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vendredi 11 mai 2012

Les démocrates, gens d'extrême gauche, selon le baron de Beaujour, 1825.




La France est maintenant divisée en une infinité de partis, distingués les uns des autres par leurs intérêts ou par leurs opinions ; mais quelles que soient les nuances variées qui distinguent ces partis, on peut les réduire tous à quatre principaux, qui sont les monarchistes, les royalistes, les républicains et les démocrates. 

Les monarchistes veulent la monarchie pure ou absolue, telle qu'elle a existé sous Napoléon et sous Louis XIV. 
 
Les royalistes veulent une monarchie modérée, comme celle qui existe en Angleterre, et dont les principes ont été consacrés dans la charte française. 
 
Les républicains veulent une démocratie tempérée ou une république , telle qu'elle existe dans les États-Unis de l'Amérique. 
 
Enfin les démocrates veulent la démocratie pure ou l'égalité absolue, telle qu'elle n'a jamais existé dans aucune société civilisée, parce qu'il ne peut y avoir dans une société civilisée qu'une égalité proportionnelle, ou une égalité avec des conditions égales.

Le parti des monarchistes et celui des démocrates sont divisés par leurs intérêts. L'un veut que le pouvoir soit donné à un seul, pour que ceux qui l'entourent gouvernent en son nom ; c'est le parti des courtisans et des privilégiés. L'autre veut que le pouvoir soit donné à la multitude, pour ôter à la richesse, à la science et à la vertu leur supériorité naturelle et détruire toute émulation parmi les hommes ; c'est le parti des anarchistes et des niveleurs. Le premier veut le gouvernement d'un seul, pour profiter de ses faveurs ; le second veut celui de la multitude, pour gouverner dans le désordre.

Mais entre le parti des monarchistes et celui des démocrates, il en est deux autres qui ne sont divisés que par leurs opinions et qui veulent chacun faire triompher la théorie politique qui lui semble le mieux garantir le bonheur public, but ultérieur de toutes les sociétés humaines. 
 
L'un veut la royauté, parce que cette forme de gouvernement lui paraît la plus stable et la plus propre à allier dans un grand état les droits de la personne avec ceux de la propriété ; l'autre veut la république, parce que cette forme de gouvernement, tout en alliant les droits de la propriété avec ceux de la personne, lui paraît la plus favorable à la dignité de l'homme et à sa grandeur morale : le premier veut un roi et un roi héréditaire, parce qu'il regarde le trône comme le refuge le plus sûr pour tous les opprimés ; l'autre, en haine de l'arbitraire inhérent à la royauté, ne veut qu'un magistrat suprême, organe temporaire du pouvoir.

Les monarchistes et les démocrates sont presque partout en petit nombre, parce qu'ils ne tiennent qu'aux deux classes extrêmes de la société, les uns aux courtisans et aux privilégiés, les autres aux prolétaires et à la populace ; mais les royalistes et les républicains sont répandus dans toutes les classes de la société, et plus particulièrement dans les classes moyennes ; et si parmi les hommes qui sont appelés par leurs lumières ou par leurs vertus à exercer une juste influence sur les autres hommes, on trouve des partisans nombreux de la royauté, il faut avouer qu'on y trouve aussi des partisans de la république, soit que ceux-ci aient été séduits par l'étude de la belle antiquité ou par de spécieuses théories, soit qu'ils l'aient été par l'orgueil naturel à l'homme ou par le spectacle de la prospérité toujours croissante des États-Unis.

La république est sans douté en théorie la forme de gouvernement la plus parfaite, et l'exemple des États-Unis prouve que cette forme peut exister, dans les états même les plus grands ; mais les hommes réunis en masse et agités par leurs passions ne peuvent pas toujours être régis par les théories les plus belles, et dans la pratique, ils ne peuvent avoir les meilleures formes de gouvernement que lorsqu'ils en ont dans leurs mœurs tous les éléments.

Le bonheur de l'homme est la fin de la société, et la forme de gouvernement n'est que le moyen. Lors donc que la forme ne peut pas conduire à la fin, quelque parfaite que soit cette forme, il faut lui en substituer une autre, même moins parfaite , parce qu'on ne doit jamais sacrifier la fin au moyen.

(…)

Mais parmi ces partis il en est deux surtout qu'il faut réprimer, parce qu'ils sont inconciliables. Ce sont les deux partis extrêmes : le premier composé de ceux qui veulent rétablir l'ancien régime, tel qu'il existait avant la révolution, comme si la révolution n'avait pas existé et n'eût rien détruit ; l'autre composé de ceux qui veulent établir un régime tout nouveau, comme si la révolution avait détruit tout ce qui existait avant elle et n'eût rien laissé debout : l'un voulant recomposer le gouvernement ancien, comme si tous les éléments en existaient encore ; l'autre voulant composer un gouvernement tout nouveau, comme si aucun des éléments anciens n'existait plus : celui-ci voulant construire sur un plan neuf, sans avoir égard à nos vieilles opinions et à nos habitudes anciennes ; celui-là voulant reconstruire sur l'ancien plan, sans avoir égard à nos besoins nouveaux et à nos opinions nouvelles : tous les deux également aveuglés par leurs préjugés ou par leurs passions, et confondant tous les deux la fin de la révolution avec les moyens qu'elle a employés : l'un blâmant la fin, parce que les moyens furent mauvais ; l'autre louant les moyens, parce que la fin fut bonne : celui-ci voulant justifier tous les crimes de la révolution, parce que les résultats en furent heureux; celui-là repousser tous ses bienfaits, parce qu'on ne les obtint qu'avec des moyens honteux : l'un et l'autre également déraisonnables, parce qu'ils ferment les yeux à la lumière et ne veulent pas voir ce qui est.

La révolution a existé ; et tout en détestant ses crimes, il est impossible de méconnaître ses bienfaits.

- Nous avions un gouvernement absolu, et elle nous a donné un gouvernement modéré ;

- elle a affranchi les personnes, les propriétés, l'industrie, le commerce ;

- elle a consacré les formes du gouvernement représentatif et rendu au peuple tous ses droits, ou du moins lui a donné les moyens légaux de les reprendre.

Tant et de si grands bienfaits ne peuvent pas être méconnus, et en les reconnaissant on ne peut pas les repousser. Il faut donc conserver de la révolution ce qu'elle a produit de bon, et ne rejeter que les injustices qu'elles a faites, en cherchant à les réparer. Mais pour réparer d'anciennes injustices, il ne faut pas en commettre de nouvelles, et faire une contre-révolution pour réparer les maux d'une révolution déjà faite. Les révolutions n'arrivent dans les états que parce qu'il y a des abus dans les gouvernements. Quand donc les abus ont été détruits par des moyens violents, il faut répudier ces moyens et conserver le bien qui a été fait. Employer pour rétablir les abus d'autres moyens violents, ce serait faire le mal pour le mal même, ce qui est le dernier degré de la perversité humaine. 
 
Il faut donc réprimer et les factieux qui voudraient rendre à la France son ancien gouvernement avec les abus anciens , et ceux qui voudraient lui en composer un nouveau avec des éléments qui n'existent pas encore : les premiers, parce qu'ils sont aveuglés par leurs passions; les autres, parce qu'ils le sont par leurs illusions.


Référence.

Louis-Auguste-Félix de Beaujour (Baron), Tableau des révolutions de la France, depuis la conquête des Francs jusqu'à l'établissement de la Charte, Imprimerie Anthelme Boucher, Paris, 1825, p. 137 sq.

vendredi 17 juin 2011

L'école aux États-Unis en 1912.



III. — Séances de l'après-midi. (…)

B. — LE RÔLE DE L ÉCOLE AUX ÉTATS-UNIS

M. HENRI MARTY dit qu'aux États-Unis, le but avoué de l'école est d'arriver à assimiler les étrangers, à transformer les enfants des immigrants en citoyens américains.

Au début, les premiers colons anglo-saxons ont reproduit plus ou moins bien les écoles anglaises : écoles privées à caractère religieux ; puis, au fur et à mesure du développement de la richesse, écoles jouissant des revenus de fondations. Ces écoles constituaient un élément de conservation sociale, mais qui peu à peu devint de la routine, et l'on peut dire que les écoles américaines étaient tombées dans un état déplorable au début du XIXe siècle.

Or, c'est précisément au moment où la décadence des écoles se manifestait que l'Amérique vit se développer une véritable invasion d'ignorants, venus de tous les coins de l'Europe. Une réforme scolaire s'imposait, et Horace Mann en fut le promoteur. Cet homme d'origine modeste, quitta ses fonctions pour se vouer à la refonte des méthodes d'enseignement et à la création d'écoles populaires.

L'instruction est obligatoire jusqu'à quatorze ans et les pouvoirs locaux ont établi des écoles primaires gratuites, suivies d'écoles secondaires qui reçoivent des élèves externes de quatorze à dix-huit ans. Ces écoles sont administrées par des comités scolaires délégués par les pouvoirs locaux. L’État Fédéral a peu d'action sur l'enseignement, et le Comité central de Washington ne s'occupe guère que de recueillir des statistiques.

Les membres des comités locaux sont souvent des politiciens, mais ceux-ci ont le bon sens de laisser agir les spécialistes, instituteurs, médecins, etc. Il y a quelques écoles privées aux États-Unis, mais elles sont peu nombreuses et la plupart sont situées dans les anciens États de l'Est. Ce sont des internats du type anglais, ou des écoles religieuses, ou encore des écoles nouvelles où l'on veut expérimenter des méthodes d'éducation ou d'instruction.

Ce qu'il y a de plus important à discerner, ce sont les caractéristiques des écoles publiques, puisqu'elles forment la grande majorité des citoyens américains.

On peut remarquer tout d'abord que ces écoles n'ont pas le même souci que les écoles anglaises de former le caractère, le self-control et le sens de la responsabilité. Mais de la forte impulsion puritaine du début, elles ont conservé le souci moral et la croyance en la perfectibilité de l'homme. On oublie un peu trop les mauvais côtés de la nature humaine, mais il est indéniable que l'on a un grand respect de la personnalité, ce qui développe à un haut degré l'esprit d'initiative. A côté de cela, les associations et les clubs habituent à l'action concertée. L'école est neutre dans le sens anglo-saxon, c'est-à-dire qu'elle n'est pas anti-religieuse, et l'on cherche toutes les occasions pour développer le patriotisme, l'enthousiasme et la foi au progrès.

M. Ph. ROBERT demande si la co-éducation est un fait général dans les écoles primaires, et quels sont les avantages ou les inconvénients qu'on lui reconnaît, par exemple si elle contribue à développer le respect de la femme.

M. MARTY répond que la co-éducation est générale dans les écoles primaires, et on envisage comme normal et naturel le fait d'élever ensemble des garçons et des filles comme dans la famille. La co-éducation a certainement contribué à développer le respect de la femme. Dans les écoles secondaires, on fait certaines critiques au point de vue de l'instruction, car le développement intellectuel ne se fait pas de la même manière dans les deux sexes.

M. -MELIN demande si la co-éducation n'est pas due à la prédominance des femmes dans l'enseignement. Il y a notamment beaucoup de femmes qui sont institutrices et directrices d'écoles. On peut se demander aussi si une autre cause de la co-éducation n'est pas l'origine familiale des écoles, la plupart des écoles américaines étant dues à l'initiative des familles, où l'éducation des frères et des sœurs se fait en commun ?

M. DE CALAN fait remarquer qu'il faudrait savoir si la proportion des personnes des deux sexes employées dans l'enseignement était plus grande anciennement qu'actuellement pour déterminer l'influence que ce phénomène a pu avoir sur la co-éducation.

M. MARTY répond que la proportion des femmes dans l'enseignement va croissant et que ce phénomène est dû à la facilité qu'ont les hommes de trouver des carrières plus lucratives. A une autre question de M. Melin, M. Marty répond que l'éducation domestique est très développée dans les universités et les écoles américaines en général.

M. DE SAINTE-CROIX appelle l'attention sur ce fait que la plupart des méthodes pédagogiques ont été inventées en Allemagne, et que c'est surtout aux États-Unis qu'elles sont expérimentées et pratiquées. Mais il semble que tout soit essayé dans un certain chaos, ainsi la dactylographie apparaît à côté et sur le même pied que la poésie.

M. BLANCHON s'informe de la place qu'occupe la culture générale dans l'éducation américaine et du rôle des écoles techniques.

M. MARTY dit que l'on a l'impression  d'une grande anarchie intellectuelle. Tout est essayé trop facilement et sans discernement. La culture générale est très peu développée dans les écoles secondaires. Dans les collèges universitaires, on consacre quatre années à la culture générale pour passer l'examen de bachelier, après quoi, dans l'Université, chacun se spécialise dans une branche. 

« Congrès de la Société de Science Sociale », in La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play, 27e année, 2e série, 95e fascicule, juillet-août 1912, p. 93 et suivantes.


L'éducation aux États-Unis en 1906.

Notre confrère, M. Melin, de Nancy, a eu la bonne fortune d'avoir en communication les lettres qu'une institutrice lorraine envoie d'Amérique à ses parents en leur racontant ses impressions sur un milieu qui est si différent du nôtre. Cette institutrice a séjourné pendant un an à New Bedford dans le Massachusetts, c'est-à-dire dans la Nouvelle-Angleterre.

On sait que la Nouvelle-Angleterre est la partie des États-Unis la plus urbaine, la plus civilisée; par conséquent, c'est là que les institutions scolaires ont pris leur plus grand développement. C'est un motif d'intérêt de plus pour ces lettres dont le grand charme consiste surtout dans la sincérité naïve et sans fard avec laquelle les mœurs américaines sont décrites. Nous ne pouvons résister au plaisir d'en communiquer quelques extraits aux lecteurs de la Science sociale. Voici d'abord un exposé de l'organisation des écoles américaines :

Jeudi matin, nous avons été visiter un kindergarten. Les enfants qui le fréquentent ont de six à sept ans ; ils occupent une grande salle meublée de longues tables basses, mobiles et de petits fauteuils.

Les murs sont couverts de tableaux placés assez bas pour que les enfants puissent y dessiner. Il y a une grande armoire pleine de jeux de toutes sortes. Dans un angle se trouve un piano à queue ; les fenêtres sont garnies de plantes; des jouets sont répandus çà et là comme dans une nursery.

En sortant du kindergarten, les enfants passent dans la « primary school » divisée en quatre classes ou « grades ». Le même bâtiment renferme les deux écoles ; les salles sont grandes, très claires, chauffées et ventilées à la fois par un ingénieux système. L'air chaud arrive par une large bouche de chaleur placée au niveau du plafond; il fait le tour de la salle et s'en va par une autre ouverture grillagée située près du plancher. Chaque élève a son petit pupitre et son siège autour desquels on peut circuler. Toutes les classes, dans toutes les écoles, présentent la même organisation.

Lorsque les enfants arrivent en classe, ils se déshabillent et accrochent leurs vêtements dans le hall, puis entrent immédiatement dans leurs salles respectives, s'installent à leurs places et s'occupent tranquillement jusqu'à ce que l'heure de la leçon sonne. Il n'y a pas de salle de récréation, tout se fait dans la même chambre; de temps en temps, les enfants chantent, font des exercices de gymnastique assis à leurs places ou debout, quelquefois exécutent des marches autour de la pièce. L'enfant n'apprend à lire qu'à la primary school, c'est-à-dire pas avant six à sept ans.

La Grammar school comprend cinq « grades » faisant suite à ceux de l'école primaire : 5°, 6°, 7°, 8°, 9°.

Même organisation, mêmes salles, même nombre de places : quarante-huit quelquefois toutes occupées; chaque classe étant double, cela donne un total de quatre à cinq cents élèves par école. J'ai été enchantée de tout ce que j'y ai vu, la discipline est parfaite, on n'entend jamais un mot, tout le monde marche sur la pointe des pieds et toutes les figures sont calmes et souriantes.

Garçons et filles doivent aller à l'école jusqu'à quatorze ans ; s'ils le désirent et satisfont aux épreuves d'un examen d'entrée, ils sont alors admis, toujours gratuitement, à l'école supérieure ou High school qui les préparera au collège, ou plus spécialement développera leurs aptitudes industrielles ou commerciales.

Les professeurs de la High school sont indifféremment des hommes ou des femmes, le personnel des autres écoles est complètement féminin, sauf les directeurs de Grammar schools. Ainsi ce sont des femmes qui font l'éducation du peuple et ce n'est certes pas chose aisée, aussi bien avec le caractère indépendant et volontaire des garçons américains qu'avec le naturel plus ou moins vicieux d'enfants d'émigrés parlant à peine l'anglais. Elles maintiennent dans leurs classes une discipline de fer, qui se trouverait peut-être difficilement chez nos instituteurs français et savent cependant y créer une atmosphère de bon ton et de courtoisie tout à fait remarquable.

Questions et réponses se font avec calme, sans excitation et sur un ton de voix aussi peu élevé que possible. Les figures ont une expression ouverte et de bonne humeur, mais toute manifestation est prohibée comme une faiblesse marquant le peu de contrôle qu'on possède sur soi-même. Tous les mouvements se font au son d'une marche. A voir les maîtresses si calmes et si souriantes, on ne soupçonnerait jamais l'énorme quantité d'énergie, qu'elles déploient; la moindre faiblesse, un peu de laisser aller, et voilà la troupe docile changée en une meute déchaînée.

Lorsqu'on parle chez nous d'éducation à l'américaine, on est loin de penser au dressage minutieux, systématique, rigide et cependant essentiellement libéral qu'il, est. Le principe américain est de développer l'intelligence et toutes les facultés plutôt que de remplir la mémoire de l'enfant et avant tout de former le caractère. 

On s'adresse continuellement à l'honneur, à la dignité de l'enfant, on lui montre la plus grande confiance. On le voit : au fur et à mesure qu'il grandit et passe de classe en classe, prendre conscience de sa dignité, de son individualité.
A*** va dans une classe où la maîtresse laisse parfois les enfants seuls un quart d'heure où plus ; ils continuent à travailler aussi tranquillement que si elle était là.

Chaque maîtresse fait tout ou à peu près dans sa classe et y reste de 9 heures à midi moins le quart et de 1 heure et demie à 4. Point de récréations, une période d'étude de temps en temps. Il n'y a pas de leçons de morale, mais on prie en classe tous les matins et on lit un passage du Nouveau Testament. Lorsqu'ils sont lancés dans la vie, garçons et filles ont reçu une forte impression qui ne s'effacera pas. facilement.

Tous les vendredis, après la prière, une dizaine d'élèves, désignés d'avance, lisent un extrait du journal qu'ils ont choisi eux-mêmes : récit d'un événement politique, d'une fête, d'une catastrophe, un épisode de la guerre russo-japonaise, etc.

A*** me dit que, dans les écoles publiques, ils font cela presque tous les jours, généralement pendant le dernier quart d'heure. Les enfants se tiennent au courant des journaux, ils y sont encouragés par les maîtres et lisent en classe, à haute voix, ce qui les a le plus intéressés ; chacun donne librement son opinion.

Lorsqu'il y a une affaire un peu compliquée : vol, faux, escroquerie, assassinat, etc., le maître les engage à la suivre, on la discute en classe.

Les Américains prétendent que c'est excellent pour former le jugement, que les meilleures discussions sont celles qui s'appuient sur le fait, au moment où il s'accomplit.

L'enseignement lui-même est aussi concret que possible : la botanique par exemple est enseignée d'une façon bien intéressante. On ne parle pas du tout de classification aux commençants (enfants de treize à quatorze ans) ; on les envoie observer à la campagne, ou dans les parcs, la plante, l'arbre que l'on se propose d'étudier. A la leçon, chacun fait part de ses observations que le professeur rectifie ou complète ; lui-même apporte des fragments, divers spécimens, explique ce qui n'a pas été compris ou complètement omis. Les élèves rédigent alors un devoir qu'ils illustrent de nombreux croquis, détaillant les différentes parties de la plante. Autant que possible, on n'explique la leçon qu'après une première récitation qui, en somme, est plutôt une discussion.

Ce matin, miss D*** a parlé de l'événement qui passionne en ce moment tous les Américains, petits et grands : l'élection du président. En quelques questions très simples et très concises, elle a fait faire aux élèves la biographie des deux candidats les plus importants : Parker et Roosevelt : leur état social, leurs opinions politiques, le parti qu'ils représentent, la différence entre les démocrates et les républicains. Les premiers veulent l'abolition des droits d'entrée, la liberté du commerce, les autres la continuation du système protectionniste. Miss D*** a ajouté quelques mots sur le beau caractère de Roosevelt : le type de l'Américain accompli. Elle semblait très émue ; sur la demande des maîtresses, elle a proposé une sorte de vote. Les partisans de Roosevelt devaient se lever — tous se levèrent, sauf une fillette de dix ans, qui resta bravement assise.

Dans les écoles publiques, le vote s'est fait exactement comme il devra s'effectuer légalement lors de l'élection, afin que les enfants en comprennent tous les détails.

La politique fait le sujet de toutes les conversations de ces dames, mais la politique américaine n'est qu'une question de recettes et de dépenses, de bonne organisation budgétaire. L'administration du pays semble être celle d'une vaste famille, d'un grand home que la maîtresse de maison conduit avec économie et intelligence. Point de grandes idées obscures auxquelles on sacrifie aveuglément toutes sortes de libertés et de principes, mais de véritables questions de ménage. Qu'est-ce qui coûtera le moins cher? Qu'est-ce qui sera le plus profitable? Qu'est-ce qui rapportera le plus? Tout cela est si clair et si simple que je ne m'étonne plus autant que tout le monde tienne à y prendre part, femmes et enfants. Chacun doit connaître la valeur des plus petites choses et, en appréciant ainsi dans ses moindres détails tout ce qui aide à entretenir la vie, apprend à vivre. Mettre le plus possible l'enfant en contact avec ce qui se passe autour de lui, tel est le but constamment poursuivi par les éducateurs. Il ne faut pas que l'école nourrisse l'élève d'idées abstraites et de théories, qu'elle lui enseigne seulement l'histoire qui s'est faite. Il faut qu'elle l'aide à pratiquer, et dès maintenant, ces théories, à les construire même ou à les rénover, à former ses idées, à se créer un jugement bien personnel : une individualité. L'école américaine cherche surtout à intéresser l'enfant a l'histoire du jour, celle qui se fait et dans laquelle il peut avoir un rôle à jouer. Voici maintenant quelques extraits relatifs à l'éducation familiale. On verra comment s'exerce, l'influence de la famille en Amérique :

Il me semble tout à fait impossible que les parents abandonnent jamais au hasard l'éducation de leurs enfants. Tout en leur laissant beaucoup de liberté, ils surveillent de très près leur développement physique, intellectuel et moral. Ils étudient sans cesse les méthodes et les théories nouvelles, ne laissant rien à l'instinct. Chaque ville a au moins une association, un club de mères de famille où on discute depuis l'espèce de bouillie la plus saine à donner aux bébés, jusqu'aux moyens les plus ingénieux de faire comprendre l'existence de Dieu à un enfant de trois ans. Les mères s'occupent tout spécialement de l'éducation. Dans la classe moyenne, le mari ne permet jamais à sa femme de travailler en dehors de la maison, lui seul suffit à subvenir aux frais du ménage.

La vie de famille en Amérique ressemble fort peu à la nôtre; chacun va, vient à sa guise, choisit des amis appropriés à son caractère et à son âge, prend ses plaisirs et ses distractions comme il l'entend. Mais il est d'autres moments que ceux des repas où toute la famille se trouve réunie. Les parents américains font plus peut-être que tous autres pour donner le plus de joie possible à leurs enfants; les fêtes sont nombreuses qui sont entièrement dévouées à l'amusement des petits.

Depuis les chansons de la mère l'Oie, délices de bébés, jusqu'aux campements dans les forêts du Maine où l'on envoie les jeunes gens, dans tous les plaisirs, dans les innombrables jouissances d'une vie de jeune Américain, se traduit l'effort des parents pour le rendre heureux.

Ils acceptent tout cela comme tout naturel et en profitent sans arrière-pensée. Les Américains tiennent essentiellement à ce que leurs enfants soient vrais et naturels dans tout ce qu'ils font et disent. Aussi se gardent-ils de prodiguer les observations. Je ne crois pas qu'une maman américaine recommande jamais à sa fille d'être aimable. Elle le lui suggérera par son exemple ou l'amènera par d'adroits petits stratagèmes à l'obligation de l'être : offrir – comme maman — le thé à ses amies, voire même à de grandes personnes, envoyer des fleurs, faire de petites visites, etc. – Tout cela sans l'intervention de maman qui laisse à sa fille l'entière responsabilité de ses actes.

Selon leurs caractères, les enfants se « civilisent » plus ou moins tôt ; mais lorsque les petits sauvageons découvrent qu'il est d'usage, pour les grandes personnes et surtout les personnes bien élevées, de. dire : « bonjour » et « merci », ils le font d'une façon exquise et non par crainte d'une punition. (…)

« Lettres d'Amérique », in La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play, 21e année, 2e série, 31e fascicule, 1906, p. 77 et suivantes.

Les femmes américaines en 1900.

En Amérique, où elles ont conquis la liberté, les femmes se signalent surtout par le nombre et la variété des inventions d'objets utiles aux travaux domestiques. Elles perfectionnent aussi les machines, les wagons, les locomotives, etc (Marie Dugard, La Société américaine). (p. 102)

(…) mais c'est surtout dans la libre Amérique qu'il faut chercher des faits véritablement démonstratifs. Dès l'époque coloniale, les femmes s'illustrèrent par leur courage, leur dévouement à la patrie, par une force morale indomptable.

Elles brillent maintenant dans les lettres, les sciences et les arts ; elles fondent des sociétés scientifiques et philosophiques et savent aussi abandonner les abstractions pour réaliser, avec un admirable sens pratique et une persévérance dont le sexe masculin offre peu d'exemples, les améliorations sociales les plus diverses.

Nous étudierons plus loin si le développement intellectuel de la femme, tel qu'il est compris aux États-Unis, peut concourir au plus grand bonheur humain; nous nous bornons pour l'instant, à constater que déjà, sur les autres rives de l'Atlantique, la femme, en s'essayant dans les œuvres de toutes sortes, dans les plus pratiques et les plus concrètes comme dans les plus théoriques et les plus abstraites soit dans les investigations de la science, les créations artistiques et les hautes spéculations de la philosophie, a fait preuve d'une capacité sensiblement équivalente à celle de l'homme.

Nous nous abstiendrons d'accumuler des preuves, car de nombreux ouvrages (1) et périodiques ont initié même le grand public à la vie américaine.

L'évolution féminine est d'ailleurs si visible que les auteurs misogynes qui semblaient avoir établi leur opinion sur les arguments les plus scientifiques sont obligés de venir à résipiscence. Tel M. Herbert Spencer qui, dans Justice (p. 186) écrit les significatives paroles suivantes : « Si le quantum de liberté devait donc se régler sur les capacités, l'opération, fùt-elle possible, n'aurait pas à tenir compte du sexe ». (p. 167-168)

Jacques Lourbet, Le problème des sexes, V. Giard et E. Brière, Paris, 1900.

(1) G. Varigny, La Femme aux États-Unis, 1893. — Paul Bourget, Outre-Mer, 1895. — Th. Bentzon, Les Américaines chez elles, 1896.— M. Dugard, La Société américaine, 1896, etc.

L'éducation aux États-Unis en 1839

Un jour, causant avec une mère véritablement éclairée, je parlais du changement de relations qui a lieu quand les enfants supérieurs de parents ordinaires deviennent les guides et les protecteurs de ceux qui ont comprimé leur enfance sous une autorité rigide. Nous parlions des difficultés de la transition en pareille circonstance (la partie la plus critique du devoir filial), et nous nous demandions ce qui arriverait après la mort, en supposant que les deux générations se reconnussent dans une nouvelle vie de progression. Mon amie observa que la seule chose qu'il y eût à faire était d'éviter, avec le plus grand soin, l'exercice de son autorité, et qu'il fallait commencer par se faire aimer de ses enfants. Elle et beaucoup d'autres parents en avaient agi ainsi avec le plus heureux succès. En agissant ainsi, les parents américains ne compromettent point leurs principes démocratiques, quoiqu'ils aient entre les mains un pouvoir presque illimité. Ils surveillent et gardent , ils écartent les pierres d'achoppement, ils manifestent leur approbation et leur désapprobation, ils expriment des désirs, mais, en même temps, ils prennent en considération les désirs de leurs enfants; ils laissent, autant que possible, le naturel se montrer, n'imposent aucune opinion, n'en réprouvent aucune, en un mot ils exercent la plus tendre affection, sans jamais s'en prévaloir. Qu'en résulte-t-il ? J'eus le plaisir d'entendre dire à mon amie: « II n'y a rien de si facile au monde que de diriger des enfants, de leur faire faire tout ce que l'on veut. » J'ajoutai à part moi : « Quand on apporte à cette œuvre un cœur et un esprit comme ceux des parents américains. » Un des moûts du plaisir que j'éprouvais à suivre le développement de la liberté chez les enfants, c'est que j'y voyais un signe que l'une des souffrances les plus effroyables de la vie humaine est probablement diminuée dans ce pays, si même elle n'a pas complètement disparu; je veux parler du supplice de renfermer en soi-même ses doutes et ses craintes, et d'avoir le cœur gros de chagrins solitaires, ce supplice qui fait, des premières années d'un enfant timide, un effroyable purgatoire, quoique ce supplice ne purge d'aucun défaut, et en engendre beaucoup. Je suis fortement portée à croire que les défauts de caractère, si universellement répandus aux lieux où l'autorité paternelle est forte et où l'existence des enfants est rendue aussi insignifiante que possible, et l'excellence de caractère qu'on remarque en Amérique, doivent s'attribuer à la différence de direction donnée aux enfants, sou« Le point de vue de la liberté. Nul doute que beaucoup d'enfants ne soient irréparablement déprimés et énervés, faute de savoir que quelqu'un leur porte intérêt. Ils nourrissent des doutes, des craintes et des soupçons, portent en eux des préjugés et des erreurs, faute de songer à faire de» questions; et lors même qu'ils se corrigeraient de ces défauts et de ces erreurs, il en resterait toujours quelque trace. On jette, en travers de leur devoir filial, des obstacles inexpliqués et inexplicables que l'organisation la plus forte ne surmonterait pas; la vigueur du caractère est paralysée, ou se change en opiniâtreté; le calme du respect de soi-même est perdu, ainsi que la sécurité d'une confiance affectueuse en autrui; enfin le naturel est détruit et la vie faussée; et tout cela, parce que, dès l'origine, les parents ne se sont pas fait des amis de leurs enfants. Nul ne supposera que je veuille représenter cette erreur comme générale dans un pays quelconque; mais j'ai acquis la conviction qu'elle est très commune en Angleterre, et que, selon toute probabilité, elle ne peut jamais devenir très répandue en Amérique. J'en ai vu un ou deux exemples douloureux, et un petit nombre de cas où des parents essayaient injustement de régler les actes de leurs fils et de leurs filles, que leur âge plaçait en dehors d'un tel contrôle , non par des commandements exprès, mais par des avis qui, venus d'un père ou d'une mère, sont plus irrésistibles même que des commandements; mais c'étaient là des exceptions remarquables et remarquées. Je vis un contraste frappant entre deux jeunes filles du même voisinage, élevées, l'une, selon le principe de l'amour, l'autre d'après celui de la crainte; ces deux filles offraient en elles le meilleur enseignement de philosophie morale que j'aie jamais rencontré. Sous le point de vue de la naissance, de l'organisation, de l'éducation, elles étaient à peu près égales. Toutes deux avaient reçu le don de beauté et d'intelligence. L'une est pâle, indolente ; quoique ayant la réputation d'être instruite, elle est dépourvue de goût, timide, triste, ne manifestant rien, si ce n'est, de temps à autre, un profond égoïsme et une pruderie qui passe toute croyance. L'éducation de cette fille a été l'unique objet de la sollicitude de ses parents depuis le jour de sa naissance : ils n'ont oublié qu'une chose, c'est de lui faire connaître et sentir que quelqu'un l'aimait. L'autre, l'enfant chérie d'une famille nombreuse, rencontrait l'amour dans tous les regards, la tendresse dans toutes les voix, belles comme Hébé, belle de liberté et de joie, si bien que sa présence est comme un rayon du soleil entre deux nuages. Elle sait qu'elle est belle et accomplie, mais, autant que j'en ai pu juger, elle n'en tire pas la moindre vanité. On lui a dit mille et mille fois qu'on la regardait comme un génie : elle contredit silencieusement cette assertion; ce qu'elle sait, c'est qu'elle peut tout acquérir, mais rien créer. Elle étudie de toute la puissance de son être, comme si elle devait, dans un an, embrasser une profession savante; elle danse comme si la salle de bal était pour elle le monde entier ; elle va et vient par la pluie ou le beau temps, à pied, à cheval, en voiture, se chargeant de petits messages d'obligeance, et, au milieu des éclats de sa joie ou dans les profondeurs de ses méditations studieuses, les plus petits intérêts de ses amis lui sont toujours présents. A d'ennuyeuses soirées, elle s'assied sous la lumière de la lampe (se doutant peu combien elle est belle en ce moment), s'amusant tranquillement à regarder des gravures, sans avoir besoin qu'on s'occupe d'elle : elle exprimera sa pensée et ses sentiments, devant un cercle d'admirateurs, avec autant de simplicité et de gravité que si elle parlait à sa mère. J'ai vu des gens secouer la tête et exprimer la crainte qu'elle ne fût gâtée; mais j'ai la conviction que cette jeune créature est ingâtable. Elle obtient tous les éloges et toute l'admiration qu'on peut prodiguer: la vigilance de ses parents ne peut les empêcher d'arriver jusqu'à elle; elle n'a pas besoin d'éloges et d'admiration, elle a d'autres objets en vue et d'autres désirs, et je crois fermement que si, demain, elle restait seule, la dernière de sa famille, elle n'aurait rien à craindre; elle serait occupée et, un jour, heureuse comme elle l'est maintenant sous la garde de leur tendresse. Elle offre le plus complet exemple que j'aie jamais vu d'un être grandissant à la lumière et à la chaleur d'une parfaite liberté d'amour; elle m'a laissée très peu disposée à tolérer l'autorité en matière d'éducation comme en toute autre matière.

Harriet Martineau, Voyage aux États-Unis: ou, Tableau de la société américaine, T. 2, Pagnerre, Paris, 1839, p. 276 et suivantes.

jeudi 16 juin 2011

L'éducation aux États-Unis en 1861

Ainsi l'idéal de l'éducation en Amérique est absolument l'inverse du nôtre. Nous nous efforçons de briser la volonté au risque de l'anéantir. Aux États-Unis au contraire on s'efforce de la rendre énergique, dût l'autorité y périr. Les parents se regardent comme de simples dépositaires. Ils ont reçu de Dieu la charge de veiller sur des êtres immortels qu'il a formés et façonnés à son gré. Ce mélange de qualités diverses qui constitue l'individualité, est une œuvre du Créateur devant laquelle ils s'inclinent avec respect. Ils ne Commandent qu'autant qu'il le faut pour que l'enfant soit gouvernable. À mesure qu'il grandit, ils s'effacent devant lui, avec un oubli d'eux-mêmes qui tient du prodige. Ce sont les jeunes gens qui tiennent le dé de la conversation, et qui font les honneurs de la maison. C'est leur avis qu'on entend le premier. On dirait que dans cette nation toute tournée vers l'avenir, la jeunesse doit avoir le pas sur les autres âges de la vie. Dès que les parents se sentent vieillir ils se résignent quant à leur intérieur de famille à ne plus vivre que de la vie de leurs enfants. Leur voix affaiblie n'essaye pas de lutter contre le concert bruyant qui retentit autour d'eux. En réalité, le plus souvent ce ne sont pas les parents qui protègent leurs enfants, ce sont les enfants qui patronnent leurs parents.
Cette éducation est évidemment incomplète. Les hommes religieux en sont profondément alarmés. Jusqu'ici la question de l'esclavage absorbait tellement leur attention qu'ils ne pouvaient commencer sur aucun autre point une réaction étendue et efficace; mais dès qu'ils en auront le loisir, ils tourneront leurs forces vers la réforme de l'éducation domestique. En effet, les lacunes qu'elle présente, ont pour effet de relâcher encore les liens de la famille déjà compromis par la force des circonstances. Ce respect des supériorités qui déserte de plus en plus nos sociétés européennes a presque disparu de l'Amérique, ou s'il y existe encore comme tout ce qui est fondé dans la nature humaine, il a quelque chose de si capricieux et de si fugitif, qu'on ne peut en tenir aucun compte. La notion d'autorité n'existe pas. Quand l'Américain obéit aux guides qu'il s'est choisi il n'entend au fond obéir qu'à lui-même. Puis ce genre d'éducation ôte à la jeunesse une partie de son charme. La modestie et la grâce naturelles à la jeune fille, tempèrent cette aisance et cet aplomb qui en font une femme à seize ans, mais celte précocité pleine d'assurance est décidément intolérable chez les jeunes gens. Il n'y a plus d'adolescents en Amérique ; il n'y a que de petits hommes, qui à quinze ans ont des opinions arrêtées sur tous les sujets, un parti politique auquel ils sont affiliés et une conviction bien établie de leur infaillibilité. 

Georges Fisch, Les États-Unis en 1861, Meyrueis, Dentu, 1862, p. 90-97.

Les enfants aux États-Unis en 1859

C'étaient les enfants qui étaient les plus insupportables : ils criaient à tue-tête et faisaient un tapage infernal quand les parents ne passaient pas par tous leurs caprices et ne se prêtaient pas à toutes leurs fantaisies. Je ne trouve rien de plus mauvais que de commencer par refuser aux enfants ce qu'ils désirent, et de finir par le leur accorder quand ils le demandent en pleurant et en criant. Une fois qu'on a dit à un enfant oui ou bien non, il faut s'en tenir là ; l'enfant ne sera pas longtemps à comprendre que ses cris et ses méchancetés ne lui servent à rien.

Un autre défaut de l'éducation américaine est d'inculquer de trop bonne heure aux enfants les manières et les habitudes des grandes personnes. Dans beaucoup de pays de l'Europe, les enfants restent trop longtemps enfants, ce qui ne vaut rien non plus, mais ce qui vaut cependant mieux que de les priver tout à fait de l'âge heureux de l'enfance. En Amérique, une petite fille de huit ans veut déjà faire la dame, un garçon de dix ans affecte le genre et les manières d'un jeune homme. Dans les États du Sud, une fille se marie dans sa douzième année, et un garçon qui a le même âge entre dans les affaires ; il y a même des États du Sud où la loi permet de marier les filles de douze ans qui se sont échappées de la maison paternelle ; l'enfant n'a qu'à dire ou affirmer par serment qu'elle a douze ans, pour que le prêtre la marie aussitôt. Ces mariages, qui sont assez fréquents, sont appelés run away matches. Une conséquence naturelle de cette émancipation précoce des enfants est que, non-seulement l'éducation et l'instruction de la jeunesse se trouvent négligées, mais les jeunes filles perdent trop tôt la candeur et l'ingénuité de leur âge ; et, quand elles sont devenues femmes, il leur manque ordinairement la modestie et la réserve, qui sont le plus bel ornement de notre sexe. (…) Je fus d'abord très-surprise de ce savoir superficiel, surtout quand les parents m'assurèrent qu'il y avait déjà quatre ans que leurs enfants allaient à l'école. Plus tard, je me rendis bien compte de cet état de choses. La plupart des parents, n'étant pas eux-mêmes instruits, croient avoir assez fait pour l'éducation de leurs enfants quand ils les envoient à l'école. Les mères appartenant à la classe aisée de la société ont peu de goût pour les soins de la maison et de la famille ; elles passent la plus grande partie de la journée à se balancer dans le rocking-chair (chaise à balançoire), à lire une nouvelle ou bien à faire une promenade, et à visiter les magasins, où elles restent des heures entières à contempler les belles choses étalées devant elles. Elles n'ont ni le temps ni l'envie de s'occuper de l'éducation des enfants et de veiller à leurs études et à leurs progrès. A l'école, les enfants ne sont pas non plus bien stimulés et bien poussés au travail : car, quand l'élève se plaint à ses parents de l'école ou de son maître, c'est toujours l'enfant qui a raison, et, quand il demande à changer d'école, on fait sa volonté. En considération de cette conduite des parents, les maîtres sont forcés de ne pas user de trop de sévérité envers les enfants et de les traiter non comme des élèves, mais comme de grandes personnes, qu'il est de leur intérêt de ménager : s'ils ne le faisaient pas, leurs écoles seraient bientôt désertes.

Quand j'eus vu et observé tout cela, je ne fus plus étonnée de l'instruction superficielle des enfants ; au contraire, je fus surprise de voir qu'ils en savaient encore autant.

Ida Pfeiffer, Mon second voyage autour du monde, L. Hachette, Paris, 1859, p. 521-523.