Il y a deux timidités — la timidité d'esprit, la timidité de nerfs : l'une est indépendante de l'autre. Le corps peut avoir peur et trembler pendant que l'esprit reste calme et courageux, et vice versa. Ceci donne la clef de bien des bizarreries morales. Quand deux timidités se réunissent chez un homme, il sera nul toute sa vie. Cette timidité complète est celle dont nous disons en parlant d'un homme: « C'est un imbécile. » Il se cache souvent dans cet imbécile bien des qualités comprimées. Peut-être devons-nous à cette double infirmité quelques moines qui ont vécu dans l'extase. Cette malheureuse disposition physique et morale est produite aussi bien par la perfection des organes et par celle de l'âme que par des défauts encore inobservés.
La timidité de Jean-Jacques venait d'un certain engourdissement de ses facultés, qu'un grand instituteur, ou un chirurgien comme Desplein, eussent réveillées. Chez lui, comme chez les crétins, le sens de l'amour avait hérité de la force et de l'agilité qui manquait à l'intelligence, quoiqu'il lui restât encore assez de sens pour se conduire dans la vie. La violence de sa passion, dénuée de l'idéal où elle s'épanche chez tous les jeunes gens, augmentait encore sa timidité, Jamais il ne put se décider, selon l'expression familière, à faire la cour à une femme à Issoudun. Or, ni les jeunes filles, ni les bourgeoises ne pouvaient faire les avances à un jeune homme de moyenne taille, d'attitude pleine de honte et de mauvaise grâce, à figure commune, que doux gros yeux d'un vert pâle et saillants eussent rendue assez laide, si déjà les traits écrasés et un teint blafard ne la vieillissaient avant le temps. La compagnie d'une femme annulait, en effet, ce pauvre garçon, qui se sentait poussé par la passion aussi violemment qu'il était retenu par le peu d'idées dues à son éducation. Immobile, entre deux forces égales, il ne savait alors que dire, et tremblant d'être. interrogé, tant il avait peur d'être obligé de répondre ! Le désir, qui délie si promptement la langue, lui glaçait la tienne, Jean-Jacques resta donc solitaire, et rechercha la solitude en ne s'y trouvant pas gêné.
Honoré de Balzac, Un ménage de garçon en province, Melines, Cans et Cie, Bruxelles, 1843, p. 83-84.
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