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lundi 4 juillet 2011

Définition de l'anxiété et de l'angoisse par le Dr F. Poujoul, 1857.


 
ANXIÉTÉ, Angoisse (sentiments naturels).
 

Anxiété veut dire inquiétude, trouble, agitation de l'âme tourmentée par la pensée d'un événement heureux ou malheureux, prochain ou encore éloigné, qui doit nous arriver, ou arrivera à ceux que nous aimons.
Elle participe donc tout à la fois de l'alarme, qui naît de l'annonce d'un danger apparent ou réel, éloigné ou prochain, qui nous menace, et de l'appréhension qui exprime le même sentiment éprouvé pour autrui.
Dans aucun cas, l'anxiété ne saurait être un défaut, et moins encore un vice ; car il est tout naturel qu'une personne dans l'attente d'un événement qui doit lui être agréable ou l'affecter péniblement, éprouve ce trouble et cette agitation inquiète que nous avons dit caractériser l'anxiété.
Mais comme celle-ci est généralement proportionnée à la cause qui la fait naître et aussi passagère qu'elle, il est inutile d'insister davantage sur ce sujet.

Ajoutons cependant que l'anxiété diffère de l'angoisse en ce que celle-ci consiste dans une affliction extrême qui naît d'un grand malheur qui nous est arrivé, c'est-à-dire d'un fait accompli et non d'une pensée se rapportant à un événement prochain dont l'idée nous inquiète ; ou bien elle provient d'un mal physique qui se fait vivement sentir. Dans ce cas le mal est existant et non attendu. Ni l'un ni l'autre ne produisent l'anxiété : celle-ci, avons-nous dit, vient du tourment de l'attente, ou d'un événement futur; donc ce n'est pas le même sentiment.
Du reste ce serait, je crois, du temps perdu que de nous arrêter plus longtemps à des considérations qui se rapportent à des distinctions si minimes.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 233.

Définition de la timidité par le Dr F. Poujoul, 1857.

 
TIMIDE, Timidité (défaut). 


La timidité est la crainte de déplaire : elle vient ordinairement de l'ignorance, plus souvent du peu d'usage du monde, parfois de la sévérité avec laquelle on a été élevé, mais surtout enfin de la faiblesse de caractère et de l'habitude qu'on aura contractée de se façonner aux caprices et aux volontés des autres.
Sœur de la modestie à laquelle elle ressemble beaucoup, la timidité, quand elle est portée trop loin, devient un défaut. C'est elle qui fait un sot d'un homme de mérite, en lui ôtant sa présence d'esprit et lui enlevant la confiance qu'il doit avoir en lui-même. Et pourtant, il y a des hommes qui n'ont jamais pu surmonter leur timidité. C'est d'autant plus fâcheux pour eux qu'elle nuit généralement à ceux qui veulent faire fortune, et fait qu'ils lui sacrifient continuellement leurs intérêts. Aussi, voit-on l'homme timide se contenter du nécessaire, plutôt que d'aller demander un emploi ou une grâce qu'il pourrait obtenir ; le voit-on se priver de bien des choses, s'il manque d'argent et qu'il faille en demander lui-même à son débiteur ; le voit-on enfin, quoique vertueux et rangé, se laisser entraîner et faillir, s'il est avec des joueurs et des libertins.
Bref, dans toutes les circonstances de sa vie, l'homme timide se laissera influencer par cette fâcheuse disposition de son esprit. Je dis toutes, attendu que, quoi qu'en ait dit Cicéron, la timidité est une crainte habituelle et non passagère qu'on porte toujours avec soi, dont on ne peut jamais se séparer, et qui nous domine continuellement. Néanmoins, je dois le dire, il est des circonstances où un autre sentiment peut l'emporter sur la timidité, c'est l'amour du prochain. Ainsi, je connais un individu fort timide, mais bon, qui surmonte toujours sa timidité quand il s'agit d'un service à rendre. Alors il ose se poser en solliciteur, il parle avec assurance, il s'anime, et plus d'une fois il a été assez heureux pour obtenir ce qu'il demandait. Mais, quand il faut qu'il agisse pour son propre compte, oh ! alors sa timidité l'emportant, il hésite, se trouble, oublie la plupart des renseignements à donner, ceux même qui pourraient beaucoup sur l'esprit des personnes qu'il voudrait se rendre favorables Ordinairement il échoue dans ses démarches.
En outre, la timidité s'allie fort bien aussi avec le courage, et lui cède le pas quand il s'agit des intérêts de la patrie et de l'humanité. Combien ne voit-on pas, en effet, de gens timides faire d'excellents soldats et d'honnêtes citoyens ! Ainsi, en définitive, si la timidité est un défaut, c'est un défaut bien peu répréhensible, puisqu'il ne nuit jamais qu'au timide et point à la société.
Une autre preuve du reste que la timidité ne serait qu'un léger défaut, c'est qu'elle ne dégrade point la femme : elle la rend au contraire plus intéressante, et l'oblige à chercher un appui dans l'homme, ce qui est conforme aux lois de la nature. Aussi doit-il constamment s'efforcer, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, de la soutenir, de la protéger ; il est fort pour elle et elle devient forte en s'unissant à lui : mais combien ne le sera-t-elle pas davantage si elle s'attache à celui qui est plus fort que l'homme ! Prenez garde que je ne nie pas qu'il ne puisse y avoir des femmes fortes par elles-mêmes, c'est-à-dire par la volonté, par l'intelligence, et même par le corps ; mais ce sont des exceptions, des espèces d'anomalies, qui ne détruisent point la règle. Et cela ne nous étonne point, car la force physique et la force intellectuelle ne vont pas à la nature de la femme, et quand elle les possède, c'est ordinairement plus à son détriment qu'à son avantage : elle ne gagne point à avoir les qualités de l'autre sexe.
Ne confondons pas toutefois la timidité vraie et simple avec une sorte de timidité qui a toutes les apparences de la modestie, sans pour cela que ce soit celle-ci, vu que ce ne sont souvent que de fausses apparences. Ce qui le prouve, c'est qu'elle n'est pas toujours exempte d'orgueil ou de présomption, encore moins est-elle exemple de vanité. Ainsi, j'ai vu des gens timides étonnés eux-mêmes de se trouver tels, parce qu'ils savaient bien, disaient-ils, qu'ils ne manquaient pas d'esprit et qu'ils n'étaient pas plus dépourvus que d'autres des moyens de plaire. Il y a donc des timides présomptueux. Ceux-ci, loin de l'occasion, s'animent par la vue et le sentiment de leur prétendu mérite ; ils croient pouvoir se présenter en compagnie avec assurance, et y parler avec liberté ; mais à peine y sont-ils qu'ils se démentent et s'étourdissent.
Il en est d'autres, et c'est le plus grand nombre, qui ont plus de vanité que de présomption. Ils ne sont timides que parce qu'ils veulent trop plaire, et qu'ils sont trop sensibles aux jugements qu'on peut faire d'eux. Ils ne parlent qu'en tremblant, parce qu'ils ne savent pas comment on prendra ce qu'ils disent. On comprend que cette présomption doit produire le mépris d'autrui, et par là le manquement aux égards qui leur sont dus : c'est un double tort, car le défaut d'une juste confiance en soi-même produit une pudeur niaise et un embarras ridicule. Ainsi il faut avoir une bonne opinion des autres, et n'avoir pas trop mauvaise opinion de soi-même ; c'est le seul moyen, du reste, de surmonter sa timidité.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 818.
 

Définition de la pusillanimité par le Dr F. Poujoul, 1857.


PUSILLANIME, Pusillanimité (défaut).


Il y a dans la société des hommes qui, par système, n'ont d'avis sur rien, et qui ne craignent rien tant que d'avoir à se prononcer. Ils sont de l'avis de tout le monde, pour ne se commettre avec personne ; et ils tremblent d'avoir une opinion, parce qu'il faudrait la soutenir. Dans les affaires, ils n'ont jamais le courage de prendre une résolution ; ils louvoient entre les partis, tâchant de garder le milieu, ne tenant pas devant les oppositions, et cherchant à les accommoder. Auprès de ces hommes, le plus fort a toujours raison ; ils sont ordinairement de l'avis de celui qui parle le dernier. Ils craignent pardessus tout de s'engager de manière à n'être plus maître de leurs mouvements, ni de leur avenir. On voit de nos jours une multitude de lâches de cette espèce. Rien ne rétrécit plus le cœur et l'esprit, l'âme en est rapetissée, diminuée, et c'est ce qu'indique l'expression de Pusillanime (pusilla anima).
J'ai dit que l'absence de courage était habituelle ou passagère, parce que, malgré que la pusillanimité soit un défaut naturel, inhérent à notre nature, il y a cependant bien des personnes qui ne sont pusillanimes que dans certaines circonstances. Et par exemple, combien n'en voit-on pas qui ont de la force d'esprit, du courage dans l'âme, de la fermeté dans le caractère, et qui néanmoins, à la moindre indisposition, perdent toutes ces éminentes qualités ! Combien d'esprits supérieurs qui, à la moindre maladie, deviennent pusillanimes ! qui, inquiets, agités, tremblants, craignant tout ce qui les environne, se croient menacés de quelque accident imprévu, voient la mort se dresser devant eux comme un fantôme terrible, toujours prèle à les frapper !... De là cette définition donnée par Théophraste : 

« La pusillanimité est cet état de l'âme qui se sent découragée à la vue du péril. » 

Cela est d'autant plus exact que j'ai connu un brave général, ayant conquis tous ses grades à la pointe de son épée, il avait été soldat, qui, sitôt qu'il était malade, devenait d'une pusillanimité telle, que la vue d'une lancette approchant de son bras le faisait tomber en syncope. J'aimerais mieux en ce moment affronter un bataillon, disait-il à son médecin, que vous et votre instrument.
La pusillanimité, avons-nous dit, est ou permanente ou passagère : passagère, elle, disparaît avec la cause qui l'a produite, et ne doit donc pas nous occuper ; permanente, elle tient à la faiblesse d'esprit et au manque de courage ; il faut donc fortifier l'un et donner l'autre.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 732.

Définition de la présomption par le Dr F. Poujoul, 1857.



PRÉSOMPTION (défaut).

Se flatter d'avoir les vertus ou les qualités qu'on n'a pas, c'est être présomptueux ; la présomption ne consiste donc pas à croire posséder de grands talents, quand on en a réellement, mais à se tromper dans la bonne opinion qu'on a de soi-même ; de telle sorte que celui qui se flatte et se trompe beaucoup est très-présomptueux ; au lieu que qui se trompe peu l'est peu.
Mais qu'on soit peu ou beaucoup présomptueux, la présomption est toujours blâmable. Pourquoi ? parce qu'elle est la conséquence de toutes les nuances de l'orgueil, celui qui en est plein débordant pour ainsi dire par une surabondance d'actes ou de paroles. Il ne doute de rien ; aucune difficulté ne l'arrête ; il ne se donne pas même la peine de les examiner ; d'ailleurs, son aveuglement l'empêcherait de les reconnaître. Il estime son pouvoir à l'égal de son vouloir ; il tente ce qui dépasse ses forces, parce qu'il s'estime au delà de ce qu'il vaut, et, dans le fait, il reste toujours au-dessous du ce qu'il entreprend. L'expérience seule avec ses mécomptes peut lui apprendre à en rabattre et à le corriger ou au moins à le mater ; mais cela n'arrive presque jamais. Aussi Pline a-t-il considéré la présomption comme la perte de l'homme et la mère nourrice des plus fausses opinions publiques et particulières ; vice toujours naturel et originel de l’homme. Pourtant, cette présomption se doit considérer en tout sens, haut, bas et à côté, dedans et dehors pour le regard de Dieu ; choses hautes et célestes, basses, des bêtes, de l'homme son compagnon, de soi-même ; et tout revient à deux choses : s'estimer trop et n'estimer pas assez autrui.
Néanmoins, avant que de condamner également la présomption, il faut avoir égard à certaines considérations qui peuvent modifier notre jugement. Ainsi un sot, qui se croit un bon esprit, n'est pas moins présomptueux qu'un bon esprit qui se croit un génie supérieur ; cependant le sot nous choque moins par ses prétentions qu'un homme d'esprit. Ils se trompent l'un et l’autre, il est vrai, mais le premier pèche par ignorance et le second par fatuité ; il faut donc mépriser celui-ci et plaindre celui-là.
De même, sans être un sot ni un bel esprit, le jeune homme, qui ne sait point encore qu'il a peu d'idées, pourra se prévaloir du peu qu'il sait. Il a peu d'idées, disons-nous ; mais comment l'aurait-il appris ? Il ne peut se comparer à ce qu'il sera un jour, il ne peut même encore le devenir. Il se compare à ce qu'il a été. La masse de ses acquisitions lui paraît considérable, et il se croit capable de juger de l'ensemble d'un sujet. C’est ce qui donne fréquemment à ses discours et à sesécrits ce ton de présomption dont on lui fait justement un sujet de reproche.
C'est pourquoi, comme la présomption a tant de hauteur et si peu de base, elle est bien facile à renverser (Madame de Staël) ; ce qui tient peut-être aussi à ce qu'elle a pour compagne l'inexpérience.
Dans tous les cas, ce défaut naît de l'habitude où l'on est d'admirer et d'applaudir les enfants ; aussi est-il ordinaire de le rencontrer dans la jeunesse et chez les hommes d'un esprit borné.
Pour en prévenir le développement chez tous ceux en qui la raison est assez avancée, il faut, s'ils veulent juger de quelque chose sans le bien savoir, les embarrasser par quelque question nouvelle, afin de leur faire sentir leur faute et les confondre rudement....; leur témoigner qu'on les approuverait bien plus quand ils doutent et qu’ils demandent ce qu'ils ne savent pas, que quand ils décident le mieux....; leur faire sentir, à mesure que leur intelligence se fortifie, qu'ils apprennent chaque jour des choses nouvelles et qu'ils en ont beaucoup à apprendre. (Fénelon.)

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 484, col. 721

Définition de la fatuité par le Dr F. Poujoul, 1857.


FAT, Fatuité (défaut).


 Qui dit fatuité indique les défauts du fat ou son mode d'être dans le monde ; et qui prononce le mot fat veut désigner tout individu dont la vanité seule forme le caractère, qui n'agit que par faste et ostentation, qui se croit aimable et cherche à le paraître avec l'esprit d'autrui, sans que cela y paraisse, qui prétend savoir tout ; qui, en un mot, a toutes sortes de prétentions.
Écoutez un fat: il se glorifie de la protection de celui-ci, de ses liaisons avec celui-là, et même de l'amitié d'un grand dont il n'est pas connu. Voyez faire un fat: il étale tout ce qu'il possède aux yeux de tout le monde et se fait toujours beaucoup plus riche qu'il n'est réellement ; bref il est vain dans toutes ses paroles, dans toutes ses actions et jusque dans son silence.
C'est la suffisance qui mène à la fatuité. Elle en est le dernier degré et la forme la plus extrême ; car l'esprit, à force de s'exalter et de se complaire en lui, devient insensé, vide, fade ou fou (fatuus) : c'est Narcisse épris de sa beauté et consumant sa vie à en contempler l'image ; c'est plus encore, car, d'après la Bruyère, le fat aurait, de plus que sa propre admiration, celle des sots qui lui croient de l'esprit.
Toujours est-il que celui qui est infatué de lui-même ne vit aussi qu'en se regardant, se mirant et s'admirant ; son plus grand soin est de paraître au dehors ce qu'il pense être au dedans, un modèle et presque un idéal d'esprit, de goût, d'élégance et de bon ton ; car, quoiqu'on puisse être fat de bien des manières, c'est surtout aux avantages extérieurs que ce vice s'attache, et la vanité dans ce cas devient superficielle comme l'objet dont elle se prévaut.
La fatuité ne saurait vivre dans l'isolement et la retraite, il faut qu'elle apparaisse et se montre ; aussi il en est des fats comme des coquettes, qui préfèrent le désagrément de la censure publique à celui d'un oubli universel.
Évitons ce travers ; sachons nous affranchir de la fatuité, car elle engendre le mépris ; et souvenons-nous que si dans le monde grands et petits méprisent un sot, ils méprisent bien plus encore un fat, la fatuité étant l'ouvrage de l'homme, au lieu que la sottise est celui de la nature.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 484.

dimanche 3 juillet 2011

Définition de la suffisance par le Dr F. Poujoul, 1857.


SUFFISANCE (défaut). 


On se sert du mot Suffisant, pour exprimer qu'un individu est tellement rempli de lui-même, qu'il croit n'avoir besoin de personne ni de rien ; c'est un homme qui se suffit. De là un contentement de soi, plein de quiétude, un repos de complaisance dans la conviction de ses mérites, qui lui donne l'assurance de trancher sur toutes choses sans la moindre hésitation, parce qu'il croit avoir en lui la mesure de ce qui est bien, vrai et beau; c'est pourquoi il n'a de confiance qu'en ses jugements, et l'opinion des autres n'a point accès dans son esprit. La suffisance naît donc de la présomption et souvent aussi de l'ignorance; mais de quelque cause qu'elle provienne, elle est également condamnable et peu tolérée dans la société où l'individu est traité d'INSUPPORTABLE, en ce qu'il blesse les égards, qu'on se doit réciproquement, par son ton décidé. Il importe donc de remédier à l'une et à l'autre de ces causes, rien n'étant plus pénible pour l'homme sage que de voir certains individus devenir un objet de moquerie et de dédain, par le ton suffisant qu'ils affectent. 

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 793.

Définition de la hauteur par le Dr F. Poujoul, 1857.



HAUTAIN (défaut). 

Hautain a été employé pour caractériser un orgueil qui s'annonce par un extérieur arrogant. II est toujours pris en mauvaise part, et devient le plus sûr moyen de se faire haïr, ce défaut blessant l'amour-propre d'autrui, et l'amour-propre blessé pardonnant rarement.
Gardons-nous de confondre un homme haut avec un homme hautain, attendu que certaines circonstances permettent d'être haut; ou, si l'on veut, qu'il est des occasions où nous pouvons être hauts sans blesser les convenances. Exemple : Un ambassadeur peut et doit rejeter avec hauteur toute proposition qui serait humiliante pour son pays; mais il doit le faire avec dignité, et non en prenant un ton et un air hautains. De même on ne confondra pas l'âme haute ou l'âme grande avec l'âme orgueilleuse ou hautaine, vu qu'on peut avoir le cœur haut avec de la modestie, au lieu que l'âme hautaine est l'âme superbe, qui ne va pas chez l'homme aux les manières hautaines, sans un peu d'insolence.
Nous devons donc soigneusement nous corriger de ce défaut quand nous l'avons, et l'empêcher de prendre racine dans les enfants qui y sont disposés. Pour y parvenir on développera chez eux, autant que faire se peut, la modestie, l'affabilité, la politesse, tout ce qui, en un mot, est opposé à l’ORGUEIL (Voy. ce mot), qui fait le fond du caractère du hautain.

HAUTEUR (vice). 

La hauteur implique un mélange d'orgueil et de dédain, comme si on ne s'élevait que pour rabaisser les autres, et se moquer de leur abaissement.
Celui qui a de la hauteur jette donc un regard méprisant sur ses inférieurs ; il les regarde du haut en bas, et parait se complaire à leur faire sentir sa supériorité.
On conçoit qu'un sentiment pareil nous fasse perdre le prix des talents et des qualités que nous pouvons posséder, et. nous attire ordinairement le mépris de tous les gens qui pensent et raisonnent. À nous donc d'éviter ce vice on ne peut plus fâcheux dans ses effets.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 529.

Définition de l'arrogance par le Dr F. Poujoul, 1857.

 
ARROGANCE (vice), Arrogant. 


L'arrogant, comme le mot l' indique, ad se rogare, est celui qui s'attribue spontanément la supériorité, ne pensant pas même qu'elle puisse lui être contestée, tant il est sûr de lui-même et de son droit, comme le lion de la Table qui s'adjuge la première part, parce qu'il s'appelle lion. Il veut en outre que les autres reconnaissent hautement ce qui lui parait si évident, et de là ses prétentions à leurs hommages. Aussi le reconnaît-on facilement à ses manières hautaines, à ses prétentions hardies, à sa fierté, à son orgueil, à sa présomption, à sa morgue ; car il réunit le plus souvent quelques-uns de ces vices et quelquefois tous. Ce qui a fait dire avec raison que l'arrogance se trouve dans les manières, les prétentions, etc., qu'affectent les personnes arrogantes.
L'arrogance est de tous les vices celui qu'on supporte le moins dans autrui ; il blesse l'amour-propre de tout le monde, à cause de sa supériorité qu'elle voudrait lui imposer; et comme elle jouit de l'humiliation de tous, elle leur devient vexatoire. L'arrogance excite plus d'irritation que la hauteur, car celle-ci se renferme souvent dans le silence ou ne s'exprime que par le regard ; l'autre est plus exigeante, tracassière; elle demande de la soumission ; il faut qu'on se découvre et qu'on plie le genou devant elle: il ne faut donc pas les confondre.
L'arrogance doit être toujours mal accueillie; je ne dis pas que si un individu se distingue ou s'est déjà distingué par ses talents et ses brillantes qualités, il ne doive accueillir avec satisfaction, avec joie, les hommages que la foule s'empresse à lui rendre, et que le peuple rend d'autant plus volontiers qu'on l'exige moins ; c'est tout naturel: mais témoigner par son ton, par son langage, que l'on a droit à des hommages et qu'on y prétend, c'est du dernier ridicule.
Que doit-il résulter de ce travers d'esprit? Rien de bon pour l'arrogant; au contraire, puisque l'homme né libre et indépendant dans ses volontés, l'homme qui a du sens et de la raison, refuse obstinément ce qu'on exige de lui, ce qu'il aurait accordé de son propre mouvement si l'on n'avait pas montré les prétentions de l'y contraindre. Mieux vaut donc laisser les hommes libres de suivre leurs inspirations.
Nous avons signalé les inconvénients de se poser en arrogant; rien de mieux, pour ne pas s'exposer à le devenir, que d'éviter par l'éducation le développement de ce vice en celui qui y serait disposé. Et pour obtenir ce résultat, il faudra lui montrer l'arrogant en proie au chagrin d'être haï et méprisé de ceux-là même dont il recherche les suffrages ou les hommages ; lui dire que le moindre mal qui puisse lui revenir de son arrogance, c'est d'être mécontent des autres, qui, eux aussi, seront très-mécontents de lui. Et comme il n'y a pas de position plus pénible, nul ne voudra s'y exposer, à moins que son intelligence soit inaccessible à de bonnes inspirations.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 254.

Définition de la vanité par le Dr F. Poujoul, 1857.


Cette définition date du XIXe siècle et reflète donc la façon dont les auteurs de cette époque conçoivent les caractères et les devoirs supposés des femmes.


 VAIN, Vaniteux, Vanité (défaut).


La vanité est l'envie d'occuper les autres de soi, par l'étalage de certains avantages réels, ou supposés, mais en général frivoles ou étrangers à celui qui s'en prévaut. Elle ne respire qu'exclusion et préférences ; exigeant tout et n'accordant rien, elle est toujours inique. (J.-J. Rousseau.) La vanité est un produit de a faiblesse humaine; c'est la passion des petites âmes, une sorte d'échasses sur lesquelles montent les médiocrités, pour s'élever à la hauteur de ceux qui ont une grandeur réelle.
Bien différente de l'orgueil qui vit de lui-même, de la satisfaction que lui procurent des qualités vraies ou fausses, la vanité vit au dehors, prend sa pâture dans les yeux, dans l'attention des hommes. Elle mendie des regards, des éloges, des distinctions ; elle s'étale pour être vue. C'est pourquoi le vaniteux tient plus de place qu'un autre; il se pavane, se prête aux regards: c'est le paon qui s'étale avec complaisance et s'épanouit sous les compliments qu'il attire.
À la vérité, parfois la vanité singe la modestie, mais on la voit percer sous cette fausse apparence. Socrate l'apercevait à travers les trous du manteau d'Antisthène ; sans elle Diogène eût quitté son tonneau. Quelquefois aussi la vanité, tant est grande la corruption du cœur, met son ostentation dans le crime. Le scélérat se vante de ses vices ; dans ces repaires où sont entassés ceux que la société repousse de son sein, on voit les plus criminels, les plus audacieux raconter avec fierté leurs horribles hauts faits. Parmi nous, n’entendons -nous pas tous les jours de jeunes débauchés se vanter de leurs conquêtes ; outrager quelquefois, par de menteuses imputations, la vertu des femmes qui les ont repoussés ?

La vanité se démontre et se témoigne de plusieurs manières : 

« Premièrement, en nos pensées et entretiens privés qui sont bien souvent plus que vains, frivoles et ridicules ; auxquels toutefois nous consommons grand temps, et ne le sentons point. Nous y entrons, y séjournons et en sortons insensiblement, qui est bien double vanité et grande inadvertance de soi. L'un se promenant en une salle regarde à compasser ses pas d'une certaine façon sur les carreaux ou tables du plancher; cet autre discourt en son esprit longuement et avec attention, comment il se comporterait s'il était roi, pape, ou autre chose qu'il sait ne pouvoir jamais être; ainsi se paît de vent, et encore de moins, car de chose qui n'est et ne sera point ; celui-ci songe fort comment il composera son corps, ses contenances, son maintien, ses paroles, d'une façon affectée, et se plaît à le faire, comme de chose qui lui sied fort bien, et à quoi tous doivent prendre plaisir. L'homme vain cherche et se plaît tant à parler lui de ce qui est sien, s'il croit qu'il ne la fasse savoir et sentir aux autres. À la première commodité, il la cause, la fait valoir, il renchérit : il n'attend même pas l'occasion, il la cherche industrieusement. De quoi que l'on parle, il s'y mêle toujours avec quelque avantage ; il veut qu'on le trouve et le sente partout, qu'on l'estime ainsi que tout ce qu'il estime. La vanité a été donnée en partage à l'homme : il court, il bruit, il meurt, il fuit, il chasse, il prend une ombre, il adore le vent, un fétu est le gain de son jour. Vanitati creatura subjecta est etiam nolens; universa vanitas omnis homo vivens. (Rom. VIII, 20.) La créature est sujette à la vanité même sans le vouloir; tout homme vivant n'est que vanité. » (P. Charron.)

De toutes les manières, la vanité est un travers de jugement qui prend lui-même sa source, soit dans le développement tardif ou incomplet de l'intelligence, comme cela se remarque chez les enfants et chez bien des femmes ; soit dans la suffisance que donne une grande fortune dont on aura hérité, ou qu'on aura acquise par son savoir et sa conduite; soit dans ce sentiment puéril d'amour-propre qu'inspire un titre, une grande naissance. Mais quelque part qu'elle puise ses inspirations, comme ses sources sont toutes méprisables, elle devient méprisable elle-même et fait perdre à l'individu une grande partie de sa valeur, s'il ne la lui ôte tout entière. Notons encore qu'un des inconvénients de la vanité pour le vaniteux, c'est de l'exposer à une analyse sévère; c'est-à-dire que lorsqu'on l'a séparé, par la pensée, de son titre, de sa fortune ou de son rang, si l'on reconnaît qu'il manque de jugement, quelle part lui fera-t-on dans l'échelle sociale ? Et pourtant, malgré tous ces inconvénients, la vanité est malheureusement un des maux de notre époque. Vit-on jamais, en effet, pareille tendance à sortir de sa sphère. Quel est le père qui consente à laisser son fils dans la position où la Providence l'a fait naître ? De là l'immense quantité d'hommes qui végètent sur le pavé des grandes villes, avec des titres et des grades qui leur sont inutile. Paris et la France sont pleins de Gilberts ignorés, de Newtons sans emploi, d'avocats sans clients, de médecins sans malades, d'artistes de toutes sortes sans travail. Tous ces hommes, enlevés à l'agriculture et aux arts, ne rendent rien à la société, et deviennent, en croupissant dans l'inaction et l'ennui, le levain de mille maux. Débauchés, scandaleux, agitateurs sans principes, tous doués d'ambition, sans patrie, ils sont asservis par leur éducation à une foule de besoins qu'ils ne peuvent satisfaire. Ils oublient que la condition, imposée à tout homme ici-bas, est de semer pour recueillir, de donner pour recevoir, de travailler pour avoir le droit de vivre. Ils sont en partie la cause du malaise social qui nous travaille et nous ronge.

Mais si nous devons redouter les effets de la vanité chez les hommes, elle n'est pas moins à craindre chez les filles. Elles naissent avec un désir violent de plaire. Les chemins qui conduisent les hommes à l'autorité et à la gloire leur étant fermés, elles tâchent de se dédommager par les agréments de l'esprit et du corps. De là vient leur conversation douce et insinuante ; de là vient qu'elles aspirent tant à la beauté et à toutes les grâces extérieures, et qu'elles sont si passionnées pour les ajustements : une coiffe, un bout de ruban, une boucle de cheveux plus haute ou plus basse, le choix d'une couleur, ce sont pour elles autant d'affaires. Ces excès vont encore plus loin dans notre nation qu'en toute autre. L'humeur changeante qui règne parmi nous cause une variété continuelle de modes : ainsi on ajoute à l'amour des ajustements celui de la nouveauté, qui a d'étranges charmes sur de tels esprits. Ces deux folies, mises ensemble, renversent les bornes des conditions et dérèglent leurs mœurs. Dès qu'il n'y a plus de règle pour les habits et pour les meubles, il n'y en a plus d'effectives pour les conditions : car pour la table des particuliers, c'est ce que l'autorité publique peut moins régler; chacun choisit selon son argent, ou plutôt sans argent, selon son ambition et sa vanité. Ce faste ruine les familles, et la ruine des familles entraîne la corruption des mœurs. D'un côté, le faste excite dans les personnages d'une basse naissance la passion d'une prompte fortune, ce qui ne peut se faire sans peine, comme le Saint-Esprit nous l'assure ; d'un autre côté, les gens de qualité, se trouvant sans ressource, font des lâchetés et des bassesses : par là s'éteignent insensiblement l'honneur, la foi, la probité et le bon naturel, même entre les plus proches parents. Ainsi, hommes et femmes ont tous à craindre de la vanité, et cela parce qu'il n'y a pas de folies dont on ne puisse désabuser un homme qui n'est pas fou, hors la vanité; pour celle-ci rien ne peut guérir que l'expérience, si toutefois quelque chose peut en guérir.

Pour ma part, je ne vois qu'un moyen et le voici. Il consiste, premièrement, dans l'application à faire entendre aux jeunes filles combien l'honneur qui vient d'une bonne conduite et d'une vraie capacité est plus estimable que celui qu'on tire de ses cheveux ou de ses habits. La beauté, direz-vous, trompe encore plus la personne qui la possède que ceux qui en sont éblouis ; elle trouble, elle enivre l'âme ; on est plus sottement idolâtre de soi-même que les amants les plus passionnés ne le sont de la personne qu'ils aiment. Il n'y a qu'un fort petit nombre d'années de différence entre une belle femme et une autre qui ne l'est pas. La beauté ne peut être que nuisible, à moins qu'elle ne serve à faire marier avantageusement une fille : mais comment s'en servira-t-elle, si elle n'est soutenue ni par le vice ni par la vertu ? Elle ne peut espérer d'épouser qu'un jeune fou, avec qui elle sera malheureuse, à moins que sa sagesse et sa modestie ne la fassent rechercher par des hommes d'un esprit réglé, et sensibles aux qualités solides. Les personnes qui tirent toute leur gloire de leur beauté deviennent bientôt ridicules ; elles arrivent, sans s'en apercevoir, à un certain âge où la beauté se flétrit; et elles sont charmées d'elles-mêmes, quoique le monde, bien loin de l'être, eu soit dégoûté. Enfin, il est aussi déraisonnable de s'attacher uniquement à la beauté que de vouloir mettre tout le mérite dans la force du corps, comme font les peuples barbares et sauvages.
De la beauté, passons à l'ajustement. Les véritables grâces ne proviennent pas d'une parure vaine et affectée. Il est vrai qu'on peut chercher la propreté, la proportion et la bienséance, dans les habits nécessaires pour couvrir nos corps; mais, après tout, ces étoffes qui nous couvrent, et qu'on peut rendre commodes et agréables, ne peuvent jamais être des ornements qui donnent une vraie beauté. Je voudrais même faire voir aux jeunes filles la noble simplicité qui parait dans les statues et dans les autres figures qui nous restent des femmes grecques et romaines ; elles y verraient combien des cheveux noués négligemment par derrière, et des draperies pleines et flottantes à longs plis, sont agréables et majestueuses. Il serait bon même qu'elles entendissent parler les peintres et les autres gens qui ont ce goût exquis de l'antiquité. Si peu que leur esprit s'élevât au-dessus de la préoccupation des modes, elles auraient bientôt un mépris pour leurs frisures, si éloignées du naturel, et pour les habits d'une figure trop façonnée. Je sais bien qu'il ne faut pas souhaiter qu'elles prennent l'extérieur antique ; il y aurait de l'extravagance à le vouloir: mais elles pourraient, sans aucune singularité, prendre le goût de cette simplicité d'habits, si noble, si gracieuse, et d'ailleurs si convenable aux mœurs chrétiennes. Ainsi, se conformant dans l'extérieur à l'usage présent, elles sauraient au moins ce qu'il faudrait penser de cet usage; elles satisferaient à la mode comme à une servitude fâcheuse, et elles ne lui donneraient que ce qu'elles ne pourraient lui refuser.
Mais la mode se détruit elle-même ; elle vise toujours au parfait, et jamais elle ne le trouve, du moins elle ne veut jamais s'y arrêter. Elle serait raisonnable, si elle ne changeait que pour ne changer plus, après avoir trouvé la perfection pour la commodité et pour la bonne grâce ; mais changer pour changer sans cesse, n'est-ce pas chercher plutôt l'inconstance et le dérèglement, que la véritable politesse et le bon goût ? Aussi n'y a-t-il d'ordinaire que caprice dans les modes. Les femmes sont en possession de décider, il n'y a qu'elles qu'on veuille croire : ainsi les esprits les plus légers et les moins instruits entraînent les autres. Elles ne choisissent et ne quittent rien par règle ; il suffit qu'une chose bien inventée ait été longtemps à la mode, pour qu'elle ne doive plus y être, et qu'une autre, quoique ridicule, à titre de nouveauté, prenne sa place et soit admirée. Voilà quels sont les inconvénients dans lesquels entraîne la vanité ; et voici quels sont les fondements sur lesquels doivent reposer les moyens qu'on peut appeler correctifs. Montrez à vos filles, dirons-nous aux mères de famille, quelles sont les règles de la modestie chrétienne; apprenez-leur, par l'histoire de nos saints martyrs, que l'homme naît dans la corruption du péché, que son corps, travaillé d'une manière contagieuse, est une source inépuisable de tentations pour son âme. Jésus-Christ nous apprend à mettre toute notre vertu dans la crainte et dans la défiance de nous-mêmes. Voudriez-vous, pourra-t-on dire à une fille, hasarder votre âme et celle de votre prochain pour une folle vanité ? Ayez donc horreur des nudités de gorge et de toutes les autres immodesties; quand même on commettrait ces fautes sans aucune mauvaise passion, du moins c'est une vanité, c'est un désir effréné de plaire. Cette vanité justifie-t-elle devant Dieu et devant les hommes une conduite si téméraire, si scandaleuse et si contagieuse pour autrui ? Cet aveugle désir de plaire convient-il à une âme chrétienne, qui doit regarder comme une idolâtrie tout ce qui détourne de l'amour du Créateur et du mépris des créatures ? Mais, quand on cherche à plaire, que prétend-on ? n'est-ce pas d'exciter les passions des hommes ? les tient-on dans les mains pour les arrêter, si elles vont trop loin ? Ne doit-on pas s'en imputer toutes les suites ? et ne vont-elles pas toujours trop loin, si peu qu'elles soient allumées ? Vous préparez un poison subtil et mortel, vous le versez sur tous les spectateurs, et vous vous croyez innocente ! Ajoutez à ces exemples des personnes que leur modestie a rendues recommandables, et celles à qui leur immodestie a fait du tort ; mais surtout ne permettez rien, dans l'extérieur des filles, qui excède leur condition. Réprimez sévèrement toutes leurs fantaisies. Montrez-leur à quel danger on s'expose, et combien on se fait mépriser des gens sages, en oubliant ce qu'on est.
Ce qui reste à faire, c'est de désabuser les filles du bel esprit. Si on n'y prend garde, quand elles ont quelque vivacité, elles s'intriguent, elles veulent parler de tout, elles décident sur les ouvrages les moins proportionnés à leurs capacités, elles affectent de s'ennuyer par délicatesse. Une fille ne doit parler que pour de vrais besoins, avec un air de doute et de déférence; elle ne doit même pas parler des choses qui sont au-dessus de la portée commune des filles, quoiqu'elle en soit instruite. Qu'elle ait, tant qu'elle voudra, de la mémoire, de la vivacité, des tours plaisants, de la facilité à parler avec grâce, toutes ces qualités lui seront communes avec un grand nombre d'autres femmes fort peu sensées et fort méprisables. Mais qu'elle ait une conduite exacte et suivie, un esprit égal et réglé, qu'elle sache se taire et conduire quelque chose, cette qualité si rare la distinguera de son sexe. Pour la délicatesse et l'affection d'autrui, il faut la réprimer, en montrant que le bon goût consiste à s'accommoder des choses selon qu'elles sont utiles.
Rien n'est estimable que le bon sens et la vertu : l'un et l'autre font regarder le dégoût et l'ennui non comme une délicatesse louable, mais comme une faiblesse d'un esprit malade.
À côté de la vanité que la beauté, l'amour des parures et des ajustements inspirent à la femme et dont les hommes ne sont pas exempts, se trouvent la vanité du savoir, la vanité des titres, la vanité de la fortune, qui déparent également l'un et l'autre sexe. À ces différentes sortes de vanité, il faut opposer la modestie, la simplicité, en un mot les vertus contraires, dont le développement et l'exercice peuvent étouffer dans le cœur du vaniteux toute espèce de présomptueuse pensée ou de glorieux sentiments.
Cela posé, nous nous demanderons, comme on l'a fait déjà, si la vanité est une passion ? Il est certain que si l'on considère l'insuffisance de son objet, on serait tenté d'en douter; mais en observant la violence des mouvements qu'elle inspire, on y retrouve tous les caractères des passions, et qui plus est, tous les malheurs qu'elles entraînent, dans la dépendance servile où ce sentiment met l'homme par rapport au cercle qui l'entoure. Néanmoins, les peines de la vanité sont assez peu connues pour que ceux qui les ressentent en gardent le secret, et pour que chacun, tout en étant convenu de mépriser ce sentiment, n'avoue jamais le souvenir ou la crainte dont il a été l'objet.
C'est pourquoi il faut éviter ces défauts et cela avec d'autant plus de soin, qu'ils seront plus élevés dans l'échelle des vices. On n'oubliera pas surtout que si la vanité est de tous les sentiments celui qui sait le mieux et le plus vile s'enfler à la hauteur de la fortune qui nous échoit (M. Saint-Marc-Girardin), nous aurions tort de nous prévaloir des agréments physiques, des biens et de la fortune que nous possédons ou qui nous arrivent, d'un titre que nous tenons de nos ancêtres, d'une naissance illustre, d'une intelligence peu commune ; ces agréments disparaissant peu à peu à mesure que les années s'écoulent; ces biens et ces honneurs valant bien peu, et rien n'étant plus à craindre que les revers qui nous rejettent plus bas même que l'échelon dont nous sommes partis pour nous élever; ce rang que nous tenons ne pouvant nous rendre honorables que tout autant que par nos mérites nous nous montrerons dignes de l'occuper ; ces trésors de l'intelligence que le Créateur nous a départis pouvant s'épuiser pendant le cours d'une maladie, ou s'affaisser sous le poids des années.
Et comme les vaniteux sont le plus souvent très-peu susceptibles de raisonnement sérieux et syllogistiques, il conviendrait de les prendre par le cœur et leur inspirer, indépendamment des sentiments que nous avons déjà signalés, la modestie, la simplicité, l'amour de l'humilité et de la charité.
Je sais fort bien et je dois en faire la remarque, que pour les gens qui n'entendent rien à la religion ni au cœur humain, l'humilité est de la bassesse, de la pusillanimité, un sentiment qui avilit l'homme. Inutile de dire que ce n'est pas de l'humilité ainsi considérée que je veux qu'on fasse usage ; mais de l'humilité selon la morale chrétienne, de cette humilité, dont le but est d'élever l'homme jusqu'au ciel, au lieu de l'abaisser au rang des brutes comme l'a fait la philosophie. Cette sorte d'humilité, loin d'être un obstacle aux grandes actions et à certaines entreprises dans lesquelles il faut de la magnanimité et une résolution que rien n'ébranle, surmonte au contraire les obstacles, rien n'étant difficile aux humbles ( Saint-Léon), le chrétien humble mettant d'autant plus de confiance en Dieu qu'il se défie davantage de lui-même.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 832.

Définition de l'orgueil par le Dr F. Poujoul, 1857.



ORGUEIL (qualité bonne ou mauvaise), Orgueilleux.


On a fait le mot orgueilleux synonyme d'altier, fier, hautain, vain ou vaniteux, et cela parce qu'on a cru remarquer que toutes ces différentes dénominations, appliquées aux sentiments du cœur et de l'esprit, plus qu'à ceux de l'âme (à moins qu'elle ne soit aveuglée par un sot amour-propre), expriment également, mais à un degré plus ou moins prononcé, une certaine présomption de l'homme qui, se croyant supérieur aux autres hommes, voudrait le persuader à tout le monde.
Il est certain que si, de cela seul que cette définition s'applique également aux termes orgueilleux, altier, fier, hautain, vain ou vaniteux, on devait admettre rigoureusement leur synonymie, ces expressions seraient Toutes parfaitement synonymes entre elles; mais comme Toutes n'ont pas dans les traits qui les caractérisent une identité parfaite, je dirai quels sont les points de ressemblance qui les rapprochent, tout comme les nuances qui les séparent, nuances si minimes parfois, qu'il semblerait inutile de nous y arrêter. Nous nous y arrêterons cependant, ne fût-ce que pour faire connaître quelle a été l'opinion des écrivains à ce sujet.
Mais avant tout je vais m'attacher à décrire l'orgueil considéré en lui-même et séparé de tout autre sentiment, même de ses synonymes, afin d'en donner une idée plus précise, qui nous serve de terme de comparaison.

À mon sens, avoir de l'orgueil, c'est accorder à soi-même une certaine estime; posséder un amour-propre bien placé, ou une fierté digne, qui nous rend susceptibles, irritables même, pour tout ce qui touche à notre existence morale, et peut nous dégrader dans notre propre opinion et dans celle d'autrui.
Telle est la disposition dans laquelle tous les hommes devraient être maintenus, jusqu'à ce qu'ils aient acquis la pleine conscience, l'entier discernement du bien et du mal, de ce qui est juste et convenable, tout comme de ce qui n'est ni juste ni convenable ; ce qui a fait dire de cette disposition, qu'elle est la Pudeur De La Moralité. À coup sûr, ce n'est pas de cet orgueil-là qu'on dira que c'est un défaut. Au contraire, puisque cette disposition ou pudeur de la moralité, a, de tout temps, été le partage des âmes nobles, des cœurs purs, qui, s'ils ont su la conserver, éprouvent d'abord inévitablement ce sentiment qui porte toute créature animée à s'estimer, à se respecter elle-même, c'est-à-dire à avoir de l'estime et du respect pour elle-même, tout en se faisant aimer et respecter par autrui, ce qui doit nécessairement lui donner, en face de ses semblables, une position digne et l'assurance nécessaire pour parler et agir avec efficacité.
Mais le mal ou le vice de l'orgueil se montre, ce défaut commence à se manifester du moment où, franchissant les bornes que nous lui avons posées, l'amour de soi-même, exagère à un tel point dans un individu l'estimation de sa valeur personnelle, que, soit par la réflexion des avantages, des qualités ou des mérites qu'il croit posséder, soit par la supériorité irréfléchie qu'il s'arroge, toute proportion cesse d'exister entre la réalité et l'opinion qu'il en a conçue. Dans ces circonstances, l'homme s'exalte par l'effort de son propre esprit, par la contemplation incessante de lui-même, et faisant une fausse application du Nosce teipsum, connais-toi toi-même, ou mieux une fausse appréciation de ce qu'il vaut réellement, il se remplit, il se gonfle ! Et comment pourrait-il en être autrement, alors que son moi devient l'objet de sa passion ; qu'il y pose son désir, son amour, sa vie ; alors que, comme dans tout sentiment passionné, son cœur est dominé par ce qu'il aime en lui, qu'il jouit en secret ou aux yeux de tous, du bonheur de se posséder, qu'il croit en lui-même, qu'il admire naïvement sa propre excellence, et manifeste tout aussi naïvement son admiration et sa joie ! Dès lors, il n'est pas étonnant qu'en général l'orgueilleux soit tellement sûr de lui, ait une telle conviction des bonnes qualités de sa personne, qu'il ne croit pas avoir besoin de l'approbation des autres ; il trouve sa gloire en lui-même, et il lui importe peu qu'elle se trouve aussi dans leur opinion, puisque ce lui est une grandeur de plus que de s'en passer. Quoi qu'il en soit, l'orgueil a plusieurs nuances principales, suivant qu'il est ou n'est pas limité ; de là les qualifications de noble orgueil, ou, par opposition, de sot orgueil, ou même d'orgueil ridicule, etc., selon les prétentions et les tendances des orgueilleux.
À la rigueur, ces prétentions ou ces tendances peuvent tenir aux sources diverses auxquelles l'orgueil puise son origine, et qui lui impriment, chacune en particulier, une sorte de cachet spécial, qui sert à faire reconnaître les idées dont il s'est bercé. Ainsi, pour si peu qu'on ait vécu, vu, observé et réfléchi, on se sera inévitablement aperçu que toute personne qui s'estime naturellement au delà de ce qu'elle vaut, est originellement remplie d'orgueil en toutes choses, mais plus particulièrement pour telle ou telle chose : ainsi l'un s'engoue pour les avantages extérieurs; l'autre pour les qualités purement naturelles ; la plupart pour des talents futiles, etc., ce qui n'étonnera personne, si l'on considère un instant, et c'est chose que l'on a remarquée, qu'en général ce sont les petits esprits et les ignorants qui se font le plus d'illusions à leur endroit.
Du reste, l'orgueil s'accroît, et cela devait être, en proportion de l'ignorance. Aussi rencontre-t-on l'orgueil le plus crû dans les derniers rangs de la société.
De même l'orgueil de l'artiste est ordinairement en raison inverse de son talent et de l'importance de son art. Ceux qui ont du génie sont en général les plus modestes, ou les moins orgueilleux. Comme ils sont en rapport avec l'idéal, ils jugent mieux ce qui leur manque, et ils se croient à une grande distance de la perfection. Aussi ne sont-ils jamais contents d'eux ni de leurs œuvres, le sentiment de leur infériorité, en face de l'idéal, les rabaisse à leurs propres yeux.
L'artiste sans talent ne comprend au contraire ni la nature, ni l'idéal, ni l'art. Mettant tout son travail dans une œuvre, il y met aussi son amour-propre, il l'estime en raison de la peine et des efforts qu'elle lui a coûtés. Il s'infatue de son ouvrage comme de lui-même, et n'ayant aucune idée du parfait, il ne conçoit pas qu'on puisse faire mieux que lui. Il n'admet ni conseil ni critique, parce qu'il se croit le meilleur juge, et c'est une raison de plus pour qu'il ne sorte jamais de sa médiocrité. Les arts les plus futiles, ceux qui contribuent le moins à a perfection de l'esprit et de l'âme, et dont le but est plutôt de plaire ou même d'amuser, que d'instruire ou de perfectionner, sont justement ceux qui exaltent davantage l'orgueil, et donnent lieu aux prétentions les plus exagérées et les plus burlesques. Les petits poètes, les musiciens, les chanteurs, les comédiens, les danseurs, les histrions et les baladins de toute espèce sont communément les hommes les plus convaincus de leur mérite, et ils s'indignent qu'on ose le mettre en doute. De là leur grande susceptibilité, et par suite leurs jalousies et leurs collisions.
Nous avons encore l'orgueil de la naissance. Il peut être utile quand il est renfermé dans de justes bornes. Son utilité provient de la solidarité naturelle entre les parents et les enfants. C'est la même vie, le même sang, la même chair, et ainsi il doit exister entre eux une communauté d'honneur et de gloire, comme il y a une communauté de fortune et de biens. On hérite du nom de ses ancêtres aussi bien que de leurs richesses, et, pour un cœur généreux, un nom pur et glorieux est le plus précieux des héritages. Dans tous les siècles et chez tous les peuples, les descendants ont été excités à bien faire par la mémoire des actions de leurs aïeux. Les traditions de famille et jusqu'aux images des ancêtres ont partout servi d'aiguillons au courage et à la vertu. C'est une fierté bien placée, un noble orgueil, que de vouloir conserver et transmettre sans tache le nom recommandable qu'on a reçu. Il en résulte dans la société une propagation d'honneur et de vertu qui est un des meilleurs gages de la perpétuité des familles et de la consolidation de l’État.
Mais l'orgueil nobiliaire tourne au vice quand il s'infatue de la noblesse du sang au point de la mettre au-dessus de tout, et de croire qu'elle tient lieu de mérite. Alors viennent les prétentions exagérées de ce qu'on appelle la caste privilégiée. En général, ce n'est point l'ancienne et bonne noblesse qui s'en targue le plus, mais la plus récente et la moins glorieuse, celle qui s'achète, la noblesse des parvenus.
Il en est de même de l'orgueil du pouvoir et de la richesse, avantages encore plus extérieurs que celui de la naissance qui est au moins dans le sang: car la puissance et la fortune s'acquièrent de mille manières et souvent par des moyens peu honorables. La société actuelle, bouleversée, refondue, et sans cesse agitée par les révolutions, nous présente bien des exemples de la pédanterie du pouvoir et de l'infatuation de la richesse.
L'orgueil se présente donc sous un bon et un mauvais aspect. Pris en mauvaise part, on le reconnaît en ce que l'orgueilleux n'est jamais équitable ; toujours il s'exagère son propre mérite et rabaisse celui des autres. Comment pourrait-il se peser à son propre poids, quand c'est lui qui lient la balance? Il jouit de lui-même avec toute la naïveté de la plus profonde admiration. Il se croit tellement supérieur aux autres, se complaît tellement en lui-même, qu'il dédaigne l'estime et les suffrages. Son âme se gonfle dans la contemplation intime de sa propre valeur; il croirait être faible s'il se souciait de l'approbation d'autrui.
Le propre de notre orgueil, dit Aristote, est de nous cacher à nous-mêmes. Égal dans tous les hommes, il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre à jour. L'ambition, la vanité, la présomption, sont les branches de l'orgueil. Cette malheureuse tige a sa racine dans le cœur de l'homme, et il n'est pas jusqu'au paganisme qui n'ait connu cette vérité, sinon dans son principe, du moins dans ses effets. Ambitionis vitium singulos occupat.
L'orgueilleux a la démarche fière et assurée, les yeux élevés comme pour commander, les bras écartés du tronc comme pour occuper plus d'espace et se dilater davantage. Il regarde d'en haut, parce qu'il se croit supérieur; de côté et d'autre, comme pour juger ce qui l'entoure. Quelquefois le signe de la pitié méprisante ou du dédain se montre sur son visage. Il parle peu, et son langage vise toujours à établir vis-à-vis d'autrui la supériorité qu'il s'attribue. Le moi est dans ses habitudes ; il manque d'égards pour tout le monde, parce qu'il croit n'en devoir à personne. Il est original, singulier, parce qu'il ne s'astreint pas aux usages et aux règles vulgaires; quelquefois il devient insolent, brutal. Il est rarement défiant, il croit qu'on lui rend suffisamment justice ; il parle de ses bonnes actions et les fait ressortir par le contraste du mal que font les autres.
L'orgueil, avons-nous dit, a des points de ressemblance intimes avec la fierté, la vanité, etc., etc. Elle a aussi des ressemblances manifestes avec elles ; quels sont-ils et quelles sont-elles ?
La ressemblance qu'il y a entre l'homme fier et l'homme orgueilleux, c'est que l'un et l'autre peuvent être mus par un sentiment louable, noble même, et constituer, quand la fierté et l'orgueil sont bien réglés, une qualité, une vertu. Ainsi on peut dire également d'une âme fière qu'elle a de la grandeur, et d'un cœur orgueilleux qu'il a de la noblesse, quand celte fierté et cet orgueil tiennent à l'estime méritée que chacun a de soi-même.
Ce n'est pas tout : tous les deux doivent, pour que la fierté de l'un ou l'orgueil de l'autre puissent être approuvés, non-seulement être entièrement contents d'eux-mêmes; mais encore ne pas manquer de cœur, être bons amis, n'adresser leur amitié qu'à la personne seulement ; bref, avoir bien des qualités et de bons sentiments qui effacent les quelques légers défauts qui pourraient venir les déparer, et dont, hélas ! personne n'est exempt.
Néanmoins, je doit le redire, la fierté comme l'orgueil suppose parfois nécessairement un petit esprit. Est-elle dans les manières, on la rencontre chez les sots et les ignorants seulement, car le vrai mérite n'a pas besoin de fierté. Cependant, et cela prouve combien nous sommes faibles, que de gens de mérite qui sont assez fiers pour désirer que tous ceux qui sont en relation avec eux soient riches comme eux, et qui ont honte de leurs parents et de leurs amis ! (Hume.) Donc, sous tous les rapports, la fierté comme l'orgueil a un bon et un mauvais côté, et il n'est pas étonnant qu'on les ait faits synonymes. J'ai peint l'homme fier et l'orgueilleux avec leurs qualités et leurs défauts. En quoi diffèrent-ils du glorieux ? En ce que celui-ci n'est jamais dirigé par des intentions honnêtes. Il songe peu à être content de lui, pourvu qu'il soit certain de contenter les autres. Faible et sans courage, il n'a que les prétentions de persuader à autrui qu'il est brave et fort. Il joue les vertus qu'il ne possède pas, qu'il ne se soucie même pas de posséder pour en imposer à la multitude. N'aimant personne, pourrait-il avoir des amis ? Aussi, s'en soucie-t-il fort peu, ou s'il s'en soucie, s'il cherche à former quelque liaison, il s'attache plutôt à l'éclat qu'au mérite de la personne. Sous ce rapport, le glorieux se rapproche beaucoup de l'homme hautain, qui, comme lui, a un air impérieux et contraint. Peu fait pour commander, on le reconnaît aisément à son maintien froid et grave, à sa démarche lente et mesurée; à ses gestes rares et étudiés, et à son extérieur composé. On dirait que son corps a perdu la faculté de se plier. Voy. HAUTEUR.
Bienveillant chez lui pour ceux qui lui témoignent des égards, le glorieux témoigne à son tour qu'il fait quelque cas de vous; mais le retrouvez-vous dans le monde, dans un salon, soyez sûr qu'il ne vous verra pas. Il ne reconnaît en public que ceux qui, par leur rang, peuvent flatter son amour-propre. Sa vue est si courte, comment pourrait-il distinguer les autres ? Aussi, n'est-ce pas sans raison qu'on a dit des glorieux : « Ils sont comme des ballons, brillants et vides. » Voy. GLORIEUX. Quant à la personne vaine, sa manière d'être, dans le monde, ne diffère point de celle des gens hautains, fiers et glorieux. À leur exemple, elle recherche la société de ses supérieurs, s'imaginant que la grandeur de ces hommes haut placés peut se réfléchir sur tous ceux qui s'en approchent.
Est-elle admise à la table des grands, elle en tire vanité, et fait parade de la familiarité dont ils l'honorent. Mais si la fortune les abandonne, elle est des premières à fuir elle éviterait même son meilleur ami en pareille circonstance. Rampant et flattant tout ce qu'il y a de comme il faut ; témoin chaque jour des hommages et du respect que l'on accorde généralement au rang et à la fortune ; la vanité aime à fréquenter les grands et les riches, espérant usurper à son profit ce respect, aussi bien que celui que les vertus et les talents obtiennent, et c'est pour y réussir qu'elle étale dans ses vêtements, dans ses équipages, dans son genre de vie, un faste bien au-dessus de sa condition et de sa fortune réelle. De telle sorte que, pour soutenir pendant la première moitié de sa vie ces manières trompeuses et extravagantes, elle se réduit pour l'autre moitié aux embarras et à la misère.
Bref, l'homme vain n'a pas la moindre sincérité dans ses actions, ni dans le fond de l'âme ; il est rarement convaincu de sa supériorité ; aussi voudrait-il que les autres le jugeassent plus favorablement qu'il ne peut se juger lui-même, s'il se met à leur place, même avec la conviction qu'il en est parfaitement connu.
S'il a rendu quelque service, il le rappelle à la personne qui l'a reçu et la force d'en convenir à la vue de tout le monde... N'attendez pas qu'un homme de cette espèce vous aborde et qu'il vous parle le premier. (Théophraste.)
On le voit par ce qui précède, l'orgueilleux diffère des autres en ce que celui-là du moins ne flatte Jamais ceux qui sont au-dessus de lui, et c'est à peine même s'il est poli avec eux. Pour lui, gêné avec ses égaux et ses supérieurs, il n'est jamais mieux à l'aise qu'avec ses inférieurs, dont le commerce est le seul qui puisse lui plaire. Aussi, loin de s'abandonner aux folles dépenses des vaniteux, il trouve dans le sentiment de sa propre dignité de quoi justifier son indépendance. Et si sa fortune est bornée, tout en étant rangé dans ses dépenses, il manque rarement d'être attentif à la considération qu'elles donnent.
Ce n'est pas la seule différence qui distingue le vaniteux et l'orgueilleux : car celui-ci est toujours sincère ; il croît au fond de son cœur qu'il a réellement une supériorité incontestable, sans pouvoir dire sur quoi elle est fondée, et ne désire rien autre chose que d'être vu par les autres tel qu'il se verrait réellement lui-même s'il était à leur place. (A. Smith.)
Il résulte de tout ce qui précède que l'orgueil et la vanité sont des travers de l'esprit et du cœur; mais l'un est bien plus relevé que l'autre, et, par suite, moins commun, attendu, comme l'a dit l'abbé Lamennais, qu'il est peu d'âmes faites pour s'élever jusqu'à l'orgueil, presque toutes croupissent dans la Vanité. (Voy. ce mot.)
Et il disait vrai; car, tandis que l'orgueilleux, en réfléchissant sur les perfections dont il se croit orné ou sur les avantages dont il jouit, se sent satisfait de lui-même, et, se faisant une opinion trop avantageuse de ses qualités, dédaigne ou méprise les talents ou les perfections d'autrui, le vaniteux, au contraire, jaloux d'occuper tout le monde de lui-même, et ne respirant qu'exclusions et préférences, fait étalage de tous ses avantages. Il y est d'autant mieux porté, d'ailleurs, que, dans son idée, il possède tout ce qu'il y a de plus parfait en chaque genre. Ainsi, dans son opinion, ses équipages sont les plus brillants, ses meubles les mieux choisis, ses habits du goût le plus recherché, ses chiens et ses chevaux de bien meilleure race que ceux des autres. (Hume.) La vanité s'attache donc à tout ce qui n'a de valeur réelle ni en soi, ni dans autrui ; à tout ce qui offre des avantages apparents, des effets passagers : elle vit du rebut des autres passions, et quelquefois se soumet à leur empire. Voy. VAIN, Vanité.
L'orgueil est une qualité louable ; l'orgueil est un défaut : que faut-il faire, dans l'un et l'autre cas, à 1’égard de l'orgueilleux ? Ce qu'on fait généralement quand on veut développer un sentiment honorable, ou quand on veut annihiler des dispositions mauvaises. Ainsi, dans ce dernier cas, la seule conduite à tenir est celle que nous trouverons décrite à l'article Vain, Vanité, dont l'orgueil bas et rampant ne diffère nullement, tandis que, dans le premier cas, comme l'orgueil, considéré dans ses effets, est on ne peut plus utile, vu qu'il peut être le germe de bien des vertus et de bien des talents, il serait imprudent, pour ne pas dire mauvais, de tenter de l'affaiblir ou de le détruire. Mieux vaut donc le diriger toujours vers les choses honnêtes, l'empêcher de se diriger vers celles qui ne le sont pas, et l'encourager plutôt que de le combattre. N'oublions pas surtout qu'il est des circonstances où il est bon de l'exciter, pour secouer la paresse et vaincre l'inertie de certaines gens, c’est-à-dire qu'on doit se servir de tel ou tel orgueil, qu'on stimulera à propos, pour obtenir d'excellents résultats ; tant il est vrai que tout est relatif en ce monde, où les poisons eux-mêmes peuvent servir de remède. Oui, l'orgueil, uni à quelque force d'âme et à un certain talent, peut parfois leur donner de l'élan, un grand désir de réussir, et faire redoubler d'efforts en animant le travail, tout comme la crainte de déchoir stimule vivement celui qui a une haute opinion de lui-même et l'empêche de faillir.
Ainsi l'orgueil, bien senti, bien dirigé, peut faire braver la douleur, l'infortune et la mort. Tel on voit le sauvage captif supporter les plus cruels tourments sans pousser un gémissement, sans sourciller ; il accable son vainqueur de ses injures ou de son silence, le défiant de lui arracher un signe de douleur, et triomphant de sa barbarie par une apparente impassibilité ; la mort lui semble mille fois préférable à l'humiliation devant son ennemi. 11 y a certainement dans cet orgueil farouche une grande force morale ; l'âme, exaltée par l'opinion qu'elle a de sa dignité, domine le corps, méprise la douleur et se rit des supplices. Tel est encore le stoïcien antique. Chrétiens, nous blâmons Caton de s'arracher la vie, parce qu'il préfère la mort à la honte de la défaite ; et cependant n'est-ce pas que sa fierté nous inspire du respect ? Tel fut enfin Mucius Scævola, brûlant devant Porsenna la main qui n'a pas su le frapper ; il montre dans cette sorte d'insensibilité un orgueil tout romain, qui le rend assurément bien supérieur à celui qui cède à une douleur atroce.
Mais s'il est certain qu'une noble fierté ou un noble orgueil a beaucoup de mérite aux yeux de tous les cœurs capables d'apprécier les grandes choses et les belles actions, il n'en est pas moins vrai, je le répète, que les funestes effets d'un sot ou fol orgueil sont évidents ; ils retombent sur l'orgueilleux comme sur tous ceux qui l'approchent. Il est la première victime de sa folie, parce que, plein de lui-même et prétendant se suffire, il ne peut avancer ni se perfectionner.
Sous ce rapport, nous ferons observer, en terminant, que l'orgueil est le principe du mal ; et, ce qui en est la preuve, c'est qu'il se trouve mêlé aux diverses infirmités de l'âme : il brille dans le souris de l'envie, il éclate dans les débauches de la volupté, il compte l'or de l'avarice, il étincelle dans les yeux de la colère, et suit les grâces de la mollesse. (Châteaubriand.) Ce qui doit être un motif déterminant de l'étouffer dès qu'il se montre, quand rien ne le justifie et ne le rend pardonnable.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on
traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 675.