PRÉSOMPTION (défaut).
Se flatter d'avoir les vertus ou les qualités qu'on n'a pas, c'est être présomptueux ; la présomption ne consiste donc pas à croire posséder de grands talents, quand on en a réellement, mais à se tromper dans la bonne opinion qu'on a de soi-même ; de telle sorte que celui qui se flatte et se trompe beaucoup est très-présomptueux ; au lieu que qui se trompe peu l'est peu.
Mais qu'on soit peu ou beaucoup présomptueux, la présomption est toujours blâmable. Pourquoi ? parce qu'elle est la conséquence de toutes les nuances de l'orgueil, celui qui en est plein débordant pour ainsi dire par une surabondance d'actes ou de paroles. Il ne doute de rien ; aucune difficulté ne l'arrête ; il ne se donne pas même la peine de les examiner ; d'ailleurs, son aveuglement l'empêcherait de les reconnaître. Il estime son pouvoir à l'égal de son vouloir ; il tente ce qui dépasse ses forces, parce qu'il s'estime au delà de ce qu'il vaut, et, dans le fait, il reste toujours au-dessous du ce qu'il entreprend. L'expérience seule avec ses mécomptes peut lui apprendre à en rabattre et à le corriger ou au moins à le mater ; mais cela n'arrive presque jamais. Aussi Pline a-t-il considéré la présomption comme la perte de l'homme et la mère nourrice des plus fausses opinions publiques et particulières ; vice toujours naturel et originel de l’homme. Pourtant, cette présomption se doit considérer en tout sens, haut, bas et à côté, dedans et dehors pour le regard de Dieu ; choses hautes et célestes, basses, des bêtes, de l'homme son compagnon, de soi-même ; et tout revient à deux choses : s'estimer trop et n'estimer pas assez autrui.
Néanmoins, avant que de condamner également la présomption, il faut avoir égard à certaines considérations qui peuvent modifier notre jugement. Ainsi un sot, qui se croit un bon esprit, n'est pas moins présomptueux qu'un bon esprit qui se croit un génie supérieur ; cependant le sot nous choque moins par ses prétentions qu'un homme d'esprit. Ils se trompent l'un et l’autre, il est vrai, mais le premier pèche par ignorance et le second par fatuité ; il faut donc mépriser celui-ci et plaindre celui-là.
De même, sans être un sot ni un bel esprit, le jeune homme, qui ne sait point encore qu'il a peu d'idées, pourra se prévaloir du peu qu'il sait. Il a peu d'idées, disons-nous ; mais comment l'aurait-il appris ? Il ne peut se comparer à ce qu'il sera un jour, il ne peut même encore le devenir. Il se compare à ce qu'il a été. La masse de ses acquisitions lui paraît considérable, et il se croit capable de juger de l'ensemble d'un sujet. C’est ce qui donne fréquemment à ses discours et à sesécrits ce ton de présomption dont on lui fait justement un sujet de reproche.
C'est pourquoi, comme la présomption a tant de hauteur et si peu de base, elle est bien facile à renverser (Madame de Staël) ; ce qui tient peut-être aussi à ce qu'elle a pour compagne l'inexpérience.
Dans tous les cas, ce défaut naît de l'habitude où l'on est d'admirer et d'applaudir les enfants ; aussi est-il ordinaire de le rencontrer dans la jeunesse et chez les hommes d'un esprit borné.
Pour en prévenir le développement chez tous ceux en qui la raison est assez avancée, il faut, s'ils veulent juger de quelque chose sans le bien savoir, les embarrasser par quelque question nouvelle, afin de leur faire sentir leur faute et les confondre rudement....; leur témoigner qu'on les approuverait bien plus quand ils doutent et qu’ils demandent ce qu'ils ne savent pas, que quand ils décident le mieux....; leur faire sentir, à mesure que leur intelligence se fortifie, qu'ils apprennent chaque jour des choses nouvelles et qu'ils en ont beaucoup à apprendre. (Fénelon.)
Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 484, col. 721
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