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vendredi 28 décembre 2012

La liberté dans le christianisme


Quel est le plus solide fondement de la puissance que l'Église exerce sur les âmes? 
 
C'est la révélation, c'est le dogme qui fait de Jésus-Christ un Dieu. C'est aussi ce dogme qui rend toute liberté religieuse impossible. Quand la religion est considérée comme émanant d'une révélation directe de Dieu, il ne peut plus être question de liberté de conscience.

Qu'est-ce que les défenseurs de l'intolérance opposaient au dix-huitième siècle, aux philosophes qui revendiquaient la tolérance ?

« Si chacun était libre d'adopter telle croyance qu'il juge convenable, il était inutile que Jésus-Christ descendit sur la terre. À quoi sert l'Évangile, si Dieu trouve bon que tout homme se fasse une religion à son gré (1) ? » 

La religion, dans cet ordre d'idées, devient une loi, loi imposée par Dieu même ; lui désobéir, est le plus grand des crimes, le crime de lèse-majesté divine. (...)

 Écoutons saint Ambroise, cet illustre Père que les ultramontains célèbrent comme un des premiers défenseurs de la liberté de l'Église ; on va voir si la liberté de l'Église est la liberté des croyants :

« Sous des princes chrétiens, l'on ne doit permettre que la profession de la vraie foi ; envers les idolâtres, les juifs, les hérétiques, en un mot, les ennemis de l'Église, il ne peut être question de tolérance. Le pouvoir confié aux souverains doit servir avant tout à soutenir la cause de Dieu, et à frayer aux hommes la route du ciel. En effet, les princes sont complices des crimes qu'ils ne punissent pas, et les crimes les plus, grands sont ceux qui se commettent envers le plus grand des êtres (2). » (...)

 « L'Église, dit saint Augustin, persécute en aimant et par amour. » Elle veut sauver malgré eux les malheureux qui, plongés dans l'erreur, sont exposés à encourir la damnation éternelle : « Si un hérétique meurt dans le péché, et si vous l'aviez pu sauver par la force, votre tolérance ne sera-t-elle pas une véritable haine? » (...)

En vérité, les croyances du christianisme orthodoxe semblent inventées pour tuer la liberté dans sa source. La révélation et le droit de penser librement sur la foi révélée sont évidemment incompatibles.

Cela ne suffit point. Dans son zèle aveugle pour le salut des fidèles, le christianisme traditionnel voudrait anéantir tout libre développement de l'activité individuelle, en brisant la nature humaine. N'est-ce point le désir de savoir, n'est-ce point la désobéissance du premier homme qui ont entraîné sa chute ? Cette chute n'a-t-elle point vicié notre nature, au point que pour la réparer, il a fallu l'incarnation et le sacrifice du Fils de Dieu ? 
 
Il faut donc briser cette nature corrompue, il faut tuer l'homme infecté du péché originel, afin que l'ange en lui l'emporte sur la bête.

Qu'est-ce à dire? Et que deviennent dans ce dogme ce que nous appelons les droits naturels ? S'ils sont naturels, ne faut-il point les répudier, les flétrir, comme tout ce qui tient à notre nature ?  

Ce que l'on exalte sous le nom de droits naturels, c'est, en définitive, le développement de la nature humaine, avec tous ses instincts, bons et mauvais, en supposant qu'il y en ait de bons. 

Or, loin de développer la nature corrompue par le péché, il faut l'anéantir, si l'on veut être chrétien. Un écrivain anglais qui a écrit un excellent livre sur la liberté, dit que dans la croyance du péché originel, telle que les protestants orthodoxes la comprennent, il ne peut pas être question de droits individuels (3). 

On peut hardiment joindre les catholiques aux calvinistes ; quoi qu'ils en disent, ils sont, au fond, du même avis. 

Nous parlons des vrais catholiques, de ceux des premiers siècles, et non des catholiques modernes qui, à force de vouloir accommoder le christianisme aux sentiments nouveaux de l'humanité, créent une religion nouvelle, une religion que saint Augustin aurait repoussée comme une hérésie.

Le monachisme a toujours été célébré comme l'idéal de la perfection évangélique. Et qu'est-ce que les moines pensaient de la nature et de ses droits ?

Les plus forts, les anachorètes, les saints du désert, auraient voulu l'anéantir ; ils lui refusaient même la satisfaction de ses besoins les plus légitimes, la nourriture et le sommeil. Tous détruisaient, autant que cela était possible à la créature, l'œuvre du créateur.

Nous disons que la liberté est un droit naturel, parce que Dieu nous a créés libres. Les moines n'avaient plus en leur puissance, ni leur corps, ni leur volonté. Ils tuaient la personnalité humaine. L'obéissance absolue est de l'essence de la vie monastique. Saint Basile dit qu'user de sa propre volonté, agir d'après son libre arbitre, est une chose contraire à la raison (4).
 
Peut-il y avoir une opposition plus radicale entre la perfection évangélique et ce que nous considérons comme le but de la destinée humaine ? Que l'on ne dise point que nous exhumons des excentricités pour critiquer le christianisme. Nous étudions le christianisme des premiers siècles, puisque c'est celui-là que l'on invoque pour en faire le précurseur de la Révolution.

Niera-t-on que la réprobation de la nature, que la destruction de l'individualité soient de l'essence du christianisme traditionnel ?

Qu'on nous explique alors comment il se fait qu'on retrouve ces tendances partout où il y a des fidèles disciples du Christ. 

Laissons là les saints du désert, puisqu'on les répudie. Répudiera-t-on aussi les moines mendiants, et à leur tête saint François, celui qui imita en tout son divin maître ? En quoi plaçait-il cette imitation ? Il demandait à ses moines de mourir à la vie naturelle, de se faire cadavres, pour renaître ensuite à la vie de l'âme (5). Peut-il être question de droits appartenant à des cadavres ? Leur droit, c'est de pourrir. C'est aussi l'unique droit du chrétien. 

Voici les derniers venus des disciples du Christ qui paraissent sur la scène : ils portent le nom de jésuites, pour marquer qu'ils sont par excellence les imitateurs de sa perfection. Il faut les écouter, ceux-là ; impossible de les répudier, car ils règnent. Tout le monde connaît la célèbre comparaison des jésuites avec un bâton ou un cadavre. Cela est déjà assez significatif. Nous venons de demander quel est le droit d'un cadavre ? Veut-on bien nous dire quel est le droit d'un bâton ?  Écoutons saint Ignace lui-même :

« Soyez persuadés, dit-il à ses disciples, que tout ce que le supérieur commande, c'est Dieu même qui l'ordonne; dans tout ce qu'il ordonne, il faut que l'ardeur AVEUGLE d'une volonté prompte à obéir vous porte SANS EXAMEN où ses ordres vous appellent... Déposez ENTIÈREMENT votre volonté, ABDIQUEZ, ABANDONNEZ, SACRIFIEZ VOTRE LIBERTÉ, que vous avez reçue du Créateur, à la discrétion de ses ministres. » 

 Tous les ordres religieux tendent à annuler l'individualité humaine ; mais saint Ignace avait raison de dire que les jésuites poussent cette vertu jusqu'à la perfection. 

« Celui qui veut entièrement s'offrir à Dieu, outre sa volonté, doit encore lui sacrifier son esprit, son jugement, et conformer son esprit au sien... Il faut être comme un CADAVERE, qui se laisse traiter comme on veut, ou comme un BÂTON qu'un vieillard porte en main, et dont il se sert pour aller il veut, et qu'il emploie comme il veut (6). »

Si la perfection des jésuites est l'idéal de la perfection chrétienne, telle que la conçoit le christianisme historique, elle nous montre aussi le fruit de cette prétendue perfection. Comment peut-il rester un atome de force individuelle chez des hommes qui ont pour but de leur vie de tuer toute individualité ? Il n'y a qu'une âme dans la compagnie de Jésus, c'est soi-disant celle du Christ, c'est en réalité celle du général ; tous les autres membres sont sans vie véritable, car ils n'ont plus d'existence propre; ce sont, à la lettre, des cadavres. Et l'on s'étonne que dans une compagnie qui cherche à accaparer tous les talents, il règne une si désolante médiocrité ! Ce sont des machines qui fonctionnent admirablement, mais ne demandez point le génie à des machines ; elles sont mises en mouvement, et elles marchent, c'est toute leur mission. Et si l'humanité entière entrait dans cette voie de perfection ! Que deviendrait alors la liberté qui nous est si chère? Nous aurions la liberté qui appartient aux engrenages d'une mécanique. Dieu nous garde de la perfection des révérends pères !


Notes

(1) Bergier, Dictionnaire de théologie, an mot, Intolérance.
(2) Ambrosii, Epist. XVII.
(3) John Stuart Mill, On Liberty, pag. 111
(4)  Voyez mon Étude sur le christianisme, 2e édition.
(5) Mortuox non vivos, ego volo meus sectatores. (S. Francisci, Colloq., 40, pag. 263.)
(6) Omer Joly de Fleury, Compte rendu des constitutions des jésuites, pag. 105-108.

Référence

François Laurent, Études sur l'histoire de l'humanité.  La Révolution française, première partie, Librairie Internationale, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Bruxelles, Livourne, Leipzig, 1867, p. 286-289.

mardi 11 décembre 2012

La logique révolutionnaire, selon K. L. von Haller, 1824


Karl Ludwig von Haller (1768-1854) était un juriste suisse, dont les positions théoriques étaient clairement contre-révolutionnaires. Dans le passage suivant, il montre, cependant, à quel point la Révolution française n'était pas allée au bout de sa logique, que toutes les conséquences n'avaient pas été tirées de ses principes. Il annonçait, alors, sans le savoir, bon nombre des réformes du XIXe et du XXe siècle : la citoyenneté accordée à tous, quelque soit leur origine, la suppression du système censitaire et l'établissement du suffrage universel, l'égalité juridique, civile et politique des hommes et des femmes, la suppression de la puissance paternelle, la suppression de la peine de mort. Reste encore à venir, pour nous, si l'on suit la logique de Haller, la suppression de tous les privilèges de la nationalité, l'égalité juridique, civile  et politique des enfants et des adultes, l'égalisation des niveaux de vie et la révision systématique de la Constitution à chaque génération... Faut-il donc être révolutionnaire jusqu'au bout ?...


Le second lieu commun, celui de soutenir que les principes philosophiques ont été poussés trop loin et mal appliqués (…) supporte tout aussi peu l'examen.

D'abord on ne peut pas dire que des principes aient été étendus trop loin, exagérés ou mal appliqués, dès que les conséquences se déduisent rigoureusement des prémisses ; et si les règles sont bonnes, elles doivent, comme les lois de la nature, se confirmer et se justifier toujours davantage par leurs résultats et par leurs effets.

Non, il n'est pas vrai que ces principes aient été exagérés ; mais tout a échoué parce qu'ils sont faux. Il serait au contraire facile de prouver que, précisément les conséquences les plus désastreuses, celles qui faisaient frémir plus d'un partisan du système, ne découlaient que trop rigoureusement des principes, et qu'il en serait encore résulté bien plus de maux et d'horreurs, si le cœur et un sentiment naturel à l'homme, moins mauvais que les systèmes dominants, ne se fussent de temps à autre révoltés contre les erreurs de l'esprit pour en arrêter l'application.

Autrement,...

- on eût vu renverser aussi la puissance paternelle,
- admettre dans le corps politique non-seulement les deux sexes, mais, comme le disait un fameux conventionnel (1), tout ce qui respire sur la terre ; Juifs, Bohémiens, criminels et vagabonds, par la seule raison qu'ils sont hommes (2) ;
- on eût vu détruire tous les privilèges légaux de l'âge, de la richesse, de l'indigénat, etc. ;
- ordonner l'égalité des fortunes, par conséquent le partage des biens (3),
- et changer la constitution à la naissance de chaque enfant, afin qu'il ne vécût point sous des lois qu'il n'aurait pas faites lui-même (4).

Pourquoi, par exemple, les femmes et les enfants ne jouiraient-ils pas de tous les droits politiques et ne seraient-ils pas admissibles à tous les emplois, puisqu'ils sont hommes aussi, qu'ils participent aux droits de l'humanité, et qu'ils sont tout aussi fondés à en réclamer la jouissance et la protection ?

Pourquoi la moitié du genre humain sera t-elle, par le seul fait de sa naissance, dans la dépendance de l'autre ?

Quel droit le père a-t-il de commander à ses enfants, si tout pouvoir, toute domination ne doit être que déléguée ?

Qui vous autorise ...

- à mettre des conditions à la faculté de voter, ou à celle de l'éligibilité ;
- à donner aux plus âgés et aux plus riches un privilège sur les plus jeunes ou les plus pauvres ;
- à juger enfin seul, des talents d'autrui,

… si tous les hommes naissent égaux endroits, s'ils sont les associés de la même communauté populaire ?

Comment une loi, ou même une constitution, peut-elle obliger ceux qui ne l'ont point consentie, dès que l'homme ne doit être lié que par sa propre volonté, et que celle-ci est de plus la source de toute justice ?

Nous défions qui que ce soit de réfuter ces conséquences et autres pareilles, sans abandonner en même temps les principes dont elles découlent (5).

Cependant elles n'ont pas été tirées, ou du moins ne les a-t-on pas mises en pratique.

Si donc tout n'ont pas péri dans cet affreux bouleversement, si quelques liens sacrés parmi les hommes ont été maintenus, nous ne le devons certes qu'à impossibilité physique, et à cette heureuse inconséquence dans le mal, qui, grâce à l'absurdité trop palpable, empêcha l'application rigoureuse des principes à de certains objets et à de certains rapports.


Notes

(1) Isnard, si nous ne nous trompons. 

(2) Qu'est-ce qu'un vagabond ? Comment le distinguer d'avec un voyageur ? Qui en décidera, s'il n'y a pas encore d'État formé ? Un criminel n'a-t-il pas encore des droits de l'homme ? Voilà ce que demandait Robespierre. L'absurdité n'était point dans la question, mais dans les principes qui la faisaient naître.

(3) Je sais que ce partage des fortunes n'est point établi dans les principes du système, et que ses partisans protestent même contre. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il serait, jusqu'à un certain point, indispensable pour que ce système pût être mis à exécution ; car l'égalité des droits politiques ne peut coexister avec une trop grande inégalité des fortunes, parce que trop de citoyens deviennent dépendants des autres pour l'entretien de leur vie. Aussi, toutes les républiques du monde ont-elles cherché, du moins par des voies indirectes, à opérer cette division des fortunes. Si donc on veut subitement introduire dans un vaste empire une république philosophique, un corps de citoyens égaux, dont aucun ne soit supérieur à l'autre, il est avant tout nécessaire d'établir autant que possible légalité des fortunes. Babœuf et consorts étaient encore ici les plus conséquents de leur secte. Il faudrait même pouvoir abolir la puissance supérieure ou l'aristocratie des talents et des connaissances, car elle entraine de nouveau à sa suite une autorité qui n'est point déléguée par d'autres ; aussi a-t-on, pendant dix-huit mois, abattu en France les têtes de tous ceux qui se distinguaient par leur esprit, leurs vertus, leurs connaissances, leur considération et la confiance qu'ils inspiraient. Au reste, cet empire des talents, quoiqu'aussi susceptible, et même plus susceptible d'abus que tout autre, est à la vérité le seul que les philosophes aient encore en quelque façon reconnu ou ménagé, du moins en théorie, parce qu'ils s'en croyaient en possession exclusive, et qu'ils se donnaient pour les seuls prophètes du genre humain.

(4) C'est pourquoi Condorcet voulait une convention nationale tous les vingt-cinq ans. Voyez son écrit Sur les conventions nationales, 1791. Mercier disait également dès 1787, dans ses Notions claires [sur les gouvernements] : « Il faut tous les vingt-cinq ans une refonte générale des sociétés. »

(5) Dans quel embarras ne se sont pas toujours trouvés ceux qu'on appelait les modérés, lorsqu'en reconnaissant les prémisses, ils refusaient d'en admettre les conséquences ? Comme ils étaient obligés de se plier et se torturer l'esprit pour concilier leurs principes avec les règles de la prudence la plus ordinaire ! Ne les a-t-on pas vus contraints d'employer la force pour fermer la bouche à leurs adversaires ? Cette remarque instructive, que j'ai souvent faite pendant la révolution française et pendant celle de Suisse, m'a toujours convaincu que les jacobins les plus forcenés n'étaient au fond que les têtes les plus conséquentes, et que partant, ce ne sont pas eux mais les principes qui ont causé tout le mal.


Référence

Karl-Ludwig von Haller, Restauration de la science politique ou Théorie de l'état social naturel, tome I, Rusand, Lyon et Paris, 1824, p. 325-330. La mise en page du texte a été revue par l'auteur de ce blog.

lundi 10 décembre 2012

La démocratie et le catholicisme, selon l'abbé Desorges, 1875



(p. 1191) Il existe un préjugé assez généralement répandu, d'après lequel il y aurait entre l'Église et la démocratie une hostilité naturelle, une sorte d'état de guerre plus ou moins latente et comme nécessaire, de telle manière, qu'entre ces deux puissances, la paix serait fort difficile et la bonne harmonie comme impossible. Et les faits semblent donner raison a cette opinion en France, en Espagne, en Italie, en Suisse et dans toute l'Europe, à des degrés divers.

Cet état de choses mérite assurément qu'on 'étudie. Est-il fondé en raison ? Cette espèce d'hostilité est-elle dans la nature des choses ? C'est ce que nous allons examiner.

Qu'est-ce d'abord que la démocratie ? D'où vient-elle ? Est-elle entièrement nouvelle parmi nous? N'existe-t-elle en France, comme plusieurs semblent le croire, que depuis la grande Révolution ?

La société ancienne, qui a disparu à la fin du dernier siècle [XVIIIe siècle] et dont la nôtre est sortie, se composait de quatre éléments, comme le monde des anciens : la royauté, le clergé, la noblesse et le tiers-état. Le nom de ce dernier indique ce qu'il était, c'est-à-dire le tiers ou le troisième état ou corps politique. Nos anciens auteurs l'appellent aussi le commun état ; et, en effet, il était l'état commun de presque tous. Les écrivains modernes le nomment souvent simplement le tiers.

Augustin Thierry (1795-1856)
Mais que faut-il entendre sous cette dénomination de tiers-état ? Que comprend-il ? Qu'est-ce qui le composait ? Les publicistes se sont partagés à cet égard en deux opinions. Les uns pensent que le tiers-état était ce que nous appelons aujourd'hui la bourgeoisie. Et ce sentiment était autrefois assez commun. La raison sur laquelle il s'appuie est que la bourgeoisie seule, de toute cette classe immense, qui n'était ni le clergé, ni la noblesse, était apte à la vie politique. D'autres écrivains, et à leur tête Augustin Thierry (l), s'élevèrent avec force contre cette opinion, qu'ils qualifient de dangereuse et de fausse. Elle est dangereuse, disent-ils, parce qu'elle tend à introduire la division d'autrefois dans la société moderne. Elle est fausse en elle-même, puisque historiquement, le tiers-état comprenait tout ce qui n'était ni le clergé, ni la noblesse. Là est la vérité puisque là est la réalité des choses. Le tiers représentait tout le peuple, en principe toujours, et en fait surtout dans les derniers siècles de la monarchie. Ainsi, par exemple, nous avons l'ordonnance de Louis XVI, relative aux élections pour nommer les députés aux États généraux de 1789. Or elle désigne comme ayant droit d'assister aux assemblées électorales : « tous les habitants des villes, bourgs et campagnes, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris aux rôles des impositions (2). »

Le tiers-état contenait donc en lui-même la démocratie, ou plutôt il l'était, au moins dans sa substance, et il a toujours eu une réelle importance. Un regard rapide sur son histoire nous le fera comprendre, et nous aidera dans nos appréciations. Sa marche à travers les siècles peut se diviser comme en deux parties : il y a une première période où cette démocratie est peu développée et comme à l'état d'incubation ; elle dure jusqu'à l'établissement des communes sous Louis le Gros ; la seconde est celle de son développement progressif jusqu'à son triomphe final.

Ou peut dire dans un sens très vrai que le tiers-état, la démocratie , ont commencé en France avec la monarchie. Au-dessous du roi, de ses leudes ou fidèles, source de la noblesse, était le peuple, composé de deux parties, les hommes libres ingenui, et les serfs. Les premiers possédaient des terres à eux, exemptes de redevance, appelées de franc-alleu ou allodiales, et n'étaient tenus qu'au service militaire. Ces hommes assistaient et votaient aux assemblées générales de la nation au Champ de Mars. Le roi, les prélats, les nobles et les hommes libres les composaient ; et ainsi tous les éléments sociaux s'y trouvaient réunis. Laissons parler un écrivain qui s'est occupé spécialement de nos antiquités nationales :

« Dans l'origine, ces assemblées se tenaient en rase campagne et se composaient de toute la partie libre de la nation qui s'y rendait en armes ; mais, dans la suite, il ne fut plus possible de les convoquer sur une aussi grande échelle, et au temps de Charlemagne, elles ne furent plus composées que des prélats et des grands du royaume. Cependant quand il s'agissait de faire de nouvelles lois, ou de décider quelque chose d'important, il fallait en appeler au sentiment et au suffrage du peuple, représenté quelquefois par l'armée, ou qui constatait son adhésion par son sceau. Dans ce dernier cas, chaque magistrat convoquait les citoyens de son territoire (3). »

Le tiers-état, la démocratie ont donc eu dès le commencement de la monarchie et sous les deux premières races de nos rois une existence et une influence réelles.

Mais c'est surtout à partir du douzième siècle qu'il prend son essor. Louis le Gros émancipe les communes, donne la liberté aux villes de son domaine, et la véritable vie municipale étend sou action. L'abbé Suger qui gouverne la France sous Louis le Jeune, et plus tard, saint Louis étendent, développent ces libertés. Les seigneurs résistent d'abord et refusent d'imiter les rois en donnant la liberté à leurs vassaux. Mais ils sont bientôt entraînés par l'élan général. Le servage disparaît en grande partie du royaume de France.

Les assemblées de la nation se maintinrent tant bien que mal jusque sous la troisième race de nos rois. Les États généraux proprement dits leur succédèrent. Les premiers qui furent réellement complets et vraiment solennels s'ouvrirent en 1302, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris. Dans cette assemblée se trouvèrent, avec les représentants du clergé et de la noblesse, ceux du tiers-état ou commun état, disent les écrivains du temps ; ils parlèrent et opinèrent comme ceux des deux autres ordres. Et dans les autres réunions de ce genre, il en fut de même ; le tiers avait son vote, ses cahiers, comme la noblesse et le clergé.

« Le tiers-état en corps, dit de Bonald, (…) était autant élevé en dignité politique que chacun des deux autres ordres, et son consentement était aussi nécessaire que le leur pour former les résolutions de l'assemblée des États-Généraux (4). »

De plus, si le gouvernement proprement dit était surtout dans es mains du roi et de la noblesse, l'administration était dans celles du tiers. En outre, les rangs de la noblesse étaient ouverts aux familles qui se distinguaient, et les dignités les plus hautes aux hommes de grand mérite.

L'histoire nous a conservé le récit de ce qui se passa dans plusieurs assemblées des États généraux et les résolutions qui y fuient prises, résolutions qui montrent que la liberté véritable est ancienne en France. Augustin Thierry résume, ainsi les décisions des États de 1355 :

« Les résolutions de cette assemblée, dit-il, auxquelles une ordonnance royale donna sur-le-champ force de loi, contiennent et dépassent même sur quelques points les garanties modernes dont se compose le régime constitutionnel. On y trouve l'autorité partagée entre le roi et les trois États représentant la nation, et représentés par une commission de neuf membres ; l'assemblée des États s'ajournant d'elle-même à terme fixe; l'impôt réparti sur toutes les classes de personnes et atteignant jusqu'au roi ; le droit de percevoir les taxes et le contrôle de l'administration financière donnés aux États agissant par leurs délégués à Paris et dans les provinces ; l'établissement d'une milice nationale par l'injonction faite à chacun de s'équiper d'armes selon son état ; enfin la défense de traduire qui que ce soit devant une autre juridiction que la justice ordinaire (…) (5). »

Pour suivre maintenant la marche du tiers- état et de la démocratie, il faudrait écrire un volume. Quelques indications suffisent à notre but. Les progrès de cette classe sociale furent constants, et cela par la nature même des choses et le cours naturel des événements. À mesure qu'un plus grand nombre d'hommes capables se formèrent dans son sein, son influence devint plus considérable. L'administration passa de plus en plus dans ses mains ; l'industrie, le commerce, les richesses s'y développèrent. Louis XI contribua beaucoup à ce résultat. Il abaissa les grands qu'il n'aimait pas, et éleva d'autant les autres. Il augmenta les libertés des villes, des communes ; il fut en réalité le roi du peuple. Anssi, aux États généraux qui furent réunis après sa mort par la régente sa fille, Anne de Beaujeu, le tiers-état exerça- t-il une influence considérable. L'invention de l'imprimerie, la culture des lettres qui fit de brillants progrès sous François Ier, augmentèrent encore sa puissance. Elle parut aux États généraux de 1501, de 1576, et surtout aux derniers convoqués, avant ceux de [17]89, en 1614, où le tiers attaqua avec une énergie jusqu'alors inouïe les deux autres ordres, et refusa de fléchir le genou devant le roi Louis XIII, comme cela avait été jusque-là l'usage. Le pouvoir absolu exercé par Richelieu et Louis XIV, en réalité n'abaissa que la noblesse, et laissa la classe moyenne poursuivre ses développements, jusqu'à ce qu'enfin elle devint toute puissante.

Quand, à la fin du siècle dernier [XVIIIe siècle] et à la veille de la Révolution, l'abbé Siéyès publia sa célèbre brochure Qu'est-ce que le tiers ?, il put répondre: tout cela allait être vrai dans quelques jours.

Aux États généraux qui devinrent l'Assemblée nationale, le tiers était en nombre double de chacun des deux autres ordres. Jusque là, dans les assemblées précédentes, on avait voté par ordre, et chacune des trois classes politiques n'avait ainsi que sa voix. Le tiers demanda qu'on votât par tête, et l'obtint de la faiblesse de Louis XVI ; d'un seul bond il arriva ainsi à la toute-puissance : la démocratie était triomphante ; elle devenait le gouvernement de la France, et allait bientôt couler à pleins bords.

Comme l'indique son nom lui-même et l'idée que tout le monde en a, elle est le pouvoir du peuple, le pouvoir du nombre, puisque le suffrage est universel. Mais, comme d'un autre côté, les hommes les plus considérables par leur capacité sont ordinairement l'objet de ce suffrage, il y a là une sorte d'atténuation de la puissance brutale du nombre, qui sans cela bouleverserait tout.

Quoi qu'il en soit, il est certain que cette démocratie effraye, et que telle qu'elle s'est montrée dès le commencement de sa toute-puissance, et telle qu'elle se montre encore, elle présente plus d'un sujet de crainte au catholicisme. Pendant la grande Révolution, elle s'est montrée horrible sous tous les rapports, mais spécialement au point de vue religieux, et il n'est pas douteux que son impie et sanglante histoire à cette époque ne soit pour beaucoup dans les appréhensions qu'elle soulève. Et encore aujourd'hui n'est-elle pas hostile un peu partout au catholicisme ? Ses chefs n'ont-ils pas la réputation bien méritée d être généralement ses ennemis ? La démagogie et le radicalisme ont-ils de quoi rassurer beaucoup ? Et ne sont- ils pas en fait le produit de la démocratie ? Celle-ci ne prétend-elle pas, par la bouche de ses chefs et de ses meneurs, briser, si elle le peut, le concordat de 1801, et la situation politique de l'Église en France ? Qui oserait dire que toutes ces craintes sont sans fondement ?



(p. 1223) La démocratie, nous l'avons vu, est l'avènement de tous, de quelque manière, l'avènement de tous les membres de la nation à la vie politique. Ce n'est pas seulement l’avènement du peuple, en tant qu'il diffère des classes lettrées, ce n'est pas seulement l'avènement du plus grand nombre, c'est l'avènement de tous ; la démocratie, c'est la nation elle-même.

Mais ici se présente un fait qu'il importe beaucoup à notre but de signaler. Il y a deux espèces de démocratie : l'une, qui est bonne, l'autre qui ne vaut rien du tout ; l'une, qui est légitime, l'autre, qui est l'injustice même. Et comme, en fait, elles ne sont pas parfaitement séparées l'une de l'autre, comme les limites qui les séparent ne sont pas toujours pratiquement distinctes, et que les éléments qui les composent sont souvent mêlés, il y a là, sans aucun doute, une des causes de l'état de suspicion où un grand nombre d'honnêtes gens tiennent la démocratie et en particulier, une des raisons de cette espèce d'hostilité sourde qui nous occupe, entre la démocratie et le christianisme.

Jaime Balmès (1810-1848)
Un publiciste catholique fort distingué, Balmès, expose ainsi les éléments de la démocratie légitime. Il la flatte un peu, à notre avis, si l'on prend les choses telles qu'elles sont; mais ce qu' il dit est vrai en ce sens, du moins, qu'il la décrit telle qu'elle doit être :

« [Elle] ... est basée, dit-il, sur la connaissance de la dignité de l'homme, et du droit qui lui appartient de jouir d une certaine liberté conforme à la raison et à la justice. Avec des idées plus ou moins claires plus ou moins uniformes sur la véritable origine de la société et du pouvoir, elle en a du moins de fort nettes, de fort précises touchant le véritable objet et la fin de l'un et de l'autre ; sa constante opinion est que le pouvoir existe pour le bien commun, et que s'il ne dirige pas ses actions vers ce but, il dégénère et tend vers la tyrannie. Les privilèges, les honneurs, les distinctions sont approchés par elle de cette pierre , de touche, le bien commun ; ce qui est contraire à ce bien est rejeté comme nuisible : ce qui n'y sert pas est élagué comme superflu. Les seules choses qui aient une valeur réelle, digne d'être prise en considération dans la distribution des fonctions sociales, sont, à ses yeux, le savoir et le vertu..... Cette démocratie qui place au plus haut degré la dignité de l'homme, qui rappelle les droits sans oublier les devoirs, s'indigne du seul nom de tyrannie, etc. (6). »

Il est facile de déterminer et de préciser les caractères qui constituent cette démocratie et de montrer qu'il n'y a, sous ce rapport, nulle opposition entre elle et le catholicisme On peut les ramener à six principaux.

- Elle admet que la nation est la source immédiate du pouvoir ;
- elle enseigne que les gouvernements existent et doivent exercer l'autorité pour le bien commun ;
- elle demande que ce soit, non pas la volonté de homme qui gouverne, mais par la constitution et la foi ;
- elle veut que tous puissent arriver à tous les emplois, et que la raison du choix soit la capacité du sujet et le bien public ;
- elle demande que le peuple participe de quelque manière, par ses votes, au gouvernement de la nation, et
- elle veut enfin que ce gouvernement ne soit pas absolu, mais tempéré par des institutions modératrices du pouvoir.

Tels sont les caractères de la démocratie saine et raisonnable. Or, ils ne contiennent rien par eux-mêmes qui soit opposé au christianisme.

Et d'abord, quant à l'origine du pouvoir, nous avons vu précédemment que Dieu en est la cause première et essentielle, mais que la nation en est la source immédiate. La démocratie ne considère pas assez, et souvent pas du tout, le caractère divin du pouvoir, dans le sens que nous avons expliqué : c'est un tort grave, une lacune considérable dans ses idées; mais elle ne se trompe pas en disant que l'autorité a sa source immédiate dans la nation, et elle est en cela d'accord, comme nous l'avons vu, avec l'enseignement des plus grands théologiens catholiques.

Il faut dire la même chose des autres caractères. Que, par exemple, les gouvernements et les lois n'existent que pour le bien commun, c est une vérité enseignée jusqu'à satiété par tous les théologiens.

« Comme la loi regarde le bien commun, dit saint Thomas d'Aquin, aucun précepte particulier, ne peut avoir force de loi, qu'autant qu'il regarde aussi ce bien commun, et ainsi toute loi doit être faite pour le bien commun (7). » Ainsi tout, la loi et ses applications par des ordres particuliers, tout a pour but le bien commun.

La démocratie demande que tous puissent arriver, s'ils en sont dignes, à tous les emplois, et que la raison du choix soit la capacité. Or, c'est là un principe que l’Église a toujours professé, avant qu'il fut question de la démocratie moderne et de ses principes. Écoutons à cet égard un homme qui n'est pas suspect de partialité envers l’Église, le protestant Guizot.

François Guizot (1787-1874)
« Quant au mode de formation et de transmission du pouvoir dans l’Église, dit-il, il y a un mot dont on s'est souvent servi en parlant du clergé chrétien, et que j'ai besoin d'écarter, c'est celui de caste. On a souvent appelé le corps des magistrats ecclésiastiques une caste. Cette expression n'est pas juste : l'idée d'hérédité est inhérente à l'idée de caste... Là où il n'y a pas d'hérédité, il n'y a pas de caste... On ne peut appliquer ce mot à l’Église chrétienne. Le célibat des prêtres a empêché que le clergé chrétien ne devînt une caste. Vous entrevoyez déjà les conséquences de cette différence. Au système de caste, au fait de l'hérédité est attaché inévitablement le privilège ; cela découle de la définition même de la caste. Quand les mêmes fonctions, les mêmes pouvoirs deviennent héréditaires dans le sein des mêmes familles, il est clair que le privilège s'y attache, que personne ne peut les acquérir indépendamment de son origine. C'est, en effet, ce qui est arrivé : là où le gouvernement religieux est tombé aux mains d’une caste, il est devenu matière de privilège ; personne n'y est entré que ceux qui appartenaient aux familles de la caste. Rien de semblable ne s'est rencontré dans l’Église, et, non-seulement rien de semblable ne s'y est rencontré, mais l'Église a constamment maintenu le principe de l'égale admissibilité de tous les hommes, quelle que fût leur origine, à toutes ses charges, à toutes ses dignités. La carrière ecclésiastique, particulièrement du cinquième au douzième siècle, était ouverte à tous. L’Église se recrutait dans tous les rangs, dans les inférieurs comme dans les supérieurs, plus souvent même dans les inférieurs. Tout tombait autour d'elle sous le régime du privilège ; elle maintenait seule le principe de l'égalité, de la concurrence, elle appelait seule toutes supériorités légitimes à la possession du pouvoir (8). »

l'Église n'est donc pas du tout opposée au principe de l'admission de tous à tous les emplois, et elle le pratique depuis bientôt deux mille ans. Nous verrous qu'elle ne l'est pas davantage à l'union de la liberté et de l'autorité, à l'existence des institutions modératrices du pouvoir.

Il est impossible de ne pas sentir dans son âme de sourds mouvements d'indignation, quand on voit chaque jour des publicistes ignorants ou haineux, prétendre que le christianisme est l'ennemi de toutes les libertés et l'ami de tous les despotismes. Ses doctrines, son esprit, son histoire protestent contre cette accusation. N'est-ce pas lui dont les prescriptions et l'esprit ont dissous progressivement et jeté par terre l'antique et universelle institution de l'esclavage ? On admire les républiques anciennes, on exalte leur amour de la liberté. Or, voici la vérité : Athènes avait dans ses murs soixante mille habitants, et quarante mille étaient des esclaves ; à Rome, ils étaient innombrables, et le sénat défendit qu'on leur donnât un costume particulier, de peur qu'ils ne vinssent à se compter. C'est l’Église qui a appelé tous les peuples à la liberté et à la fraternité véritable.

« On ne pourra contester, dit fort bien Balmès, que là où n'a point existé le christianisme, le peuple s'est trouvé la victime d'un petit nombre, dont les mépris et les injures ont été la seule récompense de ses fatigues. Consultez l'histoire, l'expérience ; le fait est général, constant. Pas même une exception à ce fait dans ces anciennes républiques qui ont fait tant de bruit de leur liberté (9). »

Nous avons donc exposé lei éléments principaux qui constituent la démocratie saine et raisonnable; et nous avons vu qu'il n'y a pas, sous ce rapport, d'opposition entre elle et le catholicisme. Ces principes ne sont pas nouveaux ; ils sont, dans un sens vrai, le fruit du christianisme, et on le lit dans les livres de ses théologiens. C'est donc une erreur de croire que l’Église ne puisse pas s'accommoder de cette démocratie, si celle-ci restait dans les principes que nous avons indiqués, et qu'elle revendique.

Mais il y a une autre démocratie, que l'on a très bien nommée la démagogie, et qui est comme la corruption de la première. Ses doctrines sont horribles. La négation de Dieu et de toute religion, l'abolition du mariage comme institution religieuse, le renversement de l'ordre social actuel, et son remplacement par un communisme plus ou moins complet : tel est le symbole de cette aimable démocratie. Nous la connaissons déjà en France par ses œuvres. C'est à elle que revient l'honneur des excès monstrueux de la grande révolution. C'est elle qui fait les sanglantes journées de juin 1848. C'est elle qui porte la responsabilité des sauvages horreurs de la Commune de Paris, d'ignoble et sanglante mémoire. Elle n'a pas été tout-à-fait ignorée dans les siècles antérieurs. Elle apparaît mêlée aux hérésies armées d'autrefois : elle combat avec les Albigeois au treizième siècle, avec la Jacquerie au quatorzième, avec les Hussites au quinzième, les anabaptistes et les paysans au seizième.

« Erronée dans ses principes, dit Balmès, perverse dans ses intentions, violente dans sa manière d'agir, cette démocratie a partout marqué sa trace par un ruisseau de sang ; loin de procurer aux peuples la vraie liberté, elle n'a servi qu'à leur enlever celle qu'ils avaient... S'alliant aux passions misérables, elle a toujours été la bannière de ce que la société a de plus vil, de plus abject ; à ses côtés, elle a groupé tous les hommes turbulents et mal intentionnés. Cette semence de troubles, de scandales, de haines acharnées, a porté enfin ses fruits naturels : la persécution, les proscriptions, l'échafaud (10).»

Il va de soi que, entre une semblable démocratie et l’Église, il ne peut y avoir de conciliation, mais la guerre. Ce qu'elle hait par-dessus tout, l'objet de sa haine intime, spéciale, privilégiée, c'est le catholicisme : pour elle, c'est là l'ennemi. Car elle est la négation de tout ce qu'il affirme, et l'affirmation de ce qu'il nie. C'est Satan d'un côté, et la Divinité de l'autre.

Le malheur de la démocratie raisonnable, c'est qu'elle n'est pas complètement séparée de celle que je viens de décrire. Il y a des attaches plus ou moins latentes; il y a des unions plus ou moins prononcées. C'est là qu'est le danger ; et ceux qui croient qu'il n'existe plus sont dans une grande illusion.



(p. 1255) Un des griefs le plus souvent articulés contre l’Église catholique par la démocratie et le libéralisme, c'est qu'elle n'aime que les gouvernements absolus, que ceux-ci seuls ont ses sympathies, et qu'elle a en horreur toute espèce de liberté. Qui n'a les oreilles et les yeux fatigués des déclamations qu'il a entendues ou lues sur ce sujet ? Mais, en revanche, personne ne s'est fatigué à lire les preuves de cette assertion. On affirme, on suppose, on laisse entendre que l’Église n'aime que l'absolutisme ; mais le prouver, on s'en dispense. C'est là, du reste, un procédé dont on use avec un sans-façon merveilleux à l'égard du catholicisme.

Examinons donc cette question.

Il y a trois moyens principaux de connaître la doctrine, la pensée de l’Église : d'abord son enseignement officiel ; en second lieu, sa manière d'agir, sa conduite ; puis les écrits de ses docteurs les plus autorisés.

L’Église a-t-elle défini quelque chose sur cette question ? Jamais. A-t-elle un enseignement officiel sur les diverses formes de gouvernement ? Aucunement. A-t-elle défini que telle forme vaut mieux que telle autre ? Nullement. A-t-elle proscrit les institutions modératrices du pouvoir, les libertés civiles ou politiques ? Pas le moins du monde. A-telle défini que le gouvernement absolu est préférable au gouvernement tempéré ? Pas davantage

La vérité catholique est déposée dans trois espèces de documents :

- l'Écriture sainte,
- les définitions des Papes et
- les décrets des conciles.

Or, nulle part on ne trouve rien relativement aux normes de gouvernement. Assurément l'Église, dans sa longue existence de dix-huit siècles, a eu à s'occuper de doctrines de toutes espèces ; elle a défini bien des questions, elle a proscrit bien des erreurs. A-t-elle proscrit quelque forme de gouvernement ? Jamais.

Je me trompe, il y a une sorte de gouvernement que l'Église a proscrite. Serait-ce les institutions modératrices du pouvoir, les institutions libres ? Écoutons :

« Il faut abolir, dit Clément XIII, ce qui sent le paganisme... Il faut abolir ce qui, venant des doctrines, des usages et des exemples des païens, nourrit la tyrannie politique, et cette fausse raison d'État, tout à fait éloignée de la loi évangélique et chrétienne ; quæ […] tyrannicam politiam fovent, et quam falso vocant rationem status, ab evangelica et christiana lege abhorrentem inducunt, deleantur (11). Ainsi ce que l’Église a proscrit, c'est la tyrannie, c'est le despotisme renouvelé plus ou moins du paganisme par quelques princes chrétiens. Est-ce pour cela qu'on l'accuse de favoriser la tyrannie?

Mais, dit-on, le Syllabus n'a-t-il pas condamné le suffrage universel qui est la source même des gouvernements modernes et libres, et l'expression même de la volonté de la démocratie ?

Il est entièrement faux que le Syllabus ait condamné le suffrage universel. Voici la proposition qui s'y rapporte :

« L'autorité n'est pas autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles ; auctoritas nihil aliud est nisi numeri et materialium virium summa. »

Cette proposition est on ne peut plus justement proscrite. L'autorité est autre chose que le nombre et la force matérielle. La raison, nous l'avons vu, démontre que l'autorité vient de Dieu de quelque manière. Elle vient aussi, nous l'avons vu encore, de la nation dans un sens vrai; mais puisqu'elle vient de Dieu, et qu'elle est le droit de commander même à la conscience, toute proposition, qui affirme qu'elle n'est pas autre chose que le nombre et la force, est une proposition fausse au point de vue rationnel comme au point de vue chrétien.

La condamnation de la proposition que je viens de citer est prise de l'allocution célèbre Maxima quidem, prononcée par Pie IX dans le Consistoire du 9 juin 1862 en présence d'un très grand nombre d’évêques alors à Rome, et voici les paroles mêmes du Souverain Pontife :

« De auctoritate et jure ita temere effutiunt, ut impudenter dicant, auctoritatem nihil aliud esse nisi numeri et materialium virium summam, ac jus in materiali facto consistera, et omnia hominum officia esse nomen inane, et omnia humana facta juris vim habere. »

Ce qui ressort évidemment de ces paroles, c'est que le Pape condamne le matérialisme de l'autorité et du droit,c'est-à dire ce matérialisme qui ne voit dans ces deux nobles choses, que le nombre et la force. Et en cela Pie IX est l'organe de la raison et de la conscience.

Pie IX (1792-1878)
Le Syllabus, il est vrai, comme d'autres documents religieux, condamne la révolte, la révolution : « Legitimis principibus obedientiam detrectare, imo et rebellare licet. » Cette proposition est proscrite par Pie IX. Mais d'abord une révolution n'est pas une forme de gouvernement ; elle est même tout le contraire. Il est vrai que, pour les disciples de Proudhon, l'anarchie est un idéal. La révolution n'est pas non plus la liberté : par elle-même, elle ne produit que la répression et le pouvoir absolu, puis des révolutions nouvelles, qui s'appellent les unes les autres. Elle est le chancre qui ronge les nations qui en sont atteintes : La France, l'Espagne, le Mexique sont là comme exemples. Le bon sens et le patriotisme sont avec l’Église, et condamnent comme elle la révolution et son esprit. Ah! ce n'est pas Pie IX, ce n'est pas l’Église, ce n'est pas le Syllabus qui sont les ennemis des nations; ce sont ces hommes qui sèment dans les âmes des doctrines perverses et subversives, et deviennent les chefs et les guides de la révolution par la plume, par la parole, par leurs actes. Artisans de révoltes, conspirateurs secrets ou publics, ils préparent, organisent le désordre et assurent son triomphe. Ils disent qu'ils veulent renverser les tyrans, comme l'était Louis XVI, comme l'est Pie IX, les plus doux et les meilleurs des hommes ; et eux-même sont, quand ils le peuvent, des despotes et des tyrans de la pire espèce, c'est-à-dire de l'espèce démagogique. Ils disent qu'ils veulent amener parmi les peuples la justice et le bonheur, et ils n'ont, au fond, qu'un but misérable et égoïste : jeter bas les autres, et se mettre à leur place. Déclamateurs vulgaires, ils chantent des hymnes et portent des toasts à la fraternité, et leurs paroles ne portent dans les âmes que la discorde et la haine. Grands prôneurs de liberté ils ne la veulent que pour eux et leurs semblables. L'égalité est leur idole, disent-ils; mais à la condition qu'ils auront partout la première place. Proudhon, qui les connaissait bien, a dit : la démagogie, c'est l'envie. Chevaliers du désordre et de la sottise, leur principal titre de gloire est d'être sortis des sentiers de la vérité, du juste et souvent du sens commun. Une des plus illustres preuves de la sottise humaine, c'est l'espère de popularité qui les entoure, et l'auréole malsaine qui les enveloppe et leur servira de linceul.

Un second moyen, avons nous dit, de connaître la pensée de l'Église, sur la question qui nous occupe, c'est sa conduite, sa manière d'agir. N'a-t-elle pas, dit-on, toujours favorisé les gouvernements absolus et despotiques ?

Si avant de regarder en arrière dans les temps écoulés, nous jetons un regard sur le monde actuel, nous constatons à première vue un fait considérable. Le christianisme domine en Europe et en Amérique. Il n'est, au contraire, en Asie, et en Afrique, qu'à l'état de missions. Or, c'est précisément en Europe et en Amérique, que se trouvent les institutions modératrices du pouvoir, les gouvernements tempérés, la liberté politique. Et ailleurs, règne la monarchie absolue et le despotisme. Je ne prétends pas que la seule cause de cette différence soit la religion chrétienne. Le caractère national, le génie des peuples y ont leur grande part. Mais le christianisme y a aussi la sienne. C'est lui qui, inspirant une juste idée de la dignité de la nature humaine, fait que l'homme n'admet et n'établit qu'une autorité modérée, et ne veut point d'un pouvoir arbitraire. C'est lui qui, en adoucissant les mœurs, a adouci par là même l'autorité. C'est lui qui, en élevant les peuples à la civilisation véritable, les rend plus propres à participer à la gestion des affaires. Hélas ! L'esprit révolutionnaire vient trop souvent tout gâter.

Mais, dit-on, au dix septième siècle, le christianisme avait en Europe un incontestable empire ; et cependant c'est le pouvoir absolu qui régnait ; preuve évidente qu'il y a entre lui et ce pouvoir une affinité réelle.

Cette difficulté n'a de valeur que pour ceux qui ne voient que la surface des choses, et qui ne connaissent de l'histoire que les deux derniers siècles [XVIIe et XVIIIe siècles]. C'est précisément à cette époque que l'Église catholique a commencé à perdre de son influence sur les sociétés. Transportons-nous par la pensée à une époque, où de l'aveu de tous elle exerçait une action puissante, au moyen âge. Alors régnaient d’abord de larges libertés civiles, que nous n'avons plus aujourd'hui en France, où domine la centralisation. Alors régnait, en second lieu, la liberté politique sous la forme que déterminaient les circonstances et les éléments qui composaient la société, c'est-à-dire sous le régime des états, régime où la monarchie était tempérée par des institutions véritablement modératrices du pouvoir. En Angleterre, alors parfaitement catholique, on trouve le régime parlementaire, sous une forme plus ou moins développée : on sait, en effet, que les libertés anglaises, remontent à la charte de Henri Ier, donnée en 1103, et surtout à la grande charte de Jean Sans-Terre, de 1215, et aux provisions d'Oxford, de 1258, origine de la Chambre des communes. En Espagne, la liberté se traduit par les Cortès, et en Allemagne par les diètes et les élections. En France, ce sont d'abord les assemblées de la nation, les Champs de Mars et de Mai, puis le régime des états, reposant sur les libertés municipales, les libertés provinciales et les libertés générales ou nationales. Chose bien singulière ! C'est naturellement en Italie que l'influence politique de l’Église romaine s'est le plus immédiatement exercée ; or, c'est l'Italie qui a été le terrain le plus favorable au gouvernement républicain : Gènes, Pise, Sienne, Florence, Venise, ont été des républiques qui ne sont pas sans gloire.

On le voit donc, en plein moyen âge, en plein régime de l’Église catholique, la liberté était vivante, et les principales nations de l'Europe n'y connaissaient pas le pouvoir absolu.

Un des plus ardents défenseurs des libertés modernes, le comte de Montalembert, a écrit ces lignes :

«Je crois parfaitement, comme on a fini par s'en apercevoir, que le moyen âge, en tenant compte des éléments sociaux du temps, a été l'ère d'un véritable gouvernement représentatif, beaucoup plus sincère et plus efficace, plus sérieux et même plus populaire que tout ce qu'on a imaginé depuis. Oui, le gouvernement représentatif est né au moyen âge, et du moyen âge. Il est né de la combinaison naturelle des éléments qui constituaient la société à cette époque ; il est né de l'union et de l'action commune de la royauté catholique avec l'Église, l'aristocratie foncière et les municipalités émancipées (12).»

Montesquieu parle dans le même sens.

« Voici, dit-il, comment se forma le premier plan des monarchies que nous connaissons. Les peuples germaniques, qui conquirent l'Empire romain, étaient, comme on sait, très libres (…). Lorsqu'ils furent dispersés dans la conquête, ils ne purent plus se réunir. Il fallait pourtant que la nation délibérât sur ses affaires, comme elle avait fait avant la conquête : elle le fit par des représentants. Voilà l'origine du gouvernement gothique (ou du moyen-âge) parmi nous. Il fut d'abord mêlé de l'aristocratie et de la démocratie... C'était un bon gouvernement, qui avait en soi la capacité de devenir meilleur. La coutume vint d'accorder des lettres d''affranchissement ; et bientôt la liberté civile du peuple, les prérogatives de la noblesse et du clergé, la puissance des rois se trouvèrent dans un tel concert, que je ne crois pas qu'il y ait eu sur la terre de gouvernement si bien tempéré que le fut celui de chaque partie de l'Europe dans le temps qu'il y subsista (13). »



(p. 1288) L'influence de l'Église catholique, nous l'avons vu dans notre dernier article, a été favorable dans toute l'Europe à l'établissement de gouvernements tempérés. Ce n'est qu'au XVIe siècle que le pouvoir absolu à commencé à prendre son essor et à dominer. Or, veut-on en connaître la cause principale. Je n'hésite pas à le dire : c'est le protestantisme ; l'histoire et la raison le proclament hautement.

« Le plus grand accroissement du pouvoir royal en Europe, dit Balmès, date précisément de l'époque du protestantisme. En Angleterre, à partir d' Henri VIII, ce qui prévalut ne fut pas même la monarchie ; ce fut un despotisme cruel dont les excès ne peuvent être déguisés par un vain simulacre de formes représentatives. En France, après la guerre des huguenots, le pouvoir royal se trouva plus absolu que jamais. En Suède, Gustave monte sur le trône, et, de cet instant , les rois exercent un pouvoir presque illimité. En Danemark, la monarchie se perpétue et se fortifie. En Allemagne, on voit se former le royaume de Prusse, et prévaloir généralement les formes absolues. En Autriche, l'empire de Charles-Quint garde toute sa puissance, toute sa splendeur. En Italie, les petites républiques disparaissent, et les peuples, sous un titre quelconque, se rangent sous la domination des princes. En Espagne, enfin, les antiques Cortès de Castille , d'Aragon, de Valence et de Catalogne tombent en désuétude (14). »

Voilà le fait dans sa réalité : le pouvoir absolu est contemporain en Europe du protestantisme. Et j'ajoute que ce dernier en a été la cause principale. La raison en est extrêmement simple. Le protestantisme a produit la révolte, et celle-ci a produit le pouvoir absolu : l'action engendre la réaction. À la voix du moine apostat, une formidable explosion révolutionnaire eut lieu en Europe. Les princes, sentant leur trône ébranlé, se sont armés de puissance ; et les peuples, voyant l'ordre social compromis, se sont réfugiés d'instinct sous l'égide du pouvoir absolu. Et cela est dans la nature même des choses ; la révolution produit l'anarchie qui dure plus ou moins longtemps, et de celle-ci naît naturellement le pouvoir absolu ; car enfin les nations veulent vivre, et elles ne sortent guère des révolutions que par l'action d'un pouvoir fort. Je ne dis pas que l'on n'ait pas quelquefois, devant telle et telle nation, dépassé le but. Mais le moyen de ne jamais franchir les limites voulues ! L'humanité ne comporte pas cette perfection.

Ainsi donc, de même que l'Église, comme nous l'avons vu, ne favorise point par ses doctrines le pouvoir absolu, de même sa conduite ne le favorise pas davantage ; au contraire, son action, son influence, l'histoire l'atteste, est bien plutôt favorable à la monarchie tempérée.

Il y un troisième moyen de connaître la pensée de l'Église catholique sur cette question, c'est de consulter ses docteurs, ses théologiens les plus autorisés. Ils n'ont pas, sans doute, l'autorité de l'Église elle-même, définissant par la bouche des Papes et des conciles sa propre doctrine ; et cela n'est nullement nécessaire relativement à la question qui nous occupe, puisque nous savons déjà qu'il n'y a point, à cet égard, de doctrine définie. Mais l'autorité des théologiens ne nous est pas moins utile, car leur doctrine est tacitement approuvée par l'Église. Or, les plus accrédités et les plus autorisés enseignent que la meilleure forme du gouvernement est le gouvernement tempéré par des institutions modératrices du pouvoir.

Écoutons d'abord leur chef et leur maître, saint Thomas d'Aquin.

« La meilleure organisation d'une cité ou d'une nation, dit-il, est celle où un seul a l'autorité principale et règne sur tous ; et sous lui sont des chefs inférieurs, et, de cette manière le gouvernement appartient à tout le monde, en ce sens que tous peuvent être élus chefs, et que tous peuvent élire. Tout gouvernement bien constitué est donc un mélange de royauté, puisqu'un seul règne, d'aristocratie, puisque les grands participent à l'autorité, et de démocratie ou de la puissance du peuple, puisque c'est dans son sein qu'on prend les chefs et que leur élection lui appartient (15). »

Les autres théologiens ont presque tous suivi leur chef. Citons-en deux dont l'autorité est le plus généralement acceptée.

Francisco Suarez (1548-1617)
« La monarchie, dit Suarez, existe rarement pure. Et, en effet, la fragilité, l'ignorance et la malice humaines étant ce qu'elles sont, il est d'ordinaire expédient de modifier cette forme en y mêlant quelque chose du gouvernement non monarchique confié à plusieurs, à un nombre plus ou moins grand selon les diverses coutumes et appréciations des hommes : tout dépend en cela, ajoute-t-il, de la raison et de la volontés humaines (16) [et raro est simplex, quia, supposita fragilitate, ignorantia et malitia hominum, regulariter expedit aliquid admiscere ex communi gubernatione, quæ per plures fit, quæ etiam est major vel minor juxta varias consuetudines et judicia hominum : pendet ergo tota hæc res ex humano consilio et arbitrio].

Le cardinal Bellarmin parle comme Suarez.

« Suivant, dit-il, les traces de saint Thomas et des autres théologiens catholiques, parmi les trois formes simples de gouvernement (la monarchie, l'aristocratie et la démocratie), nous donnons la préférence à la monarchie; mais, attendu la corruption de la nature humaine, nous admettons que, dans l'état présent de choses, elle est plus utile à l'homme si elle est tempérée par l'aristocratie et la démocratie, que si elle est pure (17) [Nos vero B. Thomam, aliosque Theologos Catholicos secuti, ex tribus simplicibus formis gubernationes Monarchiam cæteris anteponimus : quanquam propter naturæ humanæ corruptionem, utiliorem esse censemus hominibus hoc tempore, Monarchiam temperatam ex Aristocratia et Democratia, quam simplex Monarchiam : (…).]

Ainsi, les trois théologiens les plus autorisés sont partisans des gouvernements tempérés, et non de la monarchie absolue. Tout les autres, du reste, à part quelques rares exceptions, sont du même avis. Mais il est manifeste que l’Église ne laisserait pas ainsi enseigner à tous ses docteurs dans toutes ses écoles une doctrine à laquelle elle ne serait pas favorable.

Nous avons enfin comme un quatrième moyen de connaître sur le point qui nous occupe la pensée de l'Église, Il est dans la nature même des choses qu'une nation, une société, qui a telle forme de gouvernement, l'aime considérée en elle-même, et ait pour elle de la sympathie : on aime ce que l'on est. Quel est donc le gouvernement de l'Église ? Quelle est la forme que Jésus-Christ lui a donnée ? L’Église, nous allons le voir, est une monarchie tempérée, et cela par sa nature même, par sa constitution divine.

Qu'elle soit une monarchie, c'est un fait et une vérité de foi catholique. Son divin fondateur a placé saint Pierre à sa tête et lui adonné l'autorité monarchique, comme l’Évangile nous l'apprend (18). L'Église tout entière, latine et grecque, assemblée à Florence, a défini cette vérité (19). Elle est, de plus, un fait visible à tous les yeux : depuis dix-huit siècles le Pape gouverne comme monarque l'Église catholique. Mais est-elle une monarchie tempérée ? Tout le monde sait qu'elle est gouvernée par le Souverain Pontife et par les évêques. Si Jésus-Christ n'avait institué que le souverain pontificat et non l'épiscopat, et que ce fut le Pape lui-même qui l'eût établi, les évêques ne seraient alors que ses vicaires et ses lieutenants, l'autorité épiscopale n'entrerait point dans la constitution même de l'Église, et elle pourrait être supprimée ; les évêques ne seraient point, de par la constitution divine de l'Église, des législateurs et des gouverneurs du royaume de Jésus-Christ ; l'autorité pontificale seule appartiendrait à cette constitution divine, elle serait seule constitutive et seule divine : dans ce cas, il est évident que la monarchie dans l'Église ne serait point et ne pourrait être appelée tempérée, puisque l'autorité du monarque y existerait seule. Mais on sait que c'est le contraire qui est la vérité. Jésus-Christ a fondé l'épiscopat, comme il a fondé le pontificat suprême, l'un et l'autre sont divins, l'un et l'autre sont constitutifs dans l'Église. Ces deux vérités sont aussi certaines l'une que l'autre, et elles sont toutes les deux de loi catholique. Or, cela posé, la monarchie dans l'Église est par là même et doit être dite tempérée, et nous allons entendre tout à l'heure le cardinal Bellarmin nous dire que c'est là le sentiment de tous les docteurs catholiques. C'est là, du reste, une vérité facile à démontrer.

Un gouvernement monarchique est tempéré lorsqu'il n'est pas une monarchie pure et simple, mais mélangé, au contraire, d'aristocratie et de démocratie. Or, il en est ainsi du gouvernement de l'Église. Elle est, sans aucun doute, une monarchie; mais elle est une monarchie tempérée d'abord par l'aristocratie. En effet, les évêques sont, de droit divin, sous l'autorité du Souverain Pontife, les princes de l'Église, les chefs des différentes parties ou diocèses qui la composent. Ils sont donc une véritable aristocratie ; non pas seulement de nom, mais en réalité et efficacement ; ils gouvernent l'Église avec le Pape et sous son autorité ; et cela de droit divin et en vertu de la constitution même donnée à l'Église par son divin fondateur. Le gouvernement de cette Église est donc une monarchie mélangée d'aristocratie. En second lieu, la démocratie elle-même y a sa part, non pas assurément en ce sens que le peuple gouverne, mais en ce sens que les plus hauts emplois, les dignités les plus considérables ne sont pas du tout réservés, comme cela avait lieu dans certains gouvernements aristocratiques, à une classe spéciale de personnes, mais tout au contraire accessibles à tous, de telle sorte que le dernier des enfants du peuple chrétien peut être appelé, non-seulement à l'épiscopat, mais au souverain pontificat.

Il est donc parfaitement certain que l'Église est une monarchie, mais tempérée d'aristocratie et de démocratie.

Le pouvoir législatif, la puissance de faire des lois est dans toute espèce de gouvernement une partie principale. Y participer, c'est donc avoir part à la partie la plus haute de l'autorité. Or, dans l'Église catholique, les évêques y participent de deux manières. Chacun d'eux peut d'abord faire certaines lois pour son diocèse. En second lieu, les évêques réunis en concile général sous l'autorité du Souverain Pontife peuvent faire des lois qui regardent et obligent l'Église tout entière. Ils sont donc réellement législateurs. Ils ne sont pas seulement des conseillers du Pape, comme sont, par exemple en France, les conseillers d’État, mais ils sont de véritables législateurs. Ils participent même à un pouvoir encore plus haut : ils sont juges de la loi. Le Souverain Pontife est sans doute le juge principal, mais les évêques sont juges aussi et ils définissent avec lui la vérité catholique. L'autorité ecclésiastique, dans ses deux parties les plus hautes, ne réside donc pas dans le monarque seul ; elle est partagée, et cela en vertu même de la constitution divine de l'Église, par les évêques. La monarchie dans l'Église est donc tempérée par l'institution divine de l'épiscopat.

Enfin, tout le monde sait que, de même que les évêques ont dans l'Église le pouvoir législatif, ils ont aussi le pouvoir de gouverner. Le Souverain Pontife est le chef suprême, le monarque de l'Église, il en a le gouvernement général; mais sous son autorité les évêques gouvernent chaque partie, chaque diocèse. Et ils ne sont pas simplement, dirons-nous avec Bellarmin, des vicaires du Pape, de simples envoyés, mais de vrais princes, de vrais gouverneurs, veri principes et pastores, non vicarii pontificis maximi [de vrais princes et de vrais pasteurs, et non des vicaires du pontife suprême]. L'épiscopat a été, eu effet, institué par Jésus-Christ pour gouverner l'Église, sous l'autorité du Souverain Pontife.

Roberto Bellarmino (1542-1621)
Je viens de prononcer le nom du cardinal Bellarmin. Il est un des théologiens qui ont le mieux étudié la question de l'Église. Or, il enseigne que son gouvernement est une monarchie tempérée. Il commence par poser ce principe qui ouvre son traité De Summo Pontifice:

« Personne ne doute, dit-il, que notre Sauveur Jésus-Christ n'ait pu et n'ait voulu donner à son Église la meilleure forme de gouvernement et la plus avantageuse [Nemini dubium esse potest, quin & potuerit & voluerit Salvator noster Jesus Christus Ecclesiam suam ea ratione, & modo gubernare, qui sit omnium optimus & utilissimus] » (20).

Et le meilleur gouvernement, d'après lui, est la monarchie tempérée.

«Tous les docteurs catholiques, dit-il, conviennent que le gouvernement de l'Église, confié par Dieu aux hommes, est, il est vrai, une monarchie, mais comme nous l'avons dit plus haut, une monarchie tempérée d'aristocratie et de démocratie : [Jam vero] Doctores catholici in hoc conveniunt omnes ut regimem ecclesiasticum, hominibus a Deo commissum, illud quidem monarchicum, sed temperatum, ut supra diximus, ex Aristocratia et Democratia (21). »

C'est donc un fait et une vérité certaine, le gouverneinent de l'Église est, par sa constitution divine elle-même, un gouvernement tempéré. Mais à qui fera-t-on croire qu'un gouvernement tempéré n'aime pas ceux qui le sont, et qu'il n'ait de sympathie que pour ceux qui ne le sont pas ?

La vérité est, comme nous l'avons vu,

- premièrement, que l'Église laisse ses enfants parfaitement libres d'admettre ce qu'ils veulent relativement aux différentes formes de gouvernements ;
- secondement, qu'elle n'en a condamné qu'une seule, la tyrannie ;
- troisièmement, qu'elle entretient en fait, avec tous, les meilleurs rapports qu'elle peut, et que,
- enfin, elle est, par sa nature et par l'enseignement de ses docteurs, plutôt favorable aux gouvernements tempérés.



(p. 1316) Continuons à détruire les griefs de la démocratie et du libéralisme moderne contre le catholicisme et l'Église.

Une preuve, dit-on, que l'Église n'aime guère la liberté des peuples, l'égalité sociale, c'est qu'elle a maintenu pendant des siècles l'esclavage sur la terre : il faut bien quelle ne vît pas d'un mauvais œil cette horrible institution, puisqu'elle s'en occupait si peu, alors qu'avec sa toute-puissance elle aurait pu l'abolir rapidement. Il y a même des écrivains qui vont jusqu'à prétendre qu'elle n'a à peu près rien fait à cet égard, et que ce sont les idées modernes, en germe dans tous les temps, qui ont aboli l'esclavage.

Examinons donc cette question à la lumière de la raison et de l'histoire.

Faisons-nous d’abord quelque idée de l'immensité de la tâche que le christianisme avait à remplir, et de l'énorme difficulté qu'elle présentait. Ce serait une grande erreur de s'imaginer qu'il ne s'agissait que de mettre en liberté quelques millions d hommes. Avant que le christianisme exerçât sur la terre son action bienfaisante, le nombre des esclaves était, en quelque sorte, infini et supérieur sans comparaison à celui des hommes libres. Athènes comptait quarante mille esclaves et vingt mille citoyens (22). Thucydide nous apprend que, dans la guerre du Péloponnèse, vingt mille esclaves passèrent à l'ennemi. À Chigo, leur défection mit leurs maîtres dans une grande extrémité. Chez les Messéniens, les Thessaliens, les Lacédémoniens, la trahison et les complots des esclaves étaient souvent un danger pour l’État ; c'est Platon et Aristote qui nous l'apprennent (23). À Rome, la multitude des esclaves était prodigieuse. Il fut question de leur donner un costume particulier ; mais le Sénat s'y opposa, dans la crainte qu'ils ne vinssent à se compter. Un seul citoyen en possédait quelquefois plusieurs milliers (24). Pudentilla, femme d'Apulée, en donna quatre cents à son fils. Lors de l'assassinat de Pédanius Secundus, préfet de la ville, quatre cents de ses esclaves furent condamnés à mort (25). Enfin les choses en vinrent à ce point qu'au rapport de Pline, le cortège d'une famille ressemblait à une véritable armée. Au reste, le monde entier était couvert d'esclaves.

À Tyr, par exemple, leur nombre était tel qu'ils se soulevèrent et massacrèrent leurs maîtres. Les Scythes à leur retour de la Médie, trouvèrent les leurs soulevés, et devenus les maîtres à leur tour. César, dans ses Commentaires, parle de la multitude d'esclaves qui couvraient la Gaule (26).

Mais l'esclavage n'était pas seulement un fait immense et universel dans le monde païen, il était encore une doctrine ; il existait non-seulement par la force des choses, mais par la force des idées. C'était une opinion admise par tous, que l'humanité était partagée par la nature elle-même en deux grandes classes, les hommes libres et les esclaves, et que la divinité était l'auteur de cette distinction.

Et sur ce point, les philosophes parlent comme les poètes. Homère veut bien nous apprendre que « Jupiter a enlevé aux esclaves la moitié de l'esprit (27). » C'est heureux qu'il n'ait pas enlevé le tout. Platon nous dit également « que, dans l'esprit de l'esclave, il n'y a rien de sain et d'entier (28). »

Mais écoutons Aristote :

« Ceux d'entre les hommes, dit-il, qui sont aussi inférieurs aux autres que le corps l'est à l'âme et l'animal à l'homme, ceux-là sont naturellement esclaves... La nature a soin de créer les corps des hommes libres différents des corps des esclaves... Ainsi on ne peut mettre en doute que certains hommes ne soient nés pour la liberté, comme d'autres sont nés pour l'esclavage. (29) »

Ainsi, l’esclavage était une doctrine, c'était un droit ; c'était, aux yeux de tous, une institution fondée sur la nature même et parfaitement légitime. Et qu'on veuille bien le remarquer, l'ordre social reposait sur elle : le travail, l'industrie, l'agriculture, la production, tout en dépendait. Elle était regardée comme nécessaire, et l'idée ne venait à personne qu'elle put jamais être abolie.

Telle était donc l'horrible doctrine qui possédait tous les esprits dans le monde païen, et l'institution qui les liait tous. Chacun sait du reste ce qu'était alors l'esclave et qu'elle était sa condition. Le droit de propriété que le maître s'arrogeait sur lui n'atteignait pas seulement son travail et son temps, mais sa personne elle-même, sa vie, son être tout entier. L'esclave est regardé comme une chose, comme un animal, c'était une propriété comme une autre : telle était la législation.

En face de cet état de choses, que devait faire l'Église ? Devait-elle procéder, ou du moins chercher à procéder a une abolition immédiate et générale, ou bien seulement à une abolition préparée, longue et successive ?

Remarquons d'abord que, pendant les trois premiers siècles de son existence, l'Église n'a eu aucune action politique : les puissants de la terre ne lui reconnaissaient qu'un droit, celui d'arroser la terre du sang de ses enfants. Les siècles qui suivirent furent ceux de l'invasion des Barbares et de la dissolution du l'Empire romain, époque de confusion indescriptible où l'Église eut assez à faire de parer aux maux les plus pressants, et où les sociétés chrétiennes naissantes devaient d'abord pourvoir à leur existence.

Du reste, l'abolition immédiate de l'esclavage était une impossibilité physique et morale. Je le disais tout à l'heure, cette institution était non-seulement un fait, mais une doctrine, elle était dans les esprits comme dans les, fats, et était regardée comme juste et nécessaire. Il fallait donc d'abord changer les idées à cet égard, substituer dans les esprits la doctrine contraire, et les amener à d'autres appréciations. De plus, nous l'avons vu, l'esclavage était universel et souillait le monde entier, il était profondément enraciné dans les esprits et dans les faits; il était dans la constitution même de la société. Or, cela posé, renverser immédiatement une pareille institution était une impossibilité pour l'Église ; l'autorité civile ne s'y serait pas prêtée, et encore moins les maîtres. Appeler les esclaves à la liberté et à la révolte, c'eut été provoquer des attentats et des massacres que l'imagination épouvantée ose à peine se représenter, et faire voir par avance au monde entier les les scènes de Saint-Domingue ; c'eût été la guerre sociale la plus horrible sur toute la surface de la terre ; l'Église laisse de pareilles procédés à la démagogie. Au reste, les esclaves eux-mêmes, pour pouvoir entrer dans la société nouvelle, pour pouvoir devenir un élément du monde nouveau que le christianisme travaillait alors à former, les esclaves avaient besoin d'être préparés, et l'Église par sa sage lenteur servait leurs intérêts comme ceux de la société tout entière.

Ecoutons Balmès :

« Le nombre des esclaves était partout si considérable, qu'il était tout-à-fait impossible de leur prêcher la liberté sans mettre le feu au monde...L'état intellectuel et moral des esclaves les rendait incapables de faire tourner un tel bienfait à leur profit et à celui de la société. Encore abrutis, aiguillonnés par le désir de vengeance, que les mauvais traitements entretenaient dans leurs cœurs, ils auraient reproduits en grand les sanglantes scènes dont ils avaient déjà dans les temps antérieurs marqué les pages de l'histoire. Et que serait-il alors arrivé ? La société, dans cet horrible péril, se serait mise en garde contre les principes qui favorisaient leur liberté; elle n'aurait plus envisagé ces principes qu'avec prévention et méfiance ; les chaînes de là servitude, loin de se relâcher, auraient été rivées avec plus de soin. De cette masse immense et brutale d'hommes furieux, mis sans préparation en liberté, il était impossible qu'on vit sortir une organisation sociale ; car, une organisation sociale ne s'improvise pas, surtout avec des éléments semblables ; et, dans ce cas, puisqu'il eût été nécessaire d'adopter entre l'esclavage ou l'anéantissement de l'ordre social, l'instinct de conservation qui anime la société aussi bien que tous les êtres, aurait indubitablement amené la continuation de l’esclavage (…) (30).»

Ainsi donc l'abolition immédiate était impossible. Restait l'abolition préparée et successivement à laquelle l'Église a travaillé avec une persévérance incessante ; et sur laquelle nous allons jeter un regard rapide.

Quand ou veut agir sur les hommes et sur la marche des choses d'une manière sérieuse et durable, et qui soit vraiment salutaire, il faut s'attacher d'abord à modifier les idées et les doctrines. Les esprits superficiels ne voient que les dehors et les surfaces; mais, dans le vrai et en réalité, les principes et les doctrines sont l'âme du monde et l'esprit qui remue le genre humain. L'Église le sait, et c'est pourquoi, en ceci comme en toutes choses, elle commença par agir sur les esprits et changer les idées. Saint Paul, le grand apôtre de la gentilité, ne cesse de proclamer d'abord l'égalité devant Dieu :

« Nous avons tons été baptisés dans le même Esprit, dit-il, pour n'être tous ensemble qu'un même corps, soit juifs, .soit gentils, soit esclaves, ou hommes libres (31). » « Vous êtes tous enfants de Dieu..., il n'y a plus de Juif, ni de Grec, il n'y a plus d'esclave ni de libre (32).»

Quel langage! Quelle doctrine élevée et pure ! Quel éclair jeté sur le monde avili ! Ces paroles contiennent l'espérance et la liberté du genre humain.

Le premier soin du christianisme fut donc d'agir d'abord sur les idées. La doctrine de saint Paul, exposée, développée, commentée par les docteurs de l'Église qui, comme saint Augustin (33), voyaient dans l'esclavage non pas une loi de la nature, mais un effet de la chute et des vices de l'homme; cette doctrine, dis-je, amena deux résultats. Les maîtres chrétiens s'habituèrent à regarder leurs esclaves avec d'autres yeux, à voir en eux des hommes, des chrétiens et des égaux. Les esclaves, de leur coté, furent relevés à leurs propres yeux et ouvrirent leurs cœurs à l'espérance. Un esprit nouveau agitait le monde comme un ferment divin, et préparait l'avenir.

« La première chose, dit encore Balmès, que lit le christianisme par rapport aux esclaves, fut de dissiper les erreurs qui s'opposaient non-seulement à leur émancipation universelle, mais même à l'amélioration de leur état; c'est-à-dire que la première arme dont il se servit fut, selon sa coutume, la force des idées. Et c'était bien la première force à mettre en jeu. En effet, tout mal social est accompagné de quelque erreur qui le produit ou le fermente. Non seulement il y avait oppression, dégradation d'une grande partie de l'humanité, mais il y avait, de plus, une erreur accréditée qui tendait à humilier chaque jour davantage cette portion de l'humanité. Selon cette opinion, les esclaves formaient une race vile qui était loin d'approcher de la race des hommes libres : c'était une race dégradée par Jupiter lui-même, marquée par la nature d'un sceau humiliant, et destinée d'avance à cet état d'abjection et d'avilissement. Doctrine détestable, sans doute, démentie par la nature humaine, par l'histoire, par l'expérience, mais qui ne laissait pas d'être défendue par des hommes distingués, et que nous entendons proclamer pendant des siècles à la honte de l'humanité et de la raison, jusqu'au jour où le christianisme vint la dissiper et se chargea de revendiquer les droits de l'homme (34). »

Oui, c'est le christianisme qui a revendiqué et établi les véritables droits de l'homme. Tous les écrivains de l'antiquité païenne, tous les philosophes, tous les hommes d'État, n'avaient qu'une voix pour légitimer et maintenir l'horrible institution de l'esclavage. C'est le christianisme qui a ébranlé de sa main puissante cet arbre immense qui couvrait la terre; il l'a attaqué jusque dans ses racines, et a fini par le jeter par terre.



(p. 1383).La première chose à faire, nous l'avons dit, pour amener l'abolition de l'esclavage, était de changer les idées et les doctrines qui régnaient dans les intelligences. Et c'est ce que l'Église a fait. Mais ce n'était que le premier pas ; elle ne se contenta pas d'émettre des doctrines générales, elle travailla à les appliquer. Ne pouvant briser tout d'abord les chaînes des esclaves, elle commença par adoucir leur sort. On sait avec quelle cruauté féroce ces malheureux étaient traités par leurs maîtres païens, qui avaient sur eux le droit de vie et de mort. Celui-ci, comme Quintus Flaminius, tuait un esclave au milieu d'un festin par manière de passe-temps ; celui-là, comme Védius Pollion, en jetait un aux murènes pour le crime énorme d'avoir brisé une coupe par mégarde. Le fouet était la punition habituelle des moindres fautes. Mais écoutons saint Paul :

« Maîtres, s'écrie-t-il, ne conduisez pas vos esclaves par la terreur et la menace, sachant que vous avez les uns et les autres un Maître commun dans le ciel, devant lequel il n'y a point d'acception de personnes (35). »

Qui ne connaît la touchante épître du grand apôtre à Philémon en faveur d'un pauvre esclave ? Animée de cet esprit généreux, l'Église mit tout en œuvre pour adoucir le sort de ces malheureux. Les conciles sont remplis de prescriptions à cet égard. Ceux d'Épaone et de Worms, par exemple, excommunient et soumettent à une pénitence de deux années le maître qui, de son autorité privée, aura ôté la vie à son esclave. Un concile d'Orléans ordonne que si un esclave, coupable de quelque faute, cherche un refuge dans une église, on ne le rende à son maître qu'après le serment qu'il ne lui sera fait aucun mal ; si le maître ne tient pas son serment, qu'il soit excommunié. La sollicitude de l'Église va jusqu'à défendre qu'on coupe les cheveux aux esclaves ; ce qui était alors une marque d'ignominie.

Mais améliorer n'était point assez pour elle : elle voulait abolir une institution qui dégradait l'humanité. Sa doctrine de l'égalité de tous les hommes devant Dieu, en se répandant, préparait les esprits ; la charité chrétienne disposait les âmes. Les sociétés ne sauraient rester toujours dans un état contraire aux idées qui les ont une fois pénétrées. Et l'Église, du reste, agissait directement et pratiquement dans le but d'amener graduellement l'émancipation générale.

Joseph de Maistre (1753-1821)
« La loi divine parut sur la terre, écrit le comte de Maistre ; tout de suite elle s'empara du cœur de l'homme, et le changea d'une manière faite pour exciter l'admiration éternelle de tout véritable observateur. La religion commença surtout à travailler sans relâche à l'abolition de l'esclavage ; chose qu'aucune autre religion, aucun législateur, aucun philosophe n'avait osé entreprendre ni même rêver. Le christianisme, qui agissait divinement, agissait par la même raison lentement ; (…) ... Il [La religion] livra donc, un combat continuel à l'esclavage, agissant tantôt ici et tantôt là, d'une manière ou d'une autre, mais sans jamais se lasser ; (...) (36). »

L'Église travailla d'abord à propager et à étendre partout le rachat des esclaves et des captifs, en Europe, en Asie et en Afrique. Dès les premiers temps de son existence, elle déploya à cet égard son zèle et son admirable charité. Elle vendait, à cet effet, jusqu'aux vases sacrés; et même « nous avons connu, dit le pape saint Clément, plusieurs des nôtres qui se sont livrés eux-mêmes en captivité, afin de racheter leurs frères (37). » Les conciles de Mâcon, de Lyon, de Reims, tenus au VIe et au VIIe siècles, font foi que le bien de l'Église, et même les vases sacrés étaient employés au rachat des esclaves, et on ne pouvait rien exiger d'eux en retour dans la suite ; saint Grégoire le Grand le défend expressément (38). Qui ne sait que plus tard des ordres religieux furent fondés pour racheter les captifs ? Les philanthropes des États-Unis dédaignent de s'asseoir à côté de leurs esclaves affranchis ; les religieux de la Merci baisaient leurs chaînes, et pour les racheter s'exposaient à tout, à l'esclavage et à la mort.

Nous ne pouvons indiquer ici tout ce qu'a fait l'Église pour l'abolition de l'esclavage. Le concile de Lyon, célébré au milieu du VIe siècle, frappe d'excommunication ceux qui retiennent en esclavage des personnes libres. Celui de Reims, de l'an 625, excommunie également ceux qui cherchent à réduire les personnes libres en esclavage. Celui de Coblentz, tenu en 922, va jusqu'à déclarer coupable d'homicide celui qui séduit quelqu'un pour le vendre comme esclave. Il est défendu, sous les peines les plus sévères, par les conciles de Tolède, de Mâcon, de Reims, etc., de vendre aux juifs et aux païens des esclaves chrétiens. Un concile de Londres, célébré en 1102, s'élève avec force contre la coutume de trafiquer des hommes, coutume alors très commune en Angleterre. Et le concile d'Armagh, en Irlande, donne la liberté à tous les esclaves anglais que cette coutume barbare a amenés dans le royaume.

L'esclavage, chacun le sait, était regardé comme le dernier degré de la dégradation humaine, et il en était ainsi surtout dans !e monde païen. L’Église travailla à relever les esclaves à leurs yeux et à ceux des autres. Elle le fit d'abord par la propagation de sa doctrine de l'égalité de tous les hommes devant Dieu. En second lieu, elle reçut les esclaves, comme les autres, dans ses monastères : or l'état religieux était regardé tomme une condition aussi honorable que sainte. En troisième lieu, elle les éleva jusqu'au sacerdoce, après avoir amené leur affranchissement. Enfin, elle entoura leur mariage de la dignité qui lui convient comme à celui de l'homme libre. Leur union n'était pas regardée comme un véritable mariage, et cette union, telle quelle, ne pouvait être contractée sans le consentement des maîtres, sous peine de nullité. L’Église repoussa avec énergie une pareille doctrine. Écoutons, par exemple, le pape Adrien Ier :

« Selon les paroles de l'Apôtre, de même qu'en Jésus-Christ on ne doit écarter des sacrements de l'Église ni l'homme libre, ni l'esclave, de même, il n'est permis, en aucune manière, d'empêcher les mariages entre esclaves. Que si ces mariages ont été contractés malgré l'opposition des maîtres, néanmoins ils ne doivent pas être dissous en aucune façon (39) ».

En 1167, le pape Alexandre III déclara solennellement, en plein concile, que tous les chrétiens doivent être exempts de la servitude.

« Cette loi seule, dit avec raison Voltaire, doit rendre sa mémoire chère à tous les peuples. »

Dès lors l'esclavage disparut peu à peu de l'Europe. Les colonies seules et les nations non chrétiennes restèrent souillées de cette lèpre, et la traite des noirs occupe encore l'Europe. Or, relativement à ce dernier point, l'Église s'en occupa dès le XVe siècle, par l'organe du pape Pie II, qui, dans une lettre à un évêque partant pour la Guinée, lui recommanda de s'opposer énergiquement aux Européens qui réduisent les indigènes en esclavage.

Le marché aux esclaves de Gustave Boulanger, vers 1882
« Qui fut le premier, s'écrie Balmès, à élever la voix contre une aussi horrible barbarie ? Ce ne fut point la politique, qui se réjouissait peut-être de consolider ses conquêtes par la servitude ; ce ne fut point le commerce, qui trouvait dans ce trafic infâme de honteux mais abondants profits; ce ne fut pas non plus la philosophie, qui, tout entière à commenter les doctrines de Platon et d'Aristote, aurait vu peut-être sans peine ressusciter la dégradante théorie des races nées pour l'esclavage : ce fut la religion catholique, s'exprimant par la bouche du vicaire de Jésus-Christ. C'est assurément pour les catholiques un spectacle consolant de voir un pontife de Rome condamner, il y a déjà quatre siècles, ce que l'Europe, avec toute sa civilisation, ne condamne que dans le nôtre [qu'aujourd'hui] (40) ».

Les papes, du reste, ne cessèrent de s'occuper de celle question. Paul III en 1637, Urbain VIll en 1639, Benoît XIV en 1741 et enfin Grégoire XVI en 1839, s'élevèrent avec énergie contre ce trafic infâme.

« C'est avec une profonde douleur que nous le disons, écrit ce dernier, on a vu, même parmi les chrétiens, des hommes qui, honteusement aveuglés par le désir d'un gain sordide, n'ont point hésité à réduire en servitude, dans des contrées éloignées, des Indiens, des noirs et autres races malheureuses; ou bien à aider cet indigne forfait en instituant et organisant le trafic de ces infortunés, que d'autres avaient chargés de chaînes. Plusieurs pontifes romains, nos prédécesseurs, de glorieuse mémoire, n'oublièrent point de condamner, selon toute l'étendue de leur charge, la conduite de ces hommes comme opposée à leur salut et flétrissante pour le nom chrétien. »

Après avoir indiqué ce qu'ont fait ses prédécesseurs à cet égard, l'illustre pontife flétrit lui-même énergiquement la traité des noirs, et défend à tous d'enseigner qu'elle soit jamais licite.

Nous pouvons maintenant conclure. Il résulte de tout ce que nous avons dit, que l'Église catholique, relativement à la question que nous venons d'examiner, est entièrement inattaquable. Ses doctrines, sa conduite, son langage ont été ce qu'ils devaient être. C'est à elle, c'est à ses doctrines généreuses, c'est à sa manière d'agir, que l'on doit la chute de cette institution antique, puissante, universelle de l'esclavage. Ni la politique, ni les religions fausses, ni la philosophie indépendante ne songeaient à la renverser. C'est le christianisme qui l'a minée, qui l'a affaiblie, qui l'a jetée par terre. Si cela n'est pas arrivé plus tôt, c'est que la politique avait intérêt à la conserver; c'est à elle qu'il faut s'en prendre. Et si, aujourd'hui encore, l'esclavage n'est pas partout aboli, c'est la politique, c'est le commerce, c'est l'intérêt, c'est l'amour du lucre qui le maintiennent, et c'est l'Église qui cherche à l'adoucir, à civiliser les nègres, à en faire des hommes et des chrétiens. Et pourquoi nos démocrates ne vont-ils pas l'aider dans cette œuvre ? Pourquoi ne les voit-on pas avec nos missionnaires, avec nos frères enseignants, avec nos religieuses, dans la Nigritie et ailleurs, travailler à instruire et à régénérer ces peuples dégradés ? Ils ont véritablement bonne grâce à étaler leurs exigences, et il leur sied bien de s'attaquer à l'Église qui prodigue, à ces races malheureuses, ses travaux, ses sueurs et son sang ? Que ne vont-ils porter sur ces plages lointaines quelque chose de celte belle ardeur qui les anime ici pour la régénération de l'humanité ? Ils sont si habiles à renverser parmi nous ! Que ne vont-ils là-bas renverser ce qui ne doit pas être ?

Au reste, la démocratie est-elle donc si immaculée ? N'a-t-elle rien sur la conscience. Les horreurs de toute sorte de la grande révolution française ne pèsent-elles pas sur elle ? Quelle invasion violente et sanglante d'une classe plus avide que préparée ! Quelle suite perpétuelle, depuis cette époque, de révolutions sans fin, qui usent la vie de la France et finiront par la faire mourir ! Combien de raisons d'être modeste !

Bien loin de s'attaquer à la religion, la démocratie devrait comprendre qu'elle a grand besoin au contraire, de s'unir à elle. Cette union contribuerait à lui donner ce lest qui lui manque, cet esprit conservateur qu'elle n a pas assez. Son premier devoir est de laisser à l'Église toute sa liberté. On ne gouverne pas les peuples sans religion. Et la démocratie a plus mauvaise grâce encore que tout autre gouvernement à confisquer la liberté, elle qui en a toujours le nom sur les lèvres. Elle doit aussi laisser à l'Église, en France, tous ses droits acquis. Elle ne passe pas, sous ce rapport, pour être très scrupuleuse : qu'elle laisse au christianisme tous ses moyens d'action ; ce sera travailler à la régénération de la France.



Notes

(1) Augustin THIERRY, Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du tiers-état, Ferne et Cie, Paris, 1853, préface, page VI et suivantes.
(2) Règlement de Louis XVI du 24 janvier 1789. [La citation renvoie à J. MAVIDAL et E. LAURENT (dir.), Cahiers des états généraux (clergé, noblesse, tiers état), tome I, Librairie administrative de Paul Dupont, Paris, 1868, p. 547 : « XXV. Les paroisses et communautés, les bourgs ainsi que les villes non comprises dans l'état annexé au présent règlement, s'assembleront dans le lieu ordinaire des assemblées, et devant le juge du lieu, ou en son absence devant tout autre officier public ; à laquelle assemblée auront droit d'assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés.  »]
(3) M. BOUTEVILLE, Antiquités nationales, publié sous la direction de M. Paulin, Société bibliographique, Paris, 1837, chapitre XXIII, p. 69.
(4) Louis-Gabriel-Ambroise de BONALD, Démonstration philosophique du principe constitutionnel de la société, Librairie d'Ad. Le Clere et Cie, Paris, 1830, chapitre IX, p. 137-138.
(5) Augustin THIERRY, op. cit., chapitre II, p. 35-36.
(6) Jaime BALMÈS, Le protestantisme comparé au catholicisme, dans ses rapports avec la civilisation européenne, tome III, troisième édition, Auguste Vaton, Paris, 1852, chapitre LXIII, p. 241-242.
(7) S. THOMAS d'Aquin, Summa theologica, Ia IIae (1ère partie de la partie II), question 90, article 2, conclusion.
(8) François Pierre Guillaume GUIZOT, Histoire générale de la civilisation en Europe, depuis la chute de l'Empire romain, jusqu'à la Révolution française, Langlet et Cie, Bruxelles, 1838, 5e leçon, p. 129-131.
(9) Jaime BALMÈS, op. cit., chapitre LX, p. 212.
(10) Jaime BALMÈS, ibid., chapitre LXIII, p. 248.
(11) CLÉMENT XIII, Constit. ad indicem. [En fait, il s'agit de CLÉMENT VIII, « Instructio pro iis, qui libris tum prohibendis, tum expurgandis, tum etiam imprimendis, diligentem, ac fidelem, ut par est, operam sunt daturi, Clementis VIII., auctoritate regulis indicis adjecta », chapitre II : De correctione librorum, §. 2., in Index librorum prohibitorum sanctissimi Domini nostri Benedicti XIV. Pontificis Maximi jussu, Typographia Rev. Cameræ Apostolicæ, Rome, 1738, p. XXVIII.
(12) Charles Forbes René de MONTALEMBERT, Des intérêts catholiques au XIXe siècle, 2e édition, J.-E. De Mortier, Bruxelles, 1852, chapitre VIII, p. 130-131.
(13) MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, nouvelle édition, Ière partie, Barrillot et fils, Genève, 1749, livre XI, chapitre VIII, p. 164.
(14) Jaime BALMÈS, op. cit., chapitre LXII, p. 239.
(15) S. THOMAS D'AQUIN, op. cit., Ia IIae (1ère partie de la partie II), question 105, article 1, conclusion.
(16) Francisco SUAREZ, Tractatus de legibus ac Deo legislatore, J. Dunmore, T. Dring, B. Tooke et T. Sawbridge, Londres, 1679, livre III, chapitre IV, p. 119.
(17) Robert BELLARMIN, Disputationes de controversiis christianæ fidei adversus hujus temporis Hæreticos, tome I, IIIa Controversio generalis : De Summo Pontifice, livre I : De Romani Pontificis ecclesiastica monarchia, chapitre I, §. 5, Ex officinis Tri-Adelphorum Bibliopolarum, Paris, 1613, col. 505-506.
(18) Évangile selon S. Matthieu, XVI, 18-19 – Évangile selon S. Jean, XXI, 15.16.17.
(19) Synodus Florentina [Synode de Florence], Décret d'union : « (…) Item diffinimus sanctam Apostolicam Sedem, et Romanum pontificem in universum orbem tenere primatum, et ipsum pontificem Romanum successorem esse beati Petri principis Apostolorum et verum Christi vicarium totiusque Ecclesiæ caput, etomnium Christianorum patrem et [ac] doctorem existere ; et ipsi in beato Petro pascendi, regendi, ac gubernandi universalem Ecclesiam a Domino nostro Jesu Christo plenum potestatem traditam esse (...). – Nous définissons aussi que le Saint-Siège apostolique et le pontife romain a la primauté sur l'univers entier; que ce pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre prince des apôtres, le véritable vicaire du Christ, le chef de toute l'Église, le pasteur et le docteur de tous les chrétiens, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui a donné en la personne de saint Pierre le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Église universelle. » Cf. Charles-Joseph HEFELE, Histoire des conciles d'après les documents originaux, tome VII, 2e partie, Letouzey et Ané, Paris, 1916, p. 1036 et 1039.
(20) Robert BELLARMIN, op. cit., §. 1.
(21) Robert BELLARMIN, op. cit., livre I, chapitre 5, §. 5, col. 516.
(22) LARCHER, sur Hérodote, livre I, note 258 [Référence à Histoire d'Hérodote, traduite par M. LARCHER et indiquée par Joseph de Maistre mais fausse. On peut se reporter, pour les mêmes chiffres à Œuvres complètes de Rollin, tome III, Auguste Desrez, Paris, 1837, p. 289.]
(23) PLATON, Des lois, VI ; ARISTOTE, Politique, livre II, chapitre VII.
(24) JUVÉNAL, Satires, III.
(25) TACITE, Annales, livre XIV.
(26) CÉSAR, De bello gallico, livre VI.
(27) HOMÈRE, Odysseus, chapitre XVIII.
(28) PLATON, op. cit., VIII.
(29) ARISTOTE, op. cit., III.
(30) Jaime BALMÈS, Le protestantisme comparé au catholicisme, dans ses rapports avec la civilisation européenne, tome I, troisième édition, Auguste Vaton, Paris, 1852, chapitre 15, p. 195-196..
(31) S. PAUL Apôtre, Première lettre aux Corinthiens, III, 13.
(32) S. PAUL Apôtre, Lettre aux Galates, III, 26.
(33) S. AUGUSTIN d'Hippone, De civitate Dei [La Cité de Dieu], traduction par L. Moreau, tome III, Garnier Frères, Paris, livre XIX, chapitres XIV, XV, XVI, p. 230-236.
(34) Jaime BALMÈS, op. cit., chapitre 16, p. 203-204.
(35) S. PAUL, Lettre aux Éphésiens, VI, 9.
(36) Joseph DE MAISTRE, Du Pape, seconde édition, tome II, Rusand, Lyon ; Librairie ecclésiastique, Paris, 1821, livre III, chapitre II, p. 28-29.
(37) S. CLÉMENT, Lettre aux Corinthiens.
(38) S. GRÉGOIRE LE GRAND, Registri Epistolarum, livre VII, épître XIII (Cf. Migne, Patrologia Latina n° 77, p. 867) : « Gregorius Fortunato episcopo Fanensi. Sicut reprebensibile et ultione dignum est sacrata « quempiam vasa, præterquam in his quæ lex et sacri canones præcipiunt, venundare , ila nulla est objurgatione vel .vindicta plectendum, si pietatis causa pro captivorum fuerint redemptione distracta. Quia ergo fraternitate vestra indicante comperimus ad redemptionem captivorum mutuam se fecisse pecuniam, et eam unde solveret non habere, atque ob hoc cum nostra vos auctoritate sacrata velle vasa distrahere, in hac re, quia et legum et canonum decreta consentiunt, nostrum consensum præbere curavimus, et in distrahendis sacratis vasis vobis licentiam indulgemus. Sed ne eorum venditio ad vestram possit invidiam pertinere, oportet ut in Joannis defensoris nostri præsentia usque ad quantitatem debiti distrahi, et eorum solvi pretium creditoribus debeat, quatenus dum hæc res hujusmodi fuerit observatione completa, nec creditores mutuæ pecuniæ damna sentiant, nec fraternitas vestra invidiam nunc vel quandoque sustineat. »
(39) ADRIEN Ier, De conj. serv., livre IV, tome 9, chapitre 1, cité par BALMÈS, op. cit., chapitre 19, p. 253.
(40) Jaime BALMÈS, op. cit., notes des chapitres XV, XIX, p. 417.


Référence

Abbé DESORGES, « La démocratie et le catholicisme », in Semaine du clergé, juillet-septembre 1875, nouvelle édition, tome VI, 2e partie, Société de librairie ecclésiastique et religieuse, Paris, 1899. 

Ce qui est entre crochets [...] a été rajouté par l'auteur de ce blog. Les notes ont été corrigées et complétées par rapport aux notes du texte original.