(p. 1191) Il existe un
préjugé assez généralement répandu, d'après lequel il y aurait
entre l'Église et la démocratie une hostilité naturelle, une sorte
d'état de guerre plus ou moins latente et comme nécessaire, de
telle manière, qu'entre ces deux puissances, la paix serait fort
difficile et la bonne harmonie comme impossible. Et les faits
semblent donner raison a cette opinion en France, en Espagne, en
Italie, en Suisse et dans toute l'Europe, à des degrés divers.
Cet état de choses
mérite assurément qu'on 'étudie. Est-il fondé en raison ? Cette
espèce d'hostilité est-elle dans la nature des choses ? C'est ce
que nous allons examiner.
Qu'est-ce d'abord que la
démocratie ? D'où vient-elle ? Est-elle entièrement nouvelle parmi
nous? N'existe-t-elle en France, comme plusieurs semblent le croire,
que depuis la grande Révolution ?
La société ancienne,
qui a disparu à la fin du dernier siècle [XVIIIe siècle]
et dont la nôtre est sortie, se composait de quatre éléments,
comme le monde des anciens : la royauté, le clergé, la noblesse et
le tiers-état. Le nom de ce dernier indique ce qu'il était,
c'est-à-dire le tiers ou le troisième état ou corps politique. Nos
anciens auteurs l'appellent aussi le commun état ; et, en
effet, il était l'état commun de presque tous. Les écrivains
modernes le nomment souvent simplement le tiers.
Augustin Thierry (1795-1856) |
Le tiers-état contenait
donc en lui-même la démocratie, ou plutôt il l'était, au moins
dans sa substance, et il a toujours eu une réelle importance. Un
regard rapide sur son histoire nous le fera comprendre, et nous
aidera dans nos appréciations. Sa marche à travers les siècles
peut se diviser comme en deux parties : il y a une première période
où cette démocratie est peu développée et comme à l'état
d'incubation ; elle dure jusqu'à l'établissement des communes sous
Louis le Gros ; la seconde est celle de son développement progressif
jusqu'à son triomphe final.
Ou peut dire dans un sens
très vrai que le tiers-état, la démocratie , ont commencé en
France avec la monarchie. Au-dessous du roi, de ses leudes ou
fidèles, source de la noblesse, était le peuple, composé de deux
parties, les hommes libres ingenui, et les serfs. Les premiers
possédaient des terres à eux, exemptes de redevance, appelées de
franc-alleu ou allodiales, et n'étaient tenus qu'au service
militaire. Ces hommes assistaient et votaient aux assemblées
générales de la nation au Champ de Mars. Le roi, les
prélats, les nobles et les hommes libres les composaient ; et ainsi
tous les éléments sociaux s'y trouvaient réunis. Laissons parler
un écrivain qui s'est occupé spécialement de nos antiquités
nationales :
« Dans l'origine, ces
assemblées se tenaient en rase campagne et se composaient de toute
la partie libre de la nation qui s'y rendait en armes ; mais,
dans la suite, il ne fut plus possible de les convoquer sur une aussi
grande échelle, et au temps de Charlemagne, elles ne furent plus
composées que des prélats et des grands du royaume. Cependant quand
il s'agissait de faire de nouvelles lois, ou de décider quelque
chose d'important, il fallait en appeler au sentiment et au suffrage
du peuple, représenté quelquefois par l'armée, ou qui constatait
son adhésion par son sceau. Dans ce dernier cas, chaque magistrat
convoquait les citoyens de son territoire (3). »
Le tiers-état, la
démocratie ont donc eu dès le commencement de la monarchie et sous
les deux premières races de nos rois une existence et une influence
réelles.
Mais c'est surtout à
partir du douzième siècle qu'il prend son essor. Louis le Gros
émancipe les communes, donne la liberté aux villes de son domaine,
et la véritable vie municipale étend sou action. L'abbé Suger qui
gouverne la France sous Louis le Jeune, et plus tard, saint Louis
étendent, développent ces libertés. Les seigneurs résistent
d'abord et refusent d'imiter les rois en donnant la liberté à leurs
vassaux. Mais ils sont bientôt entraînés par l'élan général. Le
servage disparaît en grande partie du royaume de France.
Les assemblées de la
nation se maintinrent tant bien que mal jusque sous la troisième
race de nos rois. Les États généraux proprement dits leur
succédèrent. Les premiers qui furent réellement complets et
vraiment solennels s'ouvrirent en 1302, sous les voûtes de
Notre-Dame de Paris. Dans cette assemblée se trouvèrent, avec les
représentants du clergé et de la noblesse, ceux du tiers-état ou
commun état, disent les écrivains du temps ; ils parlèrent et
opinèrent comme ceux des deux autres ordres. Et dans les autres
réunions de ce genre, il en fut de même ; le tiers avait son vote,
ses cahiers, comme la noblesse et le clergé.
« Le tiers-état en
corps, dit de Bonald, (…) était autant élevé en dignité
politique que chacun des deux autres ordres, et son consentement
était aussi nécessaire que le leur pour former les résolutions de
l'assemblée des États-Généraux (4). »
De plus, si le
gouvernement proprement dit était surtout dans es mains du roi et de
la noblesse, l'administration était dans celles du tiers. En outre,
les rangs de la noblesse étaient ouverts aux familles qui se
distinguaient, et les dignités les plus hautes aux hommes de grand
mérite.
L'histoire nous a
conservé le récit de ce qui se passa dans plusieurs assemblées des
États généraux et les résolutions qui y fuient prises,
résolutions qui montrent que la liberté véritable est ancienne en
France. Augustin Thierry résume, ainsi les décisions des États de
1355 :
« Les résolutions de
cette assemblée, dit-il, auxquelles une ordonnance royale donna
sur-le-champ force de loi, contiennent et dépassent même sur
quelques points les garanties modernes dont se compose le régime
constitutionnel. On y trouve l'autorité partagée entre le roi et
les trois États représentant la nation, et représentés par une
commission de neuf membres ; l'assemblée des États s'ajournant
d'elle-même à terme fixe; l'impôt réparti sur toutes les classes
de personnes et atteignant jusqu'au roi ; le droit de percevoir les
taxes et le contrôle de l'administration financière donnés aux
États agissant par leurs délégués à Paris et dans les provinces
; l'établissement d'une milice nationale par l'injonction faite à
chacun de s'équiper d'armes selon son état ; enfin la défense de
traduire qui que ce soit devant une autre juridiction que la justice
ordinaire (…) (5). »
Pour suivre maintenant la
marche du tiers- état et de la démocratie, il faudrait écrire
un volume. Quelques indications suffisent à notre but. Les progrès
de cette classe sociale furent constants, et cela par la nature même
des choses et le cours naturel des événements. À mesure qu'un plus
grand nombre d'hommes capables se formèrent dans son sein, son
influence devint plus considérable. L'administration passa de plus
en plus dans ses mains ; l'industrie, le commerce, les richesses s'y
développèrent. Louis XI contribua beaucoup à ce résultat. Il
abaissa les grands qu'il n'aimait pas, et éleva d'autant les autres.
Il augmenta les libertés des villes, des communes ; il fut en
réalité le roi du peuple. Anssi, aux États généraux qui furent
réunis après sa mort par la régente sa fille, Anne de Beaujeu, le
tiers-état exerça- t-il une influence considérable. L'invention de
l'imprimerie, la culture des lettres qui fit de brillants progrès
sous François Ier, augmentèrent encore sa puissance.
Elle parut aux États généraux de 1501, de 1576, et surtout aux
derniers convoqués, avant ceux de [17]89, en 1614, où le tiers
attaqua avec une énergie jusqu'alors inouïe les deux autres ordres,
et refusa de fléchir le genou devant le roi Louis XIII, comme cela
avait été jusque-là l'usage. Le pouvoir absolu exercé par
Richelieu et Louis XIV, en réalité n'abaissa que la noblesse, et
laissa la classe moyenne poursuivre ses développements, jusqu'à ce
qu'enfin elle devint toute puissante.
Quand, à la fin du
siècle dernier [XVIIIe siècle] et à la veille de la
Révolution, l'abbé Siéyès publia sa célèbre brochure Qu'est-ce
que le tiers ?, il put répondre: tout cela allait être
vrai dans quelques jours.
Aux États généraux qui
devinrent l'Assemblée nationale, le tiers était en nombre double de
chacun des deux autres ordres. Jusque là, dans les assemblées
précédentes, on avait voté par ordre, et chacune des trois classes
politiques n'avait ainsi que sa voix. Le tiers demanda qu'on votât
par tête, et l'obtint de la faiblesse de Louis XVI ; d'un seul bond
il arriva ainsi à la toute-puissance : la démocratie était
triomphante ; elle devenait le gouvernement de la France, et allait
bientôt couler à pleins bords.
Comme l'indique son nom
lui-même et l'idée que tout le monde en a, elle est le pouvoir du
peuple, le pouvoir du nombre, puisque le suffrage est universel.
Mais, comme d'un autre côté, les hommes les plus considérables par
leur capacité sont ordinairement l'objet de ce suffrage, il y a là
une sorte d'atténuation de la puissance brutale du nombre, qui sans
cela bouleverserait tout.
Quoi qu'il en soit, il
est certain que cette démocratie effraye, et que telle qu'elle s'est
montrée dès le commencement de sa toute-puissance, et telle qu'elle
se montre encore, elle présente plus d'un sujet de crainte au
catholicisme. Pendant la grande Révolution, elle s'est montrée
horrible sous tous les rapports, mais spécialement au point de vue
religieux, et il n'est pas douteux que son impie et sanglante
histoire à cette époque ne soit pour beaucoup dans les
appréhensions qu'elle soulève. Et encore aujourd'hui n'est-elle pas
hostile un peu partout au catholicisme ? Ses chefs n'ont-ils pas la
réputation bien méritée d être généralement ses ennemis ? La
démagogie et le radicalisme ont-ils de quoi rassurer beaucoup ? Et
ne sont- ils pas en fait le produit de la démocratie ? Celle-ci ne
prétend-elle pas, par la bouche de ses chefs et de ses meneurs,
briser, si elle le peut, le concordat de 1801, et la situation
politique de l'Église en France ? Qui oserait dire que toutes
ces craintes sont sans fondement ?
(p. 1223) La démocratie,
nous l'avons vu, est l'avènement de tous, de quelque manière,
l'avènement de tous les membres de la nation à la vie politique. Ce
n'est pas seulement l’avènement du peuple, en tant qu'il diffère
des classes lettrées, ce n'est pas seulement l'avènement du plus
grand nombre, c'est l'avènement de tous ; la démocratie, c'est
la nation elle-même.
Mais ici se présente un
fait qu'il importe beaucoup à notre but de signaler. Il y a deux
espèces de démocratie : l'une, qui est bonne, l'autre qui ne vaut
rien du tout ; l'une, qui est légitime, l'autre, qui est l'injustice
même. Et comme, en fait, elles ne sont pas parfaitement séparées
l'une de l'autre, comme les limites qui les séparent ne sont pas
toujours pratiquement distinctes, et que les éléments qui les
composent sont souvent mêlés, il y a là, sans aucun doute, une des
causes de l'état de suspicion où un grand nombre d'honnêtes gens
tiennent la démocratie et en particulier, une des raisons de cette
espèce d'hostilité sourde qui nous occupe, entre la démocratie et
le christianisme.
Jaime Balmès (1810-1848) |
« [Elle] ... est
basée, dit-il, sur la connaissance de la dignité de l'homme, et du
droit qui lui appartient de jouir d une certaine liberté conforme à
la raison et à la justice. Avec des idées plus ou moins claires
plus ou moins uniformes sur la véritable origine de la société et
du pouvoir, elle en a du moins de fort nettes, de fort précises
touchant le véritable objet et la fin de l'un et de l'autre ;
sa constante opinion est que le pouvoir existe pour le bien commun,
et que s'il ne dirige pas ses actions vers ce but, il dégénère et
tend vers la tyrannie. Les privilèges, les honneurs, les
distinctions sont approchés par elle de cette pierre , de touche, le
bien commun ; ce qui est contraire à ce bien est rejeté comme
nuisible : ce qui n'y sert pas est élagué comme superflu. Les
seules choses qui aient une valeur réelle, digne d'être prise en
considération dans la distribution des fonctions sociales, sont, à
ses yeux, le savoir et le vertu..... Cette démocratie qui place au
plus haut degré la dignité de l'homme, qui rappelle les droits sans
oublier les devoirs, s'indigne du seul nom de tyrannie, etc. (6). »
Il est facile de
déterminer et de préciser les caractères qui constituent cette
démocratie et de montrer qu'il n'y a, sous ce rapport, nulle
opposition entre elle et le catholicisme On peut les ramener à six
principaux.
- Elle admet que la
nation est la source immédiate du pouvoir ;
- elle enseigne que les
gouvernements existent et doivent exercer l'autorité pour le bien
commun ;
- elle demande que ce
soit, non pas la volonté de homme qui gouverne, mais par la
constitution et la foi ;
- elle veut que tous
puissent arriver à tous les emplois, et que la raison du choix soit
la capacité du sujet et le bien public ;
- elle demande que le
peuple participe de quelque manière, par ses votes, au gouvernement
de la nation, et
- elle veut enfin que ce
gouvernement ne soit pas absolu, mais tempéré par des institutions
modératrices du pouvoir.
Tels sont les caractères
de la démocratie saine et raisonnable. Or, ils ne contiennent rien
par eux-mêmes qui soit opposé au christianisme.
Et d'abord, quant à
l'origine du pouvoir, nous avons vu précédemment que Dieu en est la
cause première et essentielle, mais que la nation en est la source
immédiate. La démocratie ne considère pas assez, et souvent pas du
tout, le caractère divin du pouvoir, dans le sens que nous avons
expliqué : c'est un tort grave, une lacune considérable dans ses
idées; mais elle ne se trompe pas en disant que l'autorité a sa
source immédiate dans la nation, et elle est en cela d'accord, comme
nous l'avons vu, avec l'enseignement des plus grands théologiens
catholiques.
Il faut dire la même
chose des autres caractères. Que, par exemple, les gouvernements et
les lois n'existent que pour le bien commun, c est une vérité
enseignée jusqu'à satiété par tous les théologiens.
« Comme la loi regarde
le bien commun, dit saint Thomas d'Aquin, aucun précepte
particulier, ne peut avoir force de loi, qu'autant qu'il regarde
aussi ce bien commun, et ainsi toute loi doit être faite pour le
bien commun (7). » Ainsi tout, la loi et ses applications par des
ordres particuliers, tout a pour but le bien commun.
La démocratie demande
que tous puissent arriver, s'ils en sont dignes, à tous les emplois,
et que la raison du choix soit la capacité. Or, c'est là un
principe que l’Église a toujours professé, avant qu'il fut
question de la démocratie moderne et de ses principes. Écoutons à
cet égard un homme qui n'est pas suspect de partialité envers
l’Église, le protestant Guizot.
François Guizot (1787-1874) |
l'Église n'est donc pas
du tout opposée au principe de l'admission de tous à tous les
emplois, et elle le pratique depuis bientôt deux mille ans. Nous
verrous qu'elle ne l'est pas davantage à l'union de la liberté et
de l'autorité, à l'existence des institutions modératrices du
pouvoir.
Il est impossible de ne
pas sentir dans son âme de sourds mouvements d'indignation, quand on
voit chaque jour des publicistes ignorants ou haineux, prétendre que
le christianisme est l'ennemi de toutes les libertés et l'ami de
tous les despotismes. Ses doctrines, son esprit, son histoire
protestent contre cette accusation. N'est-ce pas lui dont les
prescriptions et l'esprit ont dissous progressivement et jeté par
terre l'antique et universelle institution de l'esclavage ? On admire
les républiques anciennes, on exalte leur amour de la liberté. Or,
voici la vérité : Athènes avait dans ses murs soixante mille
habitants, et quarante mille étaient des esclaves ; à Rome, ils
étaient innombrables, et le sénat défendit qu'on leur donnât un
costume particulier, de peur qu'ils ne vinssent à se compter. C'est
l’Église qui a appelé tous les peuples à la liberté et à la
fraternité véritable.
« On ne pourra
contester, dit fort bien Balmès, que là où n'a point existé le
christianisme, le peuple s'est trouvé la victime d'un petit nombre,
dont les mépris et les injures ont été la seule récompense de ses
fatigues. Consultez l'histoire, l'expérience ; le fait est général,
constant. Pas même une exception à ce fait dans ces anciennes
républiques qui ont fait tant de bruit de leur liberté (9). »
Nous avons donc exposé
lei éléments principaux qui constituent la démocratie saine et
raisonnable; et nous avons vu qu'il n'y a pas, sous ce rapport,
d'opposition entre elle et le catholicisme. Ces principes ne sont pas
nouveaux ; ils sont, dans un sens vrai, le fruit du christianisme, et
on le lit dans les livres de ses théologiens. C'est donc une erreur
de croire que l’Église ne puisse pas s'accommoder de cette
démocratie, si celle-ci restait dans les principes que nous avons
indiqués, et qu'elle revendique.
Mais il y a une autre
démocratie, que l'on a très bien nommée la démagogie, et qui est
comme la corruption de la première. Ses doctrines sont horribles. La
négation de Dieu et de toute religion, l'abolition du mariage comme
institution religieuse, le renversement de l'ordre social actuel, et
son remplacement par un communisme plus ou moins complet : tel est le
symbole de cette aimable démocratie. Nous la connaissons déjà en
France par ses œuvres. C'est à elle que revient l'honneur des excès
monstrueux de la grande révolution. C'est elle qui fait les
sanglantes journées de juin 1848. C'est elle qui porte la
responsabilité des sauvages horreurs de la Commune de Paris,
d'ignoble et sanglante mémoire. Elle n'a pas été tout-à-fait
ignorée dans les siècles antérieurs. Elle apparaît mêlée aux
hérésies armées d'autrefois : elle combat avec les Albigeois au
treizième siècle, avec la Jacquerie au quatorzième, avec les
Hussites au quinzième, les anabaptistes et les paysans au seizième.
« Erronée dans ses
principes, dit Balmès, perverse dans ses intentions, violente dans
sa manière d'agir, cette démocratie a partout marqué sa trace par
un ruisseau de sang ; loin de procurer aux peuples la vraie liberté,
elle n'a servi qu'à leur enlever celle qu'ils avaient... S'alliant
aux passions misérables, elle a toujours été la bannière de ce
que la société a de plus vil, de plus abject ; à ses côtés, elle
a groupé tous les hommes turbulents et mal intentionnés. Cette
semence de troubles, de scandales, de haines acharnées, a porté
enfin ses fruits naturels : la persécution, les proscriptions,
l'échafaud (10).»
Il va de soi que, entre
une semblable démocratie et l’Église, il ne peut y avoir de
conciliation, mais la guerre. Ce qu'elle hait par-dessus tout,
l'objet de sa haine intime, spéciale, privilégiée, c'est le
catholicisme : pour elle, c'est là l'ennemi. Car elle est la
négation de tout ce qu'il affirme, et l'affirmation de ce qu'il nie.
C'est Satan d'un côté, et la Divinité de l'autre.
Le malheur de la
démocratie raisonnable, c'est qu'elle n'est pas complètement
séparée de celle que je viens de décrire. Il y a des attaches plus
ou moins latentes; il y a des unions plus ou moins prononcées. C'est
là qu'est le danger ; et ceux qui croient qu'il n'existe plus sont
dans une grande illusion.
(p. 1255) Un des griefs
le plus souvent articulés contre l’Église catholique par la
démocratie et le libéralisme, c'est qu'elle n'aime que les
gouvernements absolus, que ceux-ci seuls ont ses sympathies, et
qu'elle a en horreur toute espèce de liberté. Qui n'a les oreilles
et les yeux fatigués des déclamations qu'il a entendues ou lues sur
ce sujet ? Mais, en revanche, personne ne s'est fatigué à lire les
preuves de cette assertion. On affirme, on suppose, on laisse
entendre que l’Église n'aime que l'absolutisme ; mais le prouver,
on s'en dispense. C'est là, du reste, un procédé dont on use avec
un sans-façon merveilleux à l'égard du catholicisme.
Examinons donc cette
question.
Il y a trois moyens
principaux de connaître la doctrine, la pensée de l’Église :
d'abord son enseignement officiel ; en second lieu, sa manière
d'agir, sa conduite ; puis les écrits de ses docteurs les plus
autorisés.
L’Église a-t-elle
défini quelque chose sur cette question ? Jamais. A-t-elle un
enseignement officiel sur les diverses formes de gouvernement ?
Aucunement. A-t-elle défini que telle forme vaut mieux que telle
autre ? Nullement. A-t-elle proscrit les institutions
modératrices du pouvoir, les libertés civiles ou politiques ? Pas
le moins du monde. A-telle défini que le gouvernement absolu est
préférable au gouvernement tempéré ? Pas davantage
La vérité catholique
est déposée dans trois espèces de documents :
- l'Écriture sainte,
- les définitions des
Papes et
- les décrets des
conciles.
Or, nulle part on ne
trouve rien relativement aux normes de gouvernement. Assurément
l'Église, dans sa longue existence de dix-huit siècles, a eu à
s'occuper de doctrines de toutes espèces ; elle a défini bien des
questions, elle a proscrit bien des erreurs. A-t-elle proscrit
quelque forme de gouvernement ? Jamais.
Je me trompe, il y a une
sorte de gouvernement que l'Église a proscrite. Serait-ce les
institutions modératrices du pouvoir, les institutions libres ?
Écoutons :
« Il faut abolir, dit
Clément XIII, ce qui sent le paganisme... Il faut abolir ce qui,
venant des doctrines, des usages et des exemples des païens, nourrit
la tyrannie politique, et cette fausse raison d'État, tout à fait
éloignée de la loi évangélique et chrétienne ; quæ […]
tyrannicam politiam fovent, et quam falso vocant rationem status, ab
evangelica et christiana lege abhorrentem inducunt, deleantur
(11). Ainsi ce que l’Église a proscrit, c'est la tyrannie, c'est
le despotisme renouvelé plus ou moins du paganisme par quelques
princes chrétiens. Est-ce pour cela qu'on l'accuse de favoriser la
tyrannie?
Mais, dit-on, le Syllabus
n'a-t-il pas condamné le suffrage universel qui est la source même
des gouvernements modernes et libres, et l'expression même de la
volonté de la démocratie ?
Il est entièrement faux
que le Syllabus ait condamné le suffrage universel. Voici la
proposition qui s'y rapporte :
« L'autorité n'est pas
autre chose que la somme du nombre et des forces matérielles ;
auctoritas nihil aliud est nisi numeri et materialium virium
summa. »
Cette proposition est on
ne peut plus justement proscrite. L'autorité est autre chose que le
nombre et la force matérielle. La raison, nous l'avons vu, démontre
que l'autorité vient de Dieu de quelque manière. Elle vient aussi,
nous l'avons vu encore, de la nation dans un sens vrai; mais
puisqu'elle vient de Dieu, et qu'elle est le droit de commander même
à la conscience, toute proposition, qui affirme qu'elle n'est pas
autre chose que le nombre et la force, est une proposition fausse au
point de vue rationnel comme au point de vue chrétien.
La condamnation de la
proposition que je viens de citer est prise de l'allocution célèbre
Maxima quidem, prononcée par Pie IX dans le Consistoire du 9
juin 1862 en présence d'un très grand nombre d’évêques alors à
Rome, et voici les paroles mêmes du Souverain Pontife :
« De auctoritate
et jure ita temere effutiunt, ut impudenter dicant, auctoritatem
nihil aliud esse nisi numeri et materialium virium summam, ac jus in
materiali facto consistera, et omnia hominum officia esse nomen
inane, et omnia humana facta juris vim habere. »
Ce qui ressort évidemment
de ces paroles, c'est que le Pape condamne le matérialisme de
l'autorité et du droit,c'est-à dire ce matérialisme qui ne voit
dans ces deux nobles choses, que le nombre et la force. Et en cela
Pie IX est l'organe de la raison et de la conscience.
Pie IX (1792-1878) |
Un second moyen, avons
nous dit, de connaître la pensée de l'Église, sur la question qui
nous occupe, c'est sa conduite, sa manière d'agir. N'a-t-elle pas,
dit-on, toujours favorisé les gouvernements absolus et despotiques ?
Si avant de regarder en
arrière dans les temps écoulés, nous jetons un regard sur le monde
actuel, nous constatons à première vue un fait considérable. Le
christianisme domine en Europe et en Amérique. Il n'est, au
contraire, en Asie, et en Afrique, qu'à l'état de missions. Or,
c'est précisément en Europe et en Amérique, que se trouvent les
institutions modératrices du pouvoir, les gouvernements tempérés,
la liberté politique. Et ailleurs, règne la monarchie absolue et le
despotisme. Je ne prétends pas que la seule cause de cette
différence soit la religion chrétienne. Le caractère national, le
génie des peuples y ont leur grande part. Mais le christianisme y a
aussi la sienne. C'est lui qui, inspirant une juste idée de la
dignité de la nature humaine, fait que l'homme n'admet et n'établit
qu'une autorité modérée, et ne veut point d'un pouvoir arbitraire.
C'est lui qui, en adoucissant les mœurs, a adouci par là même
l'autorité. C'est lui qui, en élevant les peuples à la
civilisation véritable, les rend plus propres à participer à la
gestion des affaires. Hélas ! L'esprit révolutionnaire vient
trop souvent tout gâter.
Mais, dit-on, au dix
septième siècle, le christianisme avait en Europe un incontestable
empire ; et cependant c'est le pouvoir absolu qui régnait ; preuve
évidente qu'il y a entre lui et ce pouvoir une affinité réelle.
Cette difficulté n'a de
valeur que pour ceux qui ne voient que la surface des choses, et qui
ne connaissent de l'histoire que les deux derniers siècles [XVIIe
et XVIIIe siècles]. C'est précisément à cette époque
que l'Église catholique a commencé à perdre de son influence sur
les sociétés. Transportons-nous par la pensée à une époque, où
de l'aveu de tous elle exerçait une action puissante, au moyen âge.
Alors régnaient d’abord de larges libertés civiles, que nous
n'avons plus aujourd'hui en France, où domine la centralisation.
Alors régnait, en second lieu, la liberté politique sous la forme
que déterminaient les circonstances et les éléments qui
composaient la société, c'est-à-dire sous le régime des états,
régime où la monarchie était tempérée par des institutions
véritablement modératrices du pouvoir. En Angleterre, alors
parfaitement catholique, on trouve le régime parlementaire, sous une
forme plus ou moins développée : on sait, en effet, que les
libertés anglaises, remontent à la charte de Henri Ier,
donnée en 1103, et surtout à la grande charte de Jean
Sans-Terre, de 1215, et aux provisions d'Oxford, de 1258,
origine de la Chambre des communes. En Espagne, la liberté se
traduit par les Cortès, et en Allemagne par les diètes et
les élections. En France, ce sont d'abord les assemblées de la
nation, les Champs de Mars et de Mai, puis le régime des états,
reposant sur les libertés municipales, les libertés provinciales et
les libertés générales ou nationales. Chose bien singulière !
C'est naturellement en Italie que l'influence politique de l’Église
romaine s'est le plus immédiatement exercée ; or, c'est l'Italie
qui a été le terrain le plus favorable au gouvernement républicain
: Gènes, Pise, Sienne, Florence, Venise, ont été des républiques
qui ne sont pas sans gloire.
On le voit donc, en plein
moyen âge, en plein régime de l’Église catholique, la liberté
était vivante, et les principales nations de l'Europe n'y
connaissaient pas le pouvoir absolu.
Un des plus ardents
défenseurs des libertés modernes, le comte de Montalembert, a écrit
ces lignes :
«Je crois parfaitement,
comme on a fini par s'en apercevoir, que le moyen âge, en tenant
compte des éléments sociaux du temps, a été l'ère d'un véritable
gouvernement représentatif, beaucoup plus sincère et plus efficace,
plus sérieux et même plus populaire que tout ce qu'on a imaginé
depuis. Oui, le gouvernement représentatif est né au moyen âge,
et du moyen âge. Il est né de la combinaison naturelle des éléments
qui constituaient la société à cette époque ; il est né de
l'union et de l'action commune de la royauté catholique avec
l'Église, l'aristocratie foncière et les municipalités émancipées
(12).»
Montesquieu parle dans le
même sens.
« Voici, dit-il, comment
se forma le premier plan des monarchies que nous connaissons. Les
peuples germaniques, qui conquirent l'Empire romain, étaient, comme
on sait, très libres (…). Lorsqu'ils furent dispersés dans la
conquête, ils ne purent plus se réunir. Il fallait pourtant que la
nation délibérât sur ses affaires, comme elle avait fait avant la
conquête : elle le fit par des représentants. Voilà l'origine du
gouvernement gothique (ou du moyen-âge) parmi nous. Il fut d'abord
mêlé de l'aristocratie et de la démocratie... C'était un bon
gouvernement, qui avait en soi la capacité de devenir meilleur. La
coutume vint d'accorder des lettres d''affranchissement ; et bientôt
la liberté civile du peuple, les prérogatives de la noblesse et du
clergé, la puissance des rois se trouvèrent dans un tel concert,
que je ne crois pas qu'il y ait eu sur la terre de gouvernement si
bien tempéré que le fut celui de chaque partie de l'Europe dans le
temps qu'il y subsista (13). »
(p. 1288) L'influence de
l'Église catholique, nous l'avons vu dans notre dernier article, a
été favorable dans toute l'Europe à l'établissement de
gouvernements tempérés. Ce n'est qu'au XVIe siècle que
le pouvoir absolu à commencé à prendre son essor et à dominer.
Or, veut-on en connaître la cause principale. Je n'hésite pas à le
dire : c'est le protestantisme ; l'histoire et la raison le
proclament hautement.
« Le plus grand
accroissement du pouvoir royal en Europe, dit Balmès, date
précisément de l'époque du protestantisme. En Angleterre, à
partir d' Henri VIII, ce qui prévalut ne fut pas même la monarchie
; ce fut un despotisme cruel dont les excès ne peuvent être
déguisés par un vain simulacre de formes représentatives. En
France, après la guerre des huguenots, le pouvoir royal se trouva
plus absolu que jamais. En Suède, Gustave monte sur le trône, et,
de cet instant , les rois exercent un pouvoir presque illimité. En
Danemark, la monarchie se perpétue et se fortifie. En Allemagne, on
voit se former le royaume de Prusse, et prévaloir généralement les
formes absolues. En Autriche, l'empire de Charles-Quint garde toute
sa puissance, toute sa splendeur. En Italie, les petites républiques
disparaissent, et les peuples, sous un titre quelconque, se rangent
sous la domination des princes. En Espagne, enfin, les antiques
Cortès de Castille , d'Aragon, de Valence et de Catalogne
tombent en désuétude (14). »
Voilà le fait dans sa
réalité : le pouvoir absolu est contemporain en Europe du
protestantisme. Et j'ajoute que ce dernier en a été la cause
principale. La raison en est extrêmement simple. Le protestantisme a
produit la révolte, et celle-ci a produit le pouvoir absolu :
l'action engendre la réaction. À la voix du moine apostat, une
formidable explosion révolutionnaire eut lieu en Europe. Les
princes, sentant leur trône ébranlé, se sont armés de puissance ;
et les peuples, voyant l'ordre social compromis, se sont réfugiés
d'instinct sous l'égide du pouvoir absolu. Et cela est dans la
nature même des choses ; la révolution produit l'anarchie qui dure
plus ou moins longtemps, et de celle-ci naît naturellement le
pouvoir absolu ; car enfin les nations veulent vivre, et elles ne
sortent guère des révolutions que par l'action d'un pouvoir fort.
Je ne dis pas que l'on n'ait pas quelquefois, devant telle et telle
nation, dépassé le but. Mais le moyen de ne jamais franchir les
limites voulues ! L'humanité ne comporte pas cette perfection.
Ainsi donc, de même que
l'Église, comme nous l'avons vu, ne favorise point par ses doctrines
le pouvoir absolu, de même sa conduite ne le favorise pas davantage
; au contraire, son action, son influence, l'histoire l'atteste, est
bien plutôt favorable à la monarchie tempérée.
Il y un troisième moyen
de connaître la pensée de l'Église catholique sur cette question,
c'est de consulter ses docteurs, ses théologiens les plus
autorisés. Ils n'ont pas, sans doute, l'autorité de l'Église
elle-même, définissant par la bouche des Papes et des conciles sa
propre doctrine ; et cela n'est nullement nécessaire relativement à
la question qui nous occupe, puisque nous savons déjà qu'il n'y a
point, à cet égard, de doctrine définie. Mais l'autorité des
théologiens ne nous est pas moins utile, car leur doctrine est
tacitement approuvée par l'Église. Or, les plus accrédités et les
plus autorisés enseignent que la meilleure forme du gouvernement est
le gouvernement tempéré par des institutions modératrices du
pouvoir.
Écoutons d'abord leur
chef et leur maître, saint Thomas d'Aquin.
« La meilleure
organisation d'une cité ou d'une nation, dit-il, est celle où un
seul a l'autorité principale et règne sur tous ; et sous lui sont
des chefs inférieurs, et, de cette manière le gouvernement
appartient à tout le monde, en ce sens que tous peuvent être élus
chefs, et que tous peuvent élire. Tout gouvernement bien constitué
est donc un mélange de royauté, puisqu'un seul règne,
d'aristocratie, puisque les grands participent à l'autorité, et de
démocratie ou de la puissance du peuple, puisque c'est dans son sein
qu'on prend les chefs et que leur élection lui appartient (15). »
Les autres théologiens
ont presque tous suivi leur chef. Citons-en deux dont l'autorité est
le plus généralement acceptée.
Francisco Suarez (1548-1617) |
Le cardinal Bellarmin
parle comme Suarez.
« Suivant, dit-il, les
traces de saint Thomas et des autres théologiens catholiques, parmi
les trois formes simples de gouvernement (la monarchie,
l'aristocratie et la démocratie), nous donnons la préférence à la
monarchie; mais, attendu la corruption de la nature humaine, nous
admettons que, dans l'état présent de choses, elle est plus utile à
l'homme si elle est tempérée par l'aristocratie et la démocratie,
que si elle est pure (17) [Nos vero B. Thomam, aliosque Theologos
Catholicos secuti, ex tribus simplicibus formis gubernationes
Monarchiam cæteris
anteponimus : quanquam propter naturæ humanæ corruptionem,
utiliorem esse censemus hominibus hoc tempore, Monarchiam temperatam
ex Aristocratia et Democratia, quam simplex Monarchiam : (…).]
Ainsi, les trois
théologiens les plus autorisés sont partisans des gouvernements
tempérés, et non de la monarchie absolue. Tout les autres, du
reste, à part quelques rares exceptions, sont du même avis. Mais il
est manifeste que l’Église ne laisserait pas ainsi enseigner à
tous ses docteurs dans toutes ses écoles une doctrine à laquelle
elle ne serait pas favorable.
Nous avons enfin comme un
quatrième moyen de connaître sur le point qui nous occupe la pensée
de l'Église, Il est dans la nature même des choses qu'une nation,
une société, qui a telle forme de gouvernement, l'aime considérée
en elle-même, et ait pour elle de la sympathie : on aime ce que l'on
est. Quel est donc le gouvernement de l'Église ? Quelle est la forme
que Jésus-Christ lui a donnée ? L’Église, nous allons le voir,
est une monarchie tempérée, et cela par sa nature même, par sa
constitution divine.
Qu'elle soit une
monarchie, c'est un fait et une vérité de foi catholique. Son divin
fondateur a placé saint Pierre à sa tête et lui adonné l'autorité
monarchique, comme l’Évangile nous l'apprend (18). L'Église tout
entière, latine et grecque, assemblée à Florence, a défini cette
vérité (19). Elle est, de plus, un fait visible à tous les yeux :
depuis dix-huit siècles le Pape gouverne comme monarque l'Église
catholique. Mais est-elle une monarchie tempérée ? Tout le monde
sait qu'elle est gouvernée par le Souverain Pontife et par les
évêques. Si Jésus-Christ n'avait institué que le souverain
pontificat et non l'épiscopat, et que ce fut le Pape lui-même qui
l'eût établi, les évêques ne seraient alors que ses vicaires et
ses lieutenants, l'autorité épiscopale n'entrerait point dans la
constitution même de l'Église, et elle pourrait être supprimée ;
les évêques ne seraient point, de par la constitution divine de
l'Église, des législateurs et des gouverneurs du royaume de
Jésus-Christ ; l'autorité pontificale seule appartiendrait à cette
constitution divine, elle serait seule constitutive et seule divine :
dans ce cas, il est évident que la monarchie dans l'Église ne
serait point et ne pourrait être appelée tempérée, puisque
l'autorité du monarque y existerait seule. Mais on sait que c'est le
contraire qui est la vérité. Jésus-Christ a fondé l'épiscopat,
comme il a fondé le pontificat suprême, l'un et l'autre sont
divins, l'un et l'autre sont constitutifs dans l'Église. Ces deux
vérités sont aussi certaines l'une que l'autre, et elles sont
toutes les deux de loi catholique. Or, cela posé, la monarchie dans
l'Église est par là même et doit être dite tempérée, et nous
allons entendre tout à l'heure le cardinal Bellarmin nous dire que
c'est là le sentiment de tous les docteurs catholiques. C'est là,
du reste, une vérité facile à démontrer.
Un gouvernement
monarchique est tempéré lorsqu'il n'est pas une monarchie pure et
simple, mais mélangé, au contraire, d'aristocratie et de
démocratie. Or, il en est ainsi du gouvernement de l'Église. Elle
est, sans aucun doute, une monarchie; mais elle est une monarchie
tempérée d'abord par l'aristocratie. En effet, les évêques sont,
de droit divin, sous l'autorité du Souverain Pontife, les princes de
l'Église, les chefs des différentes parties ou diocèses qui la
composent. Ils sont donc une véritable aristocratie ; non pas
seulement de nom, mais en réalité et efficacement ; ils gouvernent
l'Église avec le Pape et sous son autorité ; et cela de droit divin
et en vertu de la constitution même donnée à l'Église par son
divin fondateur. Le gouvernement de cette Église est donc une
monarchie mélangée d'aristocratie. En second lieu, la démocratie
elle-même y a sa part, non pas assurément en ce sens que le peuple
gouverne, mais en ce sens que les plus hauts emplois, les dignités
les plus considérables ne sont pas du tout réservés, comme cela
avait lieu dans certains gouvernements aristocratiques, à une classe
spéciale de personnes, mais tout au contraire accessibles à tous,
de telle sorte que le dernier des enfants du peuple chrétien peut
être appelé, non-seulement à l'épiscopat, mais au souverain
pontificat.
Il est donc parfaitement
certain que l'Église est une monarchie, mais tempérée
d'aristocratie et de démocratie.
Le pouvoir législatif,
la puissance de faire des lois est dans toute espèce de gouvernement
une partie principale. Y participer, c'est donc avoir part à la
partie la plus haute de l'autorité. Or, dans l'Église catholique,
les évêques y participent de deux manières. Chacun d'eux peut
d'abord faire certaines lois pour son diocèse. En second lieu, les
évêques réunis en concile général sous l'autorité du Souverain
Pontife peuvent faire des lois qui regardent et obligent l'Église
tout entière. Ils sont donc réellement législateurs. Ils ne sont
pas seulement des conseillers du Pape, comme sont, par exemple en
France, les conseillers d’État, mais ils sont de véritables
législateurs. Ils participent même à un pouvoir encore plus haut :
ils sont juges de la loi. Le Souverain Pontife est sans doute le juge
principal, mais les évêques sont juges aussi et ils définissent
avec lui la vérité catholique. L'autorité ecclésiastique, dans
ses deux parties les plus hautes, ne réside donc pas dans le
monarque seul ; elle est partagée, et cela en vertu même de la
constitution divine de l'Église, par les évêques. La monarchie
dans l'Église est donc tempérée par l'institution divine de
l'épiscopat.
Enfin, tout le monde sait
que, de même que les évêques ont dans l'Église le pouvoir
législatif, ils ont aussi le pouvoir de gouverner. Le Souverain
Pontife est le chef suprême, le monarque de l'Église, il en a le
gouvernement général; mais sous son autorité les évêques
gouvernent chaque partie, chaque diocèse. Et ils ne sont pas
simplement, dirons-nous avec Bellarmin, des vicaires
du Pape, de simples envoyés, mais de vrais princes, de vrais
gouverneurs, veri principes et pastores, non vicarii pontificis
maximi [de vrais princes et de
vrais pasteurs, et non des vicaires du pontife suprême].
L'épiscopat a été, eu effet, institué par Jésus-Christ pour
gouverner l'Église, sous l'autorité du Souverain Pontife.
Roberto Bellarmino (1542-1621) |
« Personne ne doute,
dit-il, que notre Sauveur Jésus-Christ n'ait pu et n'ait voulu
donner à son Église la meilleure forme de gouvernement et la plus
avantageuse [Nemini dubium
esse potest, quin & potuerit & voluerit Salvator noster Jesus
Christus Ecclesiam suam ea ratione, & modo gubernare, qui sit
omnium optimus & utilissimus]
» (20).
Et le meilleur
gouvernement, d'après lui, est la monarchie tempérée.
«Tous les docteurs
catholiques, dit-il, conviennent que le gouvernement de l'Église,
confié par Dieu aux hommes, est, il est vrai, une monarchie, mais
comme nous l'avons dit plus haut, une monarchie tempérée
d'aristocratie et de démocratie : [Jam vero] Doctores
catholici in hoc conveniunt omnes ut regimem ecclesiasticum,
hominibus a Deo commissum, illud quidem monarchicum, sed temperatum,
ut supra diximus, ex Aristocratia et Democratia (21). »
C'est donc un fait et une
vérité certaine, le gouverneinent de l'Église est, par sa
constitution divine elle-même, un gouvernement tempéré. Mais à
qui fera-t-on croire qu'un gouvernement tempéré n'aime pas ceux qui
le sont, et qu'il n'ait de sympathie que pour ceux qui ne le sont pas
?
La vérité est, comme
nous l'avons vu,
- premièrement, que
l'Église laisse ses enfants parfaitement libres d'admettre ce qu'ils
veulent relativement aux différentes formes de gouvernements ;
- secondement, qu'elle
n'en a condamné qu'une seule, la tyrannie ;
- troisièmement, qu'elle
entretient en fait, avec tous, les meilleurs rapports qu'elle peut,
et que,
- enfin, elle est, par sa
nature et par l'enseignement de ses docteurs, plutôt favorable aux
gouvernements tempérés.
(p. 1316) Continuons à
détruire les griefs de la démocratie et du libéralisme moderne
contre le catholicisme et l'Église.
Une preuve, dit-on, que
l'Église n'aime guère la liberté des peuples, l'égalité sociale,
c'est qu'elle a maintenu pendant des siècles l'esclavage sur la
terre : il faut bien quelle ne vît pas d'un mauvais œil cette
horrible institution, puisqu'elle s'en occupait si peu, alors qu'avec
sa toute-puissance elle aurait pu l'abolir rapidement. Il y a même
des écrivains qui vont jusqu'à prétendre qu'elle n'a à peu près
rien fait à cet égard, et que ce sont les idées modernes, en germe
dans tous les temps, qui ont aboli l'esclavage.
Examinons donc cette
question à la lumière de la raison et de l'histoire.
Faisons-nous d’abord
quelque idée de l'immensité de la tâche que le christianisme avait
à remplir, et de l'énorme difficulté qu'elle présentait. Ce
serait une grande erreur de s'imaginer qu'il ne s'agissait que de
mettre en liberté quelques millions d hommes. Avant que le
christianisme exerçât sur la terre son action bienfaisante, le
nombre des esclaves était, en quelque sorte, infini et supérieur
sans comparaison à celui des hommes libres. Athènes comptait
quarante mille esclaves et vingt mille citoyens (22). Thucydide nous
apprend que, dans la guerre du Péloponnèse, vingt mille esclaves
passèrent à l'ennemi. À Chigo, leur défection mit leurs maîtres
dans une grande extrémité. Chez les Messéniens, les Thessaliens,
les Lacédémoniens, la trahison et les complots des esclaves étaient
souvent un danger pour l’État ; c'est Platon et Aristote qui nous
l'apprennent (23). À Rome, la multitude des esclaves était
prodigieuse. Il fut question de leur donner un costume particulier ;
mais le Sénat s'y opposa, dans la crainte qu'ils ne vinssent à se
compter. Un seul citoyen en possédait quelquefois plusieurs milliers
(24). Pudentilla, femme d'Apulée, en donna quatre cents à son fils.
Lors de l'assassinat de Pédanius Secundus, préfet de la ville,
quatre cents de ses esclaves furent condamnés à mort (25). Enfin
les choses en vinrent à ce point qu'au rapport de Pline, le cortège
d'une famille ressemblait à une véritable armée. Au reste, le
monde entier était couvert d'esclaves.
À Tyr, par exemple, leur
nombre était tel qu'ils se soulevèrent et massacrèrent leurs
maîtres. Les Scythes à leur retour de la Médie, trouvèrent les
leurs soulevés, et devenus les maîtres à leur tour. César, dans
ses Commentaires, parle de la multitude d'esclaves qui
couvraient la Gaule (26).
Mais l'esclavage n'était
pas seulement un fait immense et universel dans le monde païen, il
était encore une doctrine ; il existait non-seulement par la force
des choses, mais par la force des idées. C'était une opinion admise
par tous, que l'humanité était partagée par la nature elle-même
en deux grandes classes, les hommes libres et les esclaves, et que la
divinité était l'auteur de cette distinction.
Et sur ce point, les
philosophes parlent comme les poètes. Homère veut bien nous
apprendre que « Jupiter a enlevé aux esclaves la moitié de
l'esprit (27). » C'est heureux qu'il n'ait pas enlevé le tout.
Platon nous dit également « que, dans l'esprit de l'esclave,
il n'y a rien de sain et d'entier (28). »
Mais écoutons Aristote :
« Ceux d'entre les
hommes, dit-il, qui sont aussi inférieurs aux autres que le corps
l'est à l'âme et l'animal à l'homme, ceux-là sont naturellement
esclaves... La nature a soin de créer les corps des hommes libres
différents des corps des esclaves... Ainsi on ne peut mettre en
doute que certains hommes ne soient nés pour la liberté, comme
d'autres sont nés pour l'esclavage. (29) »
Ainsi, l’esclavage
était une doctrine, c'était un droit ; c'était, aux yeux de tous,
une institution fondée sur la nature même et parfaitement légitime.
Et qu'on veuille bien le remarquer, l'ordre social reposait sur elle
: le travail, l'industrie, l'agriculture, la production, tout en
dépendait. Elle était regardée comme nécessaire, et l'idée ne
venait à personne qu'elle put jamais être abolie.
Telle était donc
l'horrible doctrine qui possédait tous les esprits dans le monde
païen, et l'institution qui les liait tous. Chacun sait du reste ce
qu'était alors l'esclave et qu'elle était sa condition. Le droit de
propriété que le maître s'arrogeait sur lui n'atteignait pas
seulement son travail et son temps, mais sa personne elle-même, sa
vie, son être tout entier. L'esclave est regardé comme une chose,
comme un animal, c'était une propriété comme une autre : telle
était la législation.
En face de cet état de
choses, que devait faire l'Église ? Devait-elle procéder, ou du
moins chercher à procéder a une abolition immédiate et générale,
ou bien seulement à une abolition préparée, longue et successive ?
Remarquons d'abord que,
pendant les trois premiers siècles de son existence, l'Église n'a
eu aucune action politique : les puissants de la terre ne lui
reconnaissaient qu'un droit, celui d'arroser la terre du sang de ses
enfants. Les siècles qui suivirent furent ceux de l'invasion des
Barbares et de la dissolution du l'Empire romain, époque de
confusion indescriptible où l'Église eut assez à faire de parer
aux maux les plus pressants, et où les sociétés chrétiennes
naissantes devaient d'abord pourvoir à leur existence.
Du reste, l'abolition
immédiate de l'esclavage était une impossibilité physique et
morale. Je le disais tout à l'heure, cette institution était
non-seulement un fait, mais une doctrine, elle était dans les
esprits comme dans les, fats, et était regardée comme juste et
nécessaire. Il fallait donc d'abord changer les idées à cet égard,
substituer dans les esprits la doctrine contraire, et les amener à
d'autres appréciations. De plus, nous l'avons vu, l'esclavage était
universel et souillait le monde entier, il était profondément
enraciné dans les esprits et dans les faits; il était dans la
constitution même de la société. Or, cela posé, renverser
immédiatement une pareille institution était une impossibilité
pour l'Église ; l'autorité civile ne s'y serait pas prêtée, et
encore moins les maîtres. Appeler les esclaves à la liberté et à
la révolte, c'eut été provoquer des attentats et des massacres que
l'imagination épouvantée ose à peine se représenter, et faire
voir par avance au monde entier les les scènes de Saint-Domingue ;
c'eût été la guerre sociale la plus horrible sur toute la surface
de la terre ; l'Église laisse de pareilles procédés à la
démagogie. Au reste, les esclaves eux-mêmes, pour pouvoir entrer
dans la société nouvelle, pour pouvoir devenir un élément du
monde nouveau que le christianisme travaillait alors à former, les
esclaves avaient besoin d'être préparés, et l'Église par sa sage
lenteur servait leurs intérêts comme ceux de la société tout
entière.
Ecoutons Balmès :
« Le nombre des esclaves
était partout si considérable, qu'il était tout-à-fait impossible
de leur prêcher la liberté sans mettre le feu au monde...L'état
intellectuel et moral des esclaves les rendait incapables de faire
tourner un tel bienfait à leur profit et à celui de la société.
Encore abrutis, aiguillonnés par le désir de vengeance, que les
mauvais traitements entretenaient dans leurs cœurs, ils auraient
reproduits en grand les sanglantes scènes dont ils avaient déjà
dans les temps antérieurs marqué les pages de l'histoire. Et que
serait-il alors arrivé ? La société, dans cet horrible péril, se
serait mise en garde contre les principes qui favorisaient leur
liberté; elle n'aurait plus envisagé ces principes qu'avec
prévention et méfiance ; les chaînes de là servitude, loin de se
relâcher, auraient été rivées avec plus de soin. De cette masse
immense et brutale d'hommes furieux, mis sans préparation en
liberté, il était impossible qu'on vit sortir une organisation
sociale ; car, une organisation sociale ne s'improvise pas, surtout
avec des éléments semblables ; et, dans ce cas, puisqu'il eût
été nécessaire d'adopter entre l'esclavage ou l'anéantissement de
l'ordre social, l'instinct de conservation qui anime la société
aussi bien que tous les êtres, aurait indubitablement amené la
continuation de l’esclavage (…) (30).»
Ainsi donc l'abolition
immédiate était impossible. Restait l'abolition préparée et
successivement à laquelle l'Église a travaillé avec une
persévérance incessante ; et sur laquelle nous allons jeter un
regard rapide.
Quand ou veut agir sur
les hommes et sur la marche des choses d'une manière sérieuse et
durable, et qui soit vraiment salutaire, il faut s'attacher d'abord à
modifier les idées et les doctrines. Les esprits superficiels ne
voient que les dehors et les surfaces; mais, dans le vrai et en
réalité, les principes et les doctrines sont l'âme du monde et
l'esprit qui remue le genre humain. L'Église le sait, et c'est
pourquoi, en ceci comme en toutes choses, elle commença par agir sur
les esprits et changer les idées. Saint Paul, le grand apôtre de la
gentilité, ne cesse de proclamer d'abord l'égalité devant Dieu :
« Nous avons tons été
baptisés dans le même Esprit, dit-il, pour n'être tous ensemble
qu'un même corps, soit juifs, .soit gentils, soit esclaves, ou
hommes libres (31). » « Vous êtes tous enfants de Dieu..., il n'y
a plus de Juif, ni de Grec, il n'y a plus d'esclave ni de libre
(32).»
Quel langage! Quelle
doctrine élevée et pure ! Quel éclair jeté sur le monde avili !
Ces paroles contiennent l'espérance et la liberté du genre humain.
Le premier soin du
christianisme fut donc d'agir d'abord sur les idées. La doctrine de
saint Paul, exposée, développée, commentée par les docteurs de
l'Église qui, comme saint Augustin (33), voyaient dans l'esclavage
non pas une loi de la nature, mais un effet de la chute et des vices
de l'homme; cette doctrine, dis-je, amena deux résultats. Les
maîtres chrétiens s'habituèrent à regarder leurs esclaves avec
d'autres yeux, à voir en eux des hommes, des chrétiens et des
égaux. Les esclaves, de leur coté, furent relevés à leurs propres
yeux et ouvrirent leurs cœurs à l'espérance. Un esprit nouveau
agitait le monde comme un ferment divin, et préparait l'avenir.
« La première chose,
dit encore Balmès, que lit le christianisme par rapport aux
esclaves, fut de dissiper les erreurs qui s'opposaient non-seulement
à leur émancipation universelle, mais même à l'amélioration de
leur état; c'est-à-dire que la première arme dont il se servit
fut, selon sa coutume, la force des idées. Et c'était bien la
première force à mettre en jeu. En effet, tout mal social est
accompagné de quelque erreur qui le produit ou le fermente. Non
seulement il y avait oppression, dégradation d'une grande partie de
l'humanité, mais il y avait, de plus, une erreur accréditée qui
tendait à humilier chaque jour davantage cette portion de
l'humanité. Selon cette opinion, les esclaves formaient une race
vile qui était loin d'approcher de la race des hommes libres :
c'était une race dégradée par Jupiter lui-même, marquée par la
nature d'un sceau humiliant, et destinée d'avance à cet état
d'abjection et d'avilissement. Doctrine détestable, sans doute,
démentie par la nature humaine, par l'histoire, par l'expérience,
mais qui ne laissait pas d'être défendue par des hommes distingués,
et que nous entendons proclamer pendant des siècles à la honte de
l'humanité et de la raison, jusqu'au jour où le christianisme vint
la dissiper et se chargea de revendiquer les droits de l'homme (34).
»
Oui, c'est le
christianisme qui a revendiqué et établi les véritables droits de
l'homme. Tous les écrivains de l'antiquité païenne, tous les
philosophes, tous les hommes d'État, n'avaient qu'une voix pour
légitimer et maintenir l'horrible institution de l'esclavage. C'est
le christianisme qui a ébranlé de sa main puissante cet arbre
immense qui couvrait la terre; il l'a attaqué jusque dans ses
racines, et a fini par le jeter par terre.
(p. 1383).La première
chose à faire, nous l'avons dit, pour amener l'abolition de
l'esclavage, était de changer les idées et les doctrines qui
régnaient dans les intelligences. Et c'est ce que l'Église a fait.
Mais ce n'était que le premier pas ; elle ne se contenta pas
d'émettre des doctrines générales, elle travailla à les
appliquer. Ne pouvant briser tout d'abord les chaînes des esclaves,
elle commença par adoucir leur sort. On sait avec quelle cruauté
féroce ces malheureux étaient traités par leurs maîtres païens,
qui avaient sur eux le droit de vie et de mort. Celui-ci, comme
Quintus Flaminius, tuait un esclave au milieu d'un festin par manière
de passe-temps ; celui-là, comme Védius Pollion, en jetait un aux
murènes pour le crime énorme d'avoir brisé une coupe par mégarde.
Le fouet était la punition habituelle des moindres fautes. Mais
écoutons saint Paul :
« Maîtres,
s'écrie-t-il, ne conduisez pas vos esclaves par la terreur et la
menace, sachant que vous avez les uns et les autres un Maître commun
dans le ciel, devant lequel il n'y a point d'acception de personnes
(35). »
Qui ne connaît la
touchante épître du grand apôtre à Philémon en faveur d'un
pauvre esclave ? Animée de cet esprit généreux, l'Église mit tout
en œuvre pour adoucir le sort de ces malheureux. Les conciles sont
remplis de prescriptions à cet égard. Ceux d'Épaone et de Worms,
par exemple, excommunient et soumettent à une pénitence de deux
années le maître qui, de son autorité privée, aura ôté la vie à
son esclave. Un concile d'Orléans ordonne que si un esclave,
coupable de quelque faute, cherche un refuge dans une église, on ne
le rende à son maître qu'après le serment qu'il ne lui sera fait
aucun mal ; si le maître ne tient pas son serment, qu'il soit
excommunié. La sollicitude de l'Église va jusqu'à défendre qu'on
coupe les cheveux aux esclaves ; ce qui était alors une marque
d'ignominie.
Mais améliorer n'était
point assez pour elle : elle voulait abolir une institution qui
dégradait l'humanité. Sa doctrine de l'égalité de tous les hommes
devant Dieu, en se répandant, préparait les esprits ; la charité
chrétienne disposait les âmes. Les sociétés ne sauraient rester
toujours dans un état contraire aux idées qui les ont une fois
pénétrées. Et l'Église, du reste, agissait directement et
pratiquement dans le but d'amener graduellement l'émancipation
générale.
Joseph de Maistre (1753-1821) |
L'Église travailla
d'abord à propager et à étendre partout le rachat des esclaves et
des captifs, en Europe, en Asie et en Afrique. Dès les premiers
temps de son existence, elle déploya à cet égard son zèle et son
admirable charité. Elle vendait, à cet effet, jusqu'aux vases
sacrés; et même « nous avons connu, dit le pape saint Clément,
plusieurs des nôtres qui se sont livrés eux-mêmes en captivité,
afin de racheter leurs frères (37). » Les conciles de Mâcon, de
Lyon, de Reims, tenus au VIe et au VIIe
siècles, font foi que le bien de l'Église, et même les vases
sacrés étaient employés au rachat des esclaves, et on ne pouvait
rien exiger d'eux en retour dans la suite ; saint Grégoire le Grand
le défend expressément (38). Qui ne sait que plus tard des ordres
religieux furent fondés pour racheter les captifs ? Les
philanthropes des États-Unis dédaignent de s'asseoir à côté de
leurs esclaves affranchis ; les religieux de la Merci baisaient leurs
chaînes, et pour les racheter s'exposaient à tout, à l'esclavage
et à la mort.
Nous ne pouvons indiquer
ici tout ce qu'a fait l'Église pour l'abolition de l'esclavage. Le
concile de Lyon, célébré au milieu du VIe siècle,
frappe d'excommunication ceux qui retiennent en esclavage des
personnes libres. Celui de Reims, de l'an 625, excommunie également
ceux qui cherchent à réduire les personnes libres en esclavage.
Celui de Coblentz, tenu en 922, va jusqu'à déclarer coupable
d'homicide celui qui séduit quelqu'un pour le vendre comme esclave.
Il est défendu, sous les peines les plus sévères, par les conciles
de Tolède, de Mâcon, de Reims, etc., de vendre aux juifs et aux
païens des esclaves chrétiens. Un concile de Londres, célébré en
1102, s'élève avec force contre la coutume de trafiquer des hommes,
coutume alors très commune en Angleterre. Et le concile d'Armagh, en
Irlande, donne la liberté à tous les esclaves anglais que cette
coutume barbare a amenés dans le royaume.
L'esclavage, chacun le
sait, était regardé comme le dernier degré de la dégradation
humaine, et il en était ainsi surtout dans !e monde païen. L’Église
travailla à relever les esclaves à leurs yeux et à ceux des
autres. Elle le fit d'abord par la propagation de sa doctrine de
l'égalité de tous les hommes devant Dieu. En second lieu, elle
reçut les esclaves, comme les autres, dans ses monastères : or
l'état religieux était regardé tomme une condition aussi honorable
que sainte. En troisième lieu, elle les éleva jusqu'au sacerdoce,
après avoir amené leur affranchissement. Enfin, elle entoura leur
mariage de la dignité qui lui convient comme à celui de l'homme
libre. Leur union n'était pas regardée comme un véritable mariage,
et cette union, telle quelle, ne pouvait être contractée sans le
consentement des maîtres, sous peine de nullité. L’Église
repoussa avec énergie une pareille doctrine. Écoutons, par exemple,
le pape Adrien Ier :
« Selon les paroles de
l'Apôtre, de même qu'en Jésus-Christ on ne doit écarter des
sacrements de l'Église ni l'homme libre, ni l'esclave, de même, il
n'est permis, en aucune manière, d'empêcher les mariages entre
esclaves. Que si ces mariages ont été contractés malgré
l'opposition des maîtres, néanmoins ils ne doivent pas être
dissous en aucune façon (39) ».
En 1167, le pape
Alexandre III déclara solennellement, en plein concile, que tous les
chrétiens doivent être exempts de la servitude.
« Cette loi seule,
dit avec raison Voltaire, doit rendre sa mémoire chère à tous les
peuples. »
Dès lors l'esclavage
disparut peu à peu de l'Europe. Les colonies seules et les nations
non chrétiennes restèrent souillées de cette lèpre, et la traite
des noirs occupe encore l'Europe. Or, relativement à ce dernier
point, l'Église s'en occupa dès le XVe siècle, par
l'organe du pape Pie II, qui, dans une lettre à un évêque partant
pour la Guinée, lui recommanda de s'opposer énergiquement aux
Européens qui réduisent les indigènes en esclavage.
Le marché aux esclaves de Gustave Boulanger, vers 1882 |
Les papes, du reste, ne
cessèrent de s'occuper de celle question. Paul III en 1637, Urbain
VIll en 1639, Benoît XIV en 1741 et enfin Grégoire XVI en 1839,
s'élevèrent avec énergie contre ce trafic infâme.
« C'est avec une
profonde douleur que nous le disons, écrit ce dernier, on a vu, même
parmi les chrétiens, des hommes qui, honteusement aveuglés par le
désir d'un gain sordide, n'ont point hésité à réduire en
servitude, dans des contrées éloignées, des Indiens, des noirs et
autres races malheureuses; ou bien à aider cet indigne forfait en
instituant et organisant le trafic de ces infortunés, que d'autres
avaient chargés de chaînes. Plusieurs pontifes romains, nos
prédécesseurs, de glorieuse mémoire, n'oublièrent point de
condamner, selon toute l'étendue de leur charge, la conduite de ces
hommes comme opposée à leur salut et flétrissante pour le nom
chrétien. »
Après avoir indiqué ce
qu'ont fait ses prédécesseurs à cet égard, l'illustre pontife
flétrit lui-même énergiquement la traité des noirs, et défend à
tous d'enseigner qu'elle soit jamais licite.
Nous pouvons maintenant
conclure. Il résulte de tout ce que nous avons dit, que l'Église
catholique, relativement à la question que nous venons d'examiner,
est entièrement inattaquable. Ses doctrines, sa conduite, son
langage ont été ce qu'ils devaient être. C'est à elle, c'est à
ses doctrines généreuses, c'est à sa manière d'agir, que l'on
doit la chute de cette institution antique, puissante, universelle de
l'esclavage. Ni la politique, ni les religions fausses, ni la
philosophie indépendante ne songeaient à la renverser. C'est le
christianisme qui l'a minée, qui l'a affaiblie, qui l'a jetée par
terre. Si cela n'est pas arrivé plus tôt, c'est que la politique
avait intérêt à la conserver; c'est à elle qu'il faut s'en
prendre. Et si, aujourd'hui encore, l'esclavage n'est pas partout
aboli, c'est la politique, c'est le commerce, c'est l'intérêt,
c'est l'amour du lucre qui le maintiennent, et c'est l'Église qui
cherche à l'adoucir, à civiliser les nègres, à en faire des
hommes et des chrétiens. Et pourquoi nos démocrates ne vont-ils pas
l'aider dans cette œuvre ? Pourquoi ne les voit-on pas avec nos
missionnaires, avec nos frères enseignants, avec nos religieuses,
dans la Nigritie et ailleurs, travailler à instruire et à régénérer
ces peuples dégradés ? Ils ont véritablement bonne grâce à
étaler leurs exigences, et il leur sied bien de s'attaquer à
l'Église qui prodigue, à ces races malheureuses, ses travaux, ses
sueurs et son sang ? Que ne vont-ils porter sur ces plages lointaines
quelque chose de celte belle ardeur qui les anime ici pour la
régénération de l'humanité ? Ils sont si habiles à renverser
parmi nous ! Que ne vont-ils là-bas renverser ce qui ne doit pas
être ?
Au reste, la démocratie
est-elle donc si immaculée ? N'a-t-elle rien sur la conscience. Les
horreurs de toute sorte de la grande révolution française ne
pèsent-elles pas sur elle ? Quelle invasion violente et sanglante
d'une classe plus avide que préparée ! Quelle suite
perpétuelle, depuis cette époque, de révolutions sans fin, qui
usent la vie de la France et finiront par la faire mourir ! Combien
de raisons d'être modeste !
Bien loin de s'attaquer à
la religion, la démocratie devrait comprendre qu'elle a grand besoin
au contraire, de s'unir à elle. Cette union contribuerait à lui
donner ce lest qui lui manque, cet esprit conservateur qu'elle n a
pas assez. Son premier devoir est de laisser à l'Église toute sa
liberté. On ne gouverne pas les peuples sans religion. Et la
démocratie a plus mauvaise grâce encore que tout autre gouvernement
à confisquer la liberté, elle qui en a toujours le nom sur les
lèvres. Elle doit aussi laisser à l'Église, en France, tous ses
droits acquis. Elle ne passe pas, sous ce rapport, pour être très
scrupuleuse : qu'elle laisse au christianisme tous ses moyens
d'action ; ce sera travailler à la régénération de la France.
Notes
(1) Augustin THIERRY,
Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du
tiers-état, Ferne et Cie, Paris, 1853, préface, page
VI
et suivantes.
(2) Règlement de Louis
XVI du 24 janvier 1789. [La citation
renvoie à J. MAVIDAL
et E. LAURENT (dir.), Cahiers des états généraux
(clergé, noblesse, tiers état),
tome I, Librairie administrative de Paul Dupont, Paris, 1868, p.
547 :
« XXV. Les paroisses et communautés, les bourgs ainsi que les
villes non comprises dans l'état annexé au présent règlement,
s'assembleront dans le lieu ordinaire des assemblées, et devant le
juge du lieu, ou en son absence devant tout autre officier public ; à
laquelle assemblée auront droit d'assister tous les habitants
composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de
vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour
concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des
députés. »]
(3) M. BOUTEVILLE,
Antiquités nationales,
publié sous la direction de M. Paulin, Société bibliographique,
Paris, 1837, chapitre XXIII, p. 69.
(4)
Louis-Gabriel-Ambroise de BONALD, Démonstration
philosophique du principe constitutionnel de la société,
Librairie d'Ad. Le Clere et Cie,
Paris, 1830, chapitre IX, p. 137-138.
(5)
Augustin THIERRY, op. cit.,
chapitre II, p. 35-36.
(6) Jaime BALMÈS, Le protestantisme comparé au
catholicisme, dans ses rapports avec la civilisation européenne,
tome III, troisième édition,
Auguste Vaton, Paris, 1852,
chapitre LXIII, p. 241-242.
(7)
S. THOMAS d'Aquin, Summa theologica,
Ia
IIae
(1ère
partie de la partie II), question 90, article
2, conclusion.
(8)
François Pierre Guillaume GUIZOT, Histoire générale de
la civilisation en Europe,
depuis la chute de l'Empire romain, jusqu'à la Révolution
française, Langlet et Cie,
Bruxelles, 1838, 5e
leçon, p. 129-131.
(9) Jaime BALMÈS, op. cit.,
chapitre LX, p. 212.
(10)
Jaime BALMÈS, ibid., chapitre
LXIII, p. 248.
(11)
CLÉMENT XIII, Constit.
ad indicem. [En fait,
il s'agit de CLÉMENT VIII, « Instructio pro iis, qui
libris tum prohibendis, tum expurgandis, tum etiam imprimendis,
diligentem, ac fidelem, ut par est, operam sunt daturi, Clementis
VIII., auctoritate regulis indicis adjecta »,
chapitre II : De correctione librorum,
§. 2., in Index librorum prohibitorum sanctissimi Domini
nostri Benedicti XIV. Pontificis Maximi jussu,
Typographia Rev. Cameræ Apostolicæ,
Rome, 1738, p. XXVIII.
(12)
Charles Forbes René de MONTALEMBERT, Des intérêts catholiques
au XIXe siècle, 2e édition,
J.-E. De Mortier, Bruxelles, 1852, chapitre VIII, p. 130-131.
(13)
MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, nouvelle édition, Ière
partie, Barrillot et fils, Genève, 1749, livre XI, chapitre VIII, p.
164.
(14)
Jaime BALMÈS, op. cit., chapitre LXII, p. 239.
(15)
S. THOMAS D'AQUIN, op. cit., Ia IIae
(1ère partie de la partie II), question 105,
article
1, conclusion.
(16)
Francisco SUAREZ, Tractatus de legibus ac Deo legislatore, J.
Dunmore, T. Dring, B. Tooke et T. Sawbridge, Londres, 1679, livre
III, chapitre IV, p. 119.
(17)
Robert BELLARMIN, Disputationes de controversiis christianæ fidei
adversus hujus temporis Hæreticos, tome I, IIIa
Controversio generalis : De Summo Pontifice, livre I :
De Romani Pontificis ecclesiastica monarchia, chapitre I, §.
5, Ex officinis Tri-Adelphorum Bibliopolarum, Paris, 1613,
col. 505-506.
(18)
Évangile selon S. Matthieu, XVI, 18-19 – Évangile selon
S. Jean, XXI, 15.16.17.
(19)
Synodus Florentina [Synode de Florence], Décret d'union : « (…) Item
diffinimus sanctam Apostolicam Sedem, et Romanum pontificem in
universum orbem tenere primatum, et ipsum pontificem Romanum
successorem esse beati Petri principis Apostolorum et verum Christi
vicarium totiusque Ecclesiæ caput, etomnium Christianorum patrem et
[ac] doctorem existere ; et ipsi in beato Petro pascendi, regendi, ac
gubernandi universalem Ecclesiam a Domino nostro Jesu Christo plenum
potestatem traditam esse (...). – Nous définissons aussi
que le Saint-Siège apostolique et le pontife romain a la primauté
sur l'univers entier; que ce pontife romain est le successeur du
bienheureux Pierre prince des apôtres, le véritable vicaire du
Christ, le chef de toute l'Église, le pasteur et le docteur de tous
les chrétiens, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui a donné en
la personne de saint Pierre le plein pouvoir de paître, de régir et
de gouverner l'Église universelle. » Cf. Charles-Joseph HEFELE,
Histoire des conciles d'après les documents originaux, tome
VII, 2e partie, Letouzey et Ané, Paris, 1916, p. 1036
et 1039.
(20)
Robert BELLARMIN, op. cit., §. 1.
(21)
Robert BELLARMIN, op. cit., livre I, chapitre 5, §. 5, col. 516.
(22)
LARCHER, sur Hérodote, livre I, note 258 [Référence à Histoire
d'Hérodote, traduite par M. LARCHER et indiquée par Joseph de
Maistre mais fausse. On peut se reporter, pour les mêmes chiffres à
Œuvres complètes de Rollin, tome III, Auguste Desrez, Paris,
1837, p. 289.]
(23)
PLATON, Des lois, VI ; ARISTOTE, Politique, livre
II, chapitre VII.
(24)
JUVÉNAL, Satires, III.
(25)
TACITE, Annales, livre XIV.
(26)
CÉSAR, De bello gallico, livre VI.
(27)
HOMÈRE, Odysseus, chapitre XVIII.
(28)
PLATON, op. cit., VIII.
(29)
ARISTOTE, op. cit., III.
(30)
Jaime BALMÈS, Le protestantisme comparé au catholicisme, dans ses
rapports avec la civilisation européenne, tome I, troisième
édition, Auguste Vaton, Paris, 1852, chapitre 15, p.
195-196..
(31)
S. PAUL Apôtre, Première lettre aux Corinthiens, III, 13.
(32)
S. PAUL Apôtre, Lettre aux Galates, III, 26.
(33)
S. AUGUSTIN d'Hippone, De civitate Dei [La Cité de Dieu],
traduction par L. Moreau, tome III, Garnier Frères, Paris, livre
XIX, chapitres XIV, XV, XVI, p. 230-236.
(34)
Jaime BALMÈS, op. cit., chapitre 16, p. 203-204.
(35)
S. PAUL, Lettre aux Éphésiens, VI, 9.
(36)
Joseph DE MAISTRE, Du Pape, seconde édition, tome II, Rusand,
Lyon ; Librairie ecclésiastique, Paris, 1821, livre III,
chapitre II, p. 28-29.
(37)
S. CLÉMENT, Lettre aux Corinthiens.
(38)
S. GRÉGOIRE LE GRAND, Registri Epistolarum, livre VII, épître
XIII (Cf. Migne, Patrologia Latina n° 77, p. 867) :
« Gregorius Fortunato episcopo Fanensi. Sicut reprebensibile
et ultione dignum est sacrata « quempiam vasa, præterquam in his
quæ lex et sacri canones præcipiunt, venundare , ila nulla est
objurgatione vel .vindicta plectendum, si pietatis causa pro
captivorum fuerint redemptione distracta. Quia ergo fraternitate
vestra indicante comperimus ad redemptionem captivorum mutuam se
fecisse pecuniam, et eam unde solveret non habere, atque ob hoc cum
nostra vos auctoritate sacrata velle vasa distrahere, in hac re, quia
et legum et canonum decreta consentiunt, nostrum consensum præbere
curavimus, et in distrahendis sacratis vasis vobis licentiam
indulgemus. Sed ne eorum venditio ad vestram possit invidiam
pertinere, oportet ut in Joannis defensoris nostri præsentia usque
ad quantitatem debiti distrahi, et eorum solvi pretium creditoribus
debeat, quatenus dum hæc res hujusmodi fuerit observatione completa,
nec creditores mutuæ pecuniæ damna sentiant, nec fraternitas vestra
invidiam nunc vel quandoque sustineat. »
(39) ADRIEN
Ier, De conj. serv., livre IV, tome 9, chapitre 1, cité par
BALMÈS, op. cit., chapitre 19, p. 253.
(40)
Jaime BALMÈS, op. cit., notes des chapitres XV, XIX, p. 417.
Référence
Abbé
DESORGES, « La démocratie et le catholicisme », in
Semaine
du clergé, juillet-septembre 1875, nouvelle édition, tome
VI, 2e partie, Société de librairie ecclésiastique et
religieuse, Paris, 1899.
Ce qui est entre crochets [...] a été rajouté par l'auteur de ce blog. Les notes ont été corrigées et complétées par rapport aux notes du texte original.
Ce qui est entre crochets [...] a été rajouté par l'auteur de ce blog. Les notes ont été corrigées et complétées par rapport aux notes du texte original.
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