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vendredi 21 septembre 2012

La surprotection parentale, selon D. Bailly, 2005


Plusieurs auteurs ont fait la constatation suivante : les parents des enfants inhibés et présentant des troubles anxieux ont eux-mêmes des taux significativement plus élevés de troubles anxieux, comparativement aux parents des enfants ne présentant qu'une inhibition comportementale et aux parents des enfants ne présentant ni inhibition comportementale, ni troubles anxieux.

Autrement dit, la présence chez les parents de troubles anxieux augmente le risque pour un enfant inhibé de développer lui-même des troubles anxieux. On sait maintenant que ce ne sont pas tant les troubles anxieux en eux-mêmes qui vont ici jouer un rôle, mais plutôt les attitudes de surprotection et d'hypercontrôle que l'on retrouve fréquemment chez les parents présentant des troubles anxieux.

Dans le cas du trouble anxiété de séparation, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle semblent intervenir de façon à la fois directe et indirecte.

De façon indirecte, elles renforcent la stabilité de l'inhibition comportementale, ce qui augmente le risque chez les enfants inhibés de développer un trouble anxiété de séparation.

De façon directe, nous y reviendrons, elles interviennent elles-mêmes dans le développement du trouble anxiété de séparation en faisant obstacle au processus de « désensibilisation naturelle » que vivent habituellement les enfants vis-à-vis de la peur de séparation (…) (p.97-98).


Les attitudes de surprotection

Dans le même ordre d'idées, des attitudes parentales de surprotection, d'hypercontrôle et de critique exagérée peuvent aussi, directement ou en interaction avec d'autres facteur de risque, favoriser le développement de troubles anxieux chez l'enfant (22, 23).

- Les mises en garde, voire les interdictions répétées,
- le besoin constant d'avoir son enfant dans son champ visuel, de savoir où il est, ce qu'il fait, avec qui,
- les réactions inopportunes de précipitation dès qu'il lui arrive quelque chose,
- les pressions excessives concernant sa conduite

sont des attitudes fréquemment retrouvées chez les parents d'enfants présentant un trouble anxiété de séparation, en particulier chez les mères.

Comme on l'a vu, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle sont susceptibles d'intervenir dans la genèse du trouble anxiété de séparation :

- soit directement,
- soit en favorisant le développement d'un style d'attachement anxieux,
- soit encore en interagissant avec le tempérament de l'enfant.

Plus globalement, les attitudes parentales de surprotection et d'hypercontrôle peuvent interférer avec les processus d'acquisition par l'enfant de compétences sociales et de stratégies de résolution de problèmes efficaces, entraînant ainsi chez lui des difficultés à faire face aux événements de la vie stressants.

Elles peuvent entraîner chez l'enfant des doutes sur sa valeur personnelle et un manque de confiance dans ses capacités de réussite (24).

- Acquérir l'estime de soi,
- apprendre à faire face aux événements de la vie,
- à résister aux pressions sociales,
- apprendre à s'affirmer,
- à négocier,
- à résoudre les problèmes interpersonnels,
- s'impliquer dans la vie communautaire,
- développer ses centres d'intérêts

sont autant de domaines au travers desquels l'enfant doit pouvoir appréhender ses propres limites mais aussi découvrir ses ressources personnelles pour y faire face.

Les enfants produisent spontanément des mécanismes d'adaptation. Ils sont inventifs pourvu qu'on les aide à mettre en mouvement leurs capacités créatrices ?

Au contraire, 

- en excluant la spontanéité des expériences vécues par l'enfant,
- en l'empêchant d'expérimenter ses propres capacités d'adaptation,
- en l'empêchant d'expérimenter son aptitude au compromis,

l'enfant va progressivement apprendre à faire ce qu'il pense qu'on attend de lui. Il va progressivement apprendre à ressembler à l'enfant imaginaire que les parents portent en eux, répondant à tout ce qu'ils attendent de lui. Ce faisant, l'enfant ne pourra fonctionner de manière adéquate qu'en référence au modèle de ses parents. Dans les situations requérant sa participation active, dans les relations de la vie quotidienne, à l'école ou ailleurs, il risque d'être mis en difficulté s'il ne trouve pas dans l'environnement les conditions nécessaires au maintien de son équilibre.

Les comportements de dépendance, d'agrippement et de recherche de proximité physique, qui se manifestent dans le trouble anxiété de séparation, peuvent ainsi être encouragés par les attitudes parentales. (…)

De telles attitudes de surprotection et d'hypercontrôle se rencontrent fréquemment chez les parents qui présentent eux-mêmes des troubles anxieux.

Mais elles peuvent aussi être induites par l'enfant : les réponses affectives et le style éducatif des parents dépendent en partie des caractéristiques individuelles de l'enfant. Elles peuvent ainsi être induites par les traits de tempérament que présente l'enfant. Avoir un enfant inhibé, timide et réservé peut conduire certains parents à le surprotéger en lui évitant toute confrontation aux situations qui le gênent et le mettent mal à l'aise, et ce d'autant plus que l'enfant est jeune.

De même, elles peuvent être induites par des événements tenant à l'histoire de l'enfant. Avoir un enfant fragile (ou pensé comme tel), prématuré, handicapé ou malade, ou un enfant « précieux », né après le décès d'un autre enfant, ou par insémination artificielle peut conduire certains parents à adopter envers lui des attitudes de surprotection anxieuse.

Mais vouloir toujours nourrir son enfant plutôt que de l'aider à apprendre à se nourrir c'est aussi risquer de e conduire à mourir de faim si l'on est plus là. (p. 128-130)


Référence

Daniel Bailly, La peur de la séparation. De l'enfance à l'âge adulte, Odile Jacob, Paris, mai 2005. La présentation du texte ici proposé est le fait de l'auteur de ce blog.

jeudi 20 septembre 2012

La surprotection maternelle selon D. Levy, 1943


Dans un travail sur la surprotection maternelle dans lequel il réunit la sensibilité du clinicien et le souci de contrôle et de systématisation de l'expérimentateur, D. Levy (1943) a essayé de décrire la genèse d'une relation enfant-parent particulière, et de comprendre les conséquences qu'elle a pour le développement de la personnalité.

À cet effet, Levy choisissait un certain nombre de « cas purs » permettant d'approcher la rigueur de l'étude bien contrôlée, et les étudiait ensuite en profondeur à la façon du clinicien.

En étudiant des mères surprotectrices, Levy trouvait que leur relation à leur enfant présentait trois caractéristiques :

- un contact excessif,
- des soins maternels prolongés,
- et un comportement qui empêche l'accession à l'indépendance,

et que cette surprotection se trouvait chez des mères qui souffraient d'un manque d'affection parentale dans leur enfance.

Leur attitude surprotectrice semble donc en rapport avec leurs propres expériences d'enfant et représenter une satisfaction substitutive de leur propres besoin d'affection.

Il faut cependant remarquer que le comportement surprotecteur semblait avoir des motivations diverses et que l'on a décrit différents types sont l'exemple donné ici est celui dans lequel la surprotection portait sur un enfant désiré et se manifestait dans un comportement affectueux.

Dans d'autres cas de surprotection, des mères luttaient avec des sentiments de rejet de l'enfant, dans d'autres encore la surprotection se trouvait associée à la domination ou à la faiblesse de la mère.

Concernant l'effet de ces types de surprotection, Levy constate que les enfants de mères surprotectrice-dominatrices tendent à être :

- dociles,
- soumis,
- polis,
- appliqués en classe
- et à avoir peu d'amis.

Les enfants de mères surprotectrices faibles, par contre, montrent une tendance à être :

- tyranniques,
- désobéissants,
- exigeants,
- à manquer de contrôle
- et à faire l'enfant gâté.


Référence

Winfrid Huber, Introduction à la psychologie de la personnalité, Pierre Mardaga, Liège, 1995, p. 134-135.

jeudi 16 août 2012

Les mœurs sexuelles de la Cour romaine, à la fin du XVe siècle, selon I. Cloulas, 1997.


Le mal rôdait partout. Passé le bref épisode pendant lequel le pape avait mis la pénitence à l'ordre du jour, la débauche s'affichait de nouveau dans la Ville éternelle. 

Les filles publiques et les maîtresses des prélats occupaient le premier rang, comme le vit Burckard, dans l'église des Ermites-de-Saint-Augustin, le jour de la célébration de ce saint, le 28 août [1498], alors qu'on célébrait une messe solennelle en présence de sept cardinaux. 

La syphilis se répandait dans toutes les couches de la société. Deux jours avant l'emprisonnement de Florès (1), le gardien du château Saint-Ange, Bartolomeo de Luna, évêque de Nicastro, était mort du « mal français ». César (2) avait certainement subi à Naples une attaque de cette maladie vénérienne. Son médecin particulier, Gaspare Torrella, avait heureusement trouvé un traitement qui, joint aux soins donnés par Sancia (3), permit au malade de surmonter la crise. Le praticien devait acquérir une grande notoriété en publiant sa recette dans un traité, De Pudendagra. Protégé par ce remède, le cardinal de Valence (4), dès son retour, goûta les charmes des courtisanes romaines. L'une de ses maîtresses fut la fameuse Fiammetta. Mais César savait dissimuler. Les mères de ses enfants illégitimes ne sont pas connues. Tout au plus suggère-t-on qu'une des dames de sa sœur Lucrèce (5) fut du nombre.

La luxure, encouragée par l'exemple venu de haut, ne connaît plus de bornes. Burckard note les cas les plus voyants dans le Sacré Collège [des cardinaux]. Le cardinal de Segorbe, rongé de syphilis, est dispensé de s'incliner devant le pape à la fête de Pâques 1499. Le cardinal de Monreale, autorisé à ne point paraître pendant deux ans aux cérémonies, réussit enfin à guérir : il assistera à la messe en décembre 1499. L'ennemi du pape [Alexandre VI], Julien della Rovere, le futur Jules II, est lui aussi atteint. 

L'abandon aux plaisirs charnel, que la maladie rend plus visible qu'autrefois, traduit un scepticisme profond. L'abdication morale du pape est plus sensible que jamais. Il laisse se répandre des libelles qui nient la vie de l'au-delà. 

Les seules restrictions à la débauche sont dictées par les impératifs de salubrité publique. En avril 1498, les Romains assistent à une étrange procession : six campagnards coiffés de mitres de papier défilent dans les rues, frappés de coup de fouet par les sbires. Des hommes atteints du « mal français » leur avaient donné de l'argent pour qu'ils les laissent se plonger dans les cuves remplies d'huile afin d'alléger leurs souffrances . Le bain achevé, les paysans étaient allés vendre l'huile dans la ville, en prétendant qu'elle était bonne et pure.

Autant que les délits produits par l'appât du gain, sont nombreux ceux provoqués par la débauche. L'homosexualité est très répandue. Il est courant de voir des gitons dans l'entourage du pape et des cardinaux. À Florence, la sodomie est pour Savonarole (6) la pratique la plus criminelle. Mais on s'en accomode à Rome, sauf pendant la courte période de pénitence qui suit le meurtre de Gandie (7) : Alexandre envisage alors de chasser les jeunes gens de l'entourage des prélats (8).

Cependant on réprime cruellement la confusion des sexes quand elle constitue un scandale public. (...).

Notes.

(1) Bartolomeo Florès, ancien secrétaire privé du pape Alexandre VI et archevêque de Cosenza. Il avoua avoir « fabriqué plus de trois mille fausses bulles avec trois de ses employés. »
(2) César Borgia, fils naturel du pape Alexandre VI.
(3) Sancia d'Aragon, femme de Gioffre Borgia, frère utérin de César Borgia.
(4) César Borgia.
(5) Lucrèce Borgia, fille du pape Alexandre VI et sœur utérine de César Borgia.
(6) Jérôme Savonarole, prieur du couvent dominicain de San Marco, à Florence.
(7) Juan Borgia, duc de Gandie, fils du pape Alexandre VI, frère utérin de César et Lucrèce Borgia.
(8) Suite à la mort de son fils Juan, Alexandre VI souhaita instaurer la réforme de l'Église. La commission de réforme, constituée de six cardinaux, élabora le texte d'une bulle dédiée à cet objectif, mais qui, finalement, ne vit pas le jour. Il était prévu, entre autres, que les princes de l'Église n'emploient « pas de jeunes garçons ou d'adolescents comme valets de chambre. » (p. 183 de l'ouvrage cité en référence).

Référence.

Ivan Cloulas, Les Borgia, Arthème Fayard, Paris, 1987, p. 187-189. Les notes accompagnant le texte ci-dessus sont le fait de l'auteur de ce blog.

lundi 9 juillet 2012

Les droits humains premiers, selon J. Adams, 1766


Puissions-nous mettre en application les principes suivants émis par le futur deuxième président des États-Unis d'Amérique, John Adams, en 1766 : chaque être humain a droit à l'air, à la lumière, au fait d'être nourri et habillé (on pourrait ajouter : d'être logé).
 

[The British constitution] is not built on the doctrine that a few nobles or rich commons have a right to inherit the earth, and all the blessings and pleasures of it: and that the multitude, the million, the populace, the vulgar, the mob, the herd and the rabble, as the great always delight to call them, have no rights at all, and were made only for their use, to be robbed and butchered at their pleasure. No, it stands upon this principle, that the meanest and lowest of the people, are, by the unalterable indefeasible laws of God and nature, as well entitled to the benefit of the air to breathe, light to see, food to eat, and clothes to wear, as the nobles or the king. All men are born equal: and the drift of the British constitution is to preserve as much of this equality as is compatible with the people's security against foreign invasions and domestic usurpation.


John Adams (1735-1826)
 
[La constitution britannique] n'est pas fondée sur la doctrine selon laquelle quelques nobles ou riches roturiers  auraient le droit d'hériter de la terre, et de tous ses bienfaits et plaisirs, et que la multitude, la masse, la populace, le vulgaire, la foule, le troupeau, la racaille, comme les grands aiment toujours à les nommer, n'aurait aucun droit et serait destiné uniquement à leur servir, à être dépossédé et abattu selon leur bon plaisir. Non, elle est établi sur le principe selon lequel les plus modestes et les plus humbles parmi le peuple, ont droit, de par les lois inaltérables et indéfectibles de Dieu et de la nature, au bénéfice de l'air que l'on respire, de la lumière que l'on voit, de la nourriture que l'on mange, et des vêtements que l'on porte, tout aussi bien que les nobles ou que le roi. Toutes les hommes sont nés égaux, et le sens de la constitution britannique est de préserver cette égalité autant qu'elle est compatible avec la sécurité du peuple vis-à-vis des invasions étrangères et de l'usurpation intérieure.

Référence.

John Adams, « The Earl of Claredon to Willaim Pym », n° III, Boston Gazette, 27 janvier 1766, in Charles Francis Adams, The Works of John Adams, Second President of The United States, Charles C. Little and James Brown, Boston, 1851, p. 480. La version française est le fait de l'auteur de ce blog.

mercredi 4 juillet 2012

La stratégie du chiffon rouge de la droite libérale, selon J. -C. Michéa, 2011


Aurélie Filipetti, actuelle ministre française de la Culture et de la Communication, et membre du Parti « socialiste », intervint, le dimanche 14 octobre 2007, lors du meeting-concert  « Touche pas à mon A.D.N. », organisé au Zénith de Paris par l'association française S.O.S. Racisme. Elle y prononça, d'une voix forte et saccadée, les paroles suivantes :
 
« Bonsoir. On est là ce soir pour dire non, non aux tests A.D.N., une abjection morale, mais aussi non, et ça suffit, à la criminalisation de l’immigration. L’immigration a été, est et sera la chance de ce pays. Ce sont des générations et des générations d’immigrés qui ont fait la richesse économique, culturelle de la France telle qu’elle est aujourd’hui ! Et quand il fallait se battre pendant les guerres, c’est encore les immigrés et les étrangers qui étaient là pour se battre aux côtés des Français ! Donc il y en a assez, assez ! C’est à nous la gauche de redonner une vision positive de l’immigration, de dire tout ce que ça a apporté à notre pays, et ce soir on est là contre les tests A.D.N., cette abjection, pour dire aussi, plus loin, pour dire : « cette France moisie, cette France rancie qui considère l’immigré et l’étranger comme l’ennemi, on n’en veut pas ! ».

Ces propos semblent, à tout le moins, excessifs. Ce qui est certain, c'est que la « France rancie » que l'actuelle ministre française portait, il y a cinq ans, et alors qu'elle était encore députée de la Nation,  au pilori, ne peut faire que la sourde oreille aux insultes directes et aux exagérations historiques. 

Cette déclaration d'une femme politique incarnant le courant libéral de gauche est, semble-t-il, l'exemple-type capable d'illustrer cette note de Jean-Claude Michéa, tirée de son ouvrage Le complexe d’Orphée – La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, paru chez Climats, en octobre 2011 (note 3 de la scolie G, Scolies V, p. 203-204).

« Les partis de gauche ne semblent toujours pas avoir saisi l’essence de la stratégie du chiffon rouge que la droite libérale utilise méthodiquement contre eux. Les différentes provocations (minutieusement calculées) auxquelles cette droite se livre à intervalle réguliers ne visent jamais, en effet, à influencer directement l’électorat populaire (en cherchant, par exemple, à enraciner en lui ces idées « nauséabondes » qui sont, par définition, incompatibles avec les contraintes de la mondialisation). Elles visent, en réalité, à agir sur cet électorat de manière indirecte, c’est-à-dire en tablant machiavéliquement sur le caractère totalement abstrait (et, de surcroît, souvent grotesque) de la réaction politiquement correcte qu’elles ne manqueront pas de susciter mécaniquement chez les élites de la gauche divine (comme on dit en Espagne) et donc dans le petit monde incroyable et merveilleux du showbiz et des médias. Petit monde dont la morgue et la bonne conscience surréalistes ont toujours constitué pour la droite la plus efficace des publicités. En d’autres termes, la droite libérale compte en permanence sur les réflexes pavloviens de la bourgeoisie de gauche pour provoquer la colère de l’électorat populaire (qui, lui, est évidemment confronté à la réalité quotidienne) et maintenir ainsi son emprise idéologique sur lui. Avec, bien entendu, le risque électoral majeur – lorsque les réactions des élites de gauche s’avèrent trop caricaturales ou trop déconnectées de l’expérience vécue par les classes populaires – que ces dernières manifestent alors leur exaspération (un sentiment promis à un bel avenir) en cherchant directement refuge auprès de partis plus radicaux. Nous retrouvons ici le célèbre théorème d’Orwell : quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires (classes moyennes incluses), c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger. »

mardi 3 juillet 2012

Le rôle des élites libérales, selon K. Marx et F. Engels, 1848.



La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. 

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. 

Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du  « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. 

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. 

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent. 

La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au Moyen Âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades.
 
La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. 

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. 

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. À la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. Les œuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. 

L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle
 
Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. 

La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celles des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs. De même qu'elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou demi-barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l'Orient à l'Occident. 

La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. 

La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses ; et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? 

Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d'échange, sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoise, furent créés à l'intérieur de la société féodale. À un certain degré du développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa. 

À sa place s'éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie économique et politique de la classe bourgeoise. 

Nous assistons aujourd'hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre chose que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production, contre le régime de propriété qui conditionnent l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, - l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À quoi cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. Les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même. 

Référence.

 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, (1848), Première partie : Bourgeois et prolétaires, Paris, Éditions Sociales, 1977.

lundi 25 juin 2012

Être prêtre et homosexuel, c'est possible ! Pierre du Moulin, 1527


Martin de Azpilcueta, dit Navarrus

On appelle irrégularité en l'Église Romaine l'inhabilité à recevoir les ordres, ou à les exercer après les avoir reçus. Par les Lois de l'Église Romaine, un homme devient irrégulier pour ne boire point de vin, pour avoir perdu un des doigts qui servent à manier l'hostie, et à faire le signe de la croix. Pour avoir tué quelqu'un, ou lui avoir coupé quelque membre du corps. Plusieurs estiment que le châtré n'est point irrégulier, pourvu qu'il porte sur soi les parties qui lui défaillent réduites en poudre (1). Item, un prêtre tombe en irrégularité et devient inhabile à sa charge s'il se marie, mais non pas s'il a des concubines. Il ne devient point irrégulier ni inhabile à la prêtrise pour être Sodomite. Car les Docteurs tiennent cela être compatible avec sa charge : comme enseigne bien au long Navarre (2) Docteur célèbre. Et sa raison est pource que quelque détestable que soit ce crime, si est-ce que l'hérésie conçue en l'esprit, et le désespoir sont crimes plus horribles : lesquels néanmoins n'apportent point d'irrégularité. Ce qu'il prouve par l'autorité de Thomas. Cela étant ainsi, comment saura celui qui reçoit l'absolution si le prêtre n'a pas quelque défaut en son corps, ou s'il n'a pas commis quelque crime qui le rendre irrégulier ? Car si cela est, l'absolution est nulle et sans effet.

Notes.

(1) Cardinal Tolet, Livre I, Instructio Sacerdotium, ch. 63. : « Non est opus cum cui virilia abscissa sunt, secum in pulnerem, redacta aut sicca portare, ut vulgares putant. »

(2) Martin Aspilcueta (1493-1586) (dit le Doctor Navarrus ou Navarrus, canoniste catholique romain), Opera omnia canonica, tome 2, au chapitre Ad inferendam, 23, question 3, De Defensione proximi, §. 37. Édition de Cologne, 1615, p. 255. « Dubitarunt an voluerimus etiam nefandum crimen sodomiæ comprehendere. Sequitur respondendum esse non comprehendi. Primo, quia sicut dictum est supra, irregularitas nisi ob casus à iure expressos non incurritur, ex quorum numero hic non est. Secundo, quia illa verba sunt Innocentii. Tertio quia parum refert illud graviter crimen esse grauissimum, spurcissimum et maxime detestabile, cum maius sit hæresis mentalis (…). Facit etiam quod nos intelleximus, in Italia, ubi, ut fertur, plus hoc malo laboratur quàm oporteret, nullæ de eo dispensationes quæruntur. » ; tome 2, chap. 2, question 2, article 3 et maius desperatio, etc.

[« Ils tergiversent [pour savoir] si nous voulons également [y] inclure le crime abominable de sodomie. Par suite, il faut répondre qu'il n'est pas inclus. Premièrement, selon ce qui a été dit ci-dessus, l'irrégularité n'est pas encourue, hormis les cas spécifiés par le droit, au nombre desquels la sodomie n'est pas. Deuxièmement, parce que ces mots sont ceux d'Innocent. Troisièmement, parce qu'il importe peu que ce crime soit, au plus haut point, grave, immonde et détestable, étant donné que l'hérésie mentale est [un crime] plus grand [encore] (…). Il se fait également que nous avons pris connaissance du fait, qu'en Italie, qui est plus travaillée par ce mal qu'il ne faudrait, aucune dispense n'est demandée pour cela. »

Référence.

Pierre du Moulin, pasteur, Nouveauté du papisme opposé à l'ancienneté du vrai christianisme, Jean Jannon, Sedan, 1527, p. 728. Orthographe modernisée par l'auteur de ce blog.

samedi 23 juin 2012

La fable du Christ ?, selon Léon X, 1513-1521


Léon X, pape de 1513 à 1521, aurait évoqué la « fable du Christ » ... Quelle est la source textuelle de cette déclaration ? C'est  à cette question que répond l'extrait suivant, tiré d'un ouvrage de John Bale, (1495-1563), écrivain, historien et théologien, ex-catholique fervent, converti au protestantisme et à la critique de l'Église romaine.


" Leo the tenth was a Florentine borne, of the noble house of Medicea, and called ere he were Pope Iohn Medices. He being Deacon Cardinal of Saint Maries, contrarie to all hope was chosen to succede Iulius. He beinge diligently from his youth trained up in learning under learned schoolemaisters, and especially one Angelus Politianus, did afterward greatly fauour learned men.

When he was but. xvi. Yeres olde he was made cardinall by Innocentius the. viii. And at the yeres of xxxvi.he obtained the papacie. This Leo was of this owne nature a gentil and quiet person : but often times ruled by those that were cruell and contencious men, whom he suffered to do in many matters according to their insolent will. He addicting him selfe to nicenesse, and takinge ease did pamper his fleshe in diuerse vanities and carnal pleasures : At banqueting he delighted greatly in wine and musike : but had no care of preaching the Gospell, nay was rather a cruell persecutour of those that began then, as Luther and other to reueale the light thereof : for on a time when cardinall Bembus did moue a question out of the Gospell, the Pope gaue him a very contemptuouse aunswere saiying : All ages can testifie enough howe profitable that fable of Christe hath ben to vs and our companie : Sleidan faith he sente letters and bulles of pardons into all nations for suche as woulde give money for them, the effectes of his pardons were diuerse, some especially to sell licence to eate butter, chese, egges, milke, and fleshe upon forbidden daies, and for this purpose he sent diuers treasurers into all countreis, and namelye one Samson a monke of Millaine into Germany, who by these pardons gathered out of sundrie places such hewge sommes of money that the worlde wondered at it, for he offered in one day to geue for the Papacie aboue an hundred and twentie thousand duckates. "

Référence.

John Bale (1495-1563), The Pageant of Popes, 1774, Fol. 180. (Écrit en latin par Maître Bale et traduit en anglais avec des additions spéciales par I.S.)

Version française (par l'auteur de ce blog).

« Léon X naquit à Florence, de la noble maison de Médicis, et s'appelait, avant d'être pape, Jean Médicis. Alors qu'il était cardinal-diacre de Sainte Marie, au contraire de tout espoir, il fut choisi comme successeur de Jules II. Formé avec zèle à l'étude, dès sa jeunesse, par d'érudits professeurs, et particulièrement par l'un d'eux, Ange Politien, il favorisa grandement, par la suite, les savants.

Lorsqu'il eut seize ans, il fut créé cardinal par Innocent VIII. À l'âge de vingt-six ans, il reçut la papauté. Léon, de par sa nature, était un homme doux et calme, mais souvent gouverné par des hommes belliqueux et cruels, qu'il laissa agir, en bien des choses, suivant leur volonté insolente. Adonné au bien-être et à la facilité, il gratifia sa chair de diverses vanités et plaisirs charnels. Au banquet, il se délectait particulièrement de vin et de musique ; mais il n'avait pas le souci de prêcher l'Évangile, et se montra plutôt cruel persécuteur de ceux qui commençaient alors, comme Luther et d'autres, d'en manifester la lumière. Car la fois que le cardinal Bembus posa une question suscitée par l'Évangile, le papa lui fit une réponse très narquoise : « Tous les âges peuvent suffisamment témoigner combien cette fable du Christ fut rentable, pour nous et notre compagnie. » Sleidan assure qu'il envoya des lettres et bulles d'indulgences en toutes nations au profit de ceux qui donneraient en retour de l'argent ; les effets de ces indulgences étaient diverses, certaines, particulièrement, donnaient licence de manger du beurre, du fromage, des œufs, du lait, les jours prohibés ; pour cela, il envoya divers trésoriers dans tous les pays, et spécialement l'un deux, Samson, un moine de Milan, qui, en Allemagne, par ces indulgences, rassembla, de divers endroits, des sommes d'argent si considérables que le monde se posait des questions à leur sujet, car il offrit en un jour de donner, pour la papauté, plus de cent vingt milles ducats. »

mercredi 20 juin 2012

Stéréotypes et identités de genre, selon Johnson et Everitt, 2000

   
Tableau 2.1. Sexe et genre : descriptions oppositionnelles.


CARACTÉRISTIQUES SEXUELLES
MÂLE
FEMELLE
CHROMOSOME
Y présent
Y absent
GÈNE
SRY actif
SRY inactif
GONADE
Testicule
Ovaire
GAMÈTE
Spermatozoïde
Ovocyte
HORMONE
Androgènes, HAM
Ni androgènes, ni HAM
PHÉNOTYPE EXTERNE
Pénis, scrotum
Clitoris, lèvres vulvaires
PHÉNOTYPE INTERNE
Canal déférent, prostate
Trompes, utérus, vagin
ATTRIBUTS DE GENRE
MASCULINS
FÉMININS
INTERACTIONS INTER/INTRAGENRE
Interactions approuvées ou désapprouvées avec même ou autre genre
Interactions distinctes permises avec même ou autre genre
RÔLE SOCIAL
Protecteur public, extraverti, puissant, indépendant, dominant
Privé, introverti, domestique, calme, dominé, donneuse de soins
RÔLE REPRODUCTIF
Remplaçable et transitoire
Essentiel et durable
RÔLE SEXUEL
Actif, assertif, dominant
Passif, réceptif, soumis
RÔLE PROFESSIONNEL
Défense légale et réglementaire, direction, militaire, religieux, artistique
Constructif, agricole, domestique, culinaire, créatif, nourricier
APPARENCE
Coupe de cheveux typique et uniforme, décorations et ornements vestimentaires
Coupe de cheveux typique et variée, décoration corporelle et vestimentaire
TEMPÉRAMENT ET ÉMOTIONS
Compétitif, combattif, agressif, ambitieux, dépourvu d'émotions visibles
Coopératif, consensuel, affectueux, compassion, librement émotif
INTELLECT ET COMPÉTENCES
Meilleures compétences mathématiques et spatiales
Meilleures compétences et dons linguistiques
LANGAGE UTILISÉ
Usage de termes et de langage typiquement masculins
Termes et langages typiquement féminin




Deux concepts complexes sont nécessaires à la bonne compréhension de ce qu'est le genre.

1. Le stéréotype du genre est l'ensemble des conventions qui définissent l'homme ou la femme dans une société donnée.

Les attributs de genre indiqués dans le Tableau 2.1 constituent les éléments des stéréotypes de genre mâle et femelle. Ces stéréotypes fournissent une description qui permet, en gros, de reconnaître le masculin et le féminin dans une société. Les attributs précis ajustés à chaque genre varient d'une société à l'autre ou avec le temps dans une même société. Cependant les études sociales, historiques et anthropologiques révèlent, dans l'éventail des diverses sociétés, une remarquable adéquation de la fréquence et de l'intensité selon lesquelles chacun de ces attributs est inclus sans son stéréotype de genre. Ainsi, par exemple, l'exclusion des femmes de la vie publique ou de certains rôles sociaux et professionnels est plus évidente dans les sociétés islamiques ou judéo-chrétiennes traditionnelles que dans les sociétés modernes. Cependant, au sein de ces dernières, ce type de stéréotype de genre persiste encore dans le fait que certains rôles restent principalement masculins (i.e. : le chirurgien, le prêtre) ou féminin (i.e. : infirmière, sage-femme), même si ces corrélations sont moins strictes que par le passé. Le comportement que l'on attend des hommes et des femmes diffère de même. Un comportement brutal et agressif est plus facilement accepté et souvent excusé dans le cas d'un homme tandis que venant d'une femme, il sera fermement stigmatisé. À in niveau plus anodin, le port de boucles d'oreille par un homme ou de pantalons par une femme était jusqu'il y a peu, très peu conforme aux stéréotypes de genre en vigueur. Certaines règles sociales, définissant ainsi clairement ce que devraient être les attributs décoratifs et vestimentaires du genre sexuel, persistent encore largement dans les mentalités actuelles.

Alors qu'il est difficile pour une société évolutive de définir des stéréotypes de genre acceptables par tous, il existe cependant une vision sociale relativement claire des éléments qui définissent les comportements masculin et féminin. La cohérence de cette vision peut s'avérer particulièrement solide chez les pairs d'une même génération. L'établissement d'un stéréotype de genre n'implique nullement que ce stéréotype soit applicable à chaque même ou femelle. Il s'agit plutôt d'une référence culturelle commune quant à la manière dont devraient apparaître les hommes et les femme. Ce consensus social sur ce que signifie être homme ou femme joue un rôle important dans les perceptions de lui-même et des autres que développera chaque individu. Il fournit un étalon qui permet d'évaluer sa propre masculinité ou féminité et celle des autres.

Ce processus d'évaluation est important car ceux qui tendent à trop s'écarter du stéréotype sont généralement marginalisés. Dans certaines cultures, il est moins acceptable pour un homme de tendre vers la féminité que pour une femme d'apparaître masculine, en dépit de l'existence de frontières nettes dans les deux directions. Une telle asymétrie peut résulter du fait que dans les sociétés où le genre joue un rôle important, les hommes détiennent plus de pouvoir que les femmes et présentent, dès lors, des attributs mieux valorisés socialement. Ainsi, pour un homme, apparaître féminin pourrait réduire son standing, alors que la même dévaluation de statut ne se produirait pas pour les femmes adoptant un stéréotype masculin, bien au contraire. Dans les sociétés où les stéréotypes se relâchent, se manifeste, dès lors, une meilleure acceptation de la masculinisation des stéréotypes des femmes ainsi qu'une plus grande résistance à l'égard d'une féminisation des stéréotypes des hommes.

2. Le stéréotype du genre fournit un moyen social qui permet de classer rapidement les individus par sexe.

Nous sommes tous confrontés à un déconcertant éventail d'informations sociales. Un aspect du développement de l'enfant est d'apprendre comment interpréter le monde qui l'entoure. Les différences sexuelles sont une part importante de ce monde. En intégrant un stéréotype de genre, ou en pratique, n'importe quel autre stéréotype (ethnie, classe sociale, âge, métier), chacun se dote d'un schéma social qui permet une évaluation rapide de chaque individu rencontré. Reconnaître à quelqu'un sa qualité mâle ou femelle nous permet d'associer les divers attributs du stéréotype de genre et conditionne par là nos comportements immédiats de façon conforme à notre propre genre et à celui des autres. Ce processus tendra évidemment à renforcer les stéréotypes de genre d'une société, sans préjuger toutefois des réactions ultérieures d'individu à individu. Si l'on doute de l'importance de ce type de schéma social, il suffit de se demander comment il affecte nos sentiments et notre comportement lorsque nous rencontrons quelqu'un dont le sexe et le genre ne sont pas d'emblée évidents. Comment nous sentirons-nous si, plongés dans le contexte d'une autre culture, nous découvrons que les stéréotypes de genre qui y ont cours sont en conflit avec ceux de notre propre culture : par exemple, si les hommes se tiennent par la main et s'embrassent en public ? Les humains sont des êtres sociaux et les lois qui régissent les fonctions sociales sont donc de première importance.

3. L'identité de genre correspond à une conception personnelle du moi masculin ou féminin.

Nous avons une vision claire de l'existence de deux genres, définis en gros par les stéréotypes de genre de notre société. Il s'ensuit que chacun de nous se voit lui-même comme masculin ou féminin et ce en conformité plus ou moins nette avec le stéréotype en vigueur. La mesure dans laquelle chaque individu se sent sûr de sa position dans l'échelle bipolaire de genre est représentative du degré de solidité et de sécurité de son identité de genre. La plupart des individus bénéficient d'une identité de genre pleinement conforme à leur sexe. La plupart des femmes et des hommes qui sont physiquement femelle ou mâles ont donc de fortes identités de genre. Certains individus peuvent se sentir moins sûrs de leur identité de genre, bien qu'ils s'identifient quand même à leur sexe physique : ils sont dits porteurs d'une faible identité de genre. Plus rarement, certains individus peuvent vivre une contradiction totale entre leur identité de genre et leur sexe physique. De telles personnes sont décrites comme transsexuels, bien que nous préférerons les appeler ici « invertis de genre » pour des raisons que nous clarifierons. L'inversion du genre peut survenir dans les deux directions, les transgenres même vers femelle ayant un physique même et assumant un rôle féminin, alors que les invertis du genre femelle vers le mâle seront physiquement des femmes mais dotées d'une identité de genre masculine. Traditionnellement, on identifie plus de cas de « mâle vers femelle » que le contraire, bien que cette différence puisse ne pas correspondre à l'écart de prévalence réels. Les invertis de genre adoptent donc le rôle d genre du sexe physique opposé au leur et certains se soumettent à des modifications chirurgicales et des traitements hormonaux dans le but de se rapprocher le plus possible, au plan physique et fonctionnel, du sexe correspondant à leur identité de genre. Ces inversions constituent sans doute la meilleure justification de la distinction entre sexe et rôle de genre. Une meilleure compréhension des bases de la transsexualité peut nous aider, par ailleurs, à définir plus clairement la frontière entre sexe et genre.

4. Les différences de genre ne sont sans doute pas aussi importantes qu'elles le paraissent.

Intuitivement, les attributs de genre énumérés sans le Tableau 2.1 peuvent apparaître familiers tout en semblant trop simplistes. Par exemple, si la plupart des hommes peuvent ne pas manifester leurs émotions par des pleurs et admettre leur vulnérabilité, nombre d'entre eux sont cependant susceptibles d'avoir ce comportement. Certaines femmes peuvent être tout aussi compétitives et agressives que les hommes, bien que dans l'ensemble ces attributs soient plus fréquemment extériorisés chez les hommes que chez les femmes. De nombreuses études ont tenté d'effectuer des mesures quantitatives objectives du comportement et par des questionnaires. Pour la plupart des attributs définissant les attitudes et le comportement, l'importance des degrés de variation au sein d'une même population d'hommes ou de femmes entraîne une large superposition entre hommes et femmes, laquelle obscurcit toute différence significative entre les genres. De plus, les différences observées n'ont que très rarement une valeur prédictive : il n'est pas possible de prédire qu'un individu est homme ou femme à partir de la mesure d'un attribut de genre.

Nous sommes donc confrontés à une paradoxe. La société définit clairement un concept polarisé de ce que signifie être un homme ou une femme dans la société. Les individus développent, de plus, une vision claire d'eux-mêmes en tant qu'homme ou femme ainsi qu'une conception de ce qu'elle signifie quant à leur place dans la société. Cependant, aussi bien objectivement que subjectivement, il est impossible de soutenir fermement une description bipolaire d'une société divisée en genres ; hommes et femmes se superposent largement dans l'expression de leurs attitudes, leurs profils de comportement, leurs aptitudes et, de plus en plus, dans les rôles qu'ils assument. Il s'agit plus d'un continuum d'attributs que d'une ségrégation bipolaire. L'intérêt de tenter d'édifier une société bipolaire alors que les faits ne la soutiennent pas doit sans doute être avantageux pour la société et sa structure. (…).

Référence.

Martin H. Johnson, Barry J. Everitt, Reproduction, traduction de la 5e édition anglaise (2000) par Fernand Leroy, Collection « Sciences médicales », Série « Pasteur », DeBoeck Université, Paris, 2002, p. 18-20.