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lundi 11 juillet 2011

Aperçu de l'œuvre du psychanalyste René Spitz.


(…) le travail d’observation directe des enfants traumatisés entrepris, dès les années 1930, par le psychanalyste suisse, émigré ensuite aux États-Unis, René Spitz, qui avait abordé l’étude des relations mère-bébé, avec un fonds d’hypothèses proches de celle d’Anna Freud et de celle des théoriciens de la psychologie du moi, Hartmann, Kris, et Lœwenstein. Spitz s’inspirait aussi des travaux d’« épistémologie génétique » du grand psychologue genevois Jean Piaget, dont les recherches sur le développement cognitif faisaient alors autorité. En préfaçant, plus tard, l’ouvrage où Spitz rassemblait ses résultats (23), Anna Freud, sans baisser la garde, tentait encore d’utiliser des données rigoureuses, obtenues par des méthodes objectives et validées par des tests, pour continuer une polémique devenue pourtant anachronique :

« Lorsqu’il décrit la personnalité du nourrisson à la période préverbale, écrivait-elle, Spitz s’oppose à tous les auteurs analytiques qui prétendent trouver chez le nourrisson, très tôt après la naissance, une vie mentale compliquée dans laquelle des fantasmes, des conflits entre les instincts opposés, les sentiments de culpabilité, des tendances à la réparation pourraient jouer un rôle. Tout à l’opposé, il soutient l’idée, que beaucoup partagent, qu’il existe un état initial indifférencié et qu’à partir de celui-ci on assiste à un développement lent et continu de fonctions, à l’épanouissement de pulsions distinctes, à des structurations successives, c’est-à-dire finalement à des processus psychologiques qui émergent graduellement des états physiologiques qui les sous-tendent […]. Spitz rejette le concept d’une relation objectale avec la mère dès la naissance, conception que d’autres écoles psychanalytiques maintiennent encore. »

La cause pourtant paraissait entendue, même par Spitz qui, sans qu’Anna Freud paraisse s’en émouvoir, se référait à des notions kleiniennes, comme celles de bons ou mauvais « objets » précoces. L’intérêt de ses recherches était ailleurs. À une période où l’ hygiénisme militant et la puériculture en plein développement privilégiaient l’organisation matérielle des soins aux bébés, la qualité de leur alimentation, la propreté corporelle, la lutte contre les contaminations de toutes sortes, Spitz avait insisté sur la nécessité d’un apport affectif sécurisant. Anna Freud, du reste, le reconnaissait, en poursuivant, dans sa préface :

« Quand il passe en revue les difficultés de relation entre la mère et l’enfant à ce stade initial et leurs conséquences qui peuvent être dangereuses, Spitz va plus loin que beaucoup d’autres auteurs en décrivant de façon précise des désordres d’ordre psychotoxique, chez le nourrisson, désordres qui seraient liés à des difficultés émotionnelles particulières chez la mère. »

De ces désordres, Spitz donnait des tableaux cliniques précis. Il distinguait des désordres psychotoxiques, où les troubles émotionnels de la mère exerçaient qualitativement un effet toxique sur l’enfant, et des carences affectives quantitatives.

Après avoir cité, parmi les troubles psychotoxiques, les travaux de Margaret Ribble, auteure qui avait décrit des comas du nouveau-né attribués à un rejet primaire manifeste, non tant de l’enfant que de la maternité elle-même, il rapportait des cas de coliques du troisième mois (terme du célèbre pédiatre américain Spock) à l’indulgence excessive de mères anxieuses, tout en admettant le rôle favorisant d’une hypertonicité innée du nourrisson et en se référant à la notion freudienne des « séries complémentaires ». Ses explications étaient assez mécaniques et laissaient peu de place tant à la conflictualité interne de la mère qu’à une conception de l’appareil psychique du bébé, à sa manière de vivre le nourrissage. Il écrivait ainsi :

« Nous pouvons supposer qu’une mère exagérément inquiète est moins capable de discerner si son enfant a réellement faim ou s’il pleure pour d’autres raisons, que ne l’est une mère ayant moins de sentiments de culpabilité. Elle répond donc à ses pleurs en le nourrissant »,

donc en surchargeant son appareil digestif. L’eczéma infantile apparaissait, de même, à l’entrecroisement de deux facteurs : un facteur congénital : l’hyperexcitabilité réflexe cutanée de l’enfant, et un facteur d’environnement, l’hostilité de la mère déguisée en anxiété. Selon Spitz, la conjonction de ces deux facteurs perturbait l’identification primaire de l’enfant, c’est-à-dire ce moment important du développement, cette illusion première déjà aperçue par Freud puis précisée par Margaret Mahler, où l’enfant ressent tout ce qui, dans son environnement, vient satisfaire ses besoins comme faisant partie de son corps propre et donc soumis à sa toute-puissance. Privé par une mère anxieuse de la satisfaction du besoin d’être touché, trop réactif au niveau de sa peau, pour des raisons constitutionnelles, l’enfant était jeté trop tôt dans la séparation, et ses pulsions libidinales et agressives, précocement excitées, sans protection suffisante contre l’excitation, entraînaient une irritation cutanée. C’est l’oscillation entre les cajoleries et l’hostilité qui causait le balancement chez les nourrissons, et les sautes d'humeur chez la mère qui étaient responsables des jeux fécaux et de la coprophagie. En particulier, les mères qui s’enfonçaient secondairement dans la dépression confrontaient leurs enfants à un changement d’attitude que l’enfant ne pouvait traiter qu’en suivant la mère dans sa dépression (comme l’avait souligné Anna Freud). « Infecté » par l’atmosphère dépressive, ressentant la dépression maternelle comme une perte objectale, l’enfant se réfugiait dans des activités d’incorporation, refusait en quelque sorte, de laisser perdre les objets issus de son corps.

L’autre grand mérite de Spitz était d’avoir individualisé les troubles sévères du comportement imputables à des carences affectives quantitatives. Les enfants dont les mères s’étaient correctement occupées pendant les six premiers mois de la vie et qui avaient été ensuite soumis, pour des raisons administratives, à une séparation de plus de trois mois présentaient une « dépression anaclitique ». Ils devenaient pleurnichard, souffraient d’insomnie et montraient une propension accrue aux infections des voies respiratoires. Leur développement global était ralenti. Peu à peu, les pleurs cessaient et étaient remplacés par une « rigidité glacée de l’expression », une sorte d’hébétude tragique. La guérison était rapide lorsque la relation avec la mère était rétablie dans un délai de trois à cinq mois. 

Au contraire, ceux qui n’avaient pas bénéficié d’une première relation satisfaisante et dont les relations avec la mère avaient d’emblée été mauvaises ne réagissaient pas de manière pathologique à la séparation et se fixaient plus facilement à un substitut maternel auprès duquel ils trouvaient un réconfort. 

La carence affective totale, la privation de toute relation objectale pendant plus de cinq mois, au cours de la première année, entraînait, elle, des dommages irréversibles. Spitz citait notamment le cas d’un hospice américains pour enfants pour enfants abandonnés, où les bébés recevaient des soins corporels adéquats, une bonne nourriture et tous les soins médicaux dont ils avaient besoin, mais où ils étaient confiés, à la dizaine, à une seule infirmière, qui n’avait pas le temps de leur apporter leur ration nécessaire d’attention et les « provisions affectives normalement fournies par la relation mère-enfant ». Ces enfants se détérioraient progressivement, présentant un retard moteur et une expressions « souvent imbécile ». Ils n’avaient pas acquis les coordinations des mouvements, restaient passifs et gisants dans leur berceau, souvent avec un strabisme. Il arrivait, notait Spitz, que la motricité réapparaisse sous la forme bizarre de mouvements de torsion des doigts rappelant les mouvements athétosiques qu’on observe chez les enfants souffrant de graves atteintes cérébrales. Leur quotient de développement chutait rapidement et, à 4 ans, à quelques exceptions près, ils n’avaient aucun langage, ne pouvaient ni marcher, ni se tenir debout, ni même s’asseoir. Dans la formulation de l’époque, leur niveau de compréhension était celui de l’idiot. Nombre d’entre eux n’avaient pas survécu à ce syndrome dénommé « hospitalisme » et avaient succombé à cet état de « marasme ». Spitz rapprochait ce syndrome de l’état de stress, qui venait d’être décrit par le physiologiste Selye et qui faisait intervenir des relais neuro-hormonaux dans la réaction de l’organisme à un traumatisme. Au même moment, en France, la pédiatre psychanalyste Jenny Aubry étudiait également les carence en soins maternels et mettait en évidence, chez les « enfants de pouponnière », ce qu’elle qualifiait, avec ses collaboratrices, d’« atrophie psychique (24) ».


Source.

Jacques Hochmann, Histoire de l'autisme, O. Jacob, Paris, janvier 2009, p. 300-302.

L'auteur de ce blog n'a malheureusement pas eu accès aux notes accompagnant le texte.

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