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mercredi 21 novembre 2012

Le rabat ecclésiastique


1) Le rabat ecclésiastique était autrefois le col de la chemise retombant sur l'encolure de la
L'abbé LEDIEU, par J. Galliot
soutane. 

Par quelles transformations est-il devenu ce petit rectangle noir de soie ou d'étamine, que borde un petit liseré blanc de toile ou de perles de verre ?

On s'en rendra compte en examinant la suite des portraits des supérieurs de la compagnie de St-Sulpice qui orne les corridors des séminaires dirigés par les membres de cette respectable société ; on y verra comment le ci-devant col de linge a pris progressivement la forme actuelle et, en particulier, comment il a passé du blanc au bleuâtre, puis au noir, sans doute parce que le blanc était trop salissant. On peut aussi examiner la série parallèle des supérieurs des Prêtres de la Mission, depuis Saint-Vincent de Paul, jusqu'à ce jour, qui est conservé à la maison des Lazaristes de la rue de Sèvres à Paris.

Les Frères des Écoles Chrétiennes, dont la simplicité s'est moins laissée influencer par les caprices de la mode, ont toujours le rabat blanc.

À Naples, on portait, il n'y a pas encore bien longtemps, et on porte peut-être encore aujourd'hui [1923], un col pareil à celui du clergé de France au XVIIIe siècle ; il est droit, mais en deux pièces, avec une solution de continuité sous le menton.

Un frère des Écoles chrétiennes
Les Rédemptoristes, dont le fondateur, Saint Alphonse de Liguori, était napolitain, ont encore le col entr'ouvert, par devant.

Le clergé de quelques provinces belges et celui du diocèse d'Aoste en Piémont, usaient et usent, je crois, toujours d'un rabat presque pareil à celui de France.

Les chanoines de Turin, quand ils prennent le costume de chœur, ont aussi un rabat, mais qui est entièrement blanc et pas beaucoup plus large qu'une carte à jouer.

On sait avec quelle ténacité les Alsaciens sont restés fidèles au rabat, emblème de la Patrie perdue, dans l'intervalle des deux guerres ; y renoncer eût été, à leurs yeux, afficher leur adhésion au régime boche.

L'abandon du rabat français n'est pas général ; dans plusieurs diocèses, on le conserve jalousement ; la substitution n'a été que progressive. Il y a une cinquantaine d'années [vers 1873], il fut imposé au clergé de Moulins par un évêque, Monseigneur de Dreuz-Brézé, connu pour son ultramontanisme militant. Peu après, Langres suivit l'exemple de Moulins.

Mgr de Dreuz-Brézé
En réalité, le petit appendice que le vent agitait désagréablement n'avait rien de très commode ; il se fripait très vite et ceux qui tenaient à la propreté de leur toilette devaient en changer souvent, ce qui finissait par occasionner une dépense appréciable pour ceux qui ne se permettent guère les dépenses d'agrément... et de quel agrément !

Le col romain a été d'abord la caractéristique des clercs qui étaient décorés d'une prélature romaine, mais ne signifiait pas que celui qui le portait fut même camérier du Pape ; je ne pense pas que beaucoup se soient fait cette illusion qu'ils copiaient la tenue des « Monsignori ».

Il en est du rabat comme du chapeau à haute forme que jadis de vieux prêtres français arboraient à l'étonnement des plus jeunes générations. Le rabat aussi a passé de mode, mais ceux qui l'ont quitté n'acceptent pas qu'on dise qu'il symbolisait une méfiance gallicane à l'endroit de l'église romaine, sentiment qu'ils n'ont jamais éprouvé et qu'il serait injurieux de leur attribuer gratuitement. (…)

PARIENSIS. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 10 février 1923, n°1574, vol. LXXXVI, col. 130-131.


2) (...) Quant au rabat, il fut toujours essentiellement une mode, un ornement de la mode la mode : de rabattre au dessus du col de la soutane, le col de la chemise d'où son nom de rabat.
Le cardinal Donnet

Sur les portraits des prélats d'autrefois on peut constater sa naissance et suivre son évolution. D'abord col blanc de la chemise rabattu autour du col du vêtement ; puis les deux angles antérieurs s'allongent en pointe aiguë (comme nos cols mous). puis la pointe s'élargit et le rabat s'avance en forme de deux languettes réunies par la base et divergeant vers l'extrémité. Les deux limbes sont détachés l'un de l'autre et bordés d'un galon. Ils sont en étoffe de laine ou de soie, même en gaz transparente chez les prélats de cour et aussi chez quelques autres. Au XIXe siècle, la forme du rabat est plus austère et se compose d'une bavette d'étoffe noire, bordée d'un double rang de perles blanches.

Le rabat étant un pur ornement, un luxe, il ne faut pas s'étonner que les Jésuites qui sont des religieux, ne l'aient pas adopté. Les papes n'avaient pas à intervenir a cet égard, et il va sans dire qu'ils ne sont jamais intervenus pour un si minime objet.

Seuls les prêtres français portaient le rabat en vertu d'une ancienne coutume. Comme cet appendice s'use vite et se coupe au contact de la barbe ; comme, de ce fait, il revient assez cher ; comme, sous l'effet du vent, la bordure de perles vient cingler douloureusement la figure de celui qui le porte, le rabat, sans élégance et sans utilité, ne présentait que des inconvénients ; il a disparu sans laisser de regrets. Il a passé de mode comme les boucles de souliers, la poudre et la traine (ou queue), qu'on voit encore cependant en Belgique et un peu dans le nord.

Rome n'a rien fulminé, et on n'a pas eu a «  l'arracher du col de notre clergé ». Celui-ci l'a laissé tomber comme les perruques, un siècle plus tôt. (…)

COOLEN. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 15 avril 1935, n°1830, vol. XCVIII, col. 309-310.


3) (…) Le rabat paraît avoir été abandonné par la plupart des dignitaires cardinaux, évêques et prélats divers dès le début de ce siècle [XXe siècle], sinon même auparavant. Le clergé noir, par contre, lui était en général resté fidèle jusqu'il y a une dizaine d'années [vers 1925]. 

Une très intéressante étude sur cette question a paru récemment dans La Semaine catholique du diocèse d'Agen, sous la signature de Léonce de Villevenard. D'après l'auteur, le port du rabat n'est plus strictement obligatoire que dans une quinzaine de diocèses, et bien en théorie ; il est facultatif dans la plupart, déconseillé dans plusieurs, et même tout à fait défendu dans quelques-uns. (Le diocèse de Séez pour ne donner qu'un exemple) ...

D'où vint ce mouvement de proscription ? De la mode uniquement... Cependant, on peut le dire, il n'est sans doute pas un seul diocèse de France où le rabat n'ait conservé de fidèles et de chauds partisans. D'ailleurs porté aujourd'hui par la minorité des prêtres, le rabat est toujours préféré et regretté par la majorité des fidèles, comme notre petite enquête, bien modeste mais sérieusement menée .. nous a permis de l'établir... En somme, on a brisé une unité pour aboutir chez nous a la diversité entre diocèses parfois limitrophes .. entre les prêtres d'un même diocèse, entre curés et vicaires fréquemment, à l'intérieur de la même paroisse, diversité qui .. étonne pour le moins nos bons fidèles. 

Comme tout cela est juste et bien dit. (…).

J. B. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 30 juin 1935, n°1835, vol. XCVIII, col. 548-549.


4) Le rabat créé par la mode, a subi les fluctuations de la mode et a disparu avec elle, de même que d'autres parties du vêtement ecclésiastique.

Il y a trente ou quarante ans [1895-1905], les prêtres français portaient presque tous le chapeau à longs poils dit castor, les boucles d'argent aux souliers, le rabat et la ceinture aux longues franges de soie.

Le cardinal Boyer
Aujourd'hui [1935], le rabat a presque partout disparu, le chapeau est en feutre ras et souvent dur (chapeau dit parisien), la ceinture est moins souple et plus étroite (ruban romain) et les souliers ne se distinguent plus guère de ceux des laïques.

Le Pape n'a pas eu à intervenir ; dans quelques cas, les évêques ont légiféré, comme c'était leur droit ; la plupart du temps, les prêtres ont profité du régime de la porte ouverte, de la permission, expresse ou tacite, de se vêtir d'une manière moins dispendieuse et plus commode.

Il n'y a donc pas lieu de faire intervenir ici un Gallicanisme ni un Ultramontanisme vestimentaires.

Ce n'est pas une thèse que j'attaque ou que je défends, mais un point d'histoire que je veux fixer. Si je n'ai pas parlé du rabat de quelques congrégations de Frères, c'est qu'il s'agissait avant tout du rabat des prêtres séculiers. [Les religieux sont régis par des constitutions spéciales et des traditions particutteres]. La plupart n'en portent, du reste, pas, comme les
Lazaristes, les Eudistes, les Rédemptoristes, etc. (…)


COOLEN. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 15 novembre 1935, n°1841, vol. XCVIII, col. 844-845.

Le costume ecclésiastique en 1814


Il a été beaucoup question, en ces dernières années, d'arrêtés d'ailleurs reconnus illégaux par la jurisprudence, de maires de certaines municipalités interdisant dans leur circonscription le port de la soutane, c'est-à-dire du costume ecclésiastique des prêtres ou des religieux catholiques. Voici un document de l'année 1814 se rattachant à cet objet. Je le trouve dans le n°169 des 18-18 juillet de cette année du Journal de Liège politique, commercial et littéraire de J. F. Desoer :

On mande de Rome que Son Ém. [Éminence] le cardinal Jules Marie de la Somagtia, vicaire général, y a fait publier un édit daté du 13 juin, conçu en ces termes : 

« C'est avec la plus vive douleur que nous avons été forcés de voir beaucoup d'ecclésiastique, même de ceux élevés au grade sublime du sacerdoce, oublier leurs devoirs et leur dignité, au point de quitter, dans les tristes circonstances des années précédentes, cet habit qui leur est si nécessairement prescrit pour les rendre respectables dans leur extérieur et pour conserver en eux-mêmes l'esprit de leur état.

Voulant, en conséquence des devoirs de notre charge, ramener la décence parmi les ministres du sanctuaire, nous ordonnons que tous les ecclésiastiques, même les simples tonsurés, aillent vêtus d'une manière convenable et conformément aux dispositions portées par les saints canons ; défendant expressément l'usage abusivement introduit du chapeau rond, et des cordons et nœuds de rubans aux souliers ; ordonnant que dorénavant tous portent le costume ecclésiastique ordinaire et des boucles ; que tous aient le petit collet et une tonsure bien visible ; que si, contre notre attente, il y a quelqu'un d'eux qui refuse d'exécuter promptement et exactement ce que nous venons de prescrire, il subira la peine qu'il aura méritée suivant les précédentes ordonnances et les clercs qui, n'étant encore que dans les ordres mineurs, contreviendraient à notre présent édit, ne seront jamais promus aux ordres sacrés. »

Référence

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 10 mai 1902, n°967, vol. XLV, col. 727-728.

mardi 13 novembre 2012

Le style parental et ses corrélats, selon N. Darling, 1999



Les psychologues du développement se sont intéressés à la façon dont les parents ont de l'influence sur le développement des capacités sociales et instrumentales des enfants, depuis, au moins, les années 1920. L'une des approches les plus solides en ce domaine est l'étude de ce que l'on a appelé le « style parental » (''parenting style'').

Cette synthèse définit le style parental, en explore les quatre types et examine les conséquences, pour les enfants, de ces différents styles.

Définition du style parental

L'investissement parental (''parenting'') est une activité complexe incluant nombre de comportements spécifiques qui œuvrent, tous et chacun, à influencer le devenir de l'enfant. Bien que des comportements parentaux spécifiques, tels que la fessée ou la lecture à voix haute, puissent influencer le développement de l'enfant, le fait de se concentrer seulement sur tel comportement particulier peut être trompeur. Beaucoup d'auteurs ont noté que les pratiques parentales particulières sont moins importantes pour prédire le bien-être de l'enfant que le schéma général de l'investissement parental. La plupart des chercheurs qui tentent de décrire le milieu parental général s'appuient sur le concept de Diana Baumrind, le style parental. Ce concept de style parental est utilisé pour saisir les façons variables et ordinaires dont les parents tentent de contrôler et socialiser leurs enfants (Baumrind, 1991). Deux point sont cruciaux dans la compréhension de cette définition.

Premièrement, le style parental est censé décrire les variations normales de l'investissement parental. Autrement dit, la typologie des styles parentaux que Baumrind a développée n'est pas censée inclure l'investissement parental déviant, tel qu'il peut être observé dans les familles abusives ou négligentes.

Deuxièmement, Baumrind admet que l'investissement parental normal tourne autour des problèmes de contrôle. Bien que les parents puissent différer par la manière dont ils contrôlent ou socialisent leurs enfants et par la mesure avec laquelle ils le font, il est admis que le rôle premier de tous les parents est d'influencer, éduquer et contrôler leurs enfants.

Le style parental comprend deux éléments importants de l'investissement parental : la réceptivité (''responsiveness'') parentale et l'exigence (''demandingness'') parentale (Maccoby et Martin, 1983).

La réceptivité parentale (également appelée chaleur ou soutien parental) fait référence à « la mesure avec laquelle les parents encouragent intentionnellement l'individualité, l'autorégulation et l'affirmation de soi, en se montrant à l'écoute, en soutenant et consentant aux besoins et demandes particulières des enfants » (Baumrind, 1991, p. 62).

L'exigence parentale (également appelée contrôle comportemental) fait référence aux appels que les parents lancent aux enfants afin qu'ils s'intègrent à la famille toute entière, par leurs exigences en matière de maturité, leur surveillance, les efforts de discipline et la volonté d'affronter l'enfant désobéissant » (Baumrind, 1991, p. 61-62).

Quatre styles parentaux

Vouloir catégoriser les parents selon leur niveau bas ou élevé d'exigence et de réceptivité conduit à créer une typologie de quatre styles parentaux : le style indulgent, le style autoritaire, le style usant d'autorité, et le style non engagé (Maccoby et Martin, 1983). Chacun de ces styles parentaux reflète différents schémas, émergeant naturellement, de valeurs, de pratiques et et comportements parentaux (Baumrind, 1991) et un équilibre précis de réceptivité et d'exigence.

Les parents indulgents (appelés également « permissifs » ou « non-directifs » « sont plus réceptif qu'ils ne sont exigeants. Ils ne sont pas traditionnels et se montrent tolérants, ils n'exigent pas un comportement de maturité, permettent une large autorégulation et évitent l'affrontement » (Baumrind, 1991, p. 62). Les parents indulgents peuvent être, de plus, partagés en deux types :
les parents démocrates qui, bien que tolérants, sont plus conscients, plus impliqués, et plus orientés vers l'enfant
▪ et les parents non-directifs.

Les parents autoritaires (''authoritarian'') sont très exigeants et directifs, mais ne sont pas réceptifs. «  Ils sont tournés vers l'obéissance et le statut, et s'attendent à ce que leurs ordres soient suivis sans explication » (Baumrind, 1991, p. 62). Ces parents organisent des environnements ordonnés et structurés, présentant des règles clairement établis. Les parent autoritaires peuvent être partagés en deux types :
les parents non-autoritaires et directifs, qui sont directifs mais ne se montrent pas envahissants ou autocrates dans l'usage de leur pouvoir,
▪ et les parents autoritaires et directifs, qui se montrent très envahissants.

Les parents usant d'autorité (''authoritative'') sont à la fois exigeants et réceptifs. «  Ils surveillent et transmettent des normes claires de conduite à leurs enfants. Ils se montrent assurés, mais ne sont ni envahissants, ni restrictifs. Leurs méthodes de discipline favorisent le soutien plutôt que la punition. Ils veulent que leurs enfants se montrent assurés autant que socialement responsables, autorégulés autant que coopérants.

Les parents non engagés sont peu réceptifs et peu exigeants. Dans les cas extrêmes, ce style parental peut englober à la fois des parents rejetant-négligents et des parents négligents, même si la plupart des parents de ce type appartiennent au type normal.

Parce que le style parental est une typologie plutôt qu'une combinaison linéaire de réceptivité et d'exigence, chaque style parental est à la fois plus que la somme de ses parties et différent de cette même somme (Baumrind, 1991). En plus de différer par la réceptivité et l'exigence, les styles parentaux varient quant à la mesure selon laquelle ils intègrent une troisième dimension : le contrôle psychologique.

Le contrôle psychologique « fait référence aux tentatives de contrôle qui s'immiscent dans le développement psychologique et émotionnel de l'enfant » (Barber 1996, p. 3296), au travers de pratiques comme l'induction de culpabilité, le retrait d'amour ou le fait de faire honte. L'une des clés de différenciation entre l'investissement parental autoritaire et celui qui use d'autorité est celle du contrôle psychologique.

Les parents autoritaires et ceux qui usent d'autorité, pareillement, exigent beaucoup de leurs enfants ; ils s'attendent à ce qu'ils se comportent d'une façon convenable et qu'ils obéissent aux règles parentales. Cependant, les parents autoritaires, attendent également de leurs enfants qu'ils acceptent leurs jugements, leurs valeurs et leurs objectifs, sans poser de question. À l'opposé, les parents usant d'autorité, sont plus ouverts au fait de donner et de recevoir, dans leurs rapports avec leurs enfants ; ils fournissent souvent des explications. Ainsi, bien que les parents usant d'autorité et les parents autoritaires favorisent également un haut contrôle comportemental, les parents usant d'autorité utilisent peu le contrôle psychologique, tandis que les parents autoritaires le font beaucoup.

Les conséquences pour les enfants

Il a été montré que le style parental permet de prédire le bien-être de l'enfant en matière de capacités sociales, de résultats scolaires, de développement psychosocial et de problèmes de comportement. Les recherches basées sur les entretiens avec les parents, les déclarations des enfants et l'observation des parents ont systématiquement montré que :

Les enfants et les adolescents dont les parents usent d'autorité se considèrent eux-mêmes et sont classés par les évaluations objectives comme plus capables socialement et instrumentalement que ceux dont les parents n'usent pas d'autorité (Baumrind, 1991; Weiss et Schwarz, 1996; Miller et al., 1993).

Les enfants et les adolescents dont les parents sont non-engagés se comportent plus mal dans tous les domaines.

En général, la réceptivité parentale permet de prédire des capacités sociales et un bon fonctionnement psychosocial, tandis que l'exigence parentale est corrélée aux capacités instrumentales et au contrôle comportemental (c'est-à-dire résultat scolaires et déviance).

Ces résultats indiquent que :

Les enfants et les adolescents issus de familles autoritaires (exigence importante mais faible réceptivité) ont tendance à réussir d'une manière modérée à l'école et à ne pas montrer de problèmes de comportement, mais ils ont des aptitudes sociales plus pauvres, une estime d'eux-mêmes plus basse et de hauts niveaux de dépression.

Les enfants et les adolescents issus de familles indulgentes (réceptivité importante, faible exigence) sont plus susceptibles de montrer des problèmes de comportements et de moins bien réussir à l'école, mais ils ont une plus haute estime d'eux-mêmes, de meilleures aptitudes sociales et des niveaux plus bas de dépression.

En parcourant la littérature sur le style parental, l'on est frappé par la constance avec laquelle l'éducation usant d'autorité est corrélée à la fois à des capacités instrumentales et sociales et à de plus bas niveaux de problèmes comportementaux, chez les filles et les garçons, et à toutes les étapes du développement.

Les bénéfices de l'investissement parental usant d'autorité et les effets délétères de l'investissement parental non-engagé sont évidents dès les années préscolaires et continuent tout au long de l'adolescence, jusqu'à l'âge jeune adulte.

Bien que l'on puisse trouver des différences de détail dans les capacités mises en œuvre par chaque groupe, les plus grandes différences sont celles détectées entre les enfants dont les parents sont non-engagés et ceux dont les parents sont plus impliqués.

Les différences entre les enfants issus de familles usant d'autorité et les autres enfants sont également constantes, mais un peu plus minces (Weiss et Schwarz, 1996). De la même façon que les parents usant d'autorité semblent être capables d'équilibrer leurs exigences de conformisme avec le respect de l'individualité de leurs enfants, les enfants issus de familles usant d'autorité semblent être capables d'équilibrer les demandes de conformisme extérieur et les exigences de réussite avec leurs besoins d'individualisation et d'autonomie.

Les enfants présentant un T.D.A.H. [trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité] ou un T.O.P [trouble oppositionnel avec provocation], ainsi que d'autres troubles du comportements sont particulièrement vulnérables à une basse estime d'eux-mêmes. Ils ont fréquemment des problèmes scolaires, ont du mal à se faire des amis et restent à la traîne de leur pairs du point de vue du développement psychosocial. Ils sont plus susceptibles que les autres enfants de malmener et d'être malmenés. Les parents d'enfants présentant des problèmes de comportement éprouvent de plus hauts niveaux stress liés à l'éducation des enfants, et il peut alors être plus difficile pour eux d'être réceptifs à leurs enfants de façon positive, constante et soutenante.


L'influence du sexe, de l'ethnie et du type de famille

Il est important de distinguer les différences dans la distribution des corrélats du style parental dans les différentes sous-populations. Bien qu'aux États-Unis, l'investissement parental usant d'autorité soit le plus répandu parmi les familles intactes de classe moyenne et d'ascendance européenne, la relation entre l'autorité et le devenir de l'enfant est assez similaire parmi tous les groupes. Il existe, cependant, des exceptions à cette affirmation générale :

1°) l'exigence semble moins crucial pour le bien-être des filles que pour celui des garçons (Weiss et Schwarz, 1996), et

2°) l'investissement parental usant d'autorité permet de prédire un bon devenir psychosocial et des problèmes de comportement chez les adolescents de tous les groupes ethniques étudiés (Américains d'origine africaine, asiatique, européenne et hispanique) ; mais il est associé à la réussite scolaire seulement chez les Américains d'origine européenne, et dans une moindre mesure, chez les Américains d'origine hispanique (Steinberg, Dornbusch et Brown, 1992 ; Steinberg, Darling et Fletcher, 1995). Chao (1994) et d'autres (Darling et Steinberg, 1993) ont donné comme argument le fait que les différences ethniques observées dans l'association entre le style parental et le devenir de l'enfant peuvent être dues aux différences de contexte social, de pratiques parentales ou au sens culturel que revêtent les dimensions spécifiques du style parental.

Conclusion

Le style parental fournit un indicateur solide du fonctionnement parental permettant de prédire le bien-être de l'enfant à travers un large spectre d'environnements et parmi diverses communautés d'enfants.

La réceptivité parental et l'exigence parentale sont, tous deux, des composants importants d'un bon investissement parental.

L'investissement parental usant d'autorité et faisant l'équilibre entre des exigences parentales élevées et claires, une réceptivité émotionnelle et la reconnaissance de l'autonomie de l'enfant constitue l'un des indicateur familial les plus constants de capacité, de la petite enfance à l'adolescence.

Cependant, malgré la longue et solide tradition de recherche sur le thème du style parental, un certain nombre de problèmes restent en suspens. Les plus important d'entre eux sont des problèmes de définition, les changement développementaux de la manifestation et des corrélats des styles parentaux, et les processus sous-jacents des bénéfices de l'investissement parental usant d'autorité (Cf. Schwarz et al., 1985; Darling et Steinberg, 1993; Baumrind, 1991; et Barber, 1996).


Pour plus d'information

B. K. BARBER, « Parental psychological control : Revisiting a neglected construct », in Child Development, n° 67 (6), 1996, p. 3296-3319.

D. BAUMRIND, « 
Rearing competent children », in W. Damon (Dir.), Child development today and tomorrow, Jossey-Bass, San Francisco, 1989, p. 349-378.

D. BAUMRIND, « The influence of parenting style on adolescent competence and substance use », in Journal of Early Adolescence, n°11 (1), 1991, p. 56-95.

R. K. CHAO, « 
Beyond parental control and authoritarian parenting style : Understanding Chinese parenting through the cultural notion of training, in Child Development, n° 65 (4), 1991, p. 1111-1119.

N.
DARLING et L. STEINBERG, « Parenting style as context: An integrative model », in Psychological Bulletin, n° 113(3), 1993, p. 487-496.

E. E. MACCOBY, et J. A. MARTIN, « 
Socialization in the context of the family : Parent–Child interaction », in P. H. MUSSEN (Dir.) et E. M. HETHERINGTON (Dir. vol. ), Handbook of child psychology : Vol. 4. Socialization, personality, and social development, 4e éd., Wiley, New-York, 1983, p. 1-101.

N. B. MILLER, P. A. COWAN, C. P. COWAN et E. M.
HETHERINGTON, « Externalizing in preschoolers and early adolescents : A cross-study replication of a family model », in Developmental Psychology, 29 (1), 1993, p. 3-18.

J. C. SCHWARZ, M. L. BARTON-HENRY et T. PRUZINSKY, « 
Assessing child-rearing behaviors : A comparison of ratings made by mother, father, child, and sibling on the CRPBI », in Child Development, n°56 (2), 1985, p. 462-479.

L. STEINBERG, N. DARLING et A. C. FLETCHER, « 
Authoritative parenting and adolescent adjustment : An ecological journey », in P. MOEN, G. H. ELDER, Jr., et K. LUSCHER (Dir.), Examining lives in context: Perspectives on the ecology of human development, American Psychological Assn, Washington, DC, 1995, p. 423-466.

L. STEINBERG, S. M. DORNBUSCH et B. B. BROWN, « 
Ethnic differences in adolescent achievement : An ecological perspective », in American Psychologist, n°47(6), 1992, p. 723-729.

L. H. WEISS et J. C. SCHWARZ, « 
The relationship between parenting types and older adolescents’ personality, academic achievement, adjustment, and substance use », in Child Development, n°67 (5), 1996, p. 2101-2114.

Référence

Nancy DARLING (Ph.D., M.S.), « Parenting Style and its Correlates », Eric Digest, ERIC Clearinghouse on Elementary and Early Childhood Education, Champaign (Illinois), mars 1999. La version française de ce texte est le fait de l'auteur de ce blog.

vendredi 26 octobre 2012

L'importance de l'honneur en France, Ph. D'Iribarne, 2006



Le petit texte suivant permet d'aborder plusieurs sujets contemporains, parfois difficiles à saisir et comprendre :

- la différence de la France et des États-Unis, où la morale et la vertu tiennent une place publique si considérable ;

- le statut, en France, de la religion, de sa morale, et de l'éthique, même laïque, qui doivent être vécues dans l'intimité de la conscience individuelle, sans aucun contrôle de la sphère collective et dont les défenseurs publiques doivent toujours supporter un certain ridicule ;

- la difficulté, pour tous les ministres de l'Éducation Nationale, d'imposer l'enseignement d'une « morale laïque », à l'école de la République ;

- l'importance des statuts, en France, et des codes qui en découlent, même si on n'ose les décrire comme des codes d'honneurs, ce qu'ils sont cependant...



L'histoire des sociétés européennes est marquée par un double héritage éthique. 

À un héritage antique, grec et romain, se superpose un héritage biblique, et au premier chef évangélique, bien différent (1). L'un célèbre la grandeur et la magnanimité, l'autre l'humilité. L'un distingue radicalement les devoirs propres aux divers états de vie, l'autre soumet les puissants et le humbles aux mêmes devoirs.

Dans les sociétés européennes d'avant la Réforme, ces deux éthiques coexistaient. L'éthique sociale, sanctionnée par l'opinion, attachée aux exigences de l'honneur, cohabitait avec l'éthique religieuse, portée par l'Église, attachée aux exigences de la vertu. Parfois ces exigences s'opposaient radicalement, ainsi à propos du duel ou de la morale sexuelle masculine. Une stricte référence aux exigences évangéliques était réservée aux moines  voués aux « états de perfection », pendant que l'Église s'accommodait largement d'un « compromis entre les exigences de la morale temporelle et la morale chrétienne originaire » (2).

Dans la France de la fin de l'Ancien Régime, même si la France se dit « fille ainée de l'Église », l'éthique chrétienne reste soumise en pratique à rude concurrence de la part d'une éthique mondaine relevant du registre de l'honneur. 

« Dans les États monarchiques et modérés, écrit Montesquieu, la puissance est bornée par ce qui en est le ressort ; je veux dire l'honneur, qui règne, comme un monarque, sur le prince et sur le peuple. On n'ira point lui alléguer les lois de la religion ; un courtisan se croirait ridicule : on lui alléguera sans cesse celles de l'honneur (3). » 

Et si le règne de l'honneur n'interdit pas l'existence d'âmes pieuses, attachées à une éthique chrétienne, il incite cet attachement à rester discret. 

« Quand on était sage, rapporte un témoin d'époque, c'était par goût et sans faire le pédant ou la prude (4). » 

Le respect de l'éthique religieuse relève de l'intime, non du contrôle par une communauté de croyants identifiée au corps politique. 

Certes, en matière d'éthique comme ailleurs, la Révolution française et ses héritiers ont voulu radicalement innover. Pour certains, Robespierre, Saint-Just, la vertu, liée à la religion de l'humanité, est au cœur de la République (5). 

De multiples efforts ont été faits pour asseoir sa place dans la société. Les philosophes ont été vus comme ses prêtres. Jules Ferry et la troisième République ont voulu faire de l'école un instrument de sa diffusion. 

Mais comme la morale religieuse, la morale laïque ne relève pas d'un contrôle exercé par la communauté des « croyants » (des citoyens), mais des rapports de chacun avec sa conscience. l'époque où les sans-culottes ont prétendu exercer un contrôle à caractère moral paraît un temps de tyrannie. Et les conceptions du devoir qui ont  prévalu dans la sphère publique sont restées marquées par une éthique de l'honneur.


Notes

(1) Pierre Manent, La Cité de l'homme, Fayard, 1994.
(2) Ernst Troeltsch, Protestantisme et Modernité (1909, 1911, 1913), Gallimard, 1991, p. 62.
(3) Montesquieu, De l'esprit des lois (1747), première partie, livre III, chap. 10.
(4) Cité par Taine, Les Origines de la France contemporaines (1875), Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1986, p. 107.
(5) François Furet,  La Révolution, Hachette, 1988, p. 151-152.


Référence

Philippe d'Iribarne, L'étrangeté française, Seuil, coll. « La couleur des idées », avril 2006, p. 79-80

jeudi 25 octobre 2012

Le surinvestissement parental, Bernstein et Triger, 2011


Depuis le milieu des années 1980, les parents se sont de plus en plus investis dans la vie de leurs enfants. Les média et les écrivains populaires ont décrit cette pratique comme « le style parental hélicoptère » (''helicopter parenting''), le « maternage étouffant » (''smothering mothering''), le « style parental alpha » (''alpha parenting''), ou le « style parental centré sur l'enfant » (''child-centered parenting'') (15). Nous userons du terme « style parental intensif » (''Intensive Parenting''), pour décrire le type dominant du parent contemporain (16). Ce parent est un parent qui s'investit intensivement, en développant activement la culture de son enfant, en acquérant une connaissance approfondie des meilleurs pratiques d'élevage des enfants, et en utilisant ce savoir pour suivre de près le développement de l'enfant et ses activités quotidiennes. (p. 1225) (…).

La pratique du style parental intensif se compose de trois éléments.

Premièrement, les parents acquièrent une connaissance approfondie de ce que les experts considèrent comme étant propre au développement de l'enfant, dans le but de reconnaître et de répondre à chaque stade du développement émotionnel et intellectuel de l'enfant (46).

Deuxièmement, les parents s'engagent dans l'« éducation culturelle concertée »  (''concerted cultivation''): les parents encouragent et valorisent activement les talents de l'enfant, orchestrent, pour l'enfant, de multiples activités de loisir, et interviennent régulièrement, au nom de l'enfant, dans les structures institutionnelles (47).

Troisièmement, afin d'atteindre les mêmes objectifs, les parents suivent de près de nombreux aspects de la vie de l'enfant. (p. 1232) (…).

Les effets psychologiques du style parental intensif.

Les parents qui s'engagent dans le style parental intensif procurent à leurs enfants d' importants avantages.

Le style parental intensif prend sa source dans le désir de façonner un enfant à l'attachement sûr, et assez évolué pour répondre aux besoins d'une société de plus en plus exigeante et compétitive (260).

La recherche a démontré que le style parental intensif donne des enfants mieux préparés à faire face aux institutions et qui savent faire fonctionner les règles en leur faveur ; alors que les enfants élevés sou l'influence de pratiques d'éducation différentes ont tendance à manifester de l'embarras dans leurs interactions avec les institutions (261).

D'autres recherches ont démontré les effets positifs du style parental intensif sur la motivation et la réussite universitaire (262), le comportement à l'école (263), la probabilité d'être blessé (264) et la satisfaction d'être à l'université (265).

Cela dit, alors que la première génération d'enfants élevés par des parents intensivement investis arrive à l'université, de nouvelles recherches psychologiques révèlent que le style parental intensif n'apporte pas seulement des avantages mais a, également, des conséquences indésirables sur les enfants.

Dans cette partie nous abordons ces études pionnières et indiquons qu'une intégration non-critique du style parental intensif au sein des normes légales peut faire courir le risque de contrecarrer l'un des rôles les plus importants des parents, à savoir, celui de nourrir le sens de l'indépendance et de la séparation d'avec eux-mêmes (266).

« Chaque automne, selon un professeur de l'University of Virginia, les parents laissent à eux-mêmes leurs étudiants de première année bon chic bon genre ; deux ou trois jours plus tard, nombre d'entre eux ont consommé une quantité dangereuse d'alcool, se mettant eux-mêmes dans une situation dangereuse. Ces gosses qui ont été sous contrôle si longtemps deviennent tous simplement dingues. (267) »

Le style parental intensif conçoit les enfants, quelque soit leur âge, comme vulnérables et sans défense. Par conséquent, le style parental intensif entraîne une surveillance constante destinée à les protéger (268). Il apparaît que, si, auparavant, la mission des parents était d'affronter l'enfant au monde extérieur, les parents actuels cherchent à protéger leur enfant de ce dernier (269).

Tout un îlot de recherche, qui s'ajoute à de nombreux éléments anecdotiques, suggère que les tendances actuelles du style parental intensif peuvent être, en fait, dangereuses pour les enfants.

Le style parental intensif ne permet pas aux enfants de développer leur sens de l'indépendance, de l'autonomie ainsi que les capacités d'adaptation nécessaires pour aborder les défis de l'existence (270). Les enfants élevés sous l'influence d'un style parental intensif ne parviennent pas à développer d'importantes compétences, qui incluent la capacité à organiser leur temps, à organiser des stratégies et à négocier dans le cadre d'un conflit ouvert durant le jeu (271). Dans l'ensemble, ils ont tendance à montrer moins de créativité, de spontanéité, de plaisir et d'initiative au cours de leur temps de loisir que les autres enfants, élevés dans le cadre de pratiques d'éducation différentes (272).

De surcroît, la recherche conduite ces dernières années, indique que les enfants de parents intensivement investis ont tendance non seulement à être moins indépendants, mais également moins attentifs et soucieux des sentiments des autres (273).

Beaucoup parmi ces enfants ont le sentiment que l'âge adulte commence seulement à l'âge de trente ans (274).

En outre, comparés aux autre générations, ils sont plus susceptibles de souffrir d'une basse estime de soi (275), de dépression, d'anxiété et de stress (276).

Les recherches montrent que les enfants de parents intensivement investis quittant le foyer conservent un contact permanent avec leurs parents par le biais de l'internet et du téléphone portable. Toutefois, cette communication continuelle infantilise le jeune en le maintenant dans un état constant de dépendance (277). Si jamais la plus petite difficulté paraît, ils s'en remettent, pour être guidés, automatiquement à leurs parents (278).

Il apparaît qu'un investissement parental plus élevé a contribué au déclin des prises de décisions et des capacités d'adaptation des étudiants.

Ils ne sont pas capables d'analyser les décisions importantes associées à la transition lycée-université (279). Ces déficiences soumettent cette génération d'enfants adultes, comparée aux générations précédentes, au risque élevé de faire de mauvais choix en matière d'alcool, de drogues, d'abus et de relations sexuelles (280).

De surcroît, ils sont plus sujets aux conflits non résolus et croissants avec leurs camarades de chambre et à la malhonnêteté intellectuelle (281).

Les autorités universitaires ont observé que, dans leur tentative d'empêcher leurs enfants de faire des erreurs, les parents encouragent leur dépendance (282). Par conséquent, les universités sont de plus en plus concernées par le fait que le style parental intensif inhibe le développement des étudiants vers l'état adulte indépendant (283).

En outre, les risques de l'investissement parental intensif ne trouvent pas seulement leur origine dans l'extension au jeune adulte de cette pratique d'élevage de l'enfant. La source du problème gît dans le style d'investissement parental lui-même. Le psychanalyste Bruno Bettelheim explique que le monde intérieur des enfants est appauvri par l'absence d'espace mental suffisant dédié au jeu (284). Le jeu est un mécanisme central à travers lequel les enfants entrent en relation avec le monde environnant et développent leur sens de l'indépendance et de la séparation (285). Or, l'investissement parental intensif demande une surveillance intense qui limite significativement le jeu (286). Le processus de séparation des parents est essentiel au développement sain de l'enfant ; mais le surinvestissement parental pourrait bien le mettre en danger (287).

Finalement, si certains enfants peuvent être réceptifs au style parental intensif, d'autres peuvent percevoir ce style parental comme du surinvestissement. Le style parental intensif peut tout simplement se révéler trop intense pour certains enfants.

Un mère, directrice de rédaction d'un journal, rapporta que, dans le but de passer plus de temps avec sa fille et de conserver sa carrière, elle décida de travailler de nuit ; or, ce fut sa fille qui « la poussa à travailler la journée . Il semble qu'elle pensa qu'avoir une Maman dans les pattes la plupart du temps n'était pas si marrant que ça, spécialement si Maman est toujours limite (288). » En effet, « [les] enfants sont le centre du ménage et tout tourne autour d'eux », observe un mère préoccupée, « [et] vous pouvez, dans ce cadre, rendre vos gosses complètement dingues (289). » (p. 1274-1277)

Notes

(15) Lisa Belkin, « Let the Kid Be », in N.Y. Times, 31 mai 2009, p. MM19.
(16) Nous empruntons et retouchons le terme utilisé par Sharon Hays, « Intensive Mothering  », cf. Sharon Hays, The Cultural Contradictions of Motherhood, p. 1-18 (1996).
(46) Cf. Hays, op. cit., p. 8.
(47) Annette Lareau, Unequal Childhoods : Class, Race and Family Life, (2003), p. 31.
(260) Cf. Hays, op. cit., p. 44 (discutant de la relation entre les normes contemporaines du style parental intensif et les théoriciens de l'attachement); Tali Schaefer, « Disposable Mothers: Paid In-Home Caretaking and the Regulation of Parenthood », in Yale Journal of Law & Feminism, n° 19, 2008, p. 336-37.
(261) Cf. Lareau, op. Cit., p. 5-6.
(262) Wendy S. Grolnick & Richard M. Ryan, « Parents Styles Associated with Children’s Self-Regulation and Competence in School », in J. Educ. Psychol., n°81, 1989, p. 149-51 (indiquant que les mères investies façonnent des enfants possédants de plus hauts grades universitaires); Timothy Keith et al., « Does Parental Involvement Affect Eighth-grade Student Achievement ? : Structural Analysis of National Data », in Sch. Psychol. Rev., n°22, 1993, p. 474 (démontrant qu'un investissement parental croissant a un impact direct sur la motivation des enfants, leur réussite et le temps passé à faire les devoirs à la maison).
(263) Cf. Grolnick & Ryan, op. cit., p. 143 (indiquant que les enfants de mères investies sont moins susceptibles d'être perturbateurs à l'école).
(264) Pour une approche plus générale, cf. David C. Schwebel et al., « Interactions Between Child Behavior Patterns and Parenting : Implications for Children’s Unintentional Injury Risk », in J. Pediatric Psychol., n° 29, 2004, p. 93, (abordant la corrélation entre le style parental intensif et la probabilité décroissante de blessure pour l'enfant).
(265) Sara Lipka, « Helicopter Parents Help Students, Survey Finds », in Chron. Higher Educ., 9 nov. 2007, p. A1 (citant un sondage indiquant que les étudiants dont les parents interviennent en leur nom sont plus actifs et satisfaits de l'université).
(266) Hara Estroff Marano, « A Nation of Wimps », in Psychol. Today, n°37, 1er novembre 2004, p. 64-66. , consultable à http://www.psychologytoday.com/articles/pto-20041112-000010.html.
(267) id., p. 62.
(268) Cf. Gill Valentine, « ‘My Son’s a Bit Dizzy.’ ‘My Wife’s a Bit Soft’: Gender, Children and Cultures of Parenting », in Gender, Place & Culture, n° 4 , p. 37-38 (1997); Gill Valentine, « “Oh Yes I Can.” “Oh No You Can’t”: Children and Parents’ Understandings of Kids’ Competence to Negotiate Public Space Safely », in Antipode, n° 29, 1997, p. 73.
(269) Tina Kelley, « Dear Parents: Please Relax, It’s Just Camp », in N. Y. Times, 26 juillet 2008, p. A1.
(270) Cf. par exemple, Wendy S. Grolnick & Kathy Seal, Pressured Parents, Stressed-out Kids : Dealing with Competition while Raising a Successful Child, 2008, p. 21-38 (argumentant du fait qu'un contrôle excessif de touts les aspects de la vie de l'enfant diminue, en fait, la motivation et les compétences de l'enfant) ; Richard Weissboard, The Parents we Mean : How Well-intentioned Adults Undermine Children's Moral and Emotional Development, 2009, p. 81-97 (2009) (illustrant le fait que la proximité accentuée entre les parents et les enfants fait obstacle à la capacité des enfants de se séparer avec succès de leurs parents); Gill Valentine & John McKendrick, « Children’s Outdoor Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the Changing Nature of Childhood », in Geoforum, n°28, 1997, p. 220, (1997) (argumentant du fait qu'un nombre moindre d'enfants jouent dehors que par le passé, principalement à cause des angoisses de leurs parents à propos de leur sécurité, et que cette tendance est en train de changer la nature de l'enfance).
(271) Cf. Lareau, op. cit., p. 67; Barbara K. Hofer & Abigail Sullivan Moore, The Iconnected Parent : Staying Close to your Kids in College (and Beyond) While Letting Them Grow Up, 2010, note p.90, p. 45-49 (rendant compte d'une étude sur des étudiants montrant que le style parental intensif est corrélé à des problème d'autorégulation, comprenant la gestion du temps, l'organisation et d'autres capacités inhérentes à l'étude).
(272) Cf. Lareau, op. cit., p. 83.
(273) Jean M. Twenge, Generation Me : Why Roday's Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – And More Miserable Than Ever Before, 2006, p. 25.
(274) id., p. 97.
(275) Alvin Rosenfeld & Nicole Wise, « The Over-Scheduled Child: Avoiding the Hyper-Parenting Trap », in Child & Adolescent Behavior Letter, n° 17, 2001, p. 6.
(276) Twenge, op. cit., p. 104-05; Anna M. L. van Brakel et al., « A Multifactorial Model for the Etiology of Anxiety in Non-Clinical Adolescents: Main and Interactive Effects of Behavioral Inhibition, Attachment and Parental Rearing », in Child Fam. Stud., n° 15, 2006, p. 570. Certes, les taux de dépression et d'anxiété ont augmenté dans les autres secteurs de la population, mais l'augmentation des niveaux de dépression et d'anxiété a été particulièrement forte chez les enfants et les étudiants. Twenge, op. cit., p. 107.
(277) Marano, op. cit., p. 64-66. Mais cf. Naomi Cahn & June Carbone, Red Families v. Blue Families : Legal Polarization and The Creation of Culture, 2010, p. 57-58; Courriel de June Carbone à Gaia Bernestein (12 octobre 2009) (argumentant du fait que, par le passé, les enfants, et particulièrement les femmes, quittaient la surveillance parentale pour entrer dans celle d'hommes mariés, au sein du mariage ou sur les lieux de travail, alors que, désormais, comme l'âge adulte est retardé, la surveillance parentale remplace minutieusement les structures surveillées des générations précédentes.
(278) Marano, op. cit., p. 66. Mais cf. Cahn & Carbone, op. cit. ; Courriel de June Carbone à Gaia Bernstein, op. cit.
(279) Hofer & Moore, op. cit., p. 39-40 (rapportant qu'une étude portant sur des étudiants démontre que les étudiants qui ont les contacts les plus fréquents avec leurs parents, se montrent moins autonomes que les autres étudiants) ; Darby Dickerson, « Risk Management for the Modern Campus », in Campus Activities Programming Mag., janvier-février 2007, p. A12-13.
(280) id.
(281) id.
(282) Judith Hunt, « Make Room for Daddy . . . And Mommy: Helicopter Parents Are Here ! », J. Acad. Admini. Higher Educ., printemps 2008, p. 9, consultable à http://jwpress.com/JAAHE/Issues/JAAHE-Spring2008.pdf?Spring07=Spring+2008+Issue+
(283) id.
(284) Bruno Bettelheim, « The Importance of Play », in Atlantic Monthly, mars 1987, p. 35, rediscuté dans Judith WARNER, Perfect Madness : Motherhogg in the Age of Anxiety, 2005, p. 235.
(285) Cf. David Elkind, « Thanks for the Memory: The Lasting Value of True Play », Young Children, n° 58, 2003, p. 46 (2003) (discutant de l'importance du libre jeu).
(286) Valentine & McKendrick, op. cit., p. 220-21; David Elkind, « Playtime Is Over » , in N.Y. Times, 27 mars 2010, p. A19 (rapportant que les écoles embauchent des « coachs de récréation » afin de surveiller les étudiants pendant ce temps).
(287) Cf. WARNER, op. cit., p. 235, 237. Pour une approche plus générale, cf. Mary D. Salter Ainsworth, « Infant-Mother Attachment », in Am. Psychologist, n°34, 1979, p. 932 (suggérant que le sain attachement mère-enfant implique, entre autres choses, de nourrir le sentiment de sécurité du petit enfant dans le cadre du lien mère-enfant et, ainsi, la capacité d'une séparation sans anxiété) ; Arlene Skolnick, « The Myth of the Vulnerable Child », Psychol. Today, février 1978, p. 60 (sur le fait, par la surprotection parentale, de nourrir « l'impuissance acquise » des enfants) ; Kenneth Sullivan & Anna Sullivan, « Adolescent-Parent Separation », Developmental Psychol., n°16, 1980, p. 93 (démontrant que la séparation est cruciale dans la mesure où elle facilite la croissance des garçons et leur développement sain en tant qu'adultes indépendants, tout en conservant les liens émotionnels avec leurs parents).
(288) WARNER, op. cit., p. 4.
(289) id., p. 6.

Référence

Gaia BERNSTEIN & Zvi TRIGER, « Over-Parenting », UC Davis Law Review, vol. 44, n°. 4, 2011. La version française présentée ci-dessus est le fait de l'auteur de ce blog.