Ainsi l'idéal de l'éducation en Amérique est absolument l'inverse du nôtre. Nous nous efforçons de briser la volonté au risque de l'anéantir. Aux États-Unis au contraire on s'efforce de la rendre énergique, dût l'autorité y périr. Les parents se regardent comme de simples dépositaires. Ils ont reçu de Dieu la charge de veiller sur des êtres immortels qu'il a formés et façonnés à son gré. Ce mélange de qualités diverses qui constitue l'individualité, est une œuvre du Créateur devant laquelle ils s'inclinent avec respect. Ils ne Commandent qu'autant qu'il le faut pour que l'enfant soit gouvernable. À mesure qu'il grandit, ils s'effacent devant lui, avec un oubli d'eux-mêmes qui tient du prodige. Ce sont les jeunes gens qui tiennent le dé de la conversation, et qui font les honneurs de la maison. C'est leur avis qu'on entend le premier. On dirait que dans cette nation toute tournée vers l'avenir, la jeunesse doit avoir le pas sur les autres âges de la vie. Dès que les parents se sentent vieillir ils se résignent quant à leur intérieur de famille à ne plus vivre que de la vie de leurs enfants. Leur voix affaiblie n'essaye pas de lutter contre le concert bruyant qui retentit autour d'eux. En réalité, le plus souvent ce ne sont pas les parents qui protègent leurs enfants, ce sont les enfants qui patronnent leurs parents.
Cette éducation est évidemment incomplète. Les hommes religieux en sont profondément alarmés. Jusqu'ici la question de l'esclavage absorbait tellement leur attention qu'ils ne pouvaient commencer sur aucun autre point une réaction étendue et efficace; mais dès qu'ils en auront le loisir, ils tourneront leurs forces vers la réforme de l'éducation domestique. En effet, les lacunes qu'elle présente, ont pour effet de relâcher encore les liens de la famille déjà compromis par la force des circonstances. Ce respect des supériorités qui déserte de plus en plus nos sociétés européennes a presque disparu de l'Amérique, ou s'il y existe encore comme tout ce qui est fondé dans la nature humaine, il a quelque chose de si capricieux et de si fugitif, qu'on ne peut en tenir aucun compte. La notion d'autorité n'existe pas. Quand l'Américain obéit aux guides qu'il s'est choisi il n'entend au fond obéir qu'à lui-même. Puis ce genre d'éducation ôte à la jeunesse une partie de son charme. La modestie et la grâce naturelles à la jeune fille, tempèrent cette aisance et cet aplomb qui en font une femme à seize ans, mais celte précocité pleine d'assurance est décidément intolérable chez les jeunes gens. Il n'y a plus d'adolescents en Amérique ; il n'y a que de petits hommes, qui à quinze ans ont des opinions arrêtées sur tous les sujets, un parti politique auquel ils sont affiliés et une conviction bien établie de leur infaillibilité.
Georges Fisch, Les États-Unis en 1861, Meyrueis, Dentu, 1862, p. 90-97.
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