courir le risque de contrecarrer l'un des rôles les plus importants des parents, à savoir, celui de nourrir le sens de l'indépendance et de la séparation d'avec eux-mêmes (266).

« Chaque automne, selon un professeur de l'University of Virginia, les parents laissent à eux-mêmes leurs étudiants de première année bon chic bon genre ; deux ou trois jours plus tard, nombre d'entre eux ont consommé une quantité dangereuse d'alcool, se mettant eux-mêmes dans une situation dangereuse. Ces gosses qui ont été sous contrôle si longtemps deviennent tous simplement dingues. (267) »

Le style parental intensif conçoit les enfants, quelque soit leur âge, comme vulnérables et sans défense. Par conséquent, le style parental intensif entraîne une surveillance constante destinée à les protéger (268). Il apparaît que, si, auparavant, la mission des parents était d'affronter l'enfant au monde extérieur, les parents actuels cherchent à protéger leur enfant de ce dernier (269).

Tout un îlot de recherche, qui s'ajoute à de nombreux éléments anecdotiques, suggère que les tendances actuelles du style parental intensif peuvent être, en fait, dangereuses pour les enfants.

Le style parental intensif ne permet pas aux enfants de développer leur sens de l'indépendance, de l'autonomie ainsi que les capacités d'adaptation nécessaires pour aborder les défis de l'existence (270). Les enfants élevés sous l'influence d'un style parental intensif ne parviennent pas à développer d'importantes compétences, qui incluent la capacité à organiser leur temps, à organiser des stratégies et à négocier dans le cadre d'un conflit ouvert durant le jeu (271). Dans l'ensemble, ils ont tendance à montrer moins de créativité, de spontanéité, de plaisir et d'initiative au cours de leur temps de loisir que les autres enfants, élevés dans le cadre de pratiques d'éducation différentes (272).

De surcroît, la recherche conduite ces dernières années, indique que les enfants de parents intensivement investis ont tendance non seulement à être moins indépendants, mais également moins attentifs et soucieux des sentiments des autres (273).

Beaucoup parmi ces enfants ont le sentiment que l'âge adulte commence seulement à l'âge de trente ans (274).

En outre, comparés aux autre générations, ils sont plus susceptibles de souffrir d'une basse estime de soi (275), de dépression, d'anxiété et de stress (276).

Les recherches montrent que les enfants de parents intensivement investis quittant le foyer conservent un contact permanent avec leurs parents par le biais de l'internet et du téléphone portable. Toutefois, cette communication continuelle infantilise le jeune en le maintenant dans un état constant de dépendance (277). Si jamais la plus petite difficulté paraît, ils s'en remettent, pour être guidés, automatiquement à leurs parents (278).

Il apparaît qu'un investissement parental plus élevé a contribué au déclin des prises de décisions et des capacités d'adaptation des étudiants.

Ils ne sont pas capables d'analyser les décisions importantes associées à la transition lycée-université (279). Ces déficiences soumettent cette génération d'enfants adultes, comparée aux générations précédentes, au risque élevé de faire de mauvais choix en matière d'alcool, de drogues, d'abus et de relations sexuelles (280).

De surcroît, ils sont plus sujets aux conflits non résolus et croissants avec leurs camarades de chambre et à la malhonnêteté intellectuelle (281).

Les autorités universitaires ont observé que, dans leur tentative d'empêcher leurs enfants de faire des erreurs, les parents encouragent leur dépendance (282). Par conséquent, les universités sont de plus en plus concernées par le fait que le style parental intensif inhibe le développement des étudiants vers l'état adulte indépendant (283).

En outre, les risques de l'investissement parental intensif ne trouvent pas seulement leur origine dans l'extension au jeune adulte de cette pratique d'élevage de l'enfant. La source du problème gît dans le style d'investissement parental lui-même. Le psychanalyste Bruno Bettelheim explique que le monde intérieur des enfants est appauvri par l'absence d'espace mental suffisant dédié au jeu (284). Le jeu est un mécanisme central à travers lequel les enfants entrent en relation avec le monde environnant et développent leur sens de l'indépendance et de la séparation (285). Or, l'investissement parental intensif demande une surveillance intense qui limite significativement le jeu (286). Le processus de séparation des parents est essentiel au développement sain de l'enfant ; mais le surinvestissement parental pourrait bien le mettre en danger (287).

Finalement, si certains enfants peuvent être réceptifs au style parental intensif, d'autres peuvent percevoir ce style parental comme du surinvestissement. Le style parental intensif peut tout simplement se révéler trop intense pour certains enfants.

Un mère, directrice de rédaction d'un journal, rapporta que, dans le but de passer plus de temps avec sa fille et de conserver sa carrière, elle décida de travailler de nuit ; or, ce fut sa fille qui « la poussa à travailler la journée . Il semble qu'elle pensa qu'avoir une Maman dans les pattes la plupart du temps n'était pas si marrant que ça, spécialement si Maman est toujours limite (288). » En effet, « [les] enfants sont le centre du ménage et tout tourne autour d'eux », observe un mère préoccupée, « [et] vous pouvez, dans ce cadre, rendre vos gosses complètement dingues (289). » (p. 1274-1277)

Notes

(15) Lisa Belkin, « Let the Kid Be », in N.Y. Times, 31 mai 2009, p. MM19.
(16) Nous empruntons et retouchons le terme utilisé par Sharon Hays, « Intensive Mothering  », cf. Sharon Hays, The Cultural Contradictions of Motherhood, p. 1-18 (1996).
(46) Cf. Hays, op. cit., p. 8.
(47) Annette Lareau, Unequal Childhoods : Class, Race and Family Life, (2003), p. 31.
(260) Cf. Hays, op. cit., p. 44 (discutant de la relation entre les normes contemporaines du style parental intensif et les théoriciens de l'attachement); Tali Schaefer, « Disposable Mothers: Paid In-Home Caretaking and the Regulation of Parenthood », in Yale Journal of Law & Feminism, n° 19, 2008, p. 336-37.
(261) Cf. Lareau, op. Cit., p. 5-6.
(262) Wendy S. Grolnick & Richard M. Ryan, « Parents Styles Associated with Children’s Self-Regulation and Competence in School », in J. Educ. Psychol., n°81, 1989, p. 149-51 (indiquant que les mères investies façonnent des enfants possédants de plus hauts grades universitaires); Timothy Keith et al., « Does Parental Involvement Affect Eighth-grade Student Achievement ? : Structural Analysis of National Data », in Sch. Psychol. Rev., n°22, 1993, p. 474 (démontrant qu'un investissement parental croissant a un impact direct sur la motivation des enfants, leur réussite et le temps passé à faire les devoirs à la maison).
(263) Cf. Grolnick & Ryan, op. cit., p. 143 (indiquant que les enfants de mères investies sont moins susceptibles d'être perturbateurs à l'école).
(264) Pour une approche plus générale, cf. David C. Schwebel et al., « Interactions Between Child Behavior Patterns and Parenting : Implications for Children’s Unintentional Injury Risk », in J. Pediatric Psychol., n° 29, 2004, p. 93, (abordant la corrélation entre le style parental intensif et la probabilité décroissante de blessure pour l'enfant).
(265) Sara Lipka, « Helicopter Parents Help Students, Survey Finds », in Chron. Higher Educ., 9 nov. 2007, p. A1 (citant un sondage indiquant que les étudiants dont les parents interviennent en leur nom sont plus actifs et satisfaits de l'université).
(266) Hara Estroff Marano, « A Nation of Wimps », in Psychol. Today, n°37, 1er novembre 2004, p. 64-66. , consultable à http://www.psychologytoday.com/articles/pto-20041112-000010.html.
(267) id., p. 62.
(268) Cf. Gill Valentine, « ‘My Son’s a Bit Dizzy.’ ‘My Wife’s a Bit Soft’: Gender, Children and Cultures of Parenting », in Gender, Place & Culture, n° 4 , p. 37-38 (1997); Gill Valentine, « “Oh Yes I Can.” “Oh No You Can’t”: Children and Parents’ Understandings of Kids’ Competence to Negotiate Public Space Safely », in Antipode, n° 29, 1997, p. 73.
(269) Tina Kelley, « Dear Parents: Please Relax, It’s Just Camp », in N. Y. Times, 26 juillet 2008, p. A1.
(270) Cf. par exemple, Wendy S. Grolnick & Kathy Seal, Pressured Parents, Stressed-out Kids : Dealing with Competition while Raising a Successful Child, 2008, p. 21-38 (argumentant du fait qu'un contrôle excessif de touts les aspects de la vie de l'enfant diminue, en fait, la motivation et les compétences de l'enfant) ; Richard Weissboard, The Parents we Mean : How Well-intentioned Adults Undermine Children's Moral and Emotional Development, 2009, p. 81-97 (2009) (illustrant le fait que la proximité accentuée entre les parents et les enfants fait obstacle à la capacité des enfants de se séparer avec succès de leurs parents); Gill Valentine & John McKendrick, « Children’s Outdoor Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the Changing Nature of Childhood », in Geoforum, n°28, 1997, p. 220, (1997) (argumentant du fait qu'un nombre moindre d'enfants jouent dehors que par le passé, principalement à cause des angoisses de leurs parents à propos de leur sécurité, et que cette tendance est en train de changer la nature de l'enfance).
(271) Cf. Lareau, op. cit., p. 67; Barbara K. Hofer & Abigail Sullivan Moore, The Iconnected Parent : Staying Close to your Kids in College (and Beyond) While Letting Them Grow Up, 2010, note p.90, p. 45-49 (rendant compte d'une étude sur des étudiants montrant que le style parental intensif est corrélé à des problème d'autorégulation, comprenant la gestion du temps, l'organisation et d'autres capacités inhérentes à l'étude).
(272) Cf. Lareau, op. cit., p. 83.
(273) Jean M. Twenge, Generation Me : Why Roday's Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – And More Miserable Than Ever Before, 2006, p. 25.
(274) id., p. 97.
(275) Alvin Rosenfeld & Nicole Wise, « The Over-Scheduled Child: Avoiding the Hyper-Parenting Trap », in Child & Adolescent Behavior Letter, n° 17, 2001, p. 6.
(276) Twenge, op. cit., p. 104-05; Anna M. L. van Brakel et al., « A Multifactorial Model for the Etiology of Anxiety in Non-Clinical Adolescents: Main and Interactive Effects of Behavioral Inhibition, Attachment and Parental Rearing », in Child Fam. Stud., n° 15, 2006, p. 570. Certes, les taux de dépression et d'anxiété ont augmenté dans les autres secteurs de la population, mais l'augmentation des niveaux de dépression et d'anxiété a été particulièrement forte chez les enfants et les étudiants. Twenge, op. cit., p. 107.
(277) Marano, op. cit., p. 64-66. Mais cf. Naomi Cahn & June Carbone, Red Families v. Blue Families : Legal Polarization and The Creation of Culture, 2010, p. 57-58; Courriel de June Carbone à Gaia Bernestein (12 octobre 2009) (argumentant du fait que, par le passé, les enfants, et particulièrement les femmes, quittaient la surveillance parentale pour entrer dans celle d'hommes mariés, au sein du mariage ou sur les lieux de travail, alors que, désormais, comme l'âge adulte est retardé, la surveillance parentale remplace minutieusement les structures surveillées des générations précédentes.
(278) Marano, op. cit., p. 66. Mais cf. Cahn & Carbone, op. cit. ; Courriel de June Carbone à Gaia Bernstein, op. cit.
(279) Hofer & Moore, op. cit., p. 39-40 (rapportant qu'une étude portant sur des étudiants démontre que les étudiants qui ont les contacts les plus fréquents avec leurs parents, se montrent moins autonomes que les autres étudiants) ; Darby Dickerson, « Risk Management for the Modern Campus », in Campus Activities Programming Mag., janvier-février 2007, p. A12-13.
(280) id.
(281) id.
(282) Judith Hunt, « Make Room for Daddy . . . And Mommy: Helicopter Parents Are Here ! », J. Acad. Admini. Higher Educ., printemps 2008, p. 9, consultable à http://jwpress.com/JAAHE/Issues/JAAHE-Spring2008.pdf?Spring07=Spring+2008+Issue+
(283) id.
(284) Bruno Bettelheim, « The Importance of Play », in Atlantic Monthly, mars 1987, p. 35, rediscuté dans Judith WARNER, Perfect Madness : Motherhogg in the Age of Anxiety, 2005, p. 235.
(285) Cf. David Elkind, « Thanks for the Memory: The Lasting Value of True Play », Young Children, n° 58, 2003, p. 46 (2003) (discutant de l'importance du libre jeu).
(286) Valentine & McKendrick, op. cit., p. 220-21; David Elkind, « Playtime Is Over » , in N.Y. Times, 27 mars 2010, p. A19 (rapportant que les écoles embauchent des « coachs de récréation » afin de surveiller les étudiants pendant ce temps).
(287) Cf. WARNER, op. cit., p. 235, 237. Pour une approche plus générale, cf. Mary D. Salter Ainsworth, « Infant-Mother Attachment », in Am. Psychologist, n°34, 1979, p. 932 (suggérant que le sain attachement mère-enfant implique, entre autres choses, de nourrir le sentiment de sécurité du petit enfant dans le cadre du lien mère-enfant et, ainsi, la capacité d'une séparation sans anxiété) ; Arlene Skolnick, « The Myth of the Vulnerable Child », Psychol. Today, février 1978, p. 60 (sur le fait, par la surprotection parentale, de nourrir « l'impuissance acquise » des enfants) ; Kenneth Sullivan & Anna Sullivan, « Adolescent-Parent Separation », Developmental Psychol., n°16, 1980, p. 93 (démontrant que la séparation est cruciale dans la mesure où elle facilite la croissance des garçons et leur développement sain en tant qu'adultes indépendants, tout en conservant les liens émotionnels avec leurs parents).
(288) WARNER, op. cit., p. 4.
(289) id., p. 6.

Référence

Gaia BERNSTEIN & Zvi TRIGER, « Over-Parenting », UC Davis Law Review, vol. 44, n°. 4, 2011. La version française présentée ci-dessus est le fait de l'auteur de ce blog.

dimanche 14 octobre 2012

Les causes de décès dans le monde


Sources : O.M.S, Planetoscope, O.N.U.

Si les données présentées s'avèrent erronées, merci de le signaler, par commentaires...


CAUSES
NOMBRE DE DÉCÈS/AN
Décès
59-62 millions
Maladies cardio-vasculaires  (2008)
dont : cardiopathies coronariennes 
           et  A.V.C. 
17,3 millions

7,3 millions

6,2 millions
Faim et sous-nutrition (2007, O.N.U.)

dont enfants < 5ans (2009, Ban Ki-moon)
9,125 millions (25 000/j)


6,205 millions (17 000/j)
Cancer  (2008)
dont cancer de la trachée, des poumons et des bronches (2008)
7,6 millions
1,39 millions
Tabagisme 
6 millions
Accès à l'eau insuffisant
5 millions
Infections des voies respiratoires inférieures  (2008)
3,46 millions
Diabète  (2004)
dont diabète sucré  (2008)
3,4 millions
1,26 millions
Pneumopathie chronique obstructive (2008)
3,28 millions
Alcool 
2,5 millions
Affections diarrhéiques (consommation d'eau ou d'aliments contaminés, 2008)
2,46 millions
Pollution atmosphérique (particules fines)
2,4 millions
Pollution intérieure domestique (2004)
2 millions
S.I.D.A.  (2009)
1,8 millions
Pneumonie (enfants de moins de 5 ans)
1, 4 millions
Tuberculose (2008)
dont tuberculose multirésistante 
1,34 millions
150 000
Accidents de la circulation  (2008)
1,21 millions
Malaria
1,2 millions
Suicides (2012)
1 million
Paludisme 
537 000 à 907 000
Hépatite B 
600 000
Grippe saisonnière 
250 000 à 500 000
Noyades
388 000
Hæmophilus influenzæ de type b (Hib) 
386 000
Hépatite C 
350 000
Réchauffement climatique (2009)
300 000
Drogues illicites (O.M.S, 2004)
250 000
Bilharziose (Figaro santé)
200 000
Homicides (2009)
197 333
Asthme bronchitique
180 000
Rougeol
139 300
Choléra 
100 000 à 120 000
Hépatite E 
70 000
Mélanome
65 000
Rage 
55 000
Fièvre jaune 
30 000

samedi 6 octobre 2012

Les mères abusives, 2006


L'amour maternel abusif est essentiellement captatif. La mère se sert de l'enfant en dépit d'une façade en apparence désintéressée.

- Elle veut que le comportement et les sentiments de l'enfant soient conformes à ce qu'elle attend de lui, c'est-à-dire qu'il vienne :

▪ compenser ses insatisfactions affectives profondes (recours à l'enfant),
▪ réaliser un idéal manqué car le plus souvent irréalisable,
▪ ou simplement épouser ses idées toutes faites et ses préjugés sociaux.

- Elle veut la perfection en tout et des succès qui lui fassent honneur.

- Elle veut, en outre, des preuves de soumission pour être sûre de ne pas laisser échapper cet enfant qui sert ses propres desseins. Tout témoignage de personnalité, toute manifestation timide d'autonomie est une atteinte portée à son amour maternel.

- La mère abusive veut enfin des preuves d'amour pour compenser ses insatisfactions affectives.

La mère abusive est exigeante, mais elle est aussi inconsciente du caractère anormal de son amour. C'est presque toujours en toute bonne foi que la tyrannie affective maternelle entre en jeu. La mère de l'anorexique mentale, par exemple, tyrannise sa fille sous des manifestations extérieures d'affection, se déclarant prête à tous les sacrifices pour la guérir, mais refusant énergiquement une séparation pourtant indispensable, prétendant que ce serait une erreur et que les médecins qui la préconisent se trompent. Et tout aussi inconsciemment, le fille continue de refuser les aliments qui symbolisent pour elle cet apport affectif de mauvais aloi.

- C'est parmi les femmes qui n'ont pas accepté leur féminité qu'on trouve le plus grand nombre de mères tyranniques. Pour des raisons personnelles, elles n'ont pu devenir pleinement des femmes. N'ayant pu assumer leur féminité, elles ont tendance à condamner ce qu'elles ne peuvent avoir, tout en essayant de compenser cette soi-disant infériorité par des manifestations de puissance et d'autorité, si faciles à exercer auprès de leurs propres enfants.

- Un autre type assez fréquent de mère abusive est celui de la mère scrupuleuse à l'excès. Il s'agit de femmes névrosées, remplies d'anxiété, de culpabilité inconsciente, qui ne savent que faire pour bien faire, écrasées par les obligations qu'elles se créent elles-mêmes, qui s'épuisent et épuisent leur entourage à la recherche d'une perfection jamais atteinte. Ce sont les mères surprotectrices et perfectionnistes qui exigent de l'enfant ordre rigoureux, exactitude, propreté absolue, etc.

La mère possessive aime trop exclusivement son enfant et le surcharge d'une affection débordante et trop exigeante, si bien que celui-ci sera fragile et sans défense face à la vie.

- L'excès de sollicitude et de marques extérieures d'amour maternel peut aussi masquer l'indifférence ou l'agressivité, ce dont l'enfant n'est pas dupe.


Les conséquence de l'amour maternel abusif

L'amour maternel abusif est captatif. Ne pouvant se mettre à la place de son enfant, la mère ne peut pas comprendre ni satisfaire correctement ses besoins, l'aider et l'éclairer. Elle en parviendra pas à saisir les motifs de ses réactions affectives, de son comportement et agira souvent à contretemps sur le plan éducatif. La mère qui prétend bien connaître son enfant et savoir ce qu'il lui faut sait en réalité ce qui convient à elle-même. En revanche, elle ne comprend pas grand-chose à son enfant. Elle a tendance à interpréter comme des offenses dirigées contre elle les erreurs que l'enfant fait sans malice.

Une mère normale sait qu'élever son enfant, c'est lui apprendre à se passer d'elle. C'est précisément ce que redoute et refuse la mère abusive, qui s'efforce de pérenniser chez lui le bébé qui était entièrement sous son pouvoir.

L'enfant n'est pas indifférent aux sentiments affectifs réels de ses parents et y réagit de différentes façons.

- C'est tout d'abord son sentiment de culpabilité qui entre en jeu : si quelque chose ne va pas entre sa mère et lui, celle-ci ne peut en être responsable puisque, en tant que parent, elle est douée de perfection ; le coupable ne peut donc être que lui-même.

- L'immaturité affective, avec ses multiples manifestations infantiles (énurésie, encoprésie, parler bébé, suçage prolongé du pouce, caprices alimentaires, turbulences en présence de la mère) a souvent pour cause principale un amour maternel abusif.

L'avenir de ces enfants victimes d'une mère abusive dépend de leur personnalité propre. 

Beaucoup garderont toute leur vie, sous forme d'un infantilisme affectif, la marque de cette arriération affective, pour avoir été trop longtemps freinés dans leur développement par l'amour abusif de leur mère. Ils seront incapables de couper le cordon ombilical psychologique.

Référence

Marie-Noël Tardy-Ganry et Thérèse Durandeau, Les troubles de la personnalité chez l'adolescent. Comment réagir en tant que parent ?, coll. Éclairages, Studyparents, 2006, p. 88-90. Les tirets et points de mise en forme sont un ajout de l'auteur de ce blog, destiné à la meilleur compréhension du texte.

Les carences affectives d'origine maternelle, 2006


Ce sont les séparations durables survenues pendant les trois premières années et notamment du sixième au quinzième mois qui sont les plus graves.

De trois à cinq ans, les enfants, ne vivant plus exclusivement dans le présent, n'ont plus cette impression d'abandon total et peuvent imaginer vaguement un temps où leur mère reviendra. Le développement du langage élémentaire leur permet aussi de meilleurs contacts sociaux.

Après l'âge de cinq ans, les troubles du développement deviennent rares et moins graves.

En revanche, les conséquences fâcheuses d'une carence maternelle se manifestent sur le plan de l'évolution affective.

Les enfants ayant dépassé l'âge de cinq supportent d'autant mieux la séparation que leurs relations antérieures avec leur mère a été meilleures. Un enfant qui a acquis une sécurité de base suffisante n’interprétera pas l'éloignement du milieu familial comme une punition et un abandon. Il adhérera plus aisément aux raisons qui lui sont fournies.

Les manifestations tardives, chez l'adolescent ou chez l'adulte, de la carence affective infantile durable revêtent des formes différentes de celles présentées chez les jeune enfant. Elles n'en sont pas moins la traduction du caractère indélébile de la souffrance affective subie par l'enfant.

Ce qui les caractérise avant tout, c'est un trouble profond de l'affectivité et, partant, l'inaptitude des individus à établir des relations sociales normales.

Par ailleurs, on a pu remarquer chez les sujets qui ont souffert de ce type de carence affective :
- la présence fréquente d'une difficulté à soutenir l'attention, 
- l'instabilité, 
- le manque d'esprit critique, 
- le manque de sens des réalités objectives 
- et l'inaptitude à l'abstraction pure ou au raisonnement logique.

On peut aussi se demander si cette carence affective infantile durable n'engendrerait pas certaines formes de schizophrénies juvénile, qui sont avant tout caractérisées par :
- des troubles de l'affectivité, 
- un contact défectueux sur le plan individuel 
- et une mauvaise adaptation sociale. 

Certains enfants qui en ont souffert n'ont pu, devant les exigences accrues de l'adolescence, maintenir les compensations qu'ils avaient pu créer et qui avaient été jusqu'alors suffisantes.

Les troubles des relations sociales sont très fréquentes chez les adolescents qui ont souffert d'une carence affective à la suite d'une séparation avec leur mère ou d'une relation perturbée avec elle.

La délinquance étant le témoignage le plus évident d'une mauvaise adaptation sociale, on ne s'étonnera pas de la rencontrer fréquemment chez les jeunes carencés sur le plan affectif. Les principales manifestations de cette délinquance juvénile sont la prostitution, le vol et la fugue.

Un certain nombre d'études ont mis en évidence la fréquence de la carence affective et du mauvais exemple maternel chez les jeunes prostituées.

Certains vols, dit de « compensation affective », se rencontrent chez des enfants ou des adolescents qui souffrent d'un manque d'affection, notoire ou méconnu. Ces vols ont des caractères bien spécifiques : ils portent le plus souvent sur des friandises ou sur de l'argent qui permet de s'en procurer, mais cet argent n'est jamais mêlé à celui que l'enfant peut par ailleurs posséder légitimement. C'est un vol « généreux », dans la mesure ou l'enfant en distribue volontiers le produit à ses camarades. Tout se passe comme si le produit matériel du vol ou les satisfactions procurées ainsi aux autres pouvaient combler symboliquement le vide affectif béant du cœur du jeune voleur.

Les fugues, enfin, ne sont pas rares chez les jeunes souffrant de carences affectives ou chez ceux qui croient en souffrir. Le « vagabondage-test » est le plus souvent le fait d'un jeune qui, se croyant mal aimé, par à l'aventure avec, au fond du cœur, l'impatience de connaître la réaction de ses parents, car c'est d'après l'anxiété que ceux-ci manifesteront alors à son égard qu'il jugera de la réalité et de la profondeur de leur affection.

Référence

Marie-Noël Tardy-Ganry et Thérèse Durandeau, Les troubles de la personnalité chez l'adolescent. Comment réagir en tant que parent ?, coll. Éclairages, Studyparents, 2006, p. 86-88.

dimanche 30 septembre 2012

Avant tout, aimer les petits-enfants, par A.-A. Necker de Saussure, 1841

Voici exposés ci-dessous quelques principes, bien sentis, d'éducation des petits enfants :
 
- la nécessité d'orienter au bien en faisant éclore, chez les enfants, l'amour par l'amour (principe opposé, en tout, à celui que fera prévaloir, plus tard, le behavioriste John B. Watson,  cf. le message qui lui est consacré) ;
- l'amour et la tendresse, aussi nécessaires au petit enfant que la nourriture l'est pour son corps (on  pourra se reporter aux travaux bien plus tardifs de René Spitz sur les carences affectives) ;
- l'influence sur les enfants, en bien ou en mal, du comportements des adultes ;
- la nécessité de privilégier la bienveillance et d'éviter toujours l'explosion de colère et la violence.

 
A.-A. Saussure de Necker (1766-1841)
Il semble qu'on cherche à fermer les yeux sur l'importance des premières années, on parle de ce temps avec dédain. De ce qu'un petit enfant ne comprend pas nos grands discours, de ce qu'il n'est pas susceptible d'une instruction régulière, on conclut que c'est un être sans conséquence qu'on ne peut soigner que physiquement. Comme sa vie se passe en jeux, on le voit comme un jouet lui-même. Tout en lui semble insignifiant, parce que tout est vague ; mais si tout était arrêté, nous n'aurions plus de pouvoir.

Quand vous avez laissé passer la saison favorable de la sympathie sans en tirer les fruits heureux, tels que le désir de plaire, celui d'obliger, le besoin de secourir les êtres qui souffrent, le pouvoir de se priver en faveur des autres de quelques plaisirs, vous atteignez bientôt une époque fâcheuse, celle où l'enfant comprend jusqu'à un certain point vos exhortations, mais sans en recevoir d'impression sensible. Vos raisonnements seront alors écoutés, compris, approuvés peut-être, mais ils produiront en réalité peu d'effet sur lui, parce que vous en appellerez à des mobiles qui n'auront pas acquis assez d'activité dans son âme. L'enfant saisira passablement la suite logique des idées, il sentira qu'elles découlent bien les unes des autres, mais c'est leur enchaînement qu'il admettra, non les idées mêmes. Il sera dans l'état de celui qui vous entendrait additionner tout haut une colonne de chiffres, qui jugerait que vous procédez régulièrement, qui, si vous veniez à dire trois et trois font cinq, vous redresserait, mais sans qu'il s'ensuivît de là que ces nombres fussent pour lui la représentation de valeurs réelles.

C'est ainsi qu'un enfant de six à sept ans écoute bien souvent votre morale. Il ne peut en contester les principes ; souvent même il paraît les admettre avec plaisir ; s'il a de la facilité à parler, peut-être en déduira-t-il sur-le-champ quelque belle conséquence, mais ne comptez pas trop sur les résultats de sa conviction. Quand le cœur n'est pas déjà bien disposé, un tel exercice d'esprit a peu d'influence sur la conduite.

Le développement de cette idée fondamentale nous mènerait loin et serait actuellement prématuré, mais je ferai pourtant cette remarque : puisque l'enfant a été rendu capable d'éprouver des affections avant qu'il pût encore former aucune combinaison d'idées, ne serait-ce pas que le Créateur a commencé par préparer les éléments dont la moralité future doit se composer ? Négliger de communiquer à l'enfant de bons sentiments, en nous servant du secours si passager de la sympathie, c'est renverser un ordre admirable. Alors quand la saison que nous attendions pour entreprendre l'œuvre est arrivée, nous n'avons point de bon levier à faire agir. Nos principes de morale deviennent des formules vides qui ne répondent à rien dans le cœur.

Si l'importance des sentiments que nous inspirons aux très petits enfants n'était pas prouvée, encore faudrait-il la supposer ; ce serait d'abord le parti le plus sûr, ensuite ce serait le moyen dont il y aurait le plus à espérer pour l'avenir. Toutes les ressources imaginables ont été employées pour d'autres âges. Le raisonnement a fait ce qu'il a pu, l'enseignement de même ; les punitions, les récompenses, l'extrême excitation de l'amour propre, toute la grosse artillerie de l'éducation a joué, souvent avec bien peu d'avantage. La seule chose qu'on n'ait pas tentée, du moins avec régularité, c'est de donner une sorte d'éducation positive au premier âge, c'est non seulement d'éloigner du petit enfant l'exemple du mal, mais de lui imprimer un léger mouvement vers le bien, et de le faire entrer avec une heureuse direction dans la vie.

Néanmoins, si cette route n'a pas été suivie méthodiquement, que de fois ne l'a-t-elle pas été par inspiration ! Que de caractères heureux, que de qualités aimables ne sont pas dus à cette sympathie du premier âge, que les mères savent si bien développer, dont elles font un usage toujours si doux et parfois si judicieux ! Mais quel plus grand service rendre à la première éducation, que d'étendre et de régulariser, s'il se peut, ce que la tendresse et le bon sens ont bien souvent dicté aux mères ?

Le moyen d'influer sur les petits enfants leur est bien connu ; il leur est bien aussi indiqué par la Providence, puisqu'il consiste d'abord à les aimer. Ce sont elles, c'est leur amour qui doivent exciter une douce chaleur dans l'âme nouvelle ; leurs regards, leurs caresses, y font éclore des affections qui semblent ne demander qu'à naître. Sans ces témoignages d'attachement, de telles affections ne se formeraient peut-être pas. Un malheureux enfant privé des caresses maternelles n'admettrait peut-être que bien tard un rayon d'amour dans son cœur. Il en serait ainsi des sentiments tendres comme des autres, et ce qu'il y a de meilleur chez les enfants attendrait une impulsion extérieure pour se développer. Mais quand cela serait, qu'importerait encore ? En seraient-ils moins sûrs d'être animés de bons mouvements ? Qu'y a-t-il de plus infaillible que l'amour des mères ? Là, rien d'accidentel, rien qui dépende des circonstances, des qualités mêmes de l'enfant. Ce n'est pas seulement pour la conservation de sa frêle existence qu'il a été confié à l'instinct le plus fort de tous, c'est pour qu'il ait la vie morale ; son corps et son âme si neuve ont été mis sous la même sauvegarde, la plus certaine et la plus puissante ici-bas. L'enfant, comme nous l'avons vu, a donc le cœur éveillé avant l'esprit ; l'étincelle du sentiment est chez lui la première à s'allumer, comme elle est la moins sujette à s'éteindre. La loi de l'amour, qui produit l'amour, dit l'illustre Chalmers, se maintiendra dans l'éternité. C'est le trait le plus indélébile de notre nature ; l'innocente créature encore au berceau le manifeste, et on le retrouve encore chez le criminel le plus endurci. Un malheureux qui paraît mort à toute moralité se voit-il l'objet d'une bonté sincère, un commencement d'émotion est excité dans son cœur desséché, et il admet un nouveau principe de vie.

C'est si bien l'amour qui produit l'amour chez l'enfant, qu'il a un tact extraordinaire pour le reconnaître. Ses préférences qui semblent bizarres sont fondées sur une divination inconcevable à cet égard. La laideur, les infirmités de l'âge, ne le rebutent point ; les services les plus essentiels ne le touchent guère : c'est de l'amour qu'il lui faut ; il lui en faut sans beauté, sans agrément extérieur, sans titre même à la reconnaissance ; mais quand il en trouve l'expression, les actes de bonté qui en sont la preuve redoublent son attachement. En revanche son aversion pour les physionomies froides et sèches est insurmontable. 
 
Il faut d'autant plus éviter d'exciter cette dernière impression qu'il n'en peut résulter que du mal. Les personnes que l'enfant n'aime pas n'ont sur lui qu'une influence fâcheuse ; il prend d'elles les mauvais exemples et non les bons. La peur, l'impatience, la colère, se transmettent d'un indifférent à un autre, la haine même en faciliterait la communication. Mais, pour adopter des affections douces, il faut aimer ; la tendresse est la chaleur nécessaire pour le développement des germes heureux. C'est la première nourriture, et comme le lait de la jeune âme qui ne peut croître et se fortifier qu'au moyen d'un tel aliment.

Ce n'est donc pas assez que les enfants soient bienveillants, il faut qu'ils aiment ; la bienveillance ouvre le cœur, mais l'amour seul le réchauffe et le remplit. Il s'allie de plus près à la force d'âme que la sympathie ; celle-ci peut exister et prendre parfois trop d'empire chez des êtres faibles, mais il n'y a qu'une certaine vigueur morale qui rende capable d'attachement. Aussi je ne conseillerai jamais, sans cause majeure, de dérouter les premières affections des enfants. Un changement de nourrice ou de bonne est une crise qu'on doit leur épargner, quand on le peut. S'ils ont naturellement une vive sensibilité, il y a du danger à une telle épreuve ; on a vu de pauvres enfants séparés de la personne qu'ils aimaient le plus, prendre une mélancolie noire et mourir ; si au contraire, ils sont froids et légers, ils le deviendront toujours davantage ; leur sentiment ne se fixera nulle part, et bientôt on verra naître l'égoïsme, vice bien odieux en lui-même, et qui ôte toute prise à l'éducation. La jalousie des mères les porte parfois à éloigner des rivales subalternes qui leur semblent usurper leur place dans le cœur des enfants ; mais c'est mal entendre leur propre intérêt. Les affections se transplantent plus aisément qu'elles ne croissent ! Le sentiment déjà formé peut changer d'objet, mais la difficulté, c'est qu'il prenne assez de force pour détourner l'enfant de s'occuper uniquement de lui. Une fois qu'on se préfère à tout, il n'y a plus à espérer d'inconstance, et l'amour de soi est le plus fidèle des amours.

(...)

Cet échange de sentiments doux est aussi le seul moyen de développer l'intelligence de l'enfant. Tout autre langage que celui de la bienveillance l’hébète et le fait tomber au-dessous de lui-même. Ainsi c'est bien à tort, selon moi, qu'on prend souvent un accent rude et menaçant pour détourner les petits enfants de certaines actions nuisibles : vous leur faites suspendre l'action, j'en conviens, mais c'est parce que vous portez le trouble dans leur âme.Vous rompez le cours de leurs idées. Ils ne font plus que pleurer, et quand ils sont apaisés, ils ont oublié la chose dont ils s'occupaient ; mais ils n'imaginent pas que vous la leur ayez interdite, et ils recommenceront à la première occasion. Quand ils mettent un sens à nos paroles, c'est par sympathie : l'accent et la physionomie leur expliquent le sens des mots, et de là vient une extrême inégalité dans leur facilité à nous comprendre. Si donc vous coupez court à cette disposition par la violence, ils ne vous entendent plus du tout. Il est vrai qu'à force d'associer le souvenir d'une impression de frayeur à l'idée d'un certain acte, ils pourraient à la longue s'en abstenir ; c'est ainsi qu'on élève les animaux et qu'on les dompte. Mais si vous adoptez ce genre d'éducation avec l'enfant, il en recevra bientôt un autre. Témoin de votre colère, il en prend à coup sûr l'exemple de vous, et les mots injurieux dont vous l'accablez vous seront avant peu appliqués à vous-même. L'instinct d'imitation est plus fort chez les enfans en bas âge que la crainte, et à moins d'un excès de sévérité heureusement devenu très rare, nous sommes pour eux des modèles bien plus que des objets d'effroi.

Le contraire précisément s'offre à nous chez les animaux. La peur agit d'une espèce à l'autre, tandis que le penchant à l'imitation ne s'exerce que dans l'enceinte d'une même espèce. Si vous maltraitez un chien, et qu'il vous menace, il ne songe qu'à se défendre et non à vous imiter. On ne voit pas, les singes exceptés, qu'aucune créature vivante hors de notre espèce répète nos actes. Toutes, dans l'enfance, prennent l'exemple de leurs père et mère, et les créatures humaines particulièrement.

Ne vous fâchez donc jamais ni contre l'enfant ni en sa présence. Jusqu'à l'âge de trois ou quatre ans, la plus vertueuse indignation ne sera que de la colère à ses yeux. Vous prendriez sa cause en main que bientôt le motif lui échapperait, et l'effet qui frappe les sens agirait seul sur son imagination mobile. Lorsqu'on pense à l'avantage immense que les gens de sang-froid ont sur les autres dans la vie, comment ne pas chercher à procurer cette supériorité aux enfants?

Assujetti comme il l'est par sa condition, le jeune être se sent pourtant libre intérieurement, et il a un sentiment d'indépendance : à son âge il n'est rien de servile dans l'existence, rien dans les prières, rien dans la complaisance, rien même dans l'effet de la peur. L'enfant de dix-huit mois agit comme il lui plaît ou n'agit pas ; sa faiblesse et notre pouvoir n'entrent point en ligne de compte. Ses sollicitations qui ne sont pas du tout humbles, ne deviendraient des ordres que trop aisément. Quand il cherche à vous obliger, c'est parce qu'il vous aime, parce qu'il a du plaisir à vous contenter ; si vos menaces réussissent un moment à l'effrayer, revenu de son étourdissement, il n'en est pas plus docile, et votre emportement, en déroutant son intelligence, a augmenté sa disposition à s'irriter.

C'est ainsi que si nous savions distinguer les résultats de notre conduite, nous les verrions se multiplier avec le temps, et nous les trouverions toujours plus étendus que nous ne pensions. Les divers stimulants du développement moral dont j'ai parlé, la sympathie, l'amour, l'instinct d'imitation, l'attente des plaisirs et des peines, sont autant de fils qui ne peuvent être mus que par nous. La nature du premier âge se manifeste par l'avidité du nouveau-né à accueillir les sensations, par le pouvoir qu'il acquiert bientôt d'employer, de transformer de mille manières les matériaux que nous fournissons à son esprit plus ou moins immédiatement. Nous influons sur les enfants sans le vouloir, par l'effet des soins les plus nécessaires ; la question n'est pas de savoir si nous modifierons ou non l'âme de l'enfant, mais si nous le ferons ou non avec discernement.

 
Référence
 
 Albertine-Adrienne Necker de Saussure, L'éducation progressive : ou, Étude du cours de la vie, tome I : Étude de la première enfance, Paulin, Garnier Frères, Paris, 1841, p. 190.