1. Timidité. – Cet étrange état d'esprit, qu'on appelle aussi parfois mauvaise honte (shame facedness, false shame), paraît être une des causes les les plus efficaces de la rougeur. La timidité se manifeste essentiellement par une figure rougissante, le regard fixé sur le sol ou dirigé obliquement, des gestes gauches et saccadés. Pour une fois qu'elle rougit pour s'être rendue coupable d'une faute qui la rend vraiment honteuse, une femme rougit peut-être cent ou mille fois sous l'emprise du sentiment en question. La timidité semble dépendre de notre crainte du jugement bon ou mauvais d'autrui, surtout en ce qui regarde nos qualités physiques. Un étranger ne sait rien de notre conduite ou de notre caractère; il ne s'en inquiète, pas, mais il peut. – cela se voit tous les jours, – critiquer notre extérieur; c'est pourquoi les personnes timides sont particulièrement sujettes à devenir rouges et confuses en présence d'étrangers. Il suffit, pour porter à son comble le trouble d'un individu timide, de la pensée que sa mise présente quelque chose de particulier ou d'inusité, ou de la conscience d'un défaut insignifiant dans sa personne et surtout dans son visage, toutes choses qui lui paraissent propres à attirer le regard des étrangers. Au contraire, quand il s'agit non plus de notre aspect extérieur, mais de notre conduite, nous sommes bien plus disposés à la confusion en présence de nos connaissances, au jugement desquelles nous attachons quelque prix. Un médecin m'a raconté qu'un jeune duc très riche, qu'il avait accompagné dans ses voyages en qualité de docteur, rougissait comme une jeune fille lorsqu'il payait ses honoraires; il est probable cependant que ce jeune homme n'eût pas manifesté une pareille timidité en acquittant le compte d'un commerçant. Certaines personnes pourtant sont tellement impressionnable qu'il leur suffit d'adresser la parole à quelqu'un pour éveiller leur timidité et amener une légère coloration sur leur visage.
La critique et le ridicule nous trouvent toujours très sensibles, et provoquent notre rougeur et notre confusion bien plus facilement que l'éloge; il faut reconnaître pourtant que celui-ci a beaucoup de prise sur certains individus. Les fats sont rarement timides, car ils s'estiment à trop haut prix pour s'attendre à être critiqués. Comment se fait-il que l'orgueil puisse au contraire s'allier à comme on l'observe souvent ? Ne faut-il pas admettre que, malgré toute sa suffisance, l'orgueilleux s'inquiète en réalité beaucoup de l'opinion d'autrui, tout en la dédaignant ? Les personnes d'une excessive timidité la manifestent rarement en présence de ceux avec lesquels ils sont familiers, et dont ils connaissent bien l'opinion favorable et la sympathie : telle par exemple une fille devant sa mère.
J'ai omis, dans ma circulaire imprimée, de demander si l'on pouvait reconnaître la timidité chez les diverses races humaines; mais un Hindou a affirmé à M. Erskine que ce sentiment est reconnaissable chez ses compatriotes.
La timidité, – l'étymologie même du mot l'indique dans plusieurs langues, (1), – a d'étroites relations avec la peur; elle est cependant bien distincte du sentiment qu'on désigne d'ordinaire par ce mot. Assurément l'homme timide craint le regard des étrangers, mais on ne saurait dire qu'il a peur d'eux; il peut avoir l'audace d'un héros à la guerre, et cependant se sentir intimidé par des niaiseries en présence d'autrui. Il est peu de personnes qui puissent prendre la parole en public pour la première fois sans éprouver une violente émotion, et bien des orateurs ne parviennent même jamais à la surmonter complètement; mais cette impression paraît devoir être attribuée à l'appréhension de la lourde tâche qu'on entreprend, accompagnée de sa réaction obligée sur toute l'économie, plutôt qu'à la timidité proprement dite (2); il est certain pourtant qu'un homme timide souffre en pareille occasion infiniment plus qu'un autre. Chez les très jeunes enfants, il est difficile de distinguer la peur de la timidité; mais il m'a souvent paru que, chez eux, ce dernier sentiment a quelque-chose de la sauvagerie d'un animal non apprivoisé. La timidité apparaît de très bonne heure. Chez un de mes enfants, à l'âge de deux ans et trois mois, je reconnus des signes non équivoques de timidité vis-à-vis de moi-même, après une absence de huit jours à peine; il exprime cette émotion, non en rougissant, mais en détournant légèrement son regard de moi pendant quelques minutes. J'ai remarqué du reste, dans d'autres occasions, que la timidité ou fausse honte, aussi bien que la honte véritable, peuvent être exprimée par le regard d'un jeune enfant, avant qu'il ait acquis la faculté de rougir.
Puisque la timidité paraît reconnaître pour origine première l'attention portée sur soi-même, il est très certain qu'en réprimant les enfants qui y sont sujets, loin de leur être utile, on ne fait qu'augmenter leur défaut en donnant une force nouvelle à la cause même qui l'a fait naître. On l'a dit avec raison :
« Rien n'est funeste à l'enfance comme de sentir ses sentiments continuellement observés, de voir un œil scrutateur surveiller ses divers mouvements et poursuivre sans pitié l'expression changeante de ses émotions intérieures. Sous le poids d'un pareil examen, l'enfant ne peut avoir qu'une pensée, celle de l'attention qui le poursuit, et qu'un sentiment, la confusion et la crainte (3). »
(1) H. Wedgwood, Dict. English Etymology, Vol. III, 1863, p. 184. Il en est ainsi du mot latin verecundus.
(2) M. Bain (the Emotions and the Will, p. 64) s'est occupé de « l'ahurissement » où l'on est en pareille occasion, ainsi que de la peur de la scène des acteurs novices. M. Bain paraît n'attribuer ces sentiments qu'à la simple appréhension ou à la crainte.
(3) Essays on Practical Education, par Maria et H.L. Edgeworth; nouv. édit., vol. II, 1822, p. 38. – Le docteur Bargess (ibid.,
Charles Darwin, Drs Samuel Pozzi et René Benoist (trad.), L'expression des émotions chez l'homme et les animaux, 2e édition, Reinwald, Paris, 1890, p. 353-358
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