Rechercher dans ce blogue

vendredi 17 juin 2011

Définition du Prince, selon Charles Loyseau, 1609.

 [Orthographe modernisée]

p. 27

Je dis donc, qu'il y a quatre sorte de Princes, à savoir les simples Princes, les Princes sujets, les Princes souverains, les Princes Seigneurs : auquel compte je ne mets point les princes de race, pource que ce ne sont que princes honoraires, qui sont sous le genre de l'Ordre, et non d'Office ou Seigneurie, et en sera traité au livre des Ordres : Ni pareillement ceux qui ont des terres érigées en titre de principauté, pource que ceux-là ne sont pas princes, ainsi seulement Seigneurs de principautés, desquels sera traité ci-après au chapitre 5.mais de nos quatre sortes de princes, les deux derniers sont parfaitement souverains, les deux autres ne le sont qu'en partie, et par participation.

Je mets au premier rang ceux, que j'appelle simples princes, c'est-à-dire, les premiers Magistrats, qui exercent la souveraineté comme Officiers, mais n'en ont pas la propriété, comme Seigneurs : pource que sans doute c'est la plus propre signification du mot de prince, et aussi l'espèce des Princes la plus ancienne et plus selon nature. Car Princeps en Latin, et Prince en Français, signifie proprement et originairement le premier chef, c'est-à-dire, le premier Officier de l' État, qui y a le premier commandement, et la puissance souveraine, mais non pas en propriété, comme le Seigneur souverain, ains en a seulement l'administration et exercice comme tout Officier de ce qui dépend de sa charge. (…)

p. 31

La seconde espèce de princes est de ceux, que nous avons nommés princes sujets, qui ont bien les droits de souveraineté sur leur peuple, ou la plupart d'iceux (qui seront récités au chapitre suivant) et encore les ont, non comme simple Officiers par exercice, ains en propriété comme Seigneurs, mais eux-mêmes pour leur personne, ont un supérieur, duquel ils sont sujets naturels, et partant ne sont pas vraiment Princes souverains. (…)

p. 32

Or les Princes sujets sont distingués des souverains par la sujétion, qui est le corrélatif de la Seigneurie publique, comme l'esclavage est le corrélatif de la Seigneurie privée : partant il faut conclure que ceux-là sont Princes sujets, qui dépendent de la Seigneurie publique, c'est-à-dire, du commandement et juridiction d'autrui.

Quoi donc, si le sujet naturel d'un Prince souverain vient à acquérir une Monarchie, sera-t-il néanmoins Prince sujet ? non. Car la souveraineté se mesure par la Seigneurie, et non par le Seigneur, pource que sa dignité réside directement en icelle, et par icelle se communique à la personne du Seigneur, comme il sera dit au 4. chapitre. (…)

p.33

Aussi y a-t-il grande différence entre le Seigneur ayant la Seigneurie publique, auquel son sujet doit obéissance parfaite, et le Seigneur de fief, auquel le vassal ne doit que la foi et l'assistance en guerre : ce qui ne diminue, ni la liberté du vassal en soi, ni même la puissance absolue, qu'il a lui-même sur ses propres sujets, non plus (comme Bodin est d'accord) que la protection ne diminue point la souveraineté, combien qu'elle regarde plus directement l'État, et soit encore plus personnelle, que le vasselage et féodalité, pour ce qu'elle concerne l'honneur, qui est très personnel : ni pareillement le tribut, qui néanmoins entre les Romains était marque de sujétion, comme il a été dit au chapitre précédent.

Il est bien vrai que la protection, le tribut, et la féodalité rabaissent et diminuent le lustre de l'État souverain, qui sans doute n'est pas si pur, si souverain, et si majestatif (s'il fait ainsi dire) quand il est sujet à ces charges : mais le Prince qui le possède ne cesse pourtant d'être souverain en effet, puisque pour la personne il n'est justiciable d'aucun, et que la puissance absolue lui demeure sur ses sujets, lesquelles deux choses consiste proprement et parfaitement la Souveraineté : ne plus ne moins que celui, dont la maison est chargée, de plusieurs servitudes viles et incommodes, ne laisse pourtant d'en être seigneur vraiment et entièrement l. Recte dicimus. De verb. signif.

p. 35

Reste les deux autres espèces, à savoir des Princes souverains et des Princes seigneurs, dont les uns et les autres sont Monarques et souverains tout à fait. Ce qui revient à la division, que fait Bodin des Monarques, dont il nomme les uns Royaux, et les autres Seigneuriaux. Vrai qu'il en met encore une troisième espèce, à savoir des Monarques Tyranniques, que je ne mets point en compte, pource que je ne parle que des Seigneuries légitimes et bien ordonnées, aussi que la Monarchie Tyrannique ne peut être une espèce à part, parce qu'elle convient aux Monarchies Royales et aux Seigneuriales, si les Monarques d'icelles sont tyrans, c'est-à-dire, s'ils sont usurpateurs de l'État, ou oppresseurs du peuple.

Ceux que Bodin appelle Monarques Seigneuriaux je les appelle Princes Seigneurs, savoir des Princes, afin de retenir le nom du genre, et Seigneurs parce qu'ils ont toute espèce de seigneurie, et publique, et privée. Et j'appelle Princes souverains ceux, qui ont seulement la souveraineté, qui est la seigneurie publique, mais non la privée : lesquels je ne veux pas appeler Rois, comme Bodin, d'autant que le nom de Roi convient, et aux Monarques seigneuriaux, dont plusieurs ont pris le titre de Roi, comme il sera dit incontinent, et aux simples princes, témoins les anciens Rois de Gaule, et ceux de Lacédémone, et finalement aux princes sujets, témoins les cinquante Rois sujets du négus d'Éthiopie, ceux qui sont sous la domination du Turc, et le Roi de Bohème, qui est sujet et Officier de l'Empire. (…).

Dépêchons premièrement les Monarques Seigneuriaux, que j'appelle princes Seigneurs parce qu'ils ont et toute principauté, et quant et quant toute propriété et Seigneurie privée, tant sur les personnes, que sur les biens de leurs sujets, qui par conséquent ne sont pas seulement sujets, mais esclaves tout à fait, n'ayant ni la liberté de leurs personnes, ni aucune seigneurie de leurs biens, lesquelles ils ne possèdent, qu à droit de pécule, et par souffrance du Prince Seigneur.

Dont s'ensuit que telle Monarchie Seigneuriale est directement contre nature, qui nous a tous fait libres, aussi est-elle toujours introduite par la seule force, c'est-à-dire, par usurpation intestine du citoyen, ou par conquête de l'étranger, auquel le droit de guerre attribue telle Seigneurie sur le vaincu, quand le pouvant tuer,il lui remet la vie à condition expresse de telle servitude. (…)

Néanmoins il faut confesser, que ces Monarchies Seigneuriales sont barbares et contre nature, et particulièrement qu'elles sont indignes des Princes Chrétiens, qui ont aboli volontairement l'esclavage en leur pays, afin que ceux qui ont été rachetés du sang de notre Rédempteur, jouissent dès ce monde de leur pleine liberté, utpote non ancillae filii, sed liberae:qua libertate Christus nos donavit. 
 
p. 38

Reste donc à expliquer la plus vraie et la plus commode espèce des princes, à savoir des princes souverains, qui sont ceux, dont nous avons principalement à traiter, que j'appelle princes souverains, parce que non seulement ils sont premiers chefs, mais aussi ils ont parfaitement la Seigneurie souveraine.

Il y en a de quatre degrés, qui sont distingués seulement par l'étendue de leur domination, pource que intensivè leur pouvoir est pareil, ayant tous la parfaite souveraineté et puissance absolue, à savoir les Empereurs, qui ont plusieurs Royaumes unis ensemble, les Rois qui ont plusieurs provinces, les Ducs ou Comtes souverains qui n'ont qu'une seule province, et les simples Seigneurs, qui n'ont pas une province entière.

Charles Loyseau, Traité des Seigneuries, Seconde édition, revue et corrigée par l'auteur, Abel Langelier, Paris, 1609.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire