Ayant suivi pendant quelques 28 enfants gandas, ayant entre 0 et 2 ans, elle [M. T. Knapen] remarque que plus la mère s’en occupe, plus l’enfant s’attache à elle ; lorsque ce lien est instable (la mère le confie très souvent à d’autres, elle le laisse souvent seul) l’enfant paraît anxieux et crie beaucoup, même en sa présence, tandis qu’il semble beaucoup plus satisfait lorsque ce lien est stable. L’intérêt que la mère porte à son enfant, le plaisir qu’elle y trouve, et la durée de ses soins sont significativement reliés à la sécurité et au calme de l’enfant, surtout pendant la période d’attachement personnalisé.
Pour quelles raisons la mère adopte-t-elle une certaine attitude ? Spitz y voit soit la traduction directe de certains sentiments envers l’enfant, soit la surcompensation de ces sentiments refoulés et devenus inconscients. Par exemple, le rejet ouvert se traduit par une conduite maternelle hostile et peut aller jusqu’à des souhaits de mort ; l’enfant ainsi maltraité ou abandonnée réagirait par le marasme. Au contraire, ce même sentiment peut être refoulé et provoquer par culpabilité une attitude inverse ; la mère montre alors une trop grande sollicitude envers l’enfant, qui présente ensuite la « colique de 3 mois ». Les sentiments inconscients de la mère seraient donc à l’origine de son attitude éducative.
Ces sentiments peuvent être décelés dès avant la naissance. Certaines études ont donc recherché dans quelle mesure le désir d’avoir l’enfant, exprimé pendant la grossesse, est lié à l’attitude éducative de la mère et au comportement de l’enfant.
Ainsi Ferreira (1960) fait passer à 163 mères, avant l’accouchement, un questionnaire portant sur l’anxiété, le sentiment de rejet, et les relations entre le couple : il observe ensuite l’enfant pendant les cinq premiers jours, en notant la quantité de cris, de sommeil, le degré d’irritabilité, la digestion et l’alimentation. D’après ces critères, il estime que 28 enfants ont un comportement anormal. Les corrélations entre les réponses au questionnaire et le comportement du bébé montrent que les mères très anxieuses (ont peur de faire mal au bébé) ont des nouveaux-nés « anormaux », et de même celles qui les rejettent mais aussi celles qui les désiraient vivement. En outre, l’anxiété est plus élevée chez les primipares, et diminue avec l’augmentation du niveau scolaire de la mère. Ces résultats montrent donc la liaison entre les sentiments de la mère pendant la grossesse, son anxiété, et les troubles du comportement chez le nouveau-né.
Mais à plus longue échéance, ce premier sentiment peut-il influencer l’attitude éducative de la mère, et orienter ainsi la formation du caractère de l’enfant ? Emery-Hauzer et Sand (1962) répondent affirmativement à cette question. Ayant suivi, de la naissance à 3 ans, 28 enfants dont la moitié seulement avaient été désirés par la mère, ces auteurs remarquent que les enfants non désirés se développent moins bien sur le plan intellectuel et moteur, qu’ils sont davantage sujet aux allergies et aux accidents, qu’ils ont plus de cauchemars et de peurs ; ils semblent souffrir d’un sentiment d’insécurité, et sont beaucoup plus dépendants de leur mère. Celle-ci leur témoigne très peu d’affection et beaucoup d’hostilité ; elle s’en sépare aussi plus facilement ; elle a d’ailleurs une moins bonne entente conjugale que la mère ayant désiré son enfant.
Les sentiments, très souvent inconscients, de la mère influencent donc profondément son attitude éducative. Mais ils ne reflètent pas seulement les conditions particulières dans lesquelles s’engage la relation mère-enfant ; ils dépendent également de toute la personnalité de la mère ; en particulier, sa tendance à l’anxiété et son entente conjugale semblent étroitement liée à son attitude éducative.
David, Holden et Gray (1963) ont justement trouvé que le degré d’anxiété de 80 mères, estimé pendant la grossesse, influence leurs pratiques éducatives, observées lorsque l’enfant est âgé de 8 mois : celles qui étaient très anxieuses sont plus rigides et autoritaires envers lui ; elles sont aussi généralement insatisfaites, et ont des relations tendues avec leur mari et avec leurs autres enfants. Dans ces conditions, le bébé se développe moins bien et paraît moins heureux. Cette association entre anxiété et rigidité de la mère, et les conséquences de celles-ci sur l’enfant de 5 ans (anxiété, dépendance) ont aussi été soulignées par Sears, Maccoby et Levin (1957).
Sans méconnaître l’ensemble des autres facteurs, plusieurs auteurs (Ribble, Spitz) estiment donc que c’est l’attitude émotive de la mère qui influence de façon la plus déterminante le caractère de l’enfant.
Les recherches récentes de Pulver (1952) et de Meili (1961) confirment ce point de vue. Tandis que chez des nouveaux-nés, âgés de 5 à 10 jours, les variables liées à l’irritation élevée sont surtout des conditions physiques (naissance tardive et rapide, poids élevé à la naissance, être nourri au sein), ils trouvent que, dès l’âge de 4 mois, l’attitude de la mère l’emporte sur ces facteurs. Sur plusieurs groupes dont l’un a été suivi jusqu’à deux ans, Pulver distingue deux types de mères : celles qui ont des enfants « irrités » sont timides, réservées, se font beaucoup de souci, et sont dépendantes de leur mari et de leur entourage, dont elles essayent de suivre les conseils parfois contradictoires ; au contraire, les mères des enfants calmes et détendus se fient davantage à elles-mêmes, elles ont plus d’assurance personnelle et une attitude plus conséquente et affectueuse. Ces observations rejoignent donc celles de I. Lézine et M. Stambak, en montrant l’importance de la stabilité des pratiques éducatives. Or cette attitude dépend de la personnalité de la mère, surtout de son autonomie et de son sentiment de sécurité, qui sont à leur tour déterminés par la façon dont sa propre enfance a été vécue.
Qu’on les décrive sous la forme de « tendances psychopathiques », comme le fait Chombard de Lauwe, ou qu’on y voit le retentissement de certains traumatismes vécus pendant l’enfance, les particularités de la mère semblent donc influencer profondément le caractère de l’enfant. L’absence de troubles nerveux chez la mère, une enfance heureuse dans un foyer stable, une bonne entente conjugale, sont les conditions qui permettent de prédire que son enfant se développera harmonieusement de façon intellectuelle et affective (Heuyer, 1953). Ces conditions de reflètent dans l’attitude affective de la mère, qui semble déterminer davantage le caractère du grand enfant que les pratiques éducatives de la première année (Altman, 1958). Cette attitude agit probablement par la persistance de son influence. C’est pourquoi les études qui en ont montré les effets néfastes portent généralement sur des enfants à l’âge scolaire et au-delà.
Remarques.
* Les Gandas ou Bagandas sont un peuple du centre de l'Ouganda (environ 6 millions). Cf. Larousse Encyclopédie.
* L’auteur de ce blog n’a malheureusement pas pu avoir accès aux notes et références.
Source.
Geneviève Boulanger Balleyguier, Les cris chez l’enfant. Étude sur l’irritabilité pendant lapremière année, J. Vrin, Coll. L’enfant, 1968, p. 95-98.
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