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jeudi 25 octobre 2012

Le surinvestissement parental, Bernstein et Triger, 2011


Depuis le milieu des années 1980, les parents se sont de plus en plus investis dans la vie de leurs enfants. Les média et les écrivains populaires ont décrit cette pratique comme « le style parental hélicoptère » (''helicopter parenting''), le « maternage étouffant » (''smothering mothering''), le « style parental alpha » (''alpha parenting''), ou le « style parental centré sur l'enfant » (''child-centered parenting'') (15). Nous userons du terme « style parental intensif » (''Intensive Parenting''), pour décrire le type dominant du parent contemporain (16). Ce parent est un parent qui s'investit intensivement, en développant activement la culture de son enfant, en acquérant une connaissance approfondie des meilleurs pratiques d'élevage des enfants, et en utilisant ce savoir pour suivre de près le développement de l'enfant et ses activités quotidiennes. (p. 1225) (…).

La pratique du style parental intensif se compose de trois éléments.

Premièrement, les parents acquièrent une connaissance approfondie de ce que les experts considèrent comme étant propre au développement de l'enfant, dans le but de reconnaître et de répondre à chaque stade du développement émotionnel et intellectuel de l'enfant (46).

Deuxièmement, les parents s'engagent dans l'« éducation culturelle concertée »  (''concerted cultivation''): les parents encouragent et valorisent activement les talents de l'enfant, orchestrent, pour l'enfant, de multiples activités de loisir, et interviennent régulièrement, au nom de l'enfant, dans les structures institutionnelles (47).

Troisièmement, afin d'atteindre les mêmes objectifs, les parents suivent de près de nombreux aspects de la vie de l'enfant. (p. 1232) (…).

Les effets psychologiques du style parental intensif.

Les parents qui s'engagent dans le style parental intensif procurent à leurs enfants d' importants avantages.

Le style parental intensif prend sa source dans le désir de façonner un enfant à l'attachement sûr, et assez évolué pour répondre aux besoins d'une société de plus en plus exigeante et compétitive (260).

La recherche a démontré que le style parental intensif donne des enfants mieux préparés à faire face aux institutions et qui savent faire fonctionner les règles en leur faveur ; alors que les enfants élevés sou l'influence de pratiques d'éducation différentes ont tendance à manifester de l'embarras dans leurs interactions avec les institutions (261).

D'autres recherches ont démontré les effets positifs du style parental intensif sur la motivation et la réussite universitaire (262), le comportement à l'école (263), la probabilité d'être blessé (264) et la satisfaction d'être à l'université (265).

Cela dit, alors que la première génération d'enfants élevés par des parents intensivement investis arrive à l'université, de nouvelles recherches psychologiques révèlent que le style parental intensif n'apporte pas seulement des avantages mais a, également, des conséquences indésirables sur les enfants.

Dans cette partie nous abordons ces études pionnières et indiquons qu'une intégration non-critique du style parental intensif au sein des normes légales peut faire courir le risque de contrecarrer l'un des rôles les plus importants des parents, à savoir, celui de nourrir le sens de l'indépendance et de la séparation d'avec eux-mêmes (266).

« Chaque automne, selon un professeur de l'University of Virginia, les parents laissent à eux-mêmes leurs étudiants de première année bon chic bon genre ; deux ou trois jours plus tard, nombre d'entre eux ont consommé une quantité dangereuse d'alcool, se mettant eux-mêmes dans une situation dangereuse. Ces gosses qui ont été sous contrôle si longtemps deviennent tous simplement dingues. (267) »

Le style parental intensif conçoit les enfants, quelque soit leur âge, comme vulnérables et sans défense. Par conséquent, le style parental intensif entraîne une surveillance constante destinée à les protéger (268). Il apparaît que, si, auparavant, la mission des parents était d'affronter l'enfant au monde extérieur, les parents actuels cherchent à protéger leur enfant de ce dernier (269).

Tout un îlot de recherche, qui s'ajoute à de nombreux éléments anecdotiques, suggère que les tendances actuelles du style parental intensif peuvent être, en fait, dangereuses pour les enfants.

Le style parental intensif ne permet pas aux enfants de développer leur sens de l'indépendance, de l'autonomie ainsi que les capacités d'adaptation nécessaires pour aborder les défis de l'existence (270). Les enfants élevés sous l'influence d'un style parental intensif ne parviennent pas à développer d'importantes compétences, qui incluent la capacité à organiser leur temps, à organiser des stratégies et à négocier dans le cadre d'un conflit ouvert durant le jeu (271). Dans l'ensemble, ils ont tendance à montrer moins de créativité, de spontanéité, de plaisir et d'initiative au cours de leur temps de loisir que les autres enfants, élevés dans le cadre de pratiques d'éducation différentes (272).

De surcroît, la recherche conduite ces dernières années, indique que les enfants de parents intensivement investis ont tendance non seulement à être moins indépendants, mais également moins attentifs et soucieux des sentiments des autres (273).

Beaucoup parmi ces enfants ont le sentiment que l'âge adulte commence seulement à l'âge de trente ans (274).

En outre, comparés aux autre générations, ils sont plus susceptibles de souffrir d'une basse estime de soi (275), de dépression, d'anxiété et de stress (276).

Les recherches montrent que les enfants de parents intensivement investis quittant le foyer conservent un contact permanent avec leurs parents par le biais de l'internet et du téléphone portable. Toutefois, cette communication continuelle infantilise le jeune en le maintenant dans un état constant de dépendance (277). Si jamais la plus petite difficulté paraît, ils s'en remettent, pour être guidés, automatiquement à leurs parents (278).

Il apparaît qu'un investissement parental plus élevé a contribué au déclin des prises de décisions et des capacités d'adaptation des étudiants.

Ils ne sont pas capables d'analyser les décisions importantes associées à la transition lycée-université (279). Ces déficiences soumettent cette génération d'enfants adultes, comparée aux générations précédentes, au risque élevé de faire de mauvais choix en matière d'alcool, de drogues, d'abus et de relations sexuelles (280).

De surcroît, ils sont plus sujets aux conflits non résolus et croissants avec leurs camarades de chambre et à la malhonnêteté intellectuelle (281).

Les autorités universitaires ont observé que, dans leur tentative d'empêcher leurs enfants de faire des erreurs, les parents encouragent leur dépendance (282). Par conséquent, les universités sont de plus en plus concernées par le fait que le style parental intensif inhibe le développement des étudiants vers l'état adulte indépendant (283).

En outre, les risques de l'investissement parental intensif ne trouvent pas seulement leur origine dans l'extension au jeune adulte de cette pratique d'élevage de l'enfant. La source du problème gît dans le style d'investissement parental lui-même. Le psychanalyste Bruno Bettelheim explique que le monde intérieur des enfants est appauvri par l'absence d'espace mental suffisant dédié au jeu (284). Le jeu est un mécanisme central à travers lequel les enfants entrent en relation avec le monde environnant et développent leur sens de l'indépendance et de la séparation (285). Or, l'investissement parental intensif demande une surveillance intense qui limite significativement le jeu (286). Le processus de séparation des parents est essentiel au développement sain de l'enfant ; mais le surinvestissement parental pourrait bien le mettre en danger (287).

Finalement, si certains enfants peuvent être réceptifs au style parental intensif, d'autres peuvent percevoir ce style parental comme du surinvestissement. Le style parental intensif peut tout simplement se révéler trop intense pour certains enfants.

Un mère, directrice de rédaction d'un journal, rapporta que, dans le but de passer plus de temps avec sa fille et de conserver sa carrière, elle décida de travailler de nuit ; or, ce fut sa fille qui « la poussa à travailler la journée . Il semble qu'elle pensa qu'avoir une Maman dans les pattes la plupart du temps n'était pas si marrant que ça, spécialement si Maman est toujours limite (288). » En effet, « [les] enfants sont le centre du ménage et tout tourne autour d'eux », observe un mère préoccupée, « [et] vous pouvez, dans ce cadre, rendre vos gosses complètement dingues (289). » (p. 1274-1277)

Notes

(15) Lisa Belkin, « Let the Kid Be », in N.Y. Times, 31 mai 2009, p. MM19.
(16) Nous empruntons et retouchons le terme utilisé par Sharon Hays, « Intensive Mothering  », cf. Sharon Hays, The Cultural Contradictions of Motherhood, p. 1-18 (1996).
(46) Cf. Hays, op. cit., p. 8.
(47) Annette Lareau, Unequal Childhoods : Class, Race and Family Life, (2003), p. 31.
(260) Cf. Hays, op. cit., p. 44 (discutant de la relation entre les normes contemporaines du style parental intensif et les théoriciens de l'attachement); Tali Schaefer, « Disposable Mothers: Paid In-Home Caretaking and the Regulation of Parenthood », in Yale Journal of Law & Feminism, n° 19, 2008, p. 336-37.
(261) Cf. Lareau, op. Cit., p. 5-6.
(262) Wendy S. Grolnick & Richard M. Ryan, « Parents Styles Associated with Children’s Self-Regulation and Competence in School », in J. Educ. Psychol., n°81, 1989, p. 149-51 (indiquant que les mères investies façonnent des enfants possédants de plus hauts grades universitaires); Timothy Keith et al., « Does Parental Involvement Affect Eighth-grade Student Achievement ? : Structural Analysis of National Data », in Sch. Psychol. Rev., n°22, 1993, p. 474 (démontrant qu'un investissement parental croissant a un impact direct sur la motivation des enfants, leur réussite et le temps passé à faire les devoirs à la maison).
(263) Cf. Grolnick & Ryan, op. cit., p. 143 (indiquant que les enfants de mères investies sont moins susceptibles d'être perturbateurs à l'école).
(264) Pour une approche plus générale, cf. David C. Schwebel et al., « Interactions Between Child Behavior Patterns and Parenting : Implications for Children’s Unintentional Injury Risk », in J. Pediatric Psychol., n° 29, 2004, p. 93, (abordant la corrélation entre le style parental intensif et la probabilité décroissante de blessure pour l'enfant).
(265) Sara Lipka, « Helicopter Parents Help Students, Survey Finds », in Chron. Higher Educ., 9 nov. 2007, p. A1 (citant un sondage indiquant que les étudiants dont les parents interviennent en leur nom sont plus actifs et satisfaits de l'université).
(266) Hara Estroff Marano, « A Nation of Wimps », in Psychol. Today, n°37, 1er novembre 2004, p. 64-66. , consultable à http://www.psychologytoday.com/articles/pto-20041112-000010.html.
(267) id., p. 62.
(268) Cf. Gill Valentine, « ‘My Son’s a Bit Dizzy.’ ‘My Wife’s a Bit Soft’: Gender, Children and Cultures of Parenting », in Gender, Place & Culture, n° 4 , p. 37-38 (1997); Gill Valentine, « “Oh Yes I Can.” “Oh No You Can’t”: Children and Parents’ Understandings of Kids’ Competence to Negotiate Public Space Safely », in Antipode, n° 29, 1997, p. 73.
(269) Tina Kelley, « Dear Parents: Please Relax, It’s Just Camp », in N. Y. Times, 26 juillet 2008, p. A1.
(270) Cf. par exemple, Wendy S. Grolnick & Kathy Seal, Pressured Parents, Stressed-out Kids : Dealing with Competition while Raising a Successful Child, 2008, p. 21-38 (argumentant du fait qu'un contrôle excessif de touts les aspects de la vie de l'enfant diminue, en fait, la motivation et les compétences de l'enfant) ; Richard Weissboard, The Parents we Mean : How Well-intentioned Adults Undermine Children's Moral and Emotional Development, 2009, p. 81-97 (2009) (illustrant le fait que la proximité accentuée entre les parents et les enfants fait obstacle à la capacité des enfants de se séparer avec succès de leurs parents); Gill Valentine & John McKendrick, « Children’s Outdoor Play: Exploring Parental Concerns About Children’s Safety and the Changing Nature of Childhood », in Geoforum, n°28, 1997, p. 220, (1997) (argumentant du fait qu'un nombre moindre d'enfants jouent dehors que par le passé, principalement à cause des angoisses de leurs parents à propos de leur sécurité, et que cette tendance est en train de changer la nature de l'enfance).
(271) Cf. Lareau, op. cit., p. 67; Barbara K. Hofer & Abigail Sullivan Moore, The Iconnected Parent : Staying Close to your Kids in College (and Beyond) While Letting Them Grow Up, 2010, note p.90, p. 45-49 (rendant compte d'une étude sur des étudiants montrant que le style parental intensif est corrélé à des problème d'autorégulation, comprenant la gestion du temps, l'organisation et d'autres capacités inhérentes à l'étude).
(272) Cf. Lareau, op. cit., p. 83.
(273) Jean M. Twenge, Generation Me : Why Roday's Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – And More Miserable Than Ever Before, 2006, p. 25.
(274) id., p. 97.
(275) Alvin Rosenfeld & Nicole Wise, « The Over-Scheduled Child: Avoiding the Hyper-Parenting Trap », in Child & Adolescent Behavior Letter, n° 17, 2001, p. 6.
(276) Twenge, op. cit., p. 104-05; Anna M. L. van Brakel et al., « A Multifactorial Model for the Etiology of Anxiety in Non-Clinical Adolescents: Main and Interactive Effects of Behavioral Inhibition, Attachment and Parental Rearing », in Child Fam. Stud., n° 15, 2006, p. 570. Certes, les taux de dépression et d'anxiété ont augmenté dans les autres secteurs de la population, mais l'augmentation des niveaux de dépression et d'anxiété a été particulièrement forte chez les enfants et les étudiants. Twenge, op. cit., p. 107.
(277) Marano, op. cit., p. 64-66. Mais cf. Naomi Cahn & June Carbone, Red Families v. Blue Families : Legal Polarization and The Creation of Culture, 2010, p. 57-58; Courriel de June Carbone à Gaia Bernestein (12 octobre 2009) (argumentant du fait que, par le passé, les enfants, et particulièrement les femmes, quittaient la surveillance parentale pour entrer dans celle d'hommes mariés, au sein du mariage ou sur les lieux de travail, alors que, désormais, comme l'âge adulte est retardé, la surveillance parentale remplace minutieusement les structures surveillées des générations précédentes.
(278) Marano, op. cit., p. 66. Mais cf. Cahn & Carbone, op. cit. ; Courriel de June Carbone à Gaia Bernstein, op. cit.
(279) Hofer & Moore, op. cit., p. 39-40 (rapportant qu'une étude portant sur des étudiants démontre que les étudiants qui ont les contacts les plus fréquents avec leurs parents, se montrent moins autonomes que les autres étudiants) ; Darby Dickerson, « Risk Management for the Modern Campus », in Campus Activities Programming Mag., janvier-février 2007, p. A12-13.
(280) id.
(281) id.
(282) Judith Hunt, « Make Room for Daddy . . . And Mommy: Helicopter Parents Are Here ! », J. Acad. Admini. Higher Educ., printemps 2008, p. 9, consultable à http://jwpress.com/JAAHE/Issues/JAAHE-Spring2008.pdf?Spring07=Spring+2008+Issue+
(283) id.
(284) Bruno Bettelheim, « The Importance of Play », in Atlantic Monthly, mars 1987, p. 35, rediscuté dans Judith WARNER, Perfect Madness : Motherhogg in the Age of Anxiety, 2005, p. 235.
(285) Cf. David Elkind, « Thanks for the Memory: The Lasting Value of True Play », Young Children, n° 58, 2003, p. 46 (2003) (discutant de l'importance du libre jeu).
(286) Valentine & McKendrick, op. cit., p. 220-21; David Elkind, « Playtime Is Over » , in N.Y. Times, 27 mars 2010, p. A19 (rapportant que les écoles embauchent des « coachs de récréation » afin de surveiller les étudiants pendant ce temps).
(287) Cf. WARNER, op. cit., p. 235, 237. Pour une approche plus générale, cf. Mary D. Salter Ainsworth, « Infant-Mother Attachment », in Am. Psychologist, n°34, 1979, p. 932 (suggérant que le sain attachement mère-enfant implique, entre autres choses, de nourrir le sentiment de sécurité du petit enfant dans le cadre du lien mère-enfant et, ainsi, la capacité d'une séparation sans anxiété) ; Arlene Skolnick, « The Myth of the Vulnerable Child », Psychol. Today, février 1978, p. 60 (sur le fait, par la surprotection parentale, de nourrir « l'impuissance acquise » des enfants) ; Kenneth Sullivan & Anna Sullivan, « Adolescent-Parent Separation », Developmental Psychol., n°16, 1980, p. 93 (démontrant que la séparation est cruciale dans la mesure où elle facilite la croissance des garçons et leur développement sain en tant qu'adultes indépendants, tout en conservant les liens émotionnels avec leurs parents).
(288) WARNER, op. cit., p. 4.
(289) id., p. 6.

Référence

Gaia BERNSTEIN & Zvi TRIGER, « Over-Parenting », UC Davis Law Review, vol. 44, n°. 4, 2011. La version française présentée ci-dessus est le fait de l'auteur de ce blog.

samedi 6 octobre 2012

Les mères abusives, 2006


L'amour maternel abusif est essentiellement captatif. La mère se sert de l'enfant en dépit d'une façade en apparence désintéressée.

- Elle veut que le comportement et les sentiments de l'enfant soient conformes à ce qu'elle attend de lui, c'est-à-dire qu'il vienne :

▪ compenser ses insatisfactions affectives profondes (recours à l'enfant),
▪ réaliser un idéal manqué car le plus souvent irréalisable,
▪ ou simplement épouser ses idées toutes faites et ses préjugés sociaux.

- Elle veut la perfection en tout et des succès qui lui fassent honneur.

- Elle veut, en outre, des preuves de soumission pour être sûre de ne pas laisser échapper cet enfant qui sert ses propres desseins. Tout témoignage de personnalité, toute manifestation timide d'autonomie est une atteinte portée à son amour maternel.

- La mère abusive veut enfin des preuves d'amour pour compenser ses insatisfactions affectives.

La mère abusive est exigeante, mais elle est aussi inconsciente du caractère anormal de son amour. C'est presque toujours en toute bonne foi que la tyrannie affective maternelle entre en jeu. La mère de l'anorexique mentale, par exemple, tyrannise sa fille sous des manifestations extérieures d'affection, se déclarant prête à tous les sacrifices pour la guérir, mais refusant énergiquement une séparation pourtant indispensable, prétendant que ce serait une erreur et que les médecins qui la préconisent se trompent. Et tout aussi inconsciemment, le fille continue de refuser les aliments qui symbolisent pour elle cet apport affectif de mauvais aloi.

- C'est parmi les femmes qui n'ont pas accepté leur féminité qu'on trouve le plus grand nombre de mères tyranniques. Pour des raisons personnelles, elles n'ont pu devenir pleinement des femmes. N'ayant pu assumer leur féminité, elles ont tendance à condamner ce qu'elles ne peuvent avoir, tout en essayant de compenser cette soi-disant infériorité par des manifestations de puissance et d'autorité, si faciles à exercer auprès de leurs propres enfants.

- Un autre type assez fréquent de mère abusive est celui de la mère scrupuleuse à l'excès. Il s'agit de femmes névrosées, remplies d'anxiété, de culpabilité inconsciente, qui ne savent que faire pour bien faire, écrasées par les obligations qu'elles se créent elles-mêmes, qui s'épuisent et épuisent leur entourage à la recherche d'une perfection jamais atteinte. Ce sont les mères surprotectrices et perfectionnistes qui exigent de l'enfant ordre rigoureux, exactitude, propreté absolue, etc.

La mère possessive aime trop exclusivement son enfant et le surcharge d'une affection débordante et trop exigeante, si bien que celui-ci sera fragile et sans défense face à la vie.

- L'excès de sollicitude et de marques extérieures d'amour maternel peut aussi masquer l'indifférence ou l'agressivité, ce dont l'enfant n'est pas dupe.


Les conséquence de l'amour maternel abusif

L'amour maternel abusif est captatif. Ne pouvant se mettre à la place de son enfant, la mère ne peut pas comprendre ni satisfaire correctement ses besoins, l'aider et l'éclairer. Elle en parviendra pas à saisir les motifs de ses réactions affectives, de son comportement et agira souvent à contretemps sur le plan éducatif. La mère qui prétend bien connaître son enfant et savoir ce qu'il lui faut sait en réalité ce qui convient à elle-même. En revanche, elle ne comprend pas grand-chose à son enfant. Elle a tendance à interpréter comme des offenses dirigées contre elle les erreurs que l'enfant fait sans malice.

Une mère normale sait qu'élever son enfant, c'est lui apprendre à se passer d'elle. C'est précisément ce que redoute et refuse la mère abusive, qui s'efforce de pérenniser chez lui le bébé qui était entièrement sous son pouvoir.

L'enfant n'est pas indifférent aux sentiments affectifs réels de ses parents et y réagit de différentes façons.

- C'est tout d'abord son sentiment de culpabilité qui entre en jeu : si quelque chose ne va pas entre sa mère et lui, celle-ci ne peut en être responsable puisque, en tant que parent, elle est douée de perfection ; le coupable ne peut donc être que lui-même.

- L'immaturité affective, avec ses multiples manifestations infantiles (énurésie, encoprésie, parler bébé, suçage prolongé du pouce, caprices alimentaires, turbulences en présence de la mère) a souvent pour cause principale un amour maternel abusif.

L'avenir de ces enfants victimes d'une mère abusive dépend de leur personnalité propre. 

Beaucoup garderont toute leur vie, sous forme d'un infantilisme affectif, la marque de cette arriération affective, pour avoir été trop longtemps freinés dans leur développement par l'amour abusif de leur mère. Ils seront incapables de couper le cordon ombilical psychologique.

Référence

Marie-Noël Tardy-Ganry et Thérèse Durandeau, Les troubles de la personnalité chez l'adolescent. Comment réagir en tant que parent ?, coll. Éclairages, Studyparents, 2006, p. 88-90. Les tirets et points de mise en forme sont un ajout de l'auteur de ce blog, destiné à la meilleur compréhension du texte.

Les carences affectives d'origine maternelle, 2006


Ce sont les séparations durables survenues pendant les trois premières années et notamment du sixième au quinzième mois qui sont les plus graves.

De trois à cinq ans, les enfants, ne vivant plus exclusivement dans le présent, n'ont plus cette impression d'abandon total et peuvent imaginer vaguement un temps où leur mère reviendra. Le développement du langage élémentaire leur permet aussi de meilleurs contacts sociaux.

Après l'âge de cinq ans, les troubles du développement deviennent rares et moins graves.

En revanche, les conséquences fâcheuses d'une carence maternelle se manifestent sur le plan de l'évolution affective.

Les enfants ayant dépassé l'âge de cinq supportent d'autant mieux la séparation que leurs relations antérieures avec leur mère a été meilleures. Un enfant qui a acquis une sécurité de base suffisante n’interprétera pas l'éloignement du milieu familial comme une punition et un abandon. Il adhérera plus aisément aux raisons qui lui sont fournies.

Les manifestations tardives, chez l'adolescent ou chez l'adulte, de la carence affective infantile durable revêtent des formes différentes de celles présentées chez les jeune enfant. Elles n'en sont pas moins la traduction du caractère indélébile de la souffrance affective subie par l'enfant.

Ce qui les caractérise avant tout, c'est un trouble profond de l'affectivité et, partant, l'inaptitude des individus à établir des relations sociales normales.

Par ailleurs, on a pu remarquer chez les sujets qui ont souffert de ce type de carence affective :
- la présence fréquente d'une difficulté à soutenir l'attention, 
- l'instabilité, 
- le manque d'esprit critique, 
- le manque de sens des réalités objectives 
- et l'inaptitude à l'abstraction pure ou au raisonnement logique.

On peut aussi se demander si cette carence affective infantile durable n'engendrerait pas certaines formes de schizophrénies juvénile, qui sont avant tout caractérisées par :
- des troubles de l'affectivité, 
- un contact défectueux sur le plan individuel 
- et une mauvaise adaptation sociale. 

Certains enfants qui en ont souffert n'ont pu, devant les exigences accrues de l'adolescence, maintenir les compensations qu'ils avaient pu créer et qui avaient été jusqu'alors suffisantes.

Les troubles des relations sociales sont très fréquentes chez les adolescents qui ont souffert d'une carence affective à la suite d'une séparation avec leur mère ou d'une relation perturbée avec elle.

La délinquance étant le témoignage le plus évident d'une mauvaise adaptation sociale, on ne s'étonnera pas de la rencontrer fréquemment chez les jeunes carencés sur le plan affectif. Les principales manifestations de cette délinquance juvénile sont la prostitution, le vol et la fugue.

Un certain nombre d'études ont mis en évidence la fréquence de la carence affective et du mauvais exemple maternel chez les jeunes prostituées.

Certains vols, dit de « compensation affective », se rencontrent chez des enfants ou des adolescents qui souffrent d'un manque d'affection, notoire ou méconnu. Ces vols ont des caractères bien spécifiques : ils portent le plus souvent sur des friandises ou sur de l'argent qui permet de s'en procurer, mais cet argent n'est jamais mêlé à celui que l'enfant peut par ailleurs posséder légitimement. C'est un vol « généreux », dans la mesure ou l'enfant en distribue volontiers le produit à ses camarades. Tout se passe comme si le produit matériel du vol ou les satisfactions procurées ainsi aux autres pouvaient combler symboliquement le vide affectif béant du cœur du jeune voleur.

Les fugues, enfin, ne sont pas rares chez les jeunes souffrant de carences affectives ou chez ceux qui croient en souffrir. Le « vagabondage-test » est le plus souvent le fait d'un jeune qui, se croyant mal aimé, par à l'aventure avec, au fond du cœur, l'impatience de connaître la réaction de ses parents, car c'est d'après l'anxiété que ceux-ci manifesteront alors à son égard qu'il jugera de la réalité et de la profondeur de leur affection.

Référence

Marie-Noël Tardy-Ganry et Thérèse Durandeau, Les troubles de la personnalité chez l'adolescent. Comment réagir en tant que parent ?, coll. Éclairages, Studyparents, 2006, p. 86-88.

vendredi 21 septembre 2012

La surprotection parentale, selon D. Bailly, 2005


Plusieurs auteurs ont fait la constatation suivante : les parents des enfants inhibés et présentant des troubles anxieux ont eux-mêmes des taux significativement plus élevés de troubles anxieux, comparativement aux parents des enfants ne présentant qu'une inhibition comportementale et aux parents des enfants ne présentant ni inhibition comportementale, ni troubles anxieux.

Autrement dit, la présence chez les parents de troubles anxieux augmente le risque pour un enfant inhibé de développer lui-même des troubles anxieux. On sait maintenant que ce ne sont pas tant les troubles anxieux en eux-mêmes qui vont ici jouer un rôle, mais plutôt les attitudes de surprotection et d'hypercontrôle que l'on retrouve fréquemment chez les parents présentant des troubles anxieux.

Dans le cas du trouble anxiété de séparation, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle semblent intervenir de façon à la fois directe et indirecte.

De façon indirecte, elles renforcent la stabilité de l'inhibition comportementale, ce qui augmente le risque chez les enfants inhibés de développer un trouble anxiété de séparation.

De façon directe, nous y reviendrons, elles interviennent elles-mêmes dans le développement du trouble anxiété de séparation en faisant obstacle au processus de « désensibilisation naturelle » que vivent habituellement les enfants vis-à-vis de la peur de séparation (…) (p.97-98).


Les attitudes de surprotection

Dans le même ordre d'idées, des attitudes parentales de surprotection, d'hypercontrôle et de critique exagérée peuvent aussi, directement ou en interaction avec d'autres facteur de risque, favoriser le développement de troubles anxieux chez l'enfant (22, 23).

- Les mises en garde, voire les interdictions répétées,
- le besoin constant d'avoir son enfant dans son champ visuel, de savoir où il est, ce qu'il fait, avec qui,
- les réactions inopportunes de précipitation dès qu'il lui arrive quelque chose,
- les pressions excessives concernant sa conduite

sont des attitudes fréquemment retrouvées chez les parents d'enfants présentant un trouble anxiété de séparation, en particulier chez les mères.

Comme on l'a vu, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle sont susceptibles d'intervenir dans la genèse du trouble anxiété de séparation :

- soit directement,
- soit en favorisant le développement d'un style d'attachement anxieux,
- soit encore en interagissant avec le tempérament de l'enfant.

Plus globalement, les attitudes parentales de surprotection et d'hypercontrôle peuvent interférer avec les processus d'acquisition par l'enfant de compétences sociales et de stratégies de résolution de problèmes efficaces, entraînant ainsi chez lui des difficultés à faire face aux événements de la vie stressants.

Elles peuvent entraîner chez l'enfant des doutes sur sa valeur personnelle et un manque de confiance dans ses capacités de réussite (24).

- Acquérir l'estime de soi,
- apprendre à faire face aux événements de la vie,
- à résister aux pressions sociales,
- apprendre à s'affirmer,
- à négocier,
- à résoudre les problèmes interpersonnels,
- s'impliquer dans la vie communautaire,
- développer ses centres d'intérêts

sont autant de domaines au travers desquels l'enfant doit pouvoir appréhender ses propres limites mais aussi découvrir ses ressources personnelles pour y faire face.

Les enfants produisent spontanément des mécanismes d'adaptation. Ils sont inventifs pourvu qu'on les aide à mettre en mouvement leurs capacités créatrices ?

Au contraire, 

- en excluant la spontanéité des expériences vécues par l'enfant,
- en l'empêchant d'expérimenter ses propres capacités d'adaptation,
- en l'empêchant d'expérimenter son aptitude au compromis,

l'enfant va progressivement apprendre à faire ce qu'il pense qu'on attend de lui. Il va progressivement apprendre à ressembler à l'enfant imaginaire que les parents portent en eux, répondant à tout ce qu'ils attendent de lui. Ce faisant, l'enfant ne pourra fonctionner de manière adéquate qu'en référence au modèle de ses parents. Dans les situations requérant sa participation active, dans les relations de la vie quotidienne, à l'école ou ailleurs, il risque d'être mis en difficulté s'il ne trouve pas dans l'environnement les conditions nécessaires au maintien de son équilibre.

Les comportements de dépendance, d'agrippement et de recherche de proximité physique, qui se manifestent dans le trouble anxiété de séparation, peuvent ainsi être encouragés par les attitudes parentales. (…)

De telles attitudes de surprotection et d'hypercontrôle se rencontrent fréquemment chez les parents qui présentent eux-mêmes des troubles anxieux.

Mais elles peuvent aussi être induites par l'enfant : les réponses affectives et le style éducatif des parents dépendent en partie des caractéristiques individuelles de l'enfant. Elles peuvent ainsi être induites par les traits de tempérament que présente l'enfant. Avoir un enfant inhibé, timide et réservé peut conduire certains parents à le surprotéger en lui évitant toute confrontation aux situations qui le gênent et le mettent mal à l'aise, et ce d'autant plus que l'enfant est jeune.

De même, elles peuvent être induites par des événements tenant à l'histoire de l'enfant. Avoir un enfant fragile (ou pensé comme tel), prématuré, handicapé ou malade, ou un enfant « précieux », né après le décès d'un autre enfant, ou par insémination artificielle peut conduire certains parents à adopter envers lui des attitudes de surprotection anxieuse.

Mais vouloir toujours nourrir son enfant plutôt que de l'aider à apprendre à se nourrir c'est aussi risquer de e conduire à mourir de faim si l'on est plus là. (p. 128-130)


Référence

Daniel Bailly, La peur de la séparation. De l'enfance à l'âge adulte, Odile Jacob, Paris, mai 2005. La présentation du texte ici proposé est le fait de l'auteur de ce blog.

jeudi 20 septembre 2012

La surprotection maternelle selon D. Levy, 1943


Dans un travail sur la surprotection maternelle dans lequel il réunit la sensibilité du clinicien et le souci de contrôle et de systématisation de l'expérimentateur, D. Levy (1943) a essayé de décrire la genèse d'une relation enfant-parent particulière, et de comprendre les conséquences qu'elle a pour le développement de la personnalité.

À cet effet, Levy choisissait un certain nombre de « cas purs » permettant d'approcher la rigueur de l'étude bien contrôlée, et les étudiait ensuite en profondeur à la façon du clinicien.

En étudiant des mères surprotectrices, Levy trouvait que leur relation à leur enfant présentait trois caractéristiques :

- un contact excessif,
- des soins maternels prolongés,
- et un comportement qui empêche l'accession à l'indépendance,

et que cette surprotection se trouvait chez des mères qui souffraient d'un manque d'affection parentale dans leur enfance.

Leur attitude surprotectrice semble donc en rapport avec leurs propres expériences d'enfant et représenter une satisfaction substitutive de leur propres besoin d'affection.

Il faut cependant remarquer que le comportement surprotecteur semblait avoir des motivations diverses et que l'on a décrit différents types sont l'exemple donné ici est celui dans lequel la surprotection portait sur un enfant désiré et se manifestait dans un comportement affectueux.

Dans d'autres cas de surprotection, des mères luttaient avec des sentiments de rejet de l'enfant, dans d'autres encore la surprotection se trouvait associée à la domination ou à la faiblesse de la mère.

Concernant l'effet de ces types de surprotection, Levy constate que les enfants de mères surprotectrice-dominatrices tendent à être :

- dociles,
- soumis,
- polis,
- appliqués en classe
- et à avoir peu d'amis.

Les enfants de mères surprotectrices faibles, par contre, montrent une tendance à être :

- tyranniques,
- désobéissants,
- exigeants,
- à manquer de contrôle
- et à faire l'enfant gâté.


Référence

Winfrid Huber, Introduction à la psychologie de la personnalité, Pierre Mardaga, Liège, 1995, p. 134-135.

jeudi 7 juin 2012

Le stéréotype masculin, selon W. Holstein, 1997



1. Le rôle traditionnel de l'homme.

La masculinité est habituellement associée au pouvoir, à l'exercice de l'autorité et à la force. Les postulats suivants découlent de ce stéréotype masculin :

  • Les hommes doivent dominer pour prouver leur masculinité.

  • Le pouvoir, l'émulation et l'autorité sont des ingrédients nécessaires à l'affirmation et à la confirmation de l'autorité.

  • Le travail et la carrière sont les principaux critères de la masculinité.

  • Les hommes croient que le travail et la réussite garantissent le bonheur personnel.

  • La vision et le respect de soi dépendent essentiellement des succès remportés et des progrès réalisés.

  • Les émotions et les sentiments sont, chez les hommes, des signes de féminité.

  • La vulnérabilité est une signe de faiblesse (féminine) et devrait en conséquence être évitée.

  • La maîtrise de soi et le contrôle des autres sont indispensables pour que les hommes se sentent en sécurité.

  • Dans l'esprit d'un homme, rechercher aide ou soutien revient à faire preuve de faiblesse et de féminité.

  • L'intimité et l'amitié entre hommes sont dangereux pour des raisons de compétition ; la première peut déboucher sur l'homosexualité.

  • La crainte de la féminité est dominée par des pensées rationnelles.

  • Les hommes subordonnent les femmes par la domination et le pouvoir, voire par la violence.

  • La sexualité est, pour l'homme, un moyen de prouver sa masculinité (voir O'Neil 1982, Zulehner, 1993).


2. Les inconvénients de la masculinité classique.

Il a été prouvé que les principes susmentionnés avaient des effets négatifs sur les hommes. 

O'Neil décrit six problèmes généraux de la masculinité classique :

  • une émotivité restrictive

  • une homophobie

  • des problèmes de domination, de pouvoir et d'émulation en société

  • des comportements sexuels et affectifs restreints

  • l’obsession de la réussite et du succès

  • des problèmes de santé (1982).

« La peur de la féminité contribue à restreindre la sensibilité des hommes et explique les difficultés qu'ils rencontrent pour accepter et exprimer leurs émotions. Ces difficultés sont liées aux valeurs sociales de la mystique masculine. Les hommes répriment leurs émotions, car ils craignent que leurs sentiments soient associés à la féminité, ce qui menacerait leur rôle d'homme. C'est pourquoi ils abordent les gens et la vie en général d'une manière cognitive et rationnelle. » (O'Neil 1982, 24).

La domination , la maîtrise et la compétition constantes ont en réalité un coût élevé. Les hommes qui fréquentent les « centres d'hommes » en Autriche, en Allemagne et en Suisse font part des problèmes suivants :

  • augmentation des problèmes de couple et de relations ; un nombre croissant d'hommes avoue être incapable de rivaliser avec des femmes ;

  • insécurité sur le plan émotionnel ; de plus en plus d'hommes ne peuvent faire face à l'émancipation des femmes et à l'indépendance des femmes modernes ;

  • problèmes sexuels comme l'impuissance, l'éjaculation précoce et l'indifférence, etc.

  • vitalité et joie de vivre réduites, frustration et léthargie accrues, manque d'ambition ; 

  • absence de véritable ami (homme) et de réseaux sociaux, isolation et anxiété ;

  • absence de moyen permettant de faire face aux problèmes émotionnels et aux difficultés de la vie quotidienne, d'où le refuge dans l'alcool et la drogue, l'accroissement des maladies liées au stress, la prise de risques, le vandalisme et la violence (Manuege 1989).

Malgré le point de vue que notre société a des hommes, il est évident que ceux-ci peuvent être les victimes de leur propre rôle masculin.


Référence.

Dr Walter HOLSTEIN, « Les nouveaux rôles masculins et leurs avantages pour les hommes et leurs familles. », in Conseil de l'Europe, Actes du séminaire international Promouvoir l'égalité : un défi commun aux hommes et aux femmes, Strasbourg (France), 17-18 juin 1997, Conseil de l'Europe, juin 1998, p. 33-34.

vendredi 18 novembre 2011

Traumatisme et « mauvaise rencontre »


A) Lacan qualifie le trauma de « mauvaise rencontre » entre le sujet et le réel traumatique.

Le trauma se situe à trois niveaux : 

- le réel : le choc traumatique ;
- l’imaginaire : le destin du trauma dans l’imaginaire ;
- le symbolique : qui noue les deux autres dimensions, à travers le langage et échoue à le faire.

(…) Le premier trauma qui se situe dans les premiers temps de la vie, est représenté par l’expérience d’effroi, quand l’objet vient à manquer, « l’excitation la plus douloureuse que puisse connaître cet appareil primitif » (Dorey, 1983).

(…) Cette expérience ne sera l’objet d’aucun investissement, en raison du déplaisir qu’elle comporte : le représentant psychique correspondant n’accédera jamais à la conscience, elle en laissera qu’une trace psychique douloureuse, une réalité irreprésentable.

Avec l’affect d’effroi, c’est l’expérience de solitude absolue, de rupture de tous les liens communautaires et culturels qui caractérise le traumatisme psychique. (Barrois, 1988).

Le trauma constitue une confrontation avec la mort que certains sujets ne pourront intégrer.

Les troubles qui en découleront peuvent être interprétés comme « une conséquence directe de l’angoisse pour la vie ou angoisse de mort... » (Freud, 1926)

« Il s’agit d’une menace qui concerne non seulement la vie du sujet en tant qu’être vivant, mais également sa vie psychique avec un risque d’effondrement, d’anéantissement. » (Chabee-Simper, 1999)

« Le trauma psychique et par suite son souvenir, agissent à la manière d’un corps étranger qui, longtemps encore après son irruption, continue de jouer un rôle actif » (Freud et Breuer, 1892). Même dénié ou refoulé, il continue à être agissant et peut resurgir ultérieurement, à l’identique, comme si c’était hier ».


Référence.

Éliane Ferragut, Émotion et traumatisme: le corps et la parole, Masson, Paris, 2005, p. 78-79.


B) Le traumatisme de par sa soudaineté et l’importance de l’excitation qui y est liée, de même que du fait de l’impossibilité à y répondre, à s’en protéger, provoque une véritable effraction. Le sujet se retrouve nez à nez avec l’impensable. C’est en ce sens que Jacques Lacan élabore cette question. Le traumatisme serait plus particulièrement une rencontre non manquée avec le réel, qui se dérobe devant le sujet. Ce dernier à défaut de fantasme ne peut se protéger. (…) De là, on peut penser qu’une partie de ce qui est vécu échappe au processus de symbolisation et donc au langage. Se déroule alors un court circuit du signifiant, du fait de la rencontre avec le vide

(…) Sigmund Freud notait dans Introduction à la psychanalyse (2001) « les malades nous laissent l’impression d’être pour ainsi dire fixés à un fragment de leur passé et ne pouvoir s’en dégager, d’être par conséquent étranger au présent et au futur ». N’est-ce pas ainsi, ce que l’on retrouve par rapport à ce voile posé sur son passé, à ce retour perpétuel du même, (...) figeant à ce moment traumatique, mais aussi ce que l’on observe dans (…) [l’] impossibilité à se projeter dans l’avenir ? (…) [La] vie semble non plus se dérouler sur un mode linéaire, mais circulaire dans ce retour intrusif du passé.


Référence.

C. Vrignaud, « La mauvaise rencontre ou le face à face avec l’impensable: clinique de la violence intentionnelle », Journal International De Victimologie, tome 6, n°2, janvier 2008, p. 146.


C) (…) le traumatisme n'est pathogène que dans l'après-coup. Il faut donc un second traumatisme pour révéler le premier, souvent resté invisible jusque-là. Il ne faut pas oublier non plus que la longueur du développement du psychisme humain rend possible un grand nombre de micro-traumatismes, de traumatismes cumulatifs, dont la somme est plus pathogène qu'un seul traumatisme évident.

(…) l'effraction des filtres psychiques que Freud appelait le pare-excitations, le débordement économique au moment du trauma, créent une lacune dans le psychisme. Cela se traduit par des phénomènes d'hallucination négative, de clivage défensif ou de déni, lesquels masquent souvent le véritable contenu du trauma, dont seule la compulsion de répétition peut faire entrevoir l'origine. Comme si les seules traces du trauma étaient le trou qu'il a laissé dans la psyché.

Mais comme si cela ne suffisait pas, il faut ajouter que le trauma peut aussi venir de l'intérieur, lorsque le sujet attend une expérience que son entourage ne peut lui fournir. Ce peut être une carence criante de l'environnement ; mais ce peut être aussi une défaillance relative à la constitution particulière du sujet, qui exige des rencontres qui ne sont pas possibles dans son contexte familial, par ailleurs pas forcément si pathologique. Ce sont ces traumas-là qui ont été évoqués dans mon titre sous le terme de traumatismes « par manque de réalité ».

L'événement traumatique en lui-même, du fait de ses conditions d'inscription dans la mémoire, est mal représenté. Les traces mnésiques font l'objet d'un effacement, et lorsqu'elles font retour, elles se situent dans un no-man's-land, une réalité dont on ne sait si elle est intérieure, de l'ordre de la réalité psychique, ou extérieure, de l'ordre de la réalité historique (réalité qu'on a coutume d'appeler réalité extérieure, mais il n'est pas toujours aisé de déceler ce qui appartient au matériel, à la vision de l'événement par l'entourage, ou aux normes éducatives en cours).

(…) Un indice de la réalité des faits peut être fourni par la force de la répétition (tous les jours), mais la seule réalité vraiment certaine, c'est celle de la mauvaise rencontre psychique. Et encore, le vrai traumatisme est toujours comme la forêt cachée par l'arbre invoqué par le patient : (…).

L'absence de préparation, de représentation concernant la situation traumatique, confronte le sujet à une perte de son emprise narcissique sur le monde extérieur, sur le monde des objets. La compulsion de répétition est une façon de tenter, comme dans le jeu répétitif de l'enfant à la bobine (dans l'Au-delà du principe de plaisir, en 1920), de rétablir cette emprise par la mise en scène du trauma, d'où les rêves répétitifs des névroses traumatiques.

(…) Dans la mélancolie aussi, l'objet perdu (dont la perte constitue un trauma) est irreprésentable. Le sujet ne sait pas ce qu'il perd en l'objet, et le deuil ne peut pas être fait parce qu'il est mal représenté, dit Freud dans Deuil et mélancolie. Par cette lacune, se produit une hémorragie de la libido. L'ombre de l'objet qui retombe sur le moi, libérant la pulsion de mort, est une trace mal élaborée d'un objet narcissique mal distingué du Moi, dont le deuil est par conséquent impossible. Surtout, comme dans le trauma, cette perte et sa cause sont souvent invisibles au sujet lui-même, ou bien il invoque des causes visibles qui masquent les plus profondes, laissant place à la psychologie simpliste du stress et de la causalité strictement génétique.

(…) derrière la perte d'un objet actuel, souvent assez inconsistant car choisi pour sa valeur de soutien narcissique plutôt que pour lui-même, se cache l'ombre d'un objet primitif qui a entravé sa représentation, et dont le procès retombe sur le Moi dans la mélancolie. Cet objet primitif est un de ceux qui sont significatifs de l'histoire du sujet, de ceux qui sont nécessaires pour que le sujet, enfant, puisse parvenir à une représentation de son roman familial, de son identité, et de ces liens fondamentaux que forment la mère et l'enfant, le désir et le couple parental, ou l'identification au tiers paternel. Mais ce traumatisme primaire est difficile à retrouver, car il est pris dans l'hallucination négative, le déni et le blanc de l'irreprésentable.

(…) Avec cette idée d'une partie de la réalité psychique du sujet qui lui manque, et ne peut être expérimentée par lui dans les années où elle lui serait nécessaire pour son développement psychique, nous en arrivons à la notion énigmatique que j'avais annoncée dans mon titre : les traumatismes par manque de réalité. (...)

Il s'agit d'une réalité psychique qui n'a pu se construire, à cause d'un manque dans la réalité extérieure, dans l'environnement du sujet. De ce fait, le sujet ne peut affronter certaines situations, ni développer des capacités qu'il a potentiellement en lui. La théorie du développement de l'enfant de Winnicott nous permet de le comprendre : l'objet doit être présent dans la réalité, et présenté à l'enfant au moment où celui-ci en a besoin. Mais, bien que ce soit un objet réel, il n'est dans un premier temps pour l'enfant que l'illusion de l'avoir créé lui-même : l'équivalent de sa propre réalité psychique, et son support.

Cet objet, dans l'aire de l'illusion, est donc à la fois de l'ordre de la réalité matérielle et de la réalité psychique : il fait partie de l'aire intermédiaire, où le jeu permet d'accéder à l'emprise sur la représentation, et par là sur l'objet pulsionnel. Un objet-jeu, un objet-fantasme. On comprend qu'en l'absence de certaines expériences objectales, l'enfant ne puisse parvenir à la représentation de fantasmes fondamentaux, ce qui, pour les fantasmes originaires structurants, constitue un traumatisme grave bien qu'en négatif, totalement invisible.

(…) Dans La crainte de l'effondrement, Winnicott a des formules saisissantes pour parler du traumatisme qui n'a pas pu être intégré, car il s'est produit à une époque ou dans un état où le sujet n'existait pas, où l'expérience ne pouvait pas être recueillie dans un présent identifiable comme tel. Il parle aussi du traumatisme négatif par carence d'une expérience qui aurait dû se réaliser. L'effondrement, la crainte de la mort, le vide, nous dit-il « remontent au temps qui précédait l'avènement de la maturité nécessaire pour en faire l'épreuve. Pour le comprendre, ce n'est pas au traumatisme qu'il faut penser, mais au fait que là où quelque chose aurait pu être bénéfique, rien ne s'est produit. Il est plus facile pour un patient de se souvenir d'un traumatisme que de se souvenir que rien ne s'est produit à la place de quelque chose. »


Référence.

François Duparc, « Des traumatismes invisibles ou Par manque de réalité », Introduction à la psychanalyse de l’adulte, Programme 2001-2002. « Réalité, trauma, fantasme » (programme établi par François Sacco), Société psychanalytique de Paris.